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Le saut dans le monstrueux

 Devenu sorcier du vivant voire bio-technicien, l’humain a engagé une partie de dés bien incertaine en bafouant les règles d’un jeu dont il ne maîtrise pas l’issue. En captant l’énergie du charbon, du pétrole puis de l’uranium, il a ouvert une boîte de Pandore sans fond et créé un système socioéconomique qui livre une guerre totale au vivant… Le journaliste Laurent Testot fait le récit environnemental et multiforme de cette épopée prédatrice guère assurée de sa happy end…

 

 

L’humain est un « hyperprédateur devenu par effraction roi de la Terre », un « singe tueur dès sa conception » voilà environ six millions d’années, appartenant à « l’espèce invasive ultime » qui a altéré son milieu naturel « au-delà de ce qui était concevable » sans pour autant parvenir à s’affranchir de son influence…

Laurent Testot rappelle que l’humain ne descend pas du singe, il a été « un singe parmi d’autres, qui a évolué en même temps que les chimpanzés, bonobos et gorilles » - et, au fil des millénaires, il s’est « façonné pour la guerre », ravageant les niches qui l’ont accueilli... Mais l’important n’est pas de savoir si l’homme descend du singe mais jusqu’où il peut descendre encore – et quand il touchera le fond de ses abîmes pour amorcer une éventuelle remontée…

C’est par une « convulsion climatique majeure » qu’il accomplit la première des révolutions qui l’ont fait tel que nous le connaissons : « le développement de la savane a probablement exercé une pression environnementale favorisant toujours plus la bipédie »…

« Animal à la vitalité dopée par la culture » il doit son emprise sur son environnement à « un sens exacerbé de la coopération, optimisant la coopération entre humains ».

Car enfin, rappelle souligne Laurent Testot, « l’exceptionnalité humaine réside non pas en un ensemble de capacités exceptionnelles mais dans la dynamique que notre espèce a su créer en exploitant son milieu et en dopant ses compétences » : le voilà désormais au sommet de la chaîne alimentaire, sans autre prédateur que son semblable et sans autre limite à son expansion que celle de la planète… Jamais, constate le journaliste, « l’humanité n’a produit autant de richesses qu’aujourd’hui et elles n’ont jamais été autant accaparées par une minorité »… L’actuelle « dynamique de privatisation » et de concentration de richesses sonnerait-elle le glas de cette salutaire coopération qui a assuré la survie voire la prolifération de l’espèce invasive ?

 

Vers l’autonomie énergétique

 

Avec la révolution néolithique, « l’âge des producteurs », notre espèce « impose à son monde un triple processus de domestication : des plantes, des animaux et enfin des humains en sociétés hiérarchisées » - non sans avoir coupé des branches antérieures à sapiens de « l’arbre de l’humanité »…

La « civilisation » née alors d’un « pacte avec le blé » connaît un effondrement systémique à la fin de l’âge du Bronze, qui « ébranla l’ensemble des sociétés d’Eurasie, de la Chine des Han à l’empire romain d’Occident, à partir du IIIe siècle de notre ère ».

Mais l’environnement, à lui tout seul, ne suffit pas à détruire une société : « c’est davantage celle-ci, par les choix qu’elle opère dans l’adversité, qui détermine son destin »…

A quatre reprises dans son histoire, l’humain a « réussi à capter plus d’énergie solaire » - celle que les plantes emmagasinent par la photosynthèse : « D’abord, avec le feu, brûlant des végétaux pour cuire et se chauffer. Ensuite, avec la Révolution agricole, qui lui permet de concentrer l’apport solaire des plantes sous forme de nourriture. Une troisième fois, avec la Révolution industrielle, qui libère l’énergie végétale fossile du charbon, puis du gaz et du pétrole. La quatrième phase de cet exploit consiste à reproduire la source même de la puissance solaire : c’est la maîtrise de l’énergie nucléaire. »

Désormais autonome en énergie après avoir libéré le pouvoir des fossiles, charbon puis pétrole et gaz, « ces condensés de puissance thermique stockés depuis des centaines de millions d’années dans les entrailles de la Terre », l’humain est désormais « maître du temps et de la distance » - et n’en finit pas de vouloir s’illimiter...

Mais voilà : il s’est dépossédé des moyens de contrôle des technologies qu’il a créées : « Le capitalisme se nourrit de la technocratie. Les deux ont pour point commun de favoriser l’opacité, sous prétexte d’efficience. Leur complexité leur permet de tenir à distance tout jugement moral. Les affaires sont les affaires. »

Avec l’entrée en Modernité, la pensée se sécularise et l’humanisme accompagne la montée en puissance de la technologie : « c’est probablement l’idéologie qu’il fallait aux hommes pour concevoir un monde de machines, pour imaginer toujours plus de nouveaux moyens de produire de l’énergie. L’humanisme désacralise le Monde. Né en Chrétienté, il ouvre la porte à la sortie de la religion. »

Désormais victime de son succès, l’humanisme libéral a « propulsé la Science aux commandes du Monde, or celle-ci ne répond jamais aux interrogations ultimes de l’humanité »…

Cet humanisme-là a fait de la technologie une « magie totale, à laquelle on prête à raison toutes les capacités autrefois réservées aux dieux : transformer la nuit en jour, voler dans les airs à la vitesse du vent, parler en abolissant les distances, prolonger la vie… »

Mais « l’économie anéantit la nature » comme l’économisme anesthésie toute conscience et tue toute possibilité d’un avenir souhaitable. Quels choix fera l’espèce dominante à l’orée d’un collapse annoncé ?

 

« Notre économie est en guerre contre la vie sur Terre »…

 

Pendant les années 1815-1818, entre la bataille de Waterloo, le Congrès de Vienne, l’éruption du volcan Tambora et la parution du Frankenstein de Mary Shelley, le « passage de relais entre la nature et l’humanité » est acté avec la première révolution industrielle.

A partir de 1818, « l’humanité dans son ensemble devient l’agent géologique moteur de la nouvelle ère » - et, depuis, le génie énergétique ne peut plus être remis dans sa lampe d’Aladin…

Même l’agriculture est devenue « une machine de mort » : « Car depuis la fin du XIXe siècle, l’humanité a appris à livrer des guerres totales. Et son premier adversaire, de facto, se trouve être la nature. »

Tout le reste est bien connu depuis : dérèglement climatique, pollution de l’air, des sols et des eaux – pendant que s’accélère le rythme de destruction des espèces et qu’un écosystème numérique se superpose aux précédents voire les étouffe : « La production numérique ne s’est pas substituée à la production industrielle, elle s’y est ajoutée. La pollution n’a fait que s’accroître. Les rejets de l’industrie, dopés par les processus d’obsolescence programmée qui obèrent délibérément la durée de vie des biens commercialisés ont explosé. Et les réseaux informatiques, qui auraient pu, s’ils avaient été conçus différemment, évoluer vers des économies décarbonées organisées autour d’une distribution d’énergie propre, sont désormais un des principaux émetteurs de gaz à effet de serre. La mise en avant des réseaux sociaux, où tout un chacun peut diffuser des documents au poids numérique important (…) a entraîné la nécessité, pour les opérateurs de cet univers (…) de constituer de colossales bases de données à des fins de stockage et d’analyse de masse. Or accumuler et traiter des volumes potentiellement illimités d’une information pléthorique en croissance exponentielle implique à terme un coût faramineux en métaux, composants électroniques et surtout énergie. »

Si la société d’hier s’articulait autour des ateliers, des champs, de l’usine et de la mine, celle des réseaux qui est la nôtre se construit autour de l’invasion des écrans et nous mène à tombeau ouvert vers « l’homme-machine et l’artificialisation du monde » sur fond de destruction accélérée de notre environnement planétaire où prospèrent perturbateurs endocriniens, pesticides, plastiques et solvants en tous genres…

L’homo sapiens a créé pas moins de 126 millions de molécules nouvelles dont « des milliers se sont déjà répandues dans toutes les sphères de la planète » – de quoi altérer son système immunitaire en sus des extinctions de biodiversité générées par la fragmentation massive des écosystèmes.

Le « moteur de la compétition ne brûle qu’un carburant : le conflit » - et il s’emballe en poussant les feux d’une conflictualité planétaire suicidaire.

Comment arrêter la machine infernale à broyer le vivant et réconcilier l’expansion humaine avec les écosystèmes ? En limitant l’accaparement des terres arables par des fonds spéculatifs ? En sanctionnant les comportements prédateurs et l’évasion fiscale ? En taxant les transactions financières ? En résorbant les inégalités ? En instaurant une économie symbiotique et une écologie véritablement empathique ? Tout peut compter – là où existe une réelle volonté d’assembler les pièces d’un puzzle essentiel...

Il faudrait pour le moins consentir à une rupture paradigmatique avec la logique mortifère d’une économie conçue comme une « science de la guerre totale » pour maximiser les profits de quelques multinationales et « marginaliser les intérêts de l’Etat, prié de se mettre au service de cette annexion »…

Si notre bulle de confort actuelle repose sur une surexploitation insoutenable du vivant, il faudrait qu’un maximum de consciences éclairées s’intéresse au pilotage de la machine folle et en reprenne les commandes avant qu’une « minorité prétendant représenter ses intérêts » ne l’envoie « vers un crash définitif »… Les écrans de nos asservissements aux chimères de la « postmodernité » pourront-ils retarder davantage la confrontation avec la réalité – et le crash ?

Laurent Testot, Cataclysmes, une histoire environnementale de l’humanité, Payot, 492 p., 22,50 €


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10 réactions à cet article    


  • gaijin gaijin 12 février 2018 09:00

    « et, au fil des millénaires, il s’est « façonné pour la guerre », ravageant les niches qui l’ont accueilli... »
    n’importe quoi
    il faut une fois pour toute sortir des fictions du 19ème siècle et de l’histoire linéaire : pendant des centaines de milliers d’années le singe sapiens vit en harmonie avec son environnement et vit bien ce n’est qu’il y a 10 000 ans qu’il commet ce qu’il faut bien se décider a appeler l’erreur néolithique et que ses conditions de vie et sa liberté se dégradent ...........


    • pipiou 12 février 2018 12:00

      Encore un discours millénariste avec ses grandes déclarations lyriques.


      • joelim joelim 12 février 2018 13:44
        Bonnes questions. Une rupture paradigmatique sera difficile tant la technologie est associée à la propagande et au plaisir brut. Et cela malgré que les gens ont souvent conscience du problème de fond.

        Perso je dirais que si on ne découvre pas rapidement qu’on n’est pas seuls dans l’Univers (et que de plus certaines nations ET sont prêtes à nous aider) on est mal barrés.

        • zygzornifle zygzornifle 12 février 2018 14:39
          Le saut dans le monstrueux...

          dans le Nutella ?

          • velosolex velosolex 12 février 2018 15:14

            Les problèmes s’empilent sur le bureau....No problem....Vous tirez la sonnette d’alarme parce que le train déraille : Vous êtes taxé de mal baisé, de pisse froid, de pessimiste, d’autant plus que vous vous approchez du mirage Trump....

            Trump a mon sens doit son succès en grande partie à son déni...« Je décide que la terre ne se réchauffe pas ! »....Super le mec. Mieux que le père noël ! Pas étonnant que cela soit arrivé en Amérique, ce pays des évangélistes manipulateurs. Il leur permet de passer la nuit tranquille....
            Il nous est impossible de concevoir que le jour d’après soit sinistre, ou même qu’il n’existe pas ; Une hypothèse qui n’a rien de fantaisiste pourtant. Mais même les meilleurs la mettent souvent sous le tapis ; Humainement inconcevable. 
            Les cataclysmes ont toujours existé, mais la conjonction de problème que tout le monde connait, et oublie nous envoie vers quelque chose pour la première vers quelque chose d’inédit, n’ayant rien à voir avec la peste noire, la guerre de 100 ans, les purges staliniennes : Des malheurs effroyables, mais qui parce qu’ils n’ont jamais menacé l’espèce humaine, ne sont vus que des anecdotes au coeur d’un storrytelling ;..
            Mais nous passons d’un seul coup du film d’action au film d’horreur.....Et voilà pourquoi on préfère se demander pourquoi votre fille est bègue. 
            Les solutions existent pourtant, mais elles ne sont pas envisageables. Car elles condamnent le capitalisme, l’accumulation de richesses, les notions de travail et d’exploitation.....Nous voilà donc confronté au paradoxe de l’ane de buridan. Cet âne qui faute de pouvoir faire un choix entre s’alimenter ou boire, en creva. 
            D’un seul coup la terre et notre simple survie nous mettent en demeure d’imposer et de réussir ce que les révolutions n’ont jamais réussi.......
            « Bon, chéri, qu’est ce qu’il y a la télé ce soir...Et cette réservation, pour san francisco ? »

            • velosolex velosolex 12 février 2018 15:28

              Dans l’analyse du mouvement des plaques tectoniques, ne pas oublier non plus l’évolution des mentalités. Si l’homme a toujours été un loup pour l’homme, sa conception de son séjour sur terre a profondément changé.

               Pendant des siècles, la religion a donné une sorte de charte morale, aux pauvres mais aussi aux puissants...Au moyen âge, avant de mourir, les bourgeois et les nobles, donnaient souvent une bonne partie, voir la totalité parfois de leurs bien au clergé, ou aux institutions gérant les hospices, afin de se mettre en règle avec dieu...
              La vie après la mort était en effet à cette époque la grande affaire. Il n’est pas question de faire l’apologie enthousiasme de ce carcan moral, mais de faire référence à la conception de l’individuation, du cynisme, débouchant sur le sentiment de liberté, et d’absurdité dont Camus parlera, en rapport aux temps contemporains. 
              Le temps est surement venu de prôner une nouvelle morale qui serait une harmonie entre nature et hommes, au pluriel, pas au singulier. Ce n’est pas une vue de l’esprit, mais simplement une nécessite. 
              Maintenant on peut sérieusement se demander si c’est possible. Personnellement j’en doute....Je dis cela en rapport à note imbécillité profonde, à notre incapacité à innover, à anticiper la catastrophe à venir. Pour le moment, nous ne faisons que de la constater, en spectateur incrédule, attendant visiblement que l’eau passe par dessus les bottes pour réagir, alors que les marchands de parapluie se frottent les mains...

              • Ouam (Paria statutaire non vacciné) Ouam 12 février 2018 21:24

                c’est dommage que l’auteur dans con constat ne place pas en 1er plan le problème no 1,
                 cad l’expansion incontrollé de l’espece humaine,
                 parce que tout ce qu’l préconise ne servira à rien si nous allons vers la courbe actuelle des naissances.
                Attendre quoi, 20, 30 50 millards d’humains, 100 200, on fera quoi ?
                plus nous attendrons, plus cela sera la catastrophe, de la lecture ici
                 
                https://www.demographie-responsable.org/
                 
                Puis l’immigration massive, meme jusqu’au grand remplacement total de l’UE ne servira à rien, c’est bien expliqué ici, et facilement représentable sur l’échelle.
                 
                https://www.youtube.com/watch?v=EWSHRX16IWk
                 


                • lephénix lephénix 12 février 2018 21:54

                  @velosolex

                  bien vu : tous pris dans la toile - qui se nourrit de technocratie, de technophilie et de technolâtrie....

                  mais on peut aussi décider d’arrêter de secréter sa propre toile d’arachnide en se soustrayant à toute « connexion » purement quantitative, nourrie par « l’argent » - entendez ce cancer ultrapixelisé qui dévore toute production de vraie richesse... ce serait déjà un début...


                  • lephénix lephénix 12 février 2018 21:57

                    @velosolex et zygzornifle

                    une « toile » tissée de technolâtrie mais n’oublions pas Nutella, Junk food, crack et autres addictions...


                    • lephénix lephénix 12 février 2018 22:02

                      @joelim

                      plus le temps d’attendre godot, les petits hommes verts, mars attacks ou la guerre des mondes...

                      l’ultramonétarisation des rapports sociaux l’extension du domaine de la marchandise et de la compétition tissent la « toile » qu’il faut arrêter de fabriquer par notre consentement : il faudrait commencer par en finir avec l’abstraction qui nous dérobe le réel...

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