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De l’importance de l’enseignement supérieur dans le développement économique de l’Afrique

Une opinion, très largement répandue, tend à accréditer la thèse selon laquelle un investissement dans le domaine de l’enseignement primaire et secondaire a plus d’incidence sur le développement économique de nos Etats africains qu’un investissement dans le secteur de l’enseignement supérieur et universitaire. Au nombre des arguments qui confortent cette thèse on présente le nombre croissant de diplômés d’université qui pullulent dans nos rues à la recherche d’un emploi et que l’on retrouve parfois dans des métiers bien loin de ceux pour lesquels leurs formations et leurs niveaux auraient dû convenir.

De fait, dans la société congolaise actuelle, en dehors de la classe politique, il semble que ce soit dans les métiers les moins qualifiés que sont offert plus de chances de gagner de l’argent. C’est ainsi que les chauffeurs de taxi, les maçons, les charpentiers, les mécaniciens, les tailleurs, les ajusteurs, les agriculteurs, les changeurs, les vendeurs dans les boutiques et autres petits métiers offrent de meilleures possibilités de disposer d’un revenu que celui, par exemple, d’enseignant, de chercheur, de cadre à la fonction publique ou agents dans les entreprises privées, et cela, à quelques exceptions près.

 

La jeunesse se trouve ainsi plus encline à rechercher le plus court chemin pour réussir, dans ce qu’elle considère comme des exemples de réussite, à travers la musique, le sport, le trafic de matières précieuses et autres occupations qui ne demandent pas de grandes qualifications, mais qui peut, du jour au lendemain donner de réelles possibilités de gagner sa vie. A toutes ces considérations s’ajoute le fait qu’il semble ne pas exister une réelle volonté politique de créer les conditions pour une utilisation optimale des universitaires que le pays continue de former, au point que d’aucun s’imagine qu’il existe une inadéquation entre les besoins de notre pays en ressources humaines et la politique de formation de nos cadres universitaires.

 

Cette mauvaise politique d’adaptation et d’utilisation des universitaires aux capacités réelles d’absorption de cette main d’œuvre pousse nos universitaires à s’exiler dans les pays où ils pensent trouver de meilleures perspectives. Hors, il apparaît que, dans les pays d’accueil, c’est toujours dans des métiers de faible qualification que l’on retrouve ces cadres pour la formation desquels les parents et le pays ont tant investi. Parfois il leur est demandé de suivre de petites formations qui ne requièrent pas de grand savoir pour qu’ils aient des chances de trouver un emploi. Toutes ces considérations traduisent bien le malaise qui existe dans nos Etats et qui est à l’origine de la précarité dans laquelle nos cadres universitaires survivent dans des conditions extrêmement difficiles, sans qu’un signal fort ne soit perçu en provenance des dirigeants politiques qui semblent afficher une incapacité de bien utiliser le potentiel humain dont le pays regorge et semblent même orienter leurs efforts dans la direction inverse.

 

Pour s’en rendre compte, Il suffit d’observer attentivement l’exécution de plusieurs grands chantiers de l’Etat, pour constater que les investisseurs étrangers qui s’y engagent ne viennent pas seulement avec des capitaux et de la technologie, mais importent même de la main d’œuvre de toute qualification, au grand mépris de la main d’œuvre congolaise. Nos ingénieurs, nos charpentiers, nos maçons, nos ajusteurs qui pourtant accumulent des années de sous-utilisation ou de chômage, ne trouvent que rarement de place et sont ébahis de regarder travailler certains expatriés pour des emplois de faible qualification.

 

Certains de nos diplomates sont effondrés de voir la situation lamentable dans laquelle ils sont obligés d’œuvrer, au point que nous sommes souvent obligés de recourir à des Etats partenaires pour faire entendre notre voix dans les instances internationales. Nos officiers que le pays a eu du mal à former dans les meilleures académies du globe assistent impuissant à la formation d’une armée qui se met difficilement en place avec l’assistance des pays étrangers, qui nous envoient des formateurs qui ne sont pas mieux outiller que certains de nos professionnels locaux. Dans le domaine de l’harmonisation des relations entre les civiles et les forces de sécurité, des formateurs viennent en provenance de très lointains pays pour dispenser un enseignement qui pourrait l’être par n’importe quel universitaire de notre pays. Dans le secteur de la santé, nos milieux ruraux sont dépourvus de médecins et de spécialistes qui auraient dû répondre aux nombreux problèmes sanitaires qui s’y posent, alors que nombre de médecins « jouent » aux infirmiers dans les formations médicales des grands centres urbains, quand ils ne sont pas tout simplement entrain de vendre dans des pharmacies des grandes villes. Des exemples de ce type pourraient être multiplié à l’infini pour expliquer la mauvaise utilisation de la main d’œuvre nationale, au point de discréditer tout investissement dans l’enseignement supérieur et universitaire.

 

Cependant, je suis de ceux que pensent que l’enseignement supérieur et universitaire a toute sa place dans la formation de notre jeunesse et que les investissements dans ce secteur devraient être une priorité nationale tant dans le secteur public que dans le secteur privé. C’est ici l’occasion de louer les efforts des promoteurs privés qui, dans une conjoncture difficile ont su offrir à la nation des institutions universitaires dont la renommée va bien au-delà de nos frontières. Ce sont des établissements de ce type qui aurait dû bénéficier de subventions de l’Etat ou de facilités administratives, en raison du rôle sociale qu’ils jouent, dans la société congolaise, en lieu et place de l’Etat. Mon opinion est confortée par une étude récente de la Banque Mondiale qui démontre clairement l’incidence positive des investissements dans l’enseignement supérieur et universitaire sur le développement économique de nos Etats.

 

Avec la mondialisation les Etats évoluent vers une compétition basée sur le savoir et son utilisation de manière à permettre à un pays de disposer d’un avantage comparatif vis-à-vis de la concurrence à l’échelle internationale. Il est vrai que le coût de l’enseignement supérieur n’est pas à la portée de tout le monde. C’est pour cette raison que, jadis, cet enseignement était réservé à une petite couche de la société composée généralement des classes aisées. C’est dans ce même ordre d’idées que j’ai évoqué plus haut le rôle de l’Etat dans le subventionnement de ce secteur, pour permettre aux couches les plus défavorisées d’accéder à ce niveau de formation, notamment, à travers l’octroi de bourses d’études, comme cela avait cours, il y a un temps, dans notre pays.

 

Les timides et inappropriées politiques actuelles en cette matière obligent à un grand sursaut pour un effort d’analyse de la part des dirigeants politiques et de l’élite intellectuelle pour trouver les meilleures formules qui permettent de redonner au secteur de l’enseignement supérieur sa fonction réelle au sein de la société congolaise. De nos jours, comme c’est le cas dans les pays qui s’y investissent, l’enseignement supérieur contribue, avec les autres secteurs de la vie nationale, à l’effort de relance de la productivité, de la compétitivité et de la croissance économique, agissant comme un complément indispensable aux efforts d’éducation à d’autres niveaux, ainsi qu’aux initiatives nationales favorisant l’innovation et la performance dans les secteurs économiques.

 

« La Banque Mondiale a reconnu et intégré cette notion dans son plan d’action pour l’Afrique pour la période 2006-2008. Ce plan a mis l’accent sur les nombreux rôles de l’enseignement supérieur dans le cadre de son objectif stratégique de renforcement des compétences pour la croissance et la compétitivité. Ces rôles incluent la fourniture des compétences nécessaires au marché du travail ; la capacité d’utiliser les connaissance mondiales en science et technologie, en particulier dans le domaine de l’agriculture ; la capacité à analyser les informations disponibles et à engendrer une nouvelle compréhension grâce à la recherche ; et une relation de travail plus étroite avec les secteurs productifs de l’économie. Ce plan avait également réaffirmé l’importance fondamentale de l’élargissement de l’enseignement primaire et de l’établissement de liens entre l’enseignement secondaire et diverses options d’emploi. En bref, le plan avait entre autres objectifs la recherche d’une approche plus équilibrée et stratégique pour le développement du capital humain en vue de relancer les perspectives de croissance économique en Afrique. »[1]

 

 Il faut reconnaître qu’une bonne partie de nos dirigeants politiques a du mal à mesurer l’importance de promouvoir le domaine de l’enseignement supérieur à cause, notamment d’une difficulté à trouver des interactions entre le niveau d’éducation, la performance en termes de rendement et la croissance des revenus nationaux. C’est pour cette raison que la Banque Mondiale a commandé cette étude pour permettre une analyse de ce que l’on sait des bases conceptuelles du rôle l’enseignement supérieur dans le développement et pour évaluer les preuves empiriques qui pourraient conduire à une meilleure compréhension de la façon dont ces interactions fonctionnent dans la pratique. Sans entrer dans des considérations académiques qui ne sont pas à la portée de tous, nous pouvons noter quelques indicateurs que la Banque Mondiale donne et qui traduisent le faible intérêt que l’Afrique porte à l’enseignement supérieur et universitaire.

 

Parmi ces indicateurs retenons[2] :

  • Les taux d’inscription dans l’enseignement supérieur en Afrique subsaharienne sont les plus bas au monde (5%)[3]
  • De 1985 à 1989, 17% des dépenses de la Banque Mondiale affectées au secteur de l’éducation à travers le monde ont été consacrées à l’enseignement supérieur. - De 1995 à 1999 on est passé à 7%.
  • Le rendement de la recherche fondamentale est le plus faible au monde.
  • Le taux d’inscription reste assez faible, malgré certaines avancées dans quelques pays. - le niveau de production actuel est de 23%, en deçà des possibilités de production de l’Afrique noire.

 

L’un des mérites de l’étude commandée par la Banque Mondiale sur l’enseignement supérieur et universitaire en Afrique est d’apporter les preuves sur l’impact que l’enseignement supérieur a sur la croissance économique et la réduction de la pauvreté et, ainsi, illustrer de manière claire les avantages que l’Afrique peut tirer de l’augmentation de l’investissement dans ce domaine de l’éducation.

 

Parmi ces avantages on peut retenir :

  • L’augmentation du niveau de formation aurait comme conséquence l’augmentation du PIB africain (environ 12% par tête).

 

 Dans le domaine privé individuel.

  • Il y a une meilleure perspective d’emploi
  • Une plus grande capacité à épargner et à investir
  • Un meilleur état de santé et une qualité de vie améliorée.

 

Dans le domaine public :

  • Un renforcement du développement économique par le rattrapage technologique. - dans une économie basée sur le savoir, l’enseignement supérieur peut aider les économies à gagner du terrain sur les sociétés plus avancées en matières technologique.
  • Les diplômés sont plus informés et plus capables d’utiliser les nouvelles technologies - augmenter le niveau de l’enseignement supérieur permettrait aussi d’augmenter la croissance de la production africaine de 0,39% dans les premières années. - il y aurait un accroissement du revenu de 3% après 5 ans, puis de 12% - il y aurait une amélioration du rattrapage technologique.
  • Une plus grande capacité de l’Afrique à réaliser la plus grande croissance économique possible.
  • L’accélération de la diffusion des technologies aurait comme conséquence la diminution du déficit de connaissance et donc une plus grande possibilité de réduction de la pauvreté dans la région.

 

Toutes les considérations évoquées ci haut expliquent pourquoi les Etats et la Banque Mondiale ont commencé à réviser l’attention exclusive portée à l’enseignement primaire et secondaire pour commencer à apporter leur soutien à l’enseignement supérieur et universitaire. Les résultats de l’étude indiquent que l’enseignement supérieur en Afrique peut aider les pays à rattraper leur retard technologique et ainsi améliorer leurs capacités potentielles pour une croissance plus rapides. L’analyse se base sur un agrégat de données qui masque les leçons spécifiques sur les types d’investissements dans l’enseignement supérieur qui fait une différence (par exemple, les sciences, l’ingénierie, la technologie, etc., comparés à d’autres matières.)

 

A leur crédit, les auteurs ont identifié un programme d’activités futures sur les questions clefs (par exemple, l’équilibre entre les différents niveaux de l’enseignement, les stratégies de gestion des coûts, la réforme des programmes, l’attention protées aux disciplines, etc.) qui sont au cœur de la formulation des politiques. J’espère que ces quelques lignes contribueront à l’interpellation de nos dirigeants pour qu’ils s’investissent dans l’élaboration des solutions efficaces et durables dans ce domaine. Ce sera donc ma contribution pour enrichir le débat des politiques en cours et aider notre pays à s’orienter vers des politiques saines dans sa quête d’une croissance économique plus rapide, une réduction plus importante de la pauvreté et des améliorations durables des conditions de vie de nos concitoyens. Il appartient donc à ceux-ci et à l’élite intellectuelle de prendre la mesure de ce changement stratégique et de ne pas rester en marge de l’humanité qui évolue vers plus de savoir et plus de mieux être. C’est le cri que je lance à toute l’Afrique noire, en générale, et aux autorités de notre pays, la République Démocratique du Congo, pour qu’une plus grande considération soit apportée à l’enseignement supérieur et universitaire, car c’est l’avenir de notre pays est en jeu.

 

Kinshasa, le 29/09/2017

 

Joseph Marie Kindundu

+243(0) 816 537 881

+243(0) 999 623 333

[email protected]

 

[1] Banque Mondiale, Région Afrique, département du développement humain, série document de travail –n° 103,2008

[2] Banque Mondiale (2004) « améliorer l’enseignement supérieur en Afrique subsaharienne : ce qui réussit », rapport d’une conférence régionale de formation tenu à accra, Ghana, du 22 au 25 septembre 2004.document et rapport final disponible à www.worldbank.org/afr/teia.

[3] Basé sur les calculs des auteurs tirés des données disponibles sur le site web de l’UNESCO, www.uneso.org


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2 réactions à cet article    


  • Alren Alren 12 février 2018 13:18

    Le développement effectivement nécessaire de l’enseignement supérieur et la revalorisation des ses enseignants, passe dans l’Afrique francophone, par une collaboration avec l’ex-colon, en oubliant la Françafrique de sinistre mémoire, avec une France de progrès qui n’est pas encore au pouvoir et qui mettrait fin « en même temps » aux accords de libre-échange qui étranglent de nombreux pays africains.


    • sls0 sls0 12 février 2018 17:15

      Il faut aussi une volonté politique pour que ça bouge.

      Chez moi c’est un peu plus en avance, ça dépote maintenant coté université.
      Entre le 1% de riches et les 99% de pauvres s’intercale une classe moyenne qui entraine vers le haut.
      Ca construit pas mal pour cette classe moyenne et les banques font des aides intéressantes.
      L’âge moyen y est de 23 ans. Pour apprendre il y a de la demande mais vu l’âge moyen, des profs de qualité manque, c’est mathématique, plus facile de trouver des sachants avec un âge moyen plus élevé.
      Vu la pyramide des âges de la république démocratique du Congo, l’âge moyen doit être inférieur.
      La transition démographique n’y est pas encore passée, sans transition, pas la peine de rêver.
      Chez moi elle a eu lieu il y a 20 ans et le changement économique a suivi 10-15 ans après.
      Le jour où les filles auront assez d’éducation et de liberté pour décider de leurs grossesses, on en reparle.

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Joseph Kindundu

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