Le principe de Gamaliel, un appel antique au respect de la liberté religieuse
Comment la persécution des minorités religieuses peut causer plus de tort au persécuteur qu’au persécuté.
On ne sait pas grand chose sur Gamaliel l’Ancien, grand docteur de la loi et enseignant pharisien du 1er siècle. L’historien Flavius Josèphe en parle et Le Nouveau Testament le mentionne à diverses reprises. Ainsi Paul dit qu’il a été « instruit aux pieds de Gamaliel dans la connaissance exacte de la loi de nos pères » (Actes 22-3).
Les Actes retracent comment Gamaliel « docteur de la loi estimé de tout le peuple » prit la parole lors d’une réunion du Sanhédrin dans laquelle les leaders du judaïsme hésitaient entre la persécution brutale vis-à-vis des chrétiens comme dans le cas de la lapidation d’Etienne et une certaine tolérance.
Dans son intervention devant le Sanhédrin, Gamaliel retrace l’émergence de divers groupes religieux ou politico-religieux au sein du judaïsme au cours du premier siècle qui avaient suscité pas mal de controverses à l’époque pour finir par perdre de leur influence ou disparaître d’eux mêmes et conclut par une invitation à cesser les persécutions contre les chrétiens : « Et maintenant je vous dis : Ne vous mêlez plus de ces hommes, et laissez-les ; car si ce dessein ou cette œuvre est des hommes, elle sera détruite ; mais si elle vient de Dieu, vous ne pourrez les détruire ; ne courrez pas le risque d’avoir combattu contre Dieu. » (Actes 5 :33-42)
L’appel de Gamaliel reste comme un appel isolé à un certain respect de la liberté religieuse et liberté de conscience qui n’a pas été particulièrement suivi, ni par les Chrétiens ni par les Juifs comme l’indiquent les conflits entre les synagogues et les premiers groupes de chrétiens à travers l’empire romain retracés dans les Actes des Apôtres et les lettres de St Paul. De plus, assez rapidement, les Chrétiens comme les Juifs vont être confrontés à une menace d’une autre ampleur, celle de l’Empire romain. Environ 40 ans après la mort du Christ, Jérusalem et le Temple ont été rasés par les légions de l’empereur Titus en 70 après JC et le christianisme après avoir été opprimé pendant plus de 3 siècles est devenu progressivement à partir de Constantin la religion officielle de l’Empire romain.
La persécution de minorités religieuses indique souvent qu’une société n’a pas su relever le défi représenté par une nouvelle vision du monde et saisir un tournant à une période critique de son histoire qui lui aurait permis de mieux se développer, préférant rester figée dans sa vision du monde et ses valeurs traditionnelles.
Ainsi selon l’historien anglais Arnold Toynbee, les civilisations sont au cours de leur histoire confrontées à des défis critiques qu’elles relèvent en initiant des changements d’ordre religieux ou culturel ou rejettent en se figeant dans le passé. Pour relever le défi d’une époque, on trouve des petits groupes d’hommes, des « minorités créatrices » qui arrivent ou pas à gagner le soutien de la majorité d’une société en proposant une conception de la divinité plus universel, ce qui va déterminer le futur de la civilisation. Le philosophe Henri Bergson dans « Les deux sources de la morale et de la religion » propose une idée semblable opposant les morales et religions qui correspondent à des codes de vivre ensemble au niveau d’une société ou d’une tribu aux morales et religions transcendantes qui font appel à des valeurs universelles.
Avant l’apparition du christianisme, Socrate proposait une avancée décisive sur les plans de la morale et de la philosophie par rapport aux sophistes comme l’indique un dialogue célèbre avec le sophiste Polos (Platon, Gorgias), dans lequel Socrate argumente que « Mieux vaut subir une injustice que la commettre » face à Polos qui prend le point de vue opposé. Socrate proposait une morale transcendant les limites de la cité, la morale étant en relation avant tout avec la conscience de chacun ou le célèbre démon de Socrate plutôt que vis-à-vis d’autrui et de la cité. On dirait aujourd’hui qu’il s’agit de pouvoir se regarder le matin en face dans un miroir. En agissant contre sa conscience, on perd son estime de soi-même, l’idée de la justice en soi alors que pour les sophistes, la morale personnelle doit avant tout correspondre à la loi de la Cité qui est pour ainsi dire idolâtrée permettant d’éviter une sanction.
La cité d’Athènes a préféré condamner à mort Socrate pour corruption de la jeunesse et impiété envers les dieux plutôt que suivre la nouvelle vision de l’homme qu’il proposait et les cités grecques après le siècle de Périclès sont entrées dans une période de déclin.
Au Moyen-âge, Philippe le Bel renforçant alors le pouvoir royal cru bon de mettre la main sur le trésor de l’ordre des Templiers, un ordre remarquablement organisé qui avait développé des talents divers en avance sur leur temps, en particulier dans le domaine de la finance. Il s’en suivit un procès avec usage de la torture, les dirigeants du Temple étant finalement condamnés au bucher. Seulement sur le bucher, Jacques de Molay, le grand maître de l’Ordre, nia la validité des accusations contre les Templiers et avant de mourir maudit le Roi et le pape Clément V.
L’académicien Maurice Druon dans son roman historique « les Rois Maudits » retrace avec beaucoup de talent cette période mais même si l’on peut mettre en cause certains faits de ce livre ou les témoignages relatant les dernières paroles du grand maître des Templiers, il n’en reste pas moins que le roi et le pape moururent effectivement dans les mois qui suivirent et que les trois fils de Philippe le Bel moururent dans les 12 années qui suivirent sans laisser de descendance mâle, mettant ainsi fin à la lignée des Capétiens directs.
Plus tard, les Anglais pensèrent qu’en se débarrassant avec l’aide du clergé catholique de Jeanne d’Arc, cette « sorcière » qui enflammait les troupes du roi de France, ils pourraient gagner la guerre. En fait la condamnation de Jeanne d’Arc après un procès inique mené par un évêque n’a pas donné pour eux les résultats escomptés, bien au contraire, et les anglais ont du quitter la France en dehors de Calais assez rapidement.
Après la conquête de Grenade en 1492, la reine d’Espagne, Isabelle la Catholique, se lança dans une politique de persécution religieuse à l’encontre des juifs, musulmans et protestants avec le soutien d’un inquisiteur, Torquemada. Cela donna lieu entre autres à la tenue d’autodafés (acte de foi), cérémonies publiques destinées à impressionner la population au cours desquelles des « hérétiques » étaient envoyés au bûcher. L’idée était de faire de l’Espagne un grand royaume unifié dans une même foi catholique autour de ses souverains Mais en figeant ainsi la société espagnole, particulièrement au siècle de Philippe 2, on a freiné son évolution culturelle ce qui a causé un certain déclin, un résultat étant que l’or amassé par les conquistadores en Amérique latine s’est retrouvé au fil des décennies entre les mains des marchands hollandais, londoniens et français, ces pays maîtrisant mieux que l’Espagne le commerce et l’industrie avec une culture encourageant les entrepreneurs et l’esprit d’entreprise.
Les guerres de religions furent sanglantes en France comme ailleurs et après bien des combats et le massacre des chefs protestants invités à Paris pour les noces d’Henri de Navarre, un roi très populaire, Henri 4, proposa la première loi défendant la liberté religieuse en Europe avec l’Edit de Nantes.
Son petit fils Louis 14 mal conseillé, décida de révoquer l'Edit de Nantes et lança une série de persécutions contre les protestants, particulièrement dans les Cévennes et le sud de la France. Suite à la Révocation, la fin du Règne du roi soleil s’est sérieusement assombri, à la fois sur les plans militaire, économique où l’on vit les limites du colbertisme et même culturel. Tous les fils et petits fils de Louis 14 meurent au cours de cette période, forçant à faire appel à un arrière petit fils âgé de 2 ans , le futur Louis 15 (le Grand Dauphin meurt le 14 avril 1711, sa belle-fille et son fils, Louis de France, duchesse et du duc de Bourgogne, meurent les 12 et 18 février. Le 8 mars suivant c'est le tour du duc de Bretagne, leur fils aîné et seul survit leur plus jeune fils, alors âgé de deux ans seulement qui deviendra le Roi Louis XV).
Par contre les huguenots, considérés par Louis 14 comme un problème pour le Royaume de France et qui, suite aux persécutions, ont dû fuir vers la Suisse, l’Allemagne, les USA et même en Afrique du Sud ont partout, après un temps d’adaptation difficile connu la prospérité et amené la prospérité dans les pays qui les accueillaient souvent les bras ouverts comme dans certaines régions d’Allemagne. Cet exil amena un développement considérable de Berlin et du Royaume de Prusse ainsi que d’autres puissances anglo-saxonnes.
De plus la persécution contre les protestants sera une arme dans la main des philosophes des lumières pour accuser l’église catholique d’intolérance et d’opposition à la liberté, ce qui a contribué à l’aspect violemment anticatholique de la Révolution, particulièrement de la période de la terreur et les persécutions contre le clergé..
L’historien protestant Pierre Chaunu disait qu’avec la révocation de l’Edit de Nantes, l’Etat s’était lancé dans une persécution sévère de la minorité protestante mais avec la Terreur le gouvernement révolutionnaire s’est attaqué carrément à la majorité catholique des Français ce qui a laissé des traces et divisions profondes dans l’histoire de France jusqu’à l’époque moderne et causé une certaine instabilité politique tout au long du 19 siècles entre différents régimes supposés représenté la réaction ou les continuateurs des grands ancêtres de la révolution.
En conclusion, on peut dire que le conseil de prudence et sagesse de Gamaliel reste toujours d’actualité et que l’on ne résout pas les problèmes d’une société en attaquant les minorités qui les dénoncent.
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