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Accueil du site > Tribune Libre > Pierre Janet et le mystère des stéréotypies cataleptiques…

Pierre Janet et le mystère des stéréotypies cataleptiques…

Après la persistance des modifications qui sont imprimées aux patientes affrontées à la catalepsie, après l’imitation, à laquelle elles se livrent, des gestes de l’expérimentateur, et après avoir observé la façon dont elles étendent à l’ensemble de leur corps les premières attitudes prises, Pierre Janet aborde une quatrième caractéristique : l’association des états les uns avec les autres…

Voyons de quoi il s’agit :
«  Je mets les mains de Léonie dans l’attitude de la prière et la figure prend une expression extatique. Je la laisse dans cet état, car j’avais l’intention d’attendre combien de temps l’expression se conserverait. Je la vois qui se lève du siège où elle est assise et qui très lentement fait deux pas en avant. À ce moment, elle plie les genoux, mais toujours avec une lenteur singulière ; elle s’agenouille, se penche en avant, la tête inclinée et les yeux levés au ciel dans une merveilleuse posture extatique.  » (L’automatisme psychologique, page 33)

Tout ceci, qui en vient à prendre d’étranges proportions, n’est pourtant encore qu’un début :
«  La voici maintenant qui fait un grand salut respectueux, s’agenouille encore une fois, relève un peu la tête et, les yeux à demi clos, entr’ouvre les lèvres.  » (Idem, page 33)

Eurêka, se dit Pierre Janet, qui sans doute n’en croit pas ses yeux…
«  Ce qu’elle fait se comprend maintenant, elle va communier.  » (Idem, page 33)

Décidément, nous sommes comme au théâtre… Et totalement captivé(e)s…
«  En effet, la communion faite, elle se relève, salue encore, et, la tête tout à fait inclinée, revient se mettre à genoux dans sa position primitive.  » (Idem, page 33)

Et curieusement, cela serait à ne ranger que sous la rubrique : catalepsie…
«  Toute cette scène, ayant duré un quart d’heure, s’interrompt alors par la fin de l’état cataleptique.  »

C’est-à-dire sous cette formule de la « statue modèle » qui faisait rêver l’abbé Etienne Bonnot de Condillac…, et dont Pierre Janet croit nous fournir ici un véritable substitut…

Or, la même patiente a bien d’autres tours dans son sac…
«  Si on met dans la main de Léonie un morceau de fil, elle fait le geste d’enfiler une aiguille, puis se met à coudre. Si on lui met un crayon dans la main, elle fait le geste d’écrire, mais ne fait que des barres indéfiniment ; si on lui met un parapluie dans la main, elle l’ouvre, le met au-dessus de sa tête, etc.  » (Idem, pages 33-34)

Si la même gestuelle était, par exemple, le fait d’une enfant de cinq ans, sans doute y trouverions-nous de quoi nous émerveiller… Mais Pierre Janet est un savant occupé à étudier la catalepsie expérimentale… du point de vue d’une psychologie scientifique qui a pris le parti de mettre de côté, dans l’individu, la « personne »… C’est donc en toute bonne foi qu’il peut s’aventurer, sans honte, jusqu’à poser cette troublante question :
«  Ces femmes immobiles, pareilles à des statues, sans résistance d’aucune sorte et sans parole, pensent-elles encore, ont-elles encore quelque conscience qui les rapproche de nous ?  » (Idem, page 34)

Sont-elles réduites à une sorte d’état animal ?… Soucieux de laisser ce débat ouvert, notre psychologue se fait, pour un court instant, l’avocat du diable :
«  Il est permis d’en douter et de se demander si la vie organique qui semble subsister seule ne suffirait pas pour expliquer tous les phénomènes constatés.  » (Idem, page 34)

Pierre Janet se tourne alors vers le docteur Prosper Despine qui a publié en 1868 une Psychologie naturelle, elle-même sous-titrée : Etude sur les facultés intellectuelles et morales dans leur état normal et dans leurs manifestations anomales [c’est bien ce mot-là] chez les aliénés et chez les criminels (en deux volumes de 600 pages chacun…), ainsi qu’en 1880 une Etude scientifique sur le somnambulisme, sur les phénomènes qu’il présente et sur son action thérapeutique dans certaines maladies nerveuses, du rôle important qu’il joue dans l’épilepsie, dans l’hystérie et dans les névroses dites extraordinaires (425 pages)

Renvoyant à ces deux ouvrages, le brave Janet ne peut qu’en convenir :
«  Cet auteur refuse de reconnaître aucune espèce de conscience, non seulement pendant la catalepsie, mais même pendant le somnambulisme. Tous les actes accomplis pendant ces états anormaux lui semblent purement « organiques », analogues à ceux que le cœur et les poumons font sans cesse à notre insu.  » (Idem, pages 34-35)

… comme de se présenter à la table de la communion, sans doute…

Bien sûr, en se choisissant un tel adversaire, qu’il a délibérément placé dans ce décor très théâtral, Janet se donne à lui-même le beau rôle : il nous reste alors à voir comment il va utiliser le malheureux docteur comme sparing-partner au profit de ses propres positions théoriques.

Ainsi soulève-t-il un premier point :
«  La plupart des preuves sont tirées du fait de l’oubli qui caractérise les phénomènes du somnambulisme et surtout ceux de la catalepsie : « on désigne par conscience, dit l’auteur, la connaissance, la perception par le moi, par l’être qui se sent être, de ce qui se passe dans sa personnalité, de ses propres actes, de lui-même […] » (Idem, page 35)

Si, éveillée, Léonie ne se souvient plus d’avoir communié, elle tombera dans ce cas de figure qui démontre, selon Prosper Despine, qu’elle était sans conscience au moment de la communion… Ce n’est pas sa mémoire qui est en défaut… C’est sa seule conscience… En conséquence Janet lui-même ne pourrait-il qu’en convenir :
«  D’une pareille définition de la conscience il résulte que s’il y a des actes que le moi ne s’attribue pas à lui-même, qu’il ne reconnaît pas avoir faits, ces actes n’ont pas dû être conscients.  » (Idem, page 35)

Ce qui revient à dire qu’ils dépendaient d’un certain automatisme… Mais Pierre Janet ne veut pas se satisfaire de celui qu’on lui offre, et qui lui semble n’être qu’un cadeau empoisonné… Trouvera-t-il autre chose ?

NB. Pour comprendre comment ce travail s'inscrit dans une problématique générale de lutte des classes...
https://freudlacanpsy.wordpress.com/a-propos/


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