Je vous salis ma rue
Plus vite que les lapins dans le bush australien, en quelques petites années le nombre d’usagers de la bicyclette a proliféré dans nos cités - quoi qu’il y ait à redire pour nos campagnes. Aujourd’hui, les cyclistes se frôlent et se croisent sur les pistes cyclables trop étroites. Leur fréquentation est telle que ralentissements, bouchons et télescopages sont désormais monnaie courante. Dans peu de temps, il faudra les élargir. Puis, dans un peu plus de temps encore - donc dans pas si longtemps - précipiter les bagnoles dans casses et fossés, pédaler et folâtrer librement au milieu des chaussées asphaltées autrefois réservées à ces nuées de cossards.
Ceci dit camarade, crois-tu que la vélorution est gagnée pour autant, comme le déclarent certains Jean-Foutre ? Sommes- nous parvenus à l’Eden vélocipédique ? Je me lève et m’égosille d’un « Fichtre, non ! ». Tant qu’il y aura des raisons de s’insurger - et de se réjouir - la lutte continuera. La bagnole règne toujours en marâtre infâme à la périphérie, à la cambrousse, dans nos têtes, dans les jouets des mômes. Les pneus sont toujours fabriqués trop loin, dans des conditions étranges et sans doute peu glorieuses, les mécanos vélos ne sont toujours pas payés comme des toubibs plasticiens monégasques, la mécanique du cycle n’est toujours pas au programme des écoles.
Et puis à la base, soyons honnêtes : une fille à vélo n’est-elle pas plus ravissante et désirable que la pouffiasse emperlousée et inaccessible au cul cellulitique engoncé dans le siège en cuir de sa luxueuse berline ? Camarade, je vous le demande ! N’y a-t-il pas plus beau sourire que celui d’une fille dont on a délicatement réglé le dérailleur ? A ce propos, c’est bien chouette d’être mécano vélo... Si votre gamin veut faire ce boulot, faut pas l’engueuler et prendre une mine répugnée. Bien au contraire, encouragez-le ! Par contre, s’il veut faire militaire, cureton, ou pire financier, alors vous n’avez plus le choix : défoncez-lui la gueule à grands coups de tatanes, le monde n’en sera que meilleur !
Mais disons- le tout net : il n’y aura pas de liberté pour l’individu tant qu’il ne saura pas entretenir lui-même sa monture. Le biclou c’est la simplicité, l’audace et l’autonomie. Trois bonnes raisons de le chérir. Trois bonnes raisons de rager contre ceux qui mettent des bâtons dans les roues. Chaque vélo abandonné à un poteau, dans une cave, dans une déchèterie, sur un parking, se lamente de mille peines... chaque projet urbain mégalo, zone commerciale paraffinée, aéroport démesuré, parc d’attraction pour bidochons, autoroute bidon... chaque truc moche qui abîme le paysage, pub colossale, giratoire froufrou... chaque course de F1, salon de l’auto, film testostéroné... chacune de ces raisons - et bien d’autres - est une raison valable pour s’insurger, monter des barricades, débrayer, lever le poing et montrer les dents.
Bien entendu, on ne va pas plaire à tout le monde. Bâtisseurs de supermarchés, spéculateurs immobiliers, bétonneurs de forêts, agents de notation à la con et tous leurs tristes semblables, paniquent et sont désemparés lorsqu’ils pensent à nous. Ils ne savent plus quoi faire, nous pourchassent, veulent notre scalp. Et nous, on en rigole. C’est ça, surtout que nous sommes plus nombreux. Car nous savons que partout où notre vélo nous mène, nous trouvons toujours un ami pour remplir la gourde et le verre, pour nous offrir une miche de pain et un bout de frometon, un endroit sec et chaleureux où passer la nuit.
Tremble bourgeois gominé, citoyen de quinquennat et automobiliste pantouflard, car les vélorutionnaires sont rendus. Ils bivouaquent tranquillement aux portes de la ville. Ne les as-tu pas aperçus ? Si ce n’est pas le cas, je te signale que t’as de la merde dans les yeux. Gare car ils sont bel et bien là. Oui camarade, la civilisation est assiégée, et les carottes sont cuites. Les parlementaires parlent, les policards cumulards légifèrent pour apaiser le courroux de leurs ennemis par de belles courbettes, jusqu’à parfois dégommer adversaires compromettants. Mais pour de vrai, ils s’apprêtent à tourner casaque, à filer à l’anglaise et à abandonner leurs électeurs à la merci des vélocipédistes. Tromperont-ils leur monde, une fois n’est plus coutume ? Qui vivra, verra.
Les zones trente et les pistes cyclables se multiplient comme des petits pains, les horodateurs s’abattent sur la ville comme la vérole sur le bas clergé espagnol, le prix de l’essence flambe comme un feu de joie un soir de la Saint-Sylvestre. Du haut des remparts, le vent souffle et nous apporte les rires terrifiants et le tintement sinistre de leurs sonnettes d’acier. Que vont-ils faire de nous ? Jésus, Milton Friedmann, Johnny Hallyday, j’ai peur ! Où se cachent nos héros milliardaires ?
La rumeur populaire et la voisine de palier, toujours bien renseignée et langue de pute comme pas deux, rapportent que les vélorutionnaires égorgeront et violeront tous ceux qui n’auront pas de cambouis sous les ongles. Craignant la justice cycliste, les fourches et les lâches se travestissent en mécanos. Les magasins de bricolage sont pris d’assaut. Un bleu de travail se monnaye six cent euros au marché noir. Aux puces, le tournevis rouillé se négocie contre dix pots de miel. Toute la cité craintive se met à parler anxieusement de roulements à billes et de vulcanisation. Le sport automobile est oblitéré de la mémoire collective et tout individu y faisant référence est caillassé par la foule moutonnière comme aux heures les plus sombres de l’histoire.
Les imposteurs, les arrivistes et les profiteurs prolifèrent et se proclament plus cyclistes que Poulidor lui même. Toutes les nuits, des SUV sont précipités dans les murs sans états d’âmes. Les fabricants de tanks et d’avions creusent des tunnels pour s’enfuir en catimini. Les ouvriers qui bâtissent lotissements dortoirs et ponts mastodontes rentrent chez eux, pelle sur l’épaule. Avec, ils cultiveront un lopin de terre, puis joueront à la pétanque en attendant l’arrivée des petites reines. Eux n’ont rien à perdre et tout à gagner. Fini le goudron et les bagnoles qui les asphyxient et les bousillent avant l’âge de la retraite. Les écoles de commerce et de management mettent la clé sous la porte une à une. Les étudiants terrorisés oublient leurs rêves de fortune et gloire, et manifestent quotidiennement pour réclamer des cours de mécanique, d’écologie, de travaux manuels, de justice sociale.
Le voeu pieux carriériste n’est plus qu’un lointain souvenir. Les religions, toujours résolues à faire feu de tous bois, découvrent au fond de saints et miraculeux tiroirs, des textes apocryphes où les grands prophètes sont décrits comme des précurseurs du cyclisme et du mouvement vélorutionnaire. Les lieux de culte se transforment en vélodromes ou en ateliers d’autoréparation de biclous. Puis, ainsi de suite tout y passe. Mon loyer baisse de moitié, le tien aussi. Au bas de la rue, un berger conduit ses ouailles vers les pâturages des Pyrénées. Les produits du centre commercial deviennent local, poussent de la plus naturelle simplicité, abordables et de qualité. Puis, il se vend là-bas - sauf le jour saint bien entendu - une délectable tomme de brebis et un léger picrate, idéal pour attendre sans se déshydrater.
C’est alors que déferlent les camarades non-motorisés, non pas sans une élégance nonchalante, là pour observer le monde qui se transforme en un magnifique et stimulant joyeux bordel. Une nouvelle ère commence, nous pouvons déjà apercevoir les premiers changements. Les gamins dans les cours d’école jouent à la vélorution, les jeunes filles soupirent en attendant le galant cycliste, les garçons perdent l’envie de tuner leur bagnole et de déraper sur les aires de stationnement, les travailleurs désertent les lieux de travail pour gambader sur les itinéraires champêtres. Et ce n’est qu’un début.
Les vélorutionnaires sanguinaires
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