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Roger Penrose et le twist vers une nouvelle physique

 

Sir Penrose nous gratifie de sa dernière réflexion sur l’état actuel des sciences physiques consigné dans un pavé de plus de 500 pages accompagné de savantes formules, de schémas et d’une bibliographie bien fournie sans oublier un index fort utile pour repérer les thèmes et les auteurs, qu’ils soient présents ou absent comme notamment Prigogine qui semble boudé par les cosmologistes. Ce livre nécessite néanmoins un solide bagage en physique. Le lire sans connaissance en ce domaine, c’est un peu comme descendre en ski une piste noire alors que l’on ne maîtrise que le chasse-neige. Cela dit, affronter une piste noire en débutant peut avoir son charme et donc, je ne déconseillerai pas la lecture de ce savant texte, même si le lecteur est novice.

 

Penrose a choisi un fil conducteur plutôt inhabituel, traduisant une pointe d’ironie signalant la prise de distance que peut avoir un brillant physicien sur sa spécialité. Si les mathématiques utilisées sont sans ambiguïté, précises, radicalement efficaces et quasiment universelles, l’usage qu’en font les physiciens traduit des choix particuliers prenant des significations anthropologiques que l’on ne s’attend pas à observer dans des champs réputés pour la rigueur et l’exactitude. La physique n’est pas exempte des effets de mode, elle relève parfois de la croyance et se perd en d’autres occasions dans l’imaginaire. Ces trois aspects servent de prétexte à Penrose pour nous introduire vers trois grands domaines de la physique contemporaine, celui de la théorie des cordes en gravité quantique, celui de l’étrangeté de la mécanique quantique, celui des univers parfois imaginaires déduits de la cosmologie relativiste. Ces trois aventures font l’objet chacune d’un long chapitre suivi d’une quatrième partie dans laquelle l’auteur tente de se démarquer en proposant ses propres développements situés en marge des approches les plus courantes pour ne pas dire conventionnelles. Ce livre nous fait prendre conscience d’une situation singulière de la physique contemporaine dont l’inflation en matière de théories et spéculations mathématiques dépasse de loin l’inflation des résultats expérimentaux. Alors que dans un champ comme celui de la biologie, les expériences fournissent une masse colossale de données et que les réflexions théoriques restent somme toute modestes.

 

 

I. La théorie des cordes est présentée comme l’approche en gravité quantique dont le choix repose plus sur un effet de mode que sur un choix scientifiquement assumé. Penrose nous invite à naviguer dans ce labyrinthe des théories et des expériences. Lorsque les faits expérimentaux sont tangibles, la cohérence mathématique des théories n’est pas privilégiée, contrairement à la spéculation théorique qui faute de confirmation empirique ne peut que s’appuyer sur la cohérence entre formules. La théorie des cordes manque de confirmations expérimentales mais elle s’est développée avec une vigueur incontestable, devançant sa principale concurrente qu’est la gravitation à boucle reposant sur le principe de covariance généralisée. D’un côté le primat de la matière quantique, de l’autre celui de la géométrie relativiste d’Einstein. Néanmoins, aucune des approches n’est proche du but que représente la gravité quantique ou alors la théorie M du Tout. Ce qui n’empêche pas Joseph Polchinski de louer les cordes en considérant que cette approche contient toute les bonnes idées pour réussir.

 

Face à cet horizon inatteignable, l’opinion de Penrose est singulière. La gravitation quantique n’est pas la théorie qu’il faut viser. Elle suppose qu’il faudrait triturer la théorie quantique de telle manière qu’elle puisse aboutir à une variante incluant la gravitation (page 96). Or, une autre option est possible si l’on suppose que la gravitation impose une réaction sur la structure même de la théorie quantique. La théorie finale s’éloignerait alors des procédures conventionnelles de quantification en usage dans le monde quantique nous suggère Penrose. Ces considérations montrent l’importance des choix stratégiques s’avérant cruciaux pour viser le graal dans un univers disciplinaire qui hélas, s’avère discipliné car les orientations ne sont pas toujours librement choisies par les doctorants et autres chercheurs junior dont les orientations s’avérant audacieuses et prometteuses les conduisent à s’éloigner des postes académiques ainsi que des crédits pour chercher. De plus, les directeurs de recherches, soucieux du devenir de leurs étudiants, ne les poussent pas à choisir des projets éloignés des normes (page 11). Les domaines les moins en vogue sont alors laissés de côté sans aucune justification scientifique appuyée et argumentée.

 

Penrose ne pouvait passer sous silence le grand résultat de la théorie des cordes connus sous la dénomination de dualité jauge/gravité ou de correspondance AdS/CFT ou enfin de dualité de Maldacena en référence à son inventeur. Cette dualité reposant sur le principe holographique, s’inscrit dans le paradigme de l’information. Elle établit une correspondance entre un bloc théorique basé sur les cordes et un bloc comprenant une dimension de moins. Une des dualités contient la gravité et pas l’autre. Cette correspondance reste irrésolue, elle fait intervenir un espace anti De Sitter qui certes, est une solution de l’équation relativiste, mais dont la constante cosmologique n’est pas celle qui ressort des observations de notre univers. Ce qui n’empêche pas les théoriciens d’accorder une foi à ce résultat ayant été cité plus de 10 000 fois.

 

 

II. La seconde partie du livre invite à un voyage dans un univers quantique tout aussi baroque que celui des cordes avec lequel il partage quelques outils mathématiques assez étranges. Penrose explicite la confiance presque aveugle accordée par les physiciens à la mécanique quantique et l’interprète avec des catégories pas très scientifiques, telle une croyance ou une foi dans les formules mathématiques. La physique quantique s’est avérée stupéfiante et explique beaucoup de choses, les unes naturelles comme les liaisons chimiques, les autres artificielles comme tous les dispositifs utilisés dans les ordinateurs et notamment l’électronique de spin. En revanche, elle n’explique par l’hérédité mendélienne contrairement à ce qu’a énoncé un peu trop vite l’auteur en se référant au traité de Schrödinger sur la vie.

 

Quelque cent pages permettent de parcourir les différents aspects de la représentation quantique ainsi que les phénomènes qu’elle étudie. Rien de bien neuf, sauf la présentation qui ne suit pas vraiment un ordre logique, développant des considérations sur l’intrication, la non linéarité, la similitude entre la fonction d’onde et le champ, les variables canoniques conjuguées, sans oublier ce qui constitue le point le plus étrange de cette physique selon Penrose. Il y a une incohérence fondamentale entre la procédure U d’évolution unitaire de la fonction d’onde avec l’équation de Schrödinger et la procédure R de réduction d’état qui intervient lors de l’expérience. Depuis des décennies, Penrose pointe cette incohérence tout en affirmant sa frustration face à l’interprétation de Copenhague qui évacue trop aisément le problème, faisant de la FO un simple outil de calcul. L’état quantique n’est pas simplement une formule, c’est une réalité, dotée d’un statut ontologique nous dit l’auteur. La conjecture ontologique devient encore plus préoccupante avec un système à plusieurs particules décrit par la matrice densité dans laquelle figurent des mélanges entre états quantiques effectués de diverses manières, tels des assemblages de pièces de lego, et toujours cette procédure R qui intervient dans la mesure. La mécanique quantique fonctionne parfaitement pour les objectifs pratiques mais la décohérence n’apporte qu’une réponse partielle à l’énigme du monde quantique si bien qu’il faut rompre avec la foi quantique pour accéder à quelque chose de plus profond (page 227).

 

 

III. Place à l’imaginaire, aux univers parallèles et autres multivers. Bienvenue dans le monde étrange des trous noirs et autres bizarreries. Notamment la célèbre thèse de l’inflation pendant laquelle l’univers est passé d’une minuscule boule à un vaste cosmos en l’espace de quelques instants. Penrose se demande comment les cosmologistes ont pu adhérer à une idée aussi saugrenue qu’éloignée du sens physique des choses. Ce constat n’est que l’une des très nombreuses considérations sur les objets théoriques construits à partir des équations d’Einstein auxquelles Penrose accorde une foi inébranlable. Que de cosmologies fantastiques, par exemple avec des géométries spatiotemporelles sans matière et bien évidemment, les incontournables conjectures sur l’entropie, concept sur lequel tous les physiciens s’interrogent tout en formulant diverses hypothèses sur la distribution et l’évolution de l’entropie dans l’univers, mais sans que ce concept soit vraiment compris, si ce n’est en liaison avec l’ordre et le désordre, ou alors avec l’information. Le parcours dans les objets cosmologiques est envoûtant mais Penrose nous avertit quand même sur le degré d’imagination qui, s’il se justifie en science, nous impose de se demander si les théoriciens actuels ne se sont pas aventurés trop loin.

 

Le portait de la cosmologie contemporaine tracé par Penrose est saisissant, il explicite les aventures spéculatives conduites par les physiciens pour comprendre les origines du cosmos, ses règles, ses lois, ses multiples recoins, y compris les univers cachés. Cette situation n’est pas confortable du point de vue de la vérité mais elle est légitime. Le philosophe averti y verra une similitude avec discussions sur les interprétations des mythes dans les années 60. Si l’on en croit Eliade, les professeurs en religion étaient préoccupés des interprétations en vogue mais n’allaient pas voir directement les sources des mythes. Perdus dans le champ théorique et imaginaire, les cosmologistes s’intéressent aux spéculations extravagantes et finissent par ne plus voir le ciel et ses phénomènes.

 

 

IV. Dans une quatrième partie assez sobre, Penrose nous invite à prendre connaissance de ses choix théoriques en gravité quantique, le plaçant à l’écart des deux approches dominantes, cordes et boucles. Mais le constat est le même. La perspective de construire une théorie quantique de la gravitation reste pour l’instant hors d’atteinte, quelle que soit l’approche choisie, y compris celle des twisteurs que développe Penrose en expliquant son choix puis comment « fonctionnent » ces objets mathématiques aussi étranges que les vecteurs de l’espace de Hilbert dans la théorie quantique basique. La théorie quantique bute sur deux problèmes. D’abord la formalisation des interactions fondamentales. Dans le domaine électromagnétique, les photons n’interagissent pas entre eux mais uniquement avec les particules chargées ou magnétiques. Si bien que les équations du champ sont linéaires. En revanche, l’interaction forte prévoit que les bosons médiateurs que sont les gluons interagissent entre eux. Si bien que les interactions fortes sont non linéaires, comme on le savait depuis la formalisation par les équations de Yang-Mills (§ 4.1). Ensuite, la théorie quantique est incohérente, avec l’équation d’évolution unitaire U et la réduction R de la fonction d’onde. Ce point est une fois de plus discuté par Penrose dans le § 4.2 consacré à l’effritement des fondations quantiques.

 

Le principe des twisteurs, inventés dans les années 1960, consiste à assembler deux catégories de descriptions, l’une étant la géométrie spatiotemporelle en 4D de la relativité générale, l’autre étant l’étrangeté des nombres complexes utilisés dans la théorie quantiques. Le monde mégascopique réglé par les principes relativistes est ainsi assemblé au monde infrascopique décrit par la mécanique quantique. L’étendue relativiste géométrique peut ainsi accueillir des « entités » possédant des caractères quantiques, le spin ou encore l’hélicité. Autre considération à souligner, le caractère secondaire (dérivé) de l’espace-temps qui apparaît comme construit à partir d’un objet plus fondamental, contenant des aspects quantiques, l’espace des twisteurs. La perspective systémique est prise en considération et en ce sens on peut parler de nouvelle physique. Car dans l’ancienne physique, les particules et autres objets sont appréhendés avec des angles de vue distincts et l’on ne sait pas comment ils peuvent « habiter » ensemble. Le but de la physique n’est-il pas d’expliquer comment les objets s’inscrivent sur une scène et parviennent à communiquer (interagir disent les physiciens) ?

 

Cette quatrième partie permet à Penrose de placer sa physique des twisteurs tout en confirmant ce qu’il pense de la théorie quantique à laquelle il n’accorde pas une foi tout en prenant au sérieux le principe d’équivalence d’Einstein et Galilée sur les masses inertielle gravitationnelles. Le lecteur n’en saura pas plus, et d’ailleurs Penrose n’en sait guère plus pour situer la configuration de la physique contemporaine dont le verdict n’est pas définitif mais la formulation tentante : jeter l’éponge. Chaque physique a ses succès mais l’unification n’est pas en vue. Pourquoi ? A cette question Penrose répond en signalant les difficultés mais sans interroger le pourquoi d’une telle unification, comme du reste la plupart de ses confrères en cosmologie. Dans la conclusion, la foi en la relativité d’Einstein n’est pas remise en cause. Et au final, le lecteur se demandera si les deux piliers physiques parlent de la même chose. Le lecteur aura aussi appris que la science n’échappe pas aux effets de la mode et du mimétisme et qu’elle repose sur l’adhésion à ces croyances fortes. La science a ses totems.

 

Roger Penrose, La nouvelle physique de l’univers. Mode croyance, imaginaire, Odile Jacob, 04/2018


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2 réactions à cet article    


  • Ciriaco Ciriaco 14 mai 2018 13:55

    Voilà, aucune lumière en-dessous du temps de Planck ^^


    • crabo21 15 mai 2018 02:41

      Il devrait plutot travailler sur l’I.A. c’est elle qui apportera la connaissance.

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