• AgoraVox sur Twitter
  • RSS
  • Agoravox TV
  • Agoravox Mobile

Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > Jean-Paul Sartre, politique d’une ontologie

Jean-Paul Sartre, politique d’une ontologie

L'ontologie, c'est la connaissance ou science de l'être, un discours sur l'être, elle veut pénétrer la logique de ce qui est - au titre de son être (à ce qui est). Ouf. Un projet ambitieux semble-t-il mais, dans leurs genres, nos sciences ne sont pas autre chose que des spécifications expérimentales de l'ontologie. A priori, rien de plus éloigné de la politique définie comme "engagement en vue des re/direction & ré/orientation soci/ét/ales". Et pourtant (certains feindront de dire "sans surprise de sa part" ... ) il y a une politique dans l'ontologie sartrienne.

Comme on peut lire sur la couverture, l'ontologie sartrienne est phénoménologique. Cela est-il déterminant pour comprendre sa politique intrinsèque ? ... Non. Mais, phénoménologique, l'ontologie sartrienne aplanit l'être en le "grevant" de néant : chez Sartre, l'être n'a pas de profondeur, il est ce qui appert - base husserlienne. Cela n'empêche pas que "la réalité-humaine" y joue comme un point nodal, où la négation nécessaire et toujours possible pour aller de l'avant, génère le néant. Proprement, donc, l'homme est ce par quoi le néant vient à l'être, et le néant ne précède pas l'être qui en émergerait (comme c'est le cas dans certains mythes). Aussi la réalité-humaine fonctionne-t-elle plutôt comme un pli dans la trame des phénomènes, comme un plexus, un complexus, un complexe à analyser, complexe nommé réalité-humaine, donc - base heideggerienne, - un complexe dont Sartre encore nous délivre longuement, ingénieusement et tactiquement la compréhension (sous l'angle méthodique d'une ontologie phénoménologique, c'était le sous-titre). Tout s'y passe en forme de déploiement et d'aventure de la conscience du phénomène/du phénomène de la conscience - base hegelienne.

Pourquoi préciser les différentes "bases" (hegelienne, husserlienne, heideggerienne) de Jean-Paul Sartre ? ... Tout simplement parce que son livre paraît en 1941, heure de l'Occupation nazie. Notre auteur revient à peine d'un camp de prisonniers, après quoi on lui proposa un poste de professeur de philosophie, en remplacement - hélas - d'une personne connue pour sa religion juive. Or, si Sartre doit fonder sa philosophie sur des auteurs allemands - découverts pendant les Années Folles pourtant (en tant que sa philosophie est consciencielle, phénoménale et existentielle) - il se trouve qu'il leur oppose plusieurs bémols ses 837 pages durant.

Exemples :

Une semblable théorie [de l'être-vers-la-mort du Dasein heideggerien], à ce qu'il paraît d'abord, ne peut que nous séduire : en intériorisant la mort, elle sert nos propres desseins ; cette limite apparente de notre liberté, en s'intériorisant, est récupérée par la liberté. Pourtant ni la commodité de ces vues, ni la part incontestable de vérité qu'elles renferment ne doivent nous égarer. Il faut reprendre du début l'examen de la question. [p.701]

Le tour de passe-passe réalisé par Heidegger est assez facile à déceler : il commence par individualiser la mort d'une personne, d'un individu [...] Mais il y a un cercle : comment, en effet, prouver que la mort a cette individualité et le pouvoir de la conférer ? [p.702]

Reprendre du début l'examen de la question, soit donc tout bonnement balayer Heidegger du revers de la main, tout en parodiant son style devant l'être (reprendre la question du sens de l'être depuis le début parménidien dans la tradition occidentale, veut Heidegger), cela aurait de quoi vexer n'importe quel penseur, à tort ou à raison. Soit donc que Sartre inflige à Heidegger une humiliation, et d'autant plus qu'Heidegger commençait par balayer le cogito cartésien de son Dasein, tandis que Sartre le réhabilitait contre Heidegger qui, encore une fois, n'y aurait rien compris selon Sartre au début de l'ouvrage. (Parenthèse que le profane peut sauter : Sartre fait le cogito pré-réflexif, comme il y a une saisie pré-ontologique de l'être chez Heidegger, alors que Heidegger évacuait le réflexif du cogito cartésien pour évacuer la question de la conscience de son Dasein, quand Sartre tenait rétrospectivement à la réintroduire ... )

Alors, bien entendu, tout cela se joue dans l'ordre et les formes d'une controverse philosophique : on reconnaissait l'intérêt de l'auteur (ni la commodité de ces vues, ni la part incontestable de vérité qu'elles renferment) : il faut pourtant le reprendre à zéro ! serait-ce sur telle question. Mais c'était bien commode ... Cette reprise sartrienne de Heidegger, commence précisément où Heidegger avait prospectivement dépris Sartre (sur la question du cogito). Aujourd'hui, nous dirions sans détour de Sartre que c'est un troll. A tout le moins prend-il Heidegger à revers, de biais, transversalement : cela n'est pas neutre sous le nazisme ! quand même procurant des revanches purement imaginaires dans l'ordre intellectuel.

Et, à ce titre des revers, il ne me faudra pas prendre beaucoup de temps sur la question de cette ontologie phénoménologique qui, grâce à sa définition per-hegelo/husserlo/heideggerienne de "la réalité-humaine" (Dasein sartrien, tout purement, de même qu'il y avait un cogito sartrien auparavant) ... réalité-humaine comme pli, plexus, complexus, complexe à analyser ... eh bien, grâce à sa définition de la réalité-humaine, cette ontologie se donne d'elle-même le droit d'aboutir à ce que Sartre appelle psychanalyse existentielle, quelque chose qui sourd et court progressivement toutes les 837 pages, non sans référence à Sigmund Freud. Encore un coup, cela n'est pas neutre sous le nazisme ! On s'approprie l'élément "juif".

Car la politique dans l'ontologie sartrienne va bien au-delà. Jugez plutôt par vous-mêmes :

Ainsi, quelque chose de moi [...] existe à la façon du donné, du moins pour moi, puisque cet être que je suis est subi, il est sans être existé. Je l'apprends et le subis dans et par les relations que j'entretiens avec les autres ; dans et par leurs conduites à mon égard ; je rencontre cet être à l'origine de mille défenses et de mille résistances que je heurte à chaque instant : parce que je suis un mineur, je n'aurai pas tel et tel droit - parce que je suis un Juif, dans certaines sociétés, je serai privé de certaines possibilités, etc. [p.690]

Un Juif n'est pas Juif d'abord, pour être ensuite, honteux ou fier ; mais, c'est son orgueil d'être Juif, sa honte ou son indifférence qui lui révélera son être-juif ; et cet être-juif n'est rien en dehors de la libre manière de le prendre. [p.696]

La situation, c'est le sujet tout entier (il n'est rien d'autre que sa situation) et c'est aussi la "chose" toute entière (il n'y a jamais rien de plus que les choses). C'est le sujet éclairant les choses par son dépassement même, si l'on veut ; ou c'est les choses renvoyant au sujet son image. C'est la totale facticité, la contingence absolue du monde, de ma naissance, de ma place, de mon passé, de mes entours, du fait de mon prochain - et c'est ma liberté sans limites comme ce qui fait qu'il y a pour moi une facticité. C'est cette route poussiéreuse et montante, cette soif ardente que j'ai, ce refus des gens de me donner à boire, parce que je n'ai pas d'argent ou que je ne suis pas de leur pays ou de leur race ; c'est mon délaissement au milieu de ces populations hostiles, avec cette fatigue de mon corps qui m'empêchera peut-être d'atteindre le but que je m'étais fixé. [p.721]

Où l'ontologie phénoménologique veut ruiner le nazisme, après avoir voulu ruiner le germanisme, car cela empêche tout purement l'étoile jaune en privant cette démarche de sens politique, eût égard à cette espèce d'apatridie ontologique. Sartre était intellectuellement "juif" déjà (voir à ce propos, sur le forum, les histoires alentour ... notamment sur la fin). Et il faut rire des Michel Onfray, qui entament rétrospectivement le procès de Sartre devant Camus, à lire ceci :

... si je suis mobilisé dans une guerre, cette guerre est ma guerre [...] Je la mérite d'abord parce que je pouvais toujours m'y soustraire, par le suicide ou la désertion [...] Faute de m'y soustraire, je l'ai choisie ; ce peut être par veulerie, par lâcheté devant l'opinion publique, parce que je préfère certaines valeurs à celle du refus même de faire la guerre (l'estime de mes proches, l'honneur de ma famille, etc.). De toute façon, il s'agit d'un choix. [...] Sans doute, d'autres l'ont déclarée et l'on serait tenté, peut-être, de me considérer comme simple complice. Mais cette notion de complicité n'a qu'un sens juridique ; ici, elle ne tient pas ; car il a dépendu de moi que pour moi et par moi cette guerre n'existe pas et j'ai décidé qu'elle existe [comme - et non avec - tous ceux qui la décident, tous à leurs niveaux]. [p.728]

Un exemple qui, tiré d'une actualité brûlante, n'en manifeste pas moins la possibilité de néant, de ce que la réalité-humaine peut nier, comme je le disais initialement. Et cela s'étire :

Le pour-soi [l'Homme par sa conscience] fait surgir les techniques dans le monde comme conduites de l'autre en tant que transcendance-transcendée [en tant qu'on conscientise qu'autrui se projette dans sa conduite ; toute une sémiotique ... ], dès qu[e le pour-soi] prend position vis-à-vis de l'autre. C'est à ce moment et à ce moment seulement qu'apparaissent dans le monde : bourgeois et ouvriers [techniques professionnelles], Français et Allemands [techniques nationales], hommes enfin [technique de reconnaissance]. Ainsi le pour-soi est-il responsable de ce que les conduites de l'autre se révèlent dans le monde comme techniques. Il ne peut faire que le monde où il surgit soit sillonné par telle ou telle technique (il ne peut faire qu'il apparaisse dans un monde "capitaliste" ou "régi par l'économie naturelle" ou dans une "civilisation planétaire") mais il fait que ce qui est vécu par l'autre comme projet libre existe dehors comme technique, précisément en se faisant celui par qui un dehors vient à l'autre. Ainsi, c'est en se choisissant et en s'historialisant dans le monde que le pour-soi historialise le monde lui-même et fait qu'il soit daté par ses techniques. [p.686-687]

Tout cela démontre clairement et nettement le souci politique sartrien, allant en se précisant depuis son incarcération pendant la Drôle de Guerre. Souci marxiste qui aboutira (près de 20 ans plus tard) à la Critique de la raison dialectique clairement marxiste, encore que détachée du- et rejetée par- le Parti Communiste Français. Mais Jean-Paul Sartre "existentialisait" le marxisme tout en le "re-dialectisant" dans la démarche, par-devers l'abstraction dogmatique qu'en avaient fait les alignements idéologiques sur Moscou - et encore que Sartre voulut y croire, croire à son influence sur ces alignements, en associant son nom à celui de Marx comme il trouvait les couples Descartes-Locke, Kant-Hegel, dans l'avènement de la modernité.

Reste que le souci sartrien enregistre déjà ce qu'on nomme désormais du saint nom de mondialisation, où éclate manifestement toutes ces "techniques" (professionnelles, nationales, humanitaires, capitalistes, bourgeoises, ouvrières, civilisationnellement planétaires, etc.), encore que ce n'en soit pas - comme précédemment - l'objet principal. Jean-Paul Sartre n'écrit pas un pamphlet sous le régime fasciste de Vichy, et pourtant il critique son époque :

Il y aura d'abord le passé toujours vivant et toujours confirmé : mon engagement d'amour [...] Puis le passé ambigu qui a cessé de me plaire et que je retiens par un biais : par exemple, ce costume que je porte [...] Mais d'autre part, mon projet actuel d'économie est tel que je dois continuer à porter ce costume plutôt que d'en acquérir un autre. Dès lors il appartient à un passé mort et vivant à la fois, comme ces institutions sociales qui ont été créées pour une fin déterminées et qui ont survécu au régime qui les avait établies, parce qu'on les a fait servir à des fins toutes différentes, parfois même opposées. [p.660]

C'est précisément ce qui se passait en France, de la IIIème République démocratique au régime de Vichy fasciste. Mais allons plus loin dans le marxisme :

[...] la faiblesse de la classe opprimante c'est que, bien que disposant d'appareils précis et rigoureux de coercition, elle est, elle-même, profondément anarchique. Le "bourgeois" [notez les guillemets, toutefois] ne se définit pas seulement comme un certain homo œconomicus disposant de pouvoir et de privilèges précis au sein d'une société d'un certain type : il se décrit de l'intérieur comme une conscience qui ne reconnaît pas son appartenance à une classe. Sa situation, en effet, ne lui permet pas de se saisir comme engagé dans un nous-objet en communauté avec les autres membres de la classe bourgeoise. Mais, d'autre part, la nature même du nous-sujet implique qu'il n'en fasse que des expériences fugaces et sans portée métaphysique. Le "bourgeois" nie communément qu'il y ait des classes, il attribue l'existence d'un prolétariat à l'action d'agitateurs, à des incidents fâcheux, à des injustices pouvant être réparées par des mesures de détail : il affirme l'existence d'une solidarité d'intérêts entre le capital et le travail ; il oppose à la solidarité de classe une solidarité plus vaste, la solidarité nationale où l'ouvrier et le patron s'intègrent en un Mitsein [être-avec] qui supprime le conflit. Il ne s'agit pas là, comme on l'a trop souvent dit, de manœuvres ou d'un refus imbécile de voir la situation sous son vrai jour ; mais le membre de la classe opprimante voit en face de lui, comme un ensemble objectif "eux-sujets", la totalité de la classe opprimée sans réaliser corrélativement sa communauté d'être avec les autres membres de la classe opprimante : les deux expériences ne sont aucunement complémentaires ; il suffit, en effet, d'être seul en face d'une collectivité opprimée pour la saisir comme objet-instrument et pour se saisir soi-même comme négation-interne de cette collectivité, c'est-à-dire simplement comme le tiers impartial. C'est seulement lorsque la classe opprimée, par la révolte ou l'augmentation brusque de ses pouvoirs, se pose en face des membres de la classe opprimante comme "on-regard", c'est seulement alors que les oppresseurs s'éprouvent comme nous. Mais ce sera dans la crainte et la honte et comme nous-objet. [p.568-569]

Et tout cela pendant le vichysme français et le nazisme allemand occupateur, particulièrement antimarxistes comme le franquisme espagnol et le mussolinisme italien  ! ... Il faut bien voir à quel point ce put être gonflé encore que la situation n'était pas aussi claire en 1941 après la Drôle de Guerre, quant à ce qui peut ou non être exprimé ... et encore que peu nombreux sont les lecteurs capables d'appréhender de tels ouvrages (ce qui est exactement le même problème aujourd'hui : d'excellents penseurs analyses la société, mais cela ne sert pourtant que les intellectuels qui ne sont pas des politiques, ni des affairistes, ni des ingénieurs, ni des protagonistes concrets des situations, etc. ce qui est tout aussi bien songer que la critique intellectuelle est socialement nulle, et que le marxisme ne connut son succès qu'à ses extrêmes vulgarisations militantes).

Mais insistons :

[...] nous trouverons dans ce qu'on nomme la "psychologie des foules" des engouements collectifs (boulangisme, etc.) qui sont une forme particulière d'amour : la personne qui dit "nous" reprend alors, au sein de la foule, le projet originel d'amour, mais ce n'est plus à son propre compte ; elle demande au tiers de sauver la collectivité entière dans son objectité même, en y sacrifiant sa liberté. C'est ce qu'on voit dans le cas où la collectivité se rue dans la servitude et exige d'être traitée en objet. Il s'agit, là encore, des multiples projets individuels des hommes dans la foule : la foule a été constituée comme foule par le regard du chef ou de l'orateur ; son unité est une unité-objet que chacun de ses membres lit dans le regard du tiers qui la domine, et chacun fait alors le projet de se perdre dans cette objectité, de renoncer entièrement à son ipséité afin de n'être plus qu'un instrument aux mains du chef. Mais cet instrument où il veut se fondre, ce n'est plus son pur et simple pour-autrui personnel, c'est la totalité-objective-foule. La matérialité monstrueuse de la foule et sa réalité profonde (bien que seulement éprouvées) sont fascinantes pour chacun de ses membres ; chacun exige d'être noyé dans la foule-instrument par le regard du chef. [p.560-561]

Et cela parut, je le répète, sous le nazisme - car l'orateur évoque clairement Hitler ... ce qui est une sorte de Psychologie de masse du fascisme, pour reprendre le titre du psychanalyste socialiste Wilhelm Reich à l'époque, encore que Jean-Paul Sartre se concentre sur l'expérience d'un seul être aux prises avec ces événements, sous l'angle existentiel.

Mais, puisque je cite Wilhelm Reich, qui s'intéressa tant aux questions de libérations sexuelles, qu'en est-il de Jean-Paul Sartre, dont certains vont jusqu'à user pour légitimer la performativité du genre (le fait que le genre ne dépende pas du sexe) ? ...

Ces raisons [à Heidegger] ne sont pas absolument convaincantes. Que la différence sexuelle soit du domaine de la facticité, nous l'accepterons à la rigueur. Mais cela doit-il signifier que le "pour-soi" est sexuel "par accident", par la pure contingence d'avoir un tel corps ? Pouvons-nous admettre que cette immense affaire qu'est la vie sexuelle vienne de surcroît à la condition humaine ? Il apparaît pourtant au premier regard que le désir et son inverse, l'horreur sexuelle, sont des structures fondamentales de l'être-pour-autrui. Évidemment, si la sexualité tire son origine du sexe comme détermination physiologique et contingente de l'homme, elle ne saurait être indispensable à l'être du pour-autrui [dans le désir sexuel]. [p.512]

Et de citer Freud à l'appui, dans sa démarche alors.

Autrement dit, d'avoir un membre ne fait pas de vous "un homme", d'avoir une fente ne fait pas de vous "une femme", puisque l'être de votre pour-autrui peut être diversement déterminé au plan du désir sexuel et, puisque chez Sartre tout procède d'un choix fondamental, à la limite, vous êtes ceci-cela-sexuel parce que vous le choisissez. Sur le fond, la liberté/néantisation que nous sommes chez Sartre est "insexuelle" : ni asexuelle ni pansexuelle, ni rien "entre", mais ceci-cela-sexuelle de ce qu'elle s'y détermine ou bien accepte de se laisser déterminer par les déterminations habituelles-habituées alentours. Les gender studies et leur dérivé théorie du genre, peuvent et ont pu en faire "leur pain".

Mais enfin, cela fait-il de Sartre quelqu'un nous rendant au rien théorique qui dit "nous sommes tous des êtres humains", voilà tout ? ... Déjà, il rappelait la facticité physiologique et contingente du sexe. Au-delà, vérifions-le à propos du concept de tiers, déjà trouvé avec la psychologie des foules en l'orateur :

[...] ce concept ne fait qu'un avec celui de l'être-regardant qui ne peut jamais être regardé, c'est-à-dire avec l'idée de Dieu. Mais Dieu se caractérisant comme absence radicale, l'effort pour réaliser l'humanité comme nôtre est sans cesse renouvelé et aboutit sans cesse à un échec. Ainsi le "nous" human[itar]iste - en tant que nous-objet - se propose-t-il à chaque conscience individuelle comme un idéal impossible à atteindre, encore que chacun garde l'illusion de pouvoir y parvenir en élargissant progressivement le cercle des communautés auxquelles il appartient ; ce "nous" human[itar]iste demeure un concept vide, une pure indication d'une extension possible de l'usage ordinaire du nous. Chaque fois que nous utilisons le nous en ce sens (pour désigner l'humanité souffrante, l'humanité pécheresse, pour déterminer un sens objectif de l'Histoire, en considérant l'homme comme un objet qui développe ses potentialités), nous nous bornons à indiquer une certaine épreuve concrète à subir en présence du tiers absolu, c'est-à-dire de Dieu. Ainsi le concept-limite d'humanité (comme la totalité du nous-objet) et le concept-limite de Dieu s'impliquent l'un l'autre et sont corrélatifs. [p.561-562]

Pour le moins, Sartre n'est pas humaniste, au sens humanitaire où Auguste Comte théorisa "la religion de l'humanité", ni au sens humanitaire de nos droits-de-l'homme ! car, quand ces droits parlent de famille humaine, au jugement sartrien, cela doit être une malheureuse tentative pour recréer extensivement le sentiment d'un nous affectivement proche, afin d'atteindre ce concept-limite, qui est une forme laïque de Dieu ou du moins qui nécessiterait, pour être, un regard tiers de dimension divine, chose douteuse dans l'ordre de son ontologie purement situationnelle - douteuse, autrement que définitionnellement, comme concept-limite.

Sur quoi pourtant, il faut dire que Jean-Paul Sartre est irréductible au gauchisme. D'ailleurs, si vous lisiez l'Être et le Néant pour y trouver des appoints pour une démarche gauchiste, vous vous fourvoieriez : l'Être et le Néant, comme son sous-titre l'indique et comme j'ai commencé par l'expliciter, est un essai d'ontologie phénoménologique, et mon intention tenait simplement à relever à quel point ce qui semble plus "métaphysique" au pire sens commun de ce mot (abscons, sibyllin, lointain) peut avoir d'intrinsèquement politique pourtant - en termes de portée concrète.

Avis à tous ceux qui rejettent "les hautes sphères" de la pensée : si vous les ignorez, elles vous enfermerons dans certaines démarches, vous interdisant d'en développer d'autres. Tout cela va loin, très loin et, sous un angle, tout est politique, rien est innocent. Je ne crois pas que Sartre me contredirait sur ce point.

Vous n'avez plus d'excuse ...

Mal' - LibertéPhilo


Moyenne des avis sur cet article :  1/5   (17 votes)




Ajouter une réaction

Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page

Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.


FAIRE UN DON



Les thématiques de l'article


Palmarès



Publicité