Vous avez dit « idéologie dominante » ?
Marquer sa force et faire ostensiblement acte de son pouvoir et de sa richesse, ce furent les traits caractéristiques des rois, empereurs et autres potentats tout au long de l'Histoire. Ainsi, les Julio-Claudiens à Rome et les Barca à Carthage n'hésitaient pas à affirmer leur puissance et à dire clairement qu'ils faisaient partie du "groupe dominant". Plutarque rapporte même que Thémistocle s'adressant aux Athéniens prit son petit dernier dans les bras et clama : "Athéniens ! Voyez ce petit enfant, il dirige le monde ! Car il commande sa mère qui me commande. J'ai quant à moi l'honneur de vous diriger, Athéniens. Vous-mêmes dirigez les autres Grecs. Et la Grèce domine le monde entier !" Le message était clair.
Mais le judéo-christianisme est passé par là. Le "dominant" n'est plus sexy, c'est désormais le Pharisien, c'est Pïlate, c'est l'empereur qui persécute les Chrétiens. Bref, c'est le méchant, celui qui détient le savoir et l'autorité. Tandis que le rebelle, c'est le Christ qui, tel une caïra des cités, vandalise les commerces et répond insolemment à des lettrés qui ont l'âge d'être son grand-père parce qu'il a fait "ses propres recherches". Le rebelle, c'est aussi le martyr qui préfère finir dans l'estomac d'un lion (pauvre lion) que d'obéir à la loi. Bref, les valeurs sont inversées : pour être considéré, il ne faut plus être du côté des dominants mais des victimes. Honneur aux vaincus !
Cette inversion des valeurs est notamment visible en politique : tous les camps y dénoncent une hypothétique "caste" qui ferait régner une tout aussi hypothétique "pensée unique" qu'eux auraient la mission de terrasser à l'instar des antiques héros sauroctones. C'est cependant du côté des extrêmes que se retrouve le plus cette défiance envers l'autorité et le savoir dit "officiel". On parle volontiers des "sachants" ou d' "experts en expertise" pour moquer des personnes qui ont fait des années d'études pour acquérir une docte compétence dans leur domaine. On y dénonce également les "médias mainstream" qui musèleraient la parole et vireraient les journalistes trop indépendants. Il est d'ailleurs drôle de remarquer que les médias sont les mal-aimés de tout le monde : d'Emmanuel Macron à Marine Le Pen, en passant par Mélenchon, pas un homme politique n'épargne les journalistes accusés de tous les maux : trop alarmistes pour le pouvoir, trop godillots pour l'opposition, antimusulmans pour les islamistes, dhimmis pour l'extrême-droite. Chez les Hittites, quand un accusé était condamné à mort par l'ensemble des cent juges du tribunal royal, il était acquitté : on considérait en effet que quelque chose devait clocher pour qu'aucun juge ne souhaitât lui laisser la vie sauve.
Ce glissement sémantique revendicatif se ressent également dans le vocabulaire politique : "Il faut", "nous devons", "va-t-on arrêter de…", "je propose" etc… Ces mots, piochés dans un vocabulaire revendicatif, n'ont rien d'extraordinaire dans la bouche d'un opposant mais c'est plus grave quand un ministre est amené à s'exprimer ainsi. Lorsque l'on entend Mme. Schiappa, par exemple, on se demande si elle est une ministre en exercice ou une conseillère municipale d'opposition. On imagine mal Auguste ou Périclès parler ainsi. Ceux-là n'hésitaient pas à agir (fût-ce de manière expéditive) pour régler ce qu'ils considéraient comme un problème. Mais voilà, agir est la marque des dominants. Il est tellement plus sexy de jouer au rebelle (même quand on est ministre) et de parler comme si le pouvoir était détenu par un autre. On se contente de voeux pieux et d'actes de foi : "lutter contre la violence/haine/pauvreté/délinquance" etc... Comme si ces notions là étaient majoritairement acceptées et comme si ceux qui les dénoncent agissaient en opposants, voire en évangélisateurs. Or, on n'a jamais vu un politique défendre la violence ou la délinquance... Alors, à qui s'opposent ceux qui dénoncent ces fléaux ?
C'est à se demander s'il existe encore un "camp dominant" et, si oui, où il se situe. Chaque camp accuserait son adversaire. L'extrême-droite et la droite diraient sans doute que le camp dominant est celui des Marcheurs, des startupers, de ces jeunes qui osent créer et qui ont l'idée hérétique de se sentir en phase avec le monde qui naît. Pourtant, dans les universités, ces jeunes doivent se faire discrets et ne peuvent militer ouvertement sans craindre de se faire "bolosser" (comprenez : harceler) aussi bien par les gauchistes que par les droitards : il m'a fallu deux ans pour faire admettre à un condisciple qu'il était macroniste. Pour des dominants, ils sont bien timides… Il est de fait interdit aux militants de l'UNEF et de l'UNI de s'attabler aux côtés d'un étudiant suspecté de macronisme. Et je n'oublierai jamais cette jeune et jolie étudiante Marcheuse : prostrée et en pleurs après que son numéro de téléphone ait été divulgué et qu'elle ait reçu des messages injurieux ou photos de pénis en érection dont les auteurs (d'extrême-droite et d'extrême-gauche) sont restés impunis, tout ça parce qu'elle osait militer à LREM ! Comme "camp dominant", ça se pose là ! On imagine ce qui leur serait arrivé s'ils s'étaient comportés ainsi avec une étudiante communiste en URSS.
Pour l'extrême-gauche, c'est les fachos qui seraient le "camp dominant"… Cédric Herrou avait ainsi clamé devant les caméras : "L'extrême-droite est au pouvoir, en France !" S'il est indéniable que le gène raciste et cocardier n'a pas encore été extirpé des mentalités, on ne peut que rire à cette affirmation. Si l'extrême-droite était réellement au pouvoir, soyez sûrs qu'on n'aurait pas la possibilité de la critiquer et que vous ne seriez sans doute pas en train de lire AgoraVox qui n'existerait tout simplement plus. C'est un ancien frontiste qui vous le dit !
Alors, mystère et boule de gomme, qui est ce fichu "camp dominant" ? Et, si c'était justement le camp de la ronchonnerie, de la victimisation et de la dénonciation ? Et si, de l'extrême-gauche à l'extrême-droite, en passant par le centre, tous étaient membres de cette fameuse "idéologie dominante" ? Herrou, lorsqu'il dénonce la mainmise de l'extrême-droite sur la société française se place lui-même dans le camp dominant : et lorsque Marine Le Pen dénonce les "juges rouges" ou la "police de la pensée", elle se place aussi dans le camp dominant. Idem lorsque Schiappa parle comme le ferait une syndicaliste féministe lors d'un meeting. Dans une société gangrénée par l'esprit victimaire judéo-chrétien, celui qui dénonce les "dominants" en fait inconsciemment partie lui-même puisque la nouvelle pensée unique consiste justement à… combattre la pensée unique. Le vrai rebelle serait plutôt celui qui va bien, ce qui le rend objet d'opprobre et de jalousie. De fait, l'essentiel du jeu politique actuel consiste à dénoncer ceux qui ont l'hérétique idée d'aller bien alors que "tout va mal". Même BFM TV est allé jusqu'à évoquer avec mépris "cette France là qui va bien".
L'esprit judéo-chrétien a détrôné Crésus au profit de Lazare, le pharisien ayant fait de longues études au profit du charpentier qui a fait "ses propres recherches", le héros homérique au profit du manant zolien, l'épopée au profit du roman social, Gilgamesh au profit du canard boiteux aux rêves brisés. A n'en pas douter, nous nous dirigeons vers un monde où être épicurien, n'avoir point de causes à défendre ou d'ennemis à pourfendre, ne rien dénoncer et n'invectiver personne, bref, aller bien, sera la plus grande des rebellions.
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