L’histoire en Europe redevient tragique
Sans réduction de la consommation globale, il n’y a aucune solution aux problèmes d’approvisionnement énergétique et à la raréfaction de beaucoup de matières premières. Deux possibilités se présentent : l’imposition d’une sobriété heureuse à tous ou augmenter considérablement le nombre de pauvres en confortant les riches dans leurs privilèges.
René Dumont, dès les élections présidentielles de 1974 où il obtint 1,32% des voix, avait posé clairement tous les problèmes qui se posaient à la planète. Au début des années 1970, tous les ingrédients de nos crises actuelles sont déjà présents. Des accords économiques imposés par les Etats-Unis au reste du monde (accords de Bretton-Woods), une guerre entre Israël et divers pays du Proche Orient, un choc pétrolier qui déstabilise toutes les économies. Depuis lors la consommation d’énergie n’a cessé d’augmenter. Par exemple, le nombre d’automobiles en service a considérablement augmenté alors qu’il eût été infiniment plus raisonnable de s’orienter vers des transports collectifs. La France et les pays mitoyens s’orientèrent massivement vers les activités du secteur tertiaire (non-agricoles, non-industrielles) en laissant les activités productives s’implanter hors de son périmètre, perdant ainsi toute autonomie. Le progrès se caractérisant par une intense division du travail, la France, l’Europe, le monde occidental ne pouvaient que devenir le cerveau de la planète pour rester les leaders, les autres se chargeant des tâches plus terre-à-terre. Mais les cerveaux engendrèrent tant de paperasses administratives, qu’ils durent se confiner au seul rôle de marchands.
Alors comment fait-on ?? Un brin de cynisme est nécessaire pour comprendre le mode de pensée de nos élites.
Aucun de ses membres ne nie que l’épuisement des énergies fossiles et tous devinent la raréfaction inévitable de la plupart des matières premières. Aucun scientifique n’avance le fait que les technologies actuelles ou futur puissent permettre d’éviter les désastres annoncés. Économiser massivement l’énergie est bien plus urgent que d’implanter des éoliennes ou des cellules photovoltaïques qui ne pourront de toute façon pas combler les besoins actuels. Cependant, économiser l’énergie c’est ralentir l’économie toute entière.
Lorsqu’on n’a pas de réponse claire à une question simple il suffit de compliquer suffisamment le problème pour que ni la question, ni la réponse ne soient plus compréhensibles : c’est la raison profonde du démantèlement des services publics qui font payer un bien matériel selon un tarif prévisible : les entreprises du privée s’emparent d’une production concrète pour en faire une offre abstraite ne se distinguent que par leurs caractères promotionnels sans se soucier vraiment de ce qui est vendu. Et le consommateur plongé dans le nouveau monde de l’apparence n’a plus de référence pour pouvoir s’y retrouver : la concurrence n’est pas censée remplacer l’honnêteté.
Le libéralisme consiste à substituer aux valeurs morales des contraintes édictées par des États ou des organisations internationales. Dans ce cadre, chaque pays s’organise pour sortir au mieux des désastres annoncés. Promouvoir la concurrence permet de dégager ce que les uns appellent les meilleurs tout en stigmatisant tous les autres, c’est à dire l’immense majorité, coupables de n’avoir pas réussi leur carrière, leur vie, de n’être rien, de n’exister qu’avec des subsides. Il se créé ainsi une hiérarchie qui ne peut pas être contestée : les dominants sont objectivement les meilleurs.
L’antienne actuelle est « Il faut faire baisser les prix ! », alors que la quantité de biens offerts va inévitablement décroître. D’où l’intérêt de la mise en place d’une constellation de plus ou moins grandes entreprises qui feront que ceux les plus ingénieux se procureront ce qu’ils souhaitent. Il s’agit de transformer des consommateurs de biens en consommateurs de services, ceux-ci étant devenus si compliqués que seuls les plus aptes y auront accès. La notion d’un bien, un prix disparaît, il n’y a donc plus lieu d’œuvrer vers plus d’égalité, celle-ci ne s’appliquerait plus qu’à des choses virtuelles. Dans un premier temps, les prix baisseront quelque peu en comprimant les services commerciaux pour s’attacher des fidèles, mais à long terme sans trouver de meilleures sources d’exploitation ou de gisements, les privatisations représentent un chemin idéal vers l’iniquité. Il s’agit de noyer le consommateur sous les fragiles délices de l’immédiat afin qu’il n’aperçoive plus le long terme. L’optimisation de l’offre commerciale se fait en précarisant le plus possible les conditions de travail des employés et en les soumettant à des contraintes hiérarchiques telles que leur capacité de réagir en est profondément altérée. C’est un des maillons du processus de conditionnement de l’Homme, il y en a de nombreux autres, en vue de son acceptation de leur futur servage.
Ce fonctionnement ne va pas dans le sens d’une sobriété heureuse et acceptée mais plutôt d’une césure entre une race des seigneurs qui continuerait de bénéficier de tout ce qu’elle a déjà (et peut-être même de quelques gadgets supplémentaires afin de devenir immortel selon le futurologue de Google) et des untermenschen, constituant l’immense majorité de la population, qui eux subiront de plein fouet toutes les privations dues aux manques de matières premières, d’énergie, d’air pur, d’eau potable.
Bien entendu le fait que des nantis aient sous leurs yeux d’immenses quantités de pauvres pourraient leur poser des problèmes moraux si ils connaissaient encore ce que cette notion non pondérable. Ils défendent le seul système possible, il pose comme axiome qu’il faut des dominés pour que les dominants puissent faire avancer la société. Et puis de toute façon, « On a toujours assez de force pour supporter la souffrance d’autrui. »
Effacer le producteur qui donne une vraie valeur aux choses, transformer les employés en pions sans substance, faire en sorte qu’aucun autre système que celui de la réussite du plus cupide ne puisse subsister, installer la disette pour une grande partie de l’humanité sous la férule des possédants, des plus riches : voilà notre destin. Le servage dont on s’était débarrassé resurgit comme classiquement défini « Condition de quiconque est tenu par la loi, ou un accord, de vivre et de travailler sur la planète terre pour fournir à une autre personne certains services déterminés, sans pouvoir changer sa condition ».
Mais la gent libérale tire profit de tout, y compris du pire. Plus de 200 sans abris décèdent chaque année en France, en moyenne à l'âge de 49 ans. Lorsque vous les croisez dans la rue, ils sont sales, hideux, grognant ou vitupérant et vous avez peur d’eux, pas tellement de ce qu’ils peuvent vous faire mais surtout vous avez peur de devenir comme eux. Événement funeste, terrible 150 000 SDF permettent d’apprendre aux autres de détester les pauvres. Alors vous acceptez l’inacceptable et en particulier que l’on ne retrouve plus trace de la vérité dans les paroles des professionnels.
Le cas de l’Europe au sein des pays dits avancés est encore plus périlleux : sans être une puissance militaire comme les Etats-Unis, sans être devenu l’Atelier du monde comme la Chine, sans posséder le savoir faire numérique, ni la maîtrise de la robotique nécessaires à une mutation des services et des industries, à quoi peut-elle encore servir ? Les Droits de l’Homme seront-ils monnayables ? Ou alors elle n’a plus qu’à s’offrir aux touristes avides de contempler les vestiges d’une grandeur.
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