Macron : Le Placard à tiroirs
Alors que la France est encore dans l'onde de choc de l'Affaire Benalla, le chef d’État tente d’éteindre la séquence en la qualifiant de "tempête dans un verre d'eau". Pourtant les parlementaires et sénateurs n'ont pas fini de relever les nombreuses failles dans ce dossier.
Le Président Macron a lui-même ouvert un nouveau tiroir dans cette affaire en niant avoir entretenu une relation avec son chef de cabinet adjoint.
Comme le dit si bien le directeur de la DOPC Alain Gibelin : "Les mots ont un sens".
Fils de Dieu
Le 18 juillet 2018 est publié un article [1], sur le site du journal Le Monde, révélant la présence d'un membre du cabinet Présidentiel aux manifestations du 1er mai 2018 à Paris.
Dans une vidéo illustrant l'article on peut voir Alexandre Benalla, casqué, violemment agripper un jeune homme alors au sol et entouré par plusieurs CRS.
Sa participation aux côtés des forces de l'ordre sur la place de la Contrescarpe étant celle d'un "observateur". Un rôle passif, qui s'est révélé très actif.
A la suite de ces révélations, la stupéfaction fait place à une bronca de l'ensemble de l’opposition à l'Assemblée Nationale. Alors que les débats sur la réforme constitutionnelle avait lieu, de nombreux rappels au règlement émaillent les séances [2].
L'opposition jugeant qu'une commission d'enquête parlementaire était nécessaire afin de faire la lumière sur tous les tenants et aboutissant de l'affaire.
Après avoir obtenu gain de cause, deux commissions d'enquête commencent leurs travaux en parallèle le 22 juillet, l'une à l'assemblée, l'autre au sénat.
Le 23, commencent les auditions de différents responsables que ce soit du côté des forces de l'ordre (Intérieur, DOPC, Préfecture de Police, syndicats) ou de la Présidence de la République (directeur de cabinet, GSPR) [3].
Le parcours d'Alexandre Benalla nourri également le débat (avec l'appui des médias).
Ce jeune homme, inconnu jusqu'ici, passe du rôle de garde du corps du candidat Macron à celui de chargé de mission en tant que coordinateur des services de sécurité du Président Macron.
Très belle ascension pour ce gamin de la Madeleine [4] !
Où en sommes nous
Les commissions d'enquête ont pu déjà révéler plusieurs faits graves concernant cette affaire :
Les deux personnes interpellés n'ont fait l'objet d'aucune garde à vue qui aurait entraîné l'ouverture d'une enquête.
Aussi, l'extraction des bandes de vidéosurveillance effectuée le 18 juillet, bien après la durée légale de rétention fixée à un mois est visionnée par l’Élysée, notamment par Ismaël Emelien, et transmises à des soutiens.
Enfin depuis la création de la HATVP (Haute autorité pour la transparence de la vie publique), les collaborateurs de la Présidence sont dans l'obligation de fournir leurs déclaration de patrimoine à cette autorité de transparence. Ce qui n'a pas été fait, comme indiqué par le secrétaire général de l’Élysée, Alexis Kholer, devant la commission du Sénat [5].
Ces affaires dans l'affaire (les tiroirs) ont motivé les députés de la majorité et les proches du Président à créer des contre-feux pour tenter de diminuer le rôle central de l’Élysée.
Cela à conduit à la dislocation le 26 juillet de la commission d'enquête de l'Assemblée avec dans un premier temps le départ du co-rapporteur, Guillaume Larrivé (LR), suivi des différents groupes d'opposition [6].
Vague de malaises dus à la canicule ?
Le petit théâtre de Macron
Pour tenter de ressouder ses troupes, le Président fait une entrée surprise sur scène lors de la fête de fin de session parlementaire de La République en Marche le 24 juillet [7].
Devant ses supporters, avec en guise de décor ses ministres alignés, se joue une bien curieuse pièce de théâtre.
Un soliloque de 30 minutes, ponctué d'applaudissements nourris et d'envolée lyriques. Le retour du Roi-Soleil et de sa cour...
Afin de dissiper tout malentendu, la Marseillaise est entonnée pour conclure cette pièce (le "Retour des Princes français à Paris" eut été plus approprié).
Ce moment de communion aurait pu être parfait, s'il n'avait pas "fuité" aux sales oreilles des gueux (« du peuple Français »).
On a ainsi pu entendre le Président sortir cette magnifique tirade : « le responsable c'est moi (…) Ça n'est pas la République des fusibles, la République de la haine. On ne peut pas être chef par beau temps. S'ils veulent un responsable, il est devant vous. Qu'ils viennent me chercher ».
De quoi ressouder l'opposition, alors qu'il est acculé de tout côtés...
Cette séquence a également été l'occasion pour lui de réfuter toute ambiguïté sur le rôle de M. Benalla et de leur relation : "lui non plus, n’a jamais été mon amant". Hilarité teintée de gêne...
Qui aurait pu penser que c'était effectivement le cas ? Cela trahis sa véritable paranoïa sur ce sujet.
Le Gai Savoir
Pour mieux comprendre, il faut revenir en 2017 où une scène du même type s'est tenue.
Macron est au cœur de la course présidentielle, après le déballage de l'Affaire Fillon, tous les coups sont permis.
Depuis son entrée dans la vie mondaine Parisienne, il doit faire face à des ragots persistants concernant son mariage avec Brigitte Trogneux, de 24 ans son aîné.
Pour expliquer cette union, pour le moins originale, des esprits taquins, imaginent que ce mariage ne serait qu'une façade protégeant l'homosexualité de Macron.
Ces rumeurs ne sont pas nouvelles, mais la campagne présidentielle les amplifient [8].
Afin de "mettre les pieds dans le plat", Macron se rends en février, au théâtre Bobino, afin de galvaniser les militants de son mouvement de jeunesse "Les Jeunes avec Macron".
Il improvise alors un véritable sketch. Il se met ainsi à évoquer : « celles et ceux qui voudraient faire courir l'idée que je suis duplice, que j'ai des vies cachées ou autre chose ».
- silence complet dans la salle - « D'abord, c'est désagréable pour Brigitte » - rires gênés -
« Je vous rassure, comme elle partage toute ma vie, du soir au matin, elle se demande simplement comment physiquement je pourrais » - rires soulagés.
Il continue sur sa lancée en lançant des blagues sur sa femme et ses concurrents, pour finir par indiquer :
« Si (...) on vous dit que j'ai une double vie avec Mathieu Gallet ou qui que ce soit d'autre, c'est mon hologramme qui soudain m'a échappé » [9].
L'intéressé (alors PDG de Radio France) n'a même pas été prévenu de cette initiative du candidat. Il sera uniquement contacté le lendemain au téléphone.
Cette saillie, permettait d'éteindre les rumeurs les plus précises sur ces deux hommes aux profils similaires (même âge, même carrure, même ambition).
Cette sortie aurait pu complètement saper le travail de communication effectué jusqu'ici, ruinant alors les chances du candidat de s'imposer. Malaise dans les rédactions qui ne savent pas comment traiter ce sujet qui pourrait nuire à leur poulain. C'est alors qu'un courageux éditorialiste trouve l'angle idéal permettant d'utiliser cette séquence.
Le lendemain, sur le site du magazine Challenges, est publié sous la plume de Bruno Roger-Petit, un article louant le candidat : il s'agissait d'affronter une tentative de déstabilisation Russe ! Rien de moins : « L'opération de communication Macron est inséparable de l'irruption brutale de l'ombre de la Russie, via Sputnik et Russia Today » [10].
Donc pour faire face aux fake-news on créé une fake-news ?
La suite nous la connaissons bien, Bruno Roger-Petit sera débauché en tant que perroquet du Président et RT France sera mis au ban de tous les événements présidentiels. La liberté de la presse, c’est surfait.
Le placard Présidentiel
Au final, ces deux scènes de gênes trahissent un regard puritain sur la question de l'homosexualité.
En 2018, une grande part des Français ne remet pas en cause la liberté des hommes et des femmes d'avoir des relations avec des personnes du même sexe.
Que l'on soit d'un bord à l'autre de l'échiquier politique, de gauche à droite (et même aux extrêmes), cela ne fait aucun doutes.
Alors, pourquoi le président répète ces scènes dans des moments politiques aussi critiques ?
L'image du Président n'en a pas fini d'être écornée, y compris par lui-même.
Références
[1] "« Le Monde » identifie, sur une vidéo, un collaborateur de Macron frappant un manifestant, le 1er mai, à Paris", Le Monde, 18 juillet 2018
https://www.lemonde.fr/politique/article/2018/07/18/le-monde-identifie-sur-une-video-un-collaborateur-de-m-macron-frappant-un-manifestant-le-1er-mai-a-paris_5333330_823448.html
[2] « Affaire Benalla : nouvelle journée agitée à l’Assemblée, entre huées et suspensions de séance », Europe 1, 21 juillet 2018, http://www.europe1.fr/politique/affaire-benalla-nouvelle-journee-agitee-a-lassemblee-entre-huees-et-suspensions-de-seance-3716210
[3] « Affaire Benalla : auditions, révélations... la folle journée du 23 juillet », Midi Libre, 23 juillet 2018, https://www.midilibre.fr/2018/07/23/affaire-benalla-auditions-revelations-la-folle-journee-du-23-juillet,4661641.php
[4] « Qui est Alexandre Benalla, le collaborateur de Macron natif d’Évreux impliqué dans les violences du 1er-Mai ? », Paris-Normandie, 19 juillet 2018, https://www.paris-normandie.fr/actualites/faits-divers/qui-est-alexandre-benalla-le-collaborateur-de-macron-natif-d-evreux-implique-dans-les-violences-du-1er-mai-FH13415213
[5] « Kohler : tous les collaborateurs de l'Elysée vont faire leur déclaration de patrimoine », TV5 Monde, 26 juillet, https://information.tv5monde.com/info/kohler-tous-les-collaborateurs-de-l-elysee-vont-faire-leur-declaration-de-patrimoine-251839
[6] « Guillaume Larrivé, le technicien de la politique révélé par l'affaire Benalla », Le Figaro, 27 juillet 2018, http://www.lefigaro.fr/politique/le-scan/2018/07/27/25001-20180727ARTFIG00267-guillaume-larrive-le-technicien-de-la-politique-revele-par-l-affaire-benalla.php
[7] « Macron sort de son silence et dit être « le seul responsable » de l’affaire Benalla », Le Monde, 24 juillet 2018, https://www.lemonde.fr/politique/article/2018/07/24/devant-les-deputes-de-la-majorite-macron-affirme-etre-le-seul-responsable-de-l-affaire-benalla_5335478_823448.html
[8] « L’ambigu Monsieur Macron », Marc Endeweld, Points, 2018
[9] « Macron ironise sur les rumeurs autour de sa double vie à Bobino 2 », QR.7, Youtube, 10 février 2017, https://www.youtube.com/watch?v=CejAAvkZNzk
[10] « La communication de Macron contre la rumeur, la Russie et la post-vérité », Challenges, 7 février 2017, https://www.challenges.fr/election-presidentielle-2017/la-communication-de-macron-contre-la-rumeur-la-russie-et-la-post-verite_452859
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