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Accueil du site > Actualités > International > La guerre, ce n’est pas bien !

La guerre, ce n’est pas bien !

« Les hautes parties contractantes déclarent solennellement au nom de leurs peuples respectifs qu’elles condamnent le recours à la guerre pour le règlement des différends internationaux, et y renoncent en tant qu’instrument de la politique nationale dans leurs relations mutuelles. » (Article 1 du Pacte Briand-Kellogg signé le 27 août 1928 à Paris).
 



Il y a quatre-vingt-dix ans, le 27 août 1928 au Quai d’Orsay, à Paris, quinze États ont signé le fameux Pacte Briand-Kellogg qui a mis la guerre hors-la-loi. Quand on connaît évidemment le déroulement de l’histoire, à moins de cinq années de l’arrivée brutale au pouvoir de Hitler en Allemagne, on peut esquisser un léger sourire (sourire amer) et concevoir l’extrême naïveté dudit traité international. Il faut aussi se remettre dans le contexte. Aristide Briand (1862-1932) avait déjà réussi à négocier les accords de Locarno signés le 16 octobre 1925 avec le Chancelier allemand Gustav Stresemann, ces deux derniers ont d’ailleurs reçu le Prix Nobel de la Paix en 1926 pour cette raison.

Tout est parti du responsable politique français Aristide Briand, qui fut de très nombreuses fois Président du Conseil mais surtout, pendant une longue période, Ministre des Affaires étrangères (sans discontinuité du 28 novembre 1925 au 12 janvier 1932). Partisan de la paix et de tout acte visant à garantir la paix mondiale dans l’avenir, Aristide Briand était l’un des précurseurs les plus enthousiastes de la construction européenne (au même titre que Victor Hugo). Il a même annoncé, comme chef du gouvernement français, le 5 septembre 1929 devant l’assemblée générale de la Société des Nations (dont il avait présidé le Conseil quelques années auparavant) un projet d’union fédérale européenne en concertation avec l’Allemagne (projet qui fut vite abandonné avec la crise économique puis politique en Allemagne).

Mais revenons au 16 octobre 1925 avec les accords de Locarno. Aristide Briand avait insisté à l’époque sur l’importance autant psychologique que concrète de ces accords qui garantissaient la paix en Allemagne, des frontières confirmées, et une sécurité européenne consolidée par plusieurs pactes entre la France, l’Allemagne, la Belgique, le Royaume-Uni, la Pologne, la Tchécoslovaquie et l’Italie : « Si les accords de Locarno ne correspondent pas à un esprit nouveau, s’ils ne marquent pas le début d’une ère de confiance et de collaboration, ils ne produiront pas ce grand effet que nous en attendons. Il faut que de Locarno, une Europe nouvelle se lève. ».

À partir de cet événement, Aristide Briand a gagné une grande renommée internationale, celui de devenir le symbole de la paix des années 1920. Pour preuve, le magazine américain "Time" lui a consacré la couverture de son numéro du 9 novembre 1925. Gustav Stresemann fit entrer l’Allemagne à la SDN en 1926, accueillie ainsi par Aristide Briand : « Arrière les fusils, les mitrailleuses, les canons ! Place à la conciliation, à l’arbitrage et à la paix ! ». Ces années furent marquées par une esquisse d’amitié franco-allemande qui fut contestée par la droite française qui y voyait un certain idéalisme utopique si ce n’était une réelle naïveté.

Un an et demi plus tard, toujours comme chef de la diplomatie française, Aristide Briand a adressé un discours au peuple américain le 6 avril 1927 depuis Paris, pour célébrer le dixième anniversaire de l’engagement des États-Unis dans la Première Guerre mondiale : « La France veut autour d’elle une atmosphère de confiance et de paix et ses efforts se sont traduits par la signature d’accords tendant à écarter la menace de conflits. La limitation des armements, recherchée aussi sincèrement par nos deux gouvernements, répond aux vœux ardents du peuple français tout entier, sur qui pèsent depuis plus d’un demi-siècle de lourdes charges militaires et qui a supporté pendant quatre ans sur son territoire des dévastations non encore réparées. ».

L’idée, pour lui, fut alors de négocier un traité entre les États-Unis et la France pour rejeter juridiquement la guerre comme solution politique. Il faut rappeler que les États-Unis n’avaient pas ratifié le Traité de Versailles (à cause de la majorité républicaine du Congrès) et n’étaient donc pas membre de la SDN. Aristide Briand cherchait donc à faire un accord bilatéral pour faire sortir les États-Unis de leur isolationnisme retrouvé et pour les engager dans la voie d’une sécurité collective.

Ce ne fut que huit mois plus tard que les États-Unis ont répondu favorablement à Aristide Briand. Leur Ministre des Affaires étrangères ("Secrétaire d’État") était alors Frank Kellogg (1856-1937), ancien sénateur républicain du Minnesota et ancien ambassadeur des États-Unis à Londres, chef de la diplomatie américaine du 5 mars 1925 au 28 mars 1929. Encouragé par une "opinion publique" américaine favorable à la proposition d’Aristide Briand, Frank Kellogg l’accepta en voulant l’étendre dans un traité avec l’ensemble des pays du monde.

Aristide Briand n’était pas très chaud partisan d’une telle extension car elle pouvait remettre en cause le système d’alliances, et par ailleurs, il était bien conscient que cela ne mangeait pas de pain et que cela ne contraindrait pas vraiment les États signataires, en raison d’une absence de sanction en cas de violation. Surtout, cela remettait en cause l’objectif même de sa proposition, à savoir conclure un accord bilatéral entre la France et les États-Unis pour renforcer la position de la France face à une Allemagne de Weimar qui avait déjà engagées de bonnes relations avec les Américains.

Néanmoins, Aristide Briand se rangea à la vision de Frank Kellogg dans le seul but de maintenir un climat international favorable à la paix. Le 27 août 1928, quinze États ont finalement signé le Pacte Briand-Kellogg : la France, les États-Unis, l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Italie, le Japon, la Belgique, la Pologne, la Tchécoslovaquie, l’Irlande, l’Australie, le Canada, la Nouvelle-Zélande, l’Afrique du Sud et l’Inde. Quarante-huit autres États ont pris le train en route et ont signé le pacte dans les mois ou années à venir, en particulier l’Union Soviétique, le Mexique, la Turquie, dont certains de ceux-ci n’étaient pas membres de la SDN (en particulier les États-Unis et l’Union Soviétique), ce qui faisait de cet accord un accord plus large que les résolutions de la SDN. En définitive, cinq États importants refusèrent le pacte, l’Argentine, le Brésil, la Bolivie, l’Arabie (Saoudite) et le Yémen. Frank Kellogg a obtenu le Prix Nobel de la Paix en 1929 pour ce pacte, auquel fut associé Aristide Briand qui avait déjà reçu le Prix Nobel trois ans auparavant.

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Ce pacte a-t-il été inutile ? N’a-t-il été qu’une simple comédie de pays qui ont eu peur de recommencer la guerre ("plus jamais ça !") ? On pourrait l’imaginer. Imaginer que les mots n’ont plus beaucoup de pouvoir, n’ont qu’une force illusoire face à une agression réelle, face à la violence totale telle que l’a démontré le nazisme futur.

Je ne peux m’empêcher de penser à cette scène de l’excellent film parodique "Mars Attacks !" réalisé par Tim Burton et sorti le 12 décembre 1996, dans lequel les Martiens arrivent sur Terre en scandant comme un mantra : « Nous venons en paix ! Nous venons en paix ! » tout en sortant leur kalashnikov et désintégrateur subquantique. Difficile de trouver cette scène en français sur le Web et en une seule partie. Une autre scène au Congrès américain est aussi de la même farine.









Pourtant, la signature du Pacte Briand-Kellog a été un élément indispensable dans les relations internationales. Un élément juridique et diplomatique indispensable. En effet, pour la première fois, le droit international, et par là, le droit interne d’une soixantaine d’États, interdisaient officiellement la guerre, avec des exceptions néanmoins nombreuses. Ainsi, c’est sur la base de ce pacte que le procès de Nuremberg a eu lieu après la Seconde Guerre mondiale, pour juger les auteurs d’un crime contre la paix. Ce pacte est d’ailleurs toujours en application puisqu’il ne dépendait pas de la défunte SDN.

En revanche, depuis la création de l’Organisation des Nations Unies (ONU), ce pacte n’a plus beaucoup d’utilité car la Charte des Nations Unies, signée le 26 juin 1945 à San Francisco et ratifiée le 24 octobre 1945, a renforcé l’interdiction juridique de la guerre, l’étendant à tous les cas sauf en cas de légitime défense et sous réserve d’approbation du Conseil de Sécurité de l’ONU (exemple, l’annexion du Koweït par Saddam Hussein en 1990).

En effet, l’article 2 alinéa 4 de ce texte proclame : « Les membres de l’Organisation s’abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout État, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies. ». À ce jour, cette Charte a été ratifiée par cent quatre-vingt-treize États.

En ce sens, Aristide Briand, qui mériterait d’être célébré plus qu’il ne l’est déjà actuellement en France, a montré une vision très anticipatrice des relations internationales, tant pour le rôle de l’amitié franco-allemande et de la construction européenne dans le maintien d’une paix mondiale durable que dans l’élaboration d’un droit international pouvant supplanter celui d’États ou de dictateurs qui violeraient un principe simple : celui du droit à tout être humain de vivre en paix et dans la sécurité.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (25 août 2018)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Le Pacte Briand-Kellog.
Traité de Vienne.
Les quatorze points du Président Wilson.
La partition des Indes.
Traité de Rome.
Traité de Maastricht.
Traité constitutionnel européen.
Traité de Lisbonne.
La Paix.

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5 réactions à cet article    


  • Étirév 27 août 2018 09:53

    Le progrès social ne pourra s’estimer une réalité que quand la guerre deviendra incompatible avec l’esprit des peuples civilisés, n’obéissant qu’à la loi intellectuelle, loi qui n’est autre que celle de l’ensemble des connaissances humaines, dont l’application est une exhortation perpétuelle à la Paix.
    Rappelons cependant que la lutte est d’instinct masculin. Tous les pactes n’y pourront rien.
    C’est dans l’histoire de l’évolution physiologique de l’homme que nous trouvons l’origine et la cause de la guerre.
    C’est parce que la masse masculine est avide de mouvements, de luttes et de déplacements qu’elle suit les conquérants ; l’action violente, brutale, développant les instincts profonds de la nature masculine, cela les grise, c’est pour cela qu’ils aiment la guerre.
    Si l’homme aime les combats c’est parce qu’il possède des facultés motrices qui ont besoin d’emploi. C’est pour avoir le plaisir de batailler, bien plus que pour défendre telle ou telle cause, pour venger tel ou tel affront. Le motif de la bataille lui importe peu. C’est la bataille elle-même qu’il aime et qu’il cherche. Et ce qui le prouve c’est que le pugilat est, pour lui, un jeu amusant.
    Et ne voyons-nous pas, à chaque instant, les jeunes garçons se livrer sous nos yeux à des combats qui ont les motifs les plus futiles ou qui n’ont même pas de motif du tout ? L’instinct qui les pousse est le même que celui qui pousse les animaux à se poursuivre et à se battre, sans que leurs combats, qui sont leurs jeux, aient aucun motif. Du reste, les jeux du cirque, les combats de taureaux, les anciens tournois, simulacres de guerre, et tous les jeux qui simulent une bataille, prouvent bien que, pour l’homme, la lutte est un plaisir, presqu’un besoin.
    Donc la guerre a eu, pour principe, la satisfaction de l’instinct masculin.
    C’est lorsque les hommes vieillissent et perdent leurs facultés motrices, si exubérantes dans la jeunesse, qu’ils changent de manière de voir. Ils reviennent alors à des idées plus pacifiques, l’expérience leur a montré les conséquences désastreuses de la guerre à l’âge où la lutte n’est plus, pour eux, un besoin physiologique. Alors, seulement, ils s’aperçoivent que les batailles n’ont jamais conclu aucun différend mais en ont, au contraire, créé de nouveaux, qui restent à l’état de menace dans les nations, attendant l’occasion qui doit faire naître de nouvelles guerres.
    Chaque fois que l’homme a eu le pouvoir il s’est servi de sa puissance pour lutter contre quelque chose ; généralement contre ce qu’il venait renverser. Il aime à manifester sa force pour la faire connaitre et pour se faire craindre. Dans les petites choses comme dans les grandes, dans le petit royaume de la famille comme dans les grands Etats, l’homme fait abus du pouvoir, il blesse la raison en soumettant ceux ou celles qui la représentent à des capitulations humiliantes, à des condescendances avilissantes. C’est la force morale humiliée par la force brutale.
    Donc, la puissance qui se base sur la Force est toujours une autorité illégitime.
    Psychologie de l’homme


    • Tzecoatl Claude Simon 27 août 2018 15:59
      « Aristide Briand était l’un des précurseurs les plus enthousiastes de la construction européenne (au même titre que Victor Hugo). »

      Il est évident qu’avec le constat faux considérant « les nations, c’est la guerre », un tel accord ne pouvait aboutir.Etant assez studieux lors de ma scolarité, j’ai toujours été surpris des causes directes de la première guerre mondiale, notamment de l’assassinat à Sarajevo de l’héritier de l’Autriche-Hongrie, l’archiduc François-Ferdinand (10 millions de morts entre les principales puissances car un anar a tué un héritier ?).

      Cela ne tenait tout simplement pas debout.Jusqu’à ce que je tombe sur cette explication des causes profondes de la première guerre mondiale : https://www.youtube.com/watch?v=tTAqpBxngj8

      A la lumière de l’expertise historique d’Hillard, on a pu constater que de Bakou jusqu’à Damas, les principaux conflits sont l’oeuvre des visées impérialistes (appropriation par la force des ressources naturelles d’autres peuples et nations), et des puissances incriminées.

      Il est exact que la guerre froide n’était pas directement s’approprier les matières premières, il s’agissait plutôt d’utiliser les peuples en les assujetissant à la dette.

      On l’a vu : le droit international n’est pas suffisant pour contourner un conflit. Entre puissances, seule l’équilibre des forces (ou du moins l’infériorité stratégique et militaire du protagonniste aggressif) peut permettre le respect de ce droit.

      Une autre façon est de tenir un diagnostic fondé, et, rejetant les griefs justifiant le conflit (bref, s’abstenir de propagande ou la délégitimer), d’inféoder une attitude agressive (Villepin à l’Onu, Bundestag ne reconnaissant pas l’agression de la Syrie du point de vue du droit international).

      • Martin de Wallon MartindeWallon 27 août 2018 21:27

        Il me semble que le métier « faire la guerre » est inscrit sur notre code ADN, bon auqu’une déclaration ne peut pas corriger ça :(


        • pierre 2 septembre 2018 11:47

          @MartindeWallon
          non, c’est écrit dans l’ADN de la société et du système, pas dans celui de l’individu qui dispose d’un cortex lui.


        • towocoliv 28 août 2018 13:24

          Puisse tu comprendre un jour que la paix s’achète avec des armes...

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