Existe-t-il des « crapauds fous » en Macronie ?
Les « crapauds fous » sont des animaux étonnants. Alors que leurs congénères migrent en masse dans une direction pour se reproduire, des individus ressentent de manière intuitive que le choix de la majorité est périlleux. Dès lors, ils partent dans une direction différente, voire carrément opposée. Et tandis que la majorité des crapauds court collectivement à sa perte en traversant les routes en rangs serrés, les individus déviants survivent et assurent ainsi la survie de l’espèce...
Avertissement : il existe deux espèces de « crapauds fous » : ceux qui veulent changer la société contemporaine, et ceux qui, par leur courage, ont sauvé des milliers de Juifs durant la 2e guerre mondiale...
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En octobre 2017, l’ingénieure Thanh Nhgiem, fondatrice de l’Institut Angenius spécialisé en développement durable, et le mathématicien Cédric Villani, député LREM de l’Essonne, ont publié chez l’éditeur Florent Massot un essai intitulé Manifeste du crapaud fou. Né de rencontres initialement organisées dans le cadre du Domaine des Treilles à Tourtour (Var) en avril 2017, ce manifeste prend la forme d’un cri d’alerte sur les dangers que court une société de plus en plus formatée et qui, si rien ne change, subira les effets négatifs nés de l’aveuglement des puissants. Un texte qui propose également des pistes d’actions ouvertes à tous les enrichissements possibles via le site web des Crapauds fous. Un site où l’on s’exprime ainsi :
« Plusieurs tsunamis sociétaux sont à l’horizon, et [...] notre survie dépendra de notre capacité à faire comme le crapaud fou, qui ne suit pas la masse, fait un pas de côté, prend des routes différentes que la majorité de ses congénères [...] Faire crapaud fou, c’est un état d’esprit, une attitude, une posture, un grain de folie, une curiosité et une ferme résolution à ne pas suivre la masse aveuglément. »
Thanh Nhgiem, Cédric Villani et la quarantaine d’intellectuels qui ont participé à l’écriture du Manifeste du crapaud fou ont en effet la certitude qu’il est urgent de fédérer la créativité et l’énergie des femmes et des hommes de bonne volonté pour contrer les effets des « trois tsunamis » annoncés en matière climatique, technologique et démocratique. Leur objectif : réunir tous ceux qui ont pris conscience de la nécessité d’un changement profond des paradigmes qui structurent notre société, quitte à aller à « contre-courant ». Tous ceux en qui les deux personnalités et ceux qui les ont déjà rejoints voient des « crapauds fous ».
En présentant le manifeste, Florent Massot écrivait, à propos de la démarche induite par Thanh Nhgiem et Cédric Villani : « Cette quête effrénée amène ce tandem hors du commun à embarquer une quarantaine de personnalités afin d’émettre un appel à s’engager vers un nouveau ʺvivre ensembleʺ. Chaque personne apportant sa puissance intellectuelle, spirituelle ou pratique pour franchir le tunnel : scientifiques, penseurs, data scientists, entrepreneurs sociaux, collectifs d’activistes, hackers ou écologistes. » Et de fait l’on trouve tous ces profils parmi les Crapauds fous, et sans doute d’autres encore depuis que la démarche initiée par le manifeste a trouvé un relais contributif sur internet.
Le nombre des Crapauds fous a-t-il été étoffé de manière significative par le renfort de créatifs de talents ? Les pistes d’action non conventionnelles proposées par ce collectif ont-elles des chances de convaincre les décideurs et d’influer sur les destinées de la planète ? Les interactions avec les ONG existantes seront-elles de nature à faire bouger les lignes au niveau politique, tant national qu’international ? Il est évidemment trop tôt pour le dire. Mais les Crapauds fous ont le mérite d’exister. Pour mieux comprendre leur état d’esprit et leur mode de fonctionnement, le site de ces agitateurs d’idées peut être consulté, de même que l’interview qu’a donnée Thanh Nhgiem au site Usbek & Rica le 15 novembre 2017.
Il n’est toutefois pas illégitime de se poser des questions sur l’engagement de certains crapauds fous. À commencer par Cédric Villani. Voilà un homme qui semble avoir des convictions bien ancrées sur l’avenir de la planète et la nécessité d’agir avant que l’Humanité n’aille droit dans le mur. Un homme qui, conscient de l’urgence de changer de paradigmes sur les principaux enjeux, s’engage dans une voie alternative. Avec pour objectif d’infuser les consciences afin de contraindre les gouvernants à agir pour contrer les menaces – les fameux « tsunamis » – qui pèsent sur la société en matière de climat et d’environnement, de nouvelles technologies et d’intelligence artificielle, de démocratie et de prise en compte des légitimes attentes des peuples.
Là où le bât blesse, c’est qu’ « en même temps », Cédric Villani est député de la majorité macronienne. Autrement dit, un godillot parmi les autres godillots dont la voix ne s’est élevée ni pour soutenir Nicolas Hulot dans son constat de la vacuité des mesures écologiques gouvernementales, ni pour dénoncer les textes de loi visant à restreindre les libertés individuelles ou les prérogatives des parlementaires de l’opposition. Peut-être même Cédric Villani a-t-il soutenu la candidature de Richard Ferrand – l’amoral héros de la consternante affaire des Mutuelles de Bretagne – au perchoir de l’Assemblée Nationale où ce très proche ami du Chef de l’État aura, n’en doutons pas, pour mission principale de verrouiller les débats...
Existe-t-il des « crapauds fous » en Macronie ? La question reste posée. Mais en admettant qu’il y en ait, s’ils sont à l’image de Cédric Villani – avec ou sans lavallière –, alors les oligarques n’ont pas de crainte à avoir pour la pérennité de leurs affaires juteuses tant ces crapauds se paient de mots et si peu d’actions concrètes visant à changer réellement le cours des choses.
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« Les crapauds fous », c’est également le titre d’une pièce de théâtre de Mélody Mourey qui nous transporte dans une petite ville de Pologne nommée Rozwadów durant la 2e guerre mondiale. Le sujet ? La folle, et pourtant véridique, histoire de gens ordinaires qui, pour sauver les Juifs de la déportation, ont dupé les nazis en organisant l’une des plus étonnantes mystifications du conflit à l’initiative d’un jeune médecin, Eugene Lazowski, surnommé. « le Schindler polonais ». L’un de ses amis de faculté, Stanisław Matulewicz, ayant découvert que le test du typhus réagissait positivement aux cellules mortes de cette redoutable maladie contagieuse, Eugene Lazowski a imaginé un stratagème consistant à inoculer des cellules inactives du typhus sur des porteurs sains. Comme prévu, ces derniers ont réagi aux tests de détection, validés à distance prudente par les médecins contrôleurs allemands, et ont été déclarés atteints de cette maladie que les nazis considéraient comme un fléau.
Dès lors, les présumés malades sont devenus officiellement contagieux et, de ce fait, ont constitué une grave menace pour les troupes allemandes, soigneusement tenues à l’écart des lieux d’habitation contaminés par l’épidémie. Avec l’aide de Stanisław Matulewicz, Eugene Lazowski a multiplié les injections sur les Polonais vivant autour des ghettos juifs de Rozwadów et des villages alentour et alimenté les Allemands en analyses sanguines contaminées et en rapports sanitaires de plus en plus désastreux. Jusqu’au moment où les nazis, par crainte d’une extension de l’épidémie, ont décrété la mise en quarantaine de la zone contaminée, y compris les ghettos juifs situés au cœur de celle-ci et dans lesquels pas un soldat du IIIe Reich ne se serait aventuré. Grâce à ces deux médecins et à la stupéfiante participation des habitants de Rozwadów, 8 000 Juifs ont échappé à la déportation ainsi que de nombreux autres Polonais aux internements forcés dans des camps de travail.
De retour à l’affiche du théâtre des Béliers parisiens (Paris 18e) jusqu’au 4 novembre 2018, cette extraordinaire aventure humaine, mise en scène de manière à la fois émouvante et burlesque par son auteure Mélody Mourey, a séduit au printemps les spectateurs et connu jusque-là un très beau et très mérité succès public. Un succès qui n’est sans doute pas près de se démentir, eu égard au bouche à oreille très positif qui a accompagné Les crapauds fous et aux excellentes critiques que ce spectacle a suscitées, à juste titre, dans les médias. Assurément l’une des toutes meilleures pièces actuellement jouées sur scène dans la capitale !
Les crapauds fous : bande-annonce
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