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1989-1990 et la tentation de Venise, cet hiver où Ayrton Senna a failli quitter la F1

Vendredi 16 février 1990, l’épée de Damoclès tombe. La liste officielle des pilotes engagés pour le 51e championnat du monde de Formule 1 ne fait pas figurer le nom du champion du monde 1988, Ayrton Senna da Silva. Pour McLaren Honda, n’apparaissent que les noms de Gerhard Berger et Jonathan Palmer. Mais très vite dans la journée, un fax d’excuses parvient au 1 place de la Concorde à Paris, dans le bureau de Jean-Marie Balestre, accusé par Senna d’impartialité sur l’épilogue du Grand Prix du Japon 1989. La perte de son titre mondial au profit de son rival et coéquipier Alain Prost, conjuguée au départ du Français vers Ferrari pour 1990 et surtout au sentiment d’injustice sur sa disqualification à Suzuka avaient fait réfléchir Ayrton Senna da Silva au point de vouloir quitter la F1 … Mais comme huit ans plus tôt, le Brésilien se régénère parmi les siens, à Sao Paulo mais surtout à Angra dos Reis … Le phénix va renaître de ses cendres à Phoenix début 1990, car le sport ne se laisse pas aussi facilement passer de ses héros …

Le 31 décembre 1989 au Point Depot de Dublin, Bono fait une déclaration maintenant célèbre qui fait froid dans le dos à tous les fans de U2 : Nous avons eu beaucoup de plaisir au cours de ces derniers mois, finissant même par savoir jouer un peu de musique. Nous n'en saurons pas beaucoup plus mais ce fut fun ! C'est juste la fin de quelque chose pour U2, et c'est ce que nous jouons durant ces concerts - c'est juste une affaire entre nous-mêmes et vous. Ce n'est rien d'autre, c'est juste - nous devons partir et... et rêver encore tout haut. Beaucoup pensent alors que le groupe des années 80 ne survivra pas à celles-ci. A peu de choses près, les fans d’Ayrton Senna ont vécu la même frayeur au moment où le calendrier passait de 1989 à 1990. En novembre 1991, U2 publie Achtung Baby et touche au sublime. Mais le groupe a failli se séparer lors de longues sessions à Berlin en studio, retrouvant l’harmonie indispensable à sa symbiose in extremis grâce à la chanson One. Un mois avant la sortie du chef d’œuvre du quatuor irlandais, le maestro brésilien rejoint le cénacle très fermé des triples champions du monde, après deux titres consécutifs. Mais il s’en est fallu de peu pour que Senna ne raccroche son casque à l’hiver 1989-1990. Il aurait alors laissé la trace d’un météore qui ne serait pas allé bout de son œuvre. La symphonie sera de toute façon inachevée lorsque la mort fauchera le virtuose pilote sud-américain le 1er mai 1994. Mais entre 1990 et 1993, la carrière de Senna prendra une dimension universelle, intemporelle. De prodige aux doigts d’or aux états de service étourdissants, Ayrton Senna va devenir le patron, le mètre étalon, l’homme à battre à chaque course.

A l’hiver 1981, Ayrton da Silva quitte la froide Angleterre qui avait accueilli avant lui Emerson Fittipaldi ou Nelson Piquet. Parti dans la Perfide Albion avec son épouse Liliane Souza da Vasconcelos, le jeune pilote rentre à Sao Paulo et délaisse le monde de la course, lui qui a fait ses gammes de virtuose depuis l’âge de 4 ans en karting, tel Wolfgang Amadeus Mozart sur son piano.

Nourri au nectar et à l’ambroisie par les fées du destin, Ayrton revient aider son père Milton dans ses affaires à Sao Paulo. Mais l’hiver brésilien lui ouvre les yeux : oui, l’appel de la course est trop fort. Non, il ne peut vivre sans piloter à leur limite des bolides sur l’asphalte. Oui, ce besoin viscéral de gagner doit le contraindre à retourner en Europe, loin de son cher Brésil. Non, il n’hésitera pas une deuxième fois, il vient de comprendre que sa vie est celle d’un pilote, tracée vers une trajectoire de champion. Oui, il va y aller malgré l’ultimatum de Liliane. Non, il partira sans elle et divorcera à l’âge de 21 ans seulement …

La suite est connue : Ayrton da Silva devient Ayrton Senna, prenant le nom de sa mère pour courir dès 1982, avant un triomphe en F3 britannique face à Martin Brundle en 1983, puis au Grand Prix de Macao. La révélation en F1 lors du Grand Prix de Monaco 1984, sous la pluie apocalyptique du Rocher, avec l’écurie Toleman. L’irrésistible ascension de l’espoir entre 1985 et 1987 avec l’écurie Lotus. Le duel avec Alain Prost et le premier titre mondial obtenus en 1988 chez McLaren Honda. Loin du combat de David contre Goliath, cette campagne 1988 a vu une formidable pyrotechnie entre deux titans prêts à ceindre la couronne mondiale.

Mais en 1989, le rêve vire au cauchemar … Figure de proue de l’écurie de Woking, Senna a atteint sa quête du Graal fin 1988 à Suzuka, dans le fief de Honda. Le motoriste japonais a les yeux de Chimène pour ce pilote qu’il considère comme le plus bel héritier des samouraïs et de leur bushido, ce champion hors normes au mental en acier trempé, véritable gagneur-né capable de tirer la quintessence d’une monoplace de F1 poussée à ses extrêmes limites.

Moine-soldat, perfectionniste du réglage, stakhanoviste du travail avec ses mécaniciens, Senna épuise ses ingénieurs et ses mécaniciens mais ceux-ci sont transcendés par les performances du prodige de Sao Paulo, qui tire donc la substantifique moelle du matériel mis à sa disposition. Sa faculté à chercher les derniers millièmes de seconde dans des trajectoires parfaites fait de lui le roi des pole positions : 13 en 1988, faisant voler en éclats le record détenu par Ronnie Peterson (1973), Niki Lauda (1974) et Nelson Piquet (1984) : 9.

Rainmaster sous la pluie de Monaco en 1984, Senna a depuis gagné en 1985 à Estoril puis en 1988 à Silverstone quand les vannes célestes se sont abattues sur les circuits de F1.

Le seul bémol de ces étrennes couronnées de gloire avec McLaren concerne sa relation avec Alain Prost. Sans être antagonistes, les deux pilotes sont tendus, surtout après l’épisode d’Estoril où Senna a tassé le double champion du monde français à 280 km/h contre le muret des stands. Vainqueur ce jour là sur son circuit fétiche au nord de Lisbonne, le Professeur n’a pas oublié que Senna était prêt à tout pour gagner, tel un tigre prêt à sortir ses griffes. Fin 1988, Prost a deux titres mondiaux en poche et un record de 35 victoires en Grands Prix. C’est un séquoia que Senna va attaquer sans hésiter avec la lame tranchante d’un piranha …

Si Prost est l’héritier de pilotes cartésiens comme Caracciola, Fangio, Surtees, Stewart, Fittipaldi ou Lauda, Senna privilégie lui le panache érigé en principe canonique par Nuvolari, Rosemeyer, Ascari, Moss, Clark, Rindt, Ickx, Peterson ou encore Gilles Villeneuve parmi les grands as du passé.

Ayant mangé son pain noir en 1987 avec un moteur V6 turbo TAG Porsche trop faible en puissance, Prost a ensuite subi l’affront d’une défaite à matériel égal contre Senna en 1988. Plus régulier mais moins brillant, le Français rêve d’une revanche en 1989, à la fois pour conquérir une troisième fois le sceptre mondial mais aussi pour faire revenir la flèche du balancier de son côté : subjectivement, de plus en plus d’observateurs considèrent Ayrton Senna comme le meilleur pilote du monde en ce début d’année 1989. Ce n’est pas encore le plébiscite même si les superlatifs pleuvent déjà sur ce surdoué du volant. Mais si Senna continue à atteindre la quadrature du cercle en pérennisant les exploits, alors il aura mérité ce titre à l’unanimité, repoussant Prost dans l’ombre, à défaut de condamner le recordman aux oubliettes. Nanti d’un prestige inouï depuis Adelaïde 1986 et son deuxième titre mondial, le Français ne semble pas disposé à abdiquer si facilement contre ce jeune loup qui ne rêve que de cannibaliser l’élite du sport automobile. Les autres pilotes, Nigel Mansell, Thierry Boutsen, Gerhard Berger, Nelson Piquet ou Riccardo Patrese ne sont que des figurants face à ces deux monstres sacrés, ces deux dinosaures qui monopolisent l’espace médiatique. La notoriété de la F1 est décuplée. Deux pilotes d’une telle envergure se disputant le titre est du jamais-vu, offrant au public des montagnes russes d’adrénaline. L’ancien pilote français Jean-Pierre Beltoise avait parfaitement résumé le sentiment général sur cette incroyable saison 1988, avec ce sémillant duel entre le Français Alain Prost et le Brésilien Ayrton Senna, à la fois coéquipiers et rivaux au sein du team McLaren Honda : L’affrontement Prost – Senna débouche sur une situation grandiose. Le face-à-face, à matériel égal, de deux pilotes d’un tel calibre, c’est du jamais-vu : un spectacle fantastique.

La saison 1976 avait vu un thriller palpitant entre Niki Lauda et James Hunt, provoqué par un scénario que même Hollywood aurait refusé, en l’occurrence le terrible accident du Viennois dans l’Eifel. Avant Lauda, les géants avait régné trop seuls : malgré Alberto Ascari ou Stirling Moss, l’Argentin Juan Manuel Fangio avait régné seul, en despote éclairé. Malgré Graham Hill, Jack Brabham ou John Surtees, l’Ecossais Jim Clark avait imposé sa férule aux années 60. Trop vite orphelin de Jochen Rindt, Jackie Stewart avait dominé le début des années 70, n’étant inquiété qu’avec parcimonie par Jacky Ickx, Emerson Fittipaldi ou encore Ronnie Peterson. Gordon Murray et Steve Nichols réussissent encore une fois le prodige de fournir un bolide, aux qualités stratosphériques pour ne pas dire stellaires, à Alain Prost et Ayrton Senna … La concurrence, comme en 1989, sera laminée bien que l’apothéose des turbos ait pris fin pour laisser place à l’ère des moteurs atmosphériques. Ferrari se fourvoie en partant sur un V12, laissant Renault face à Honda sur le V10. Mais le Losange, après deux années de jachère, doit réapprendre l’exigence du haut niveau face au constructeur japonais parvenu à son climax en cette fin des années 80 … Seul McLaren a donc gardé le précieux sésame vers la caverne d’Ali Baba menant aux victoires en rafale. En 1989, Williams, Ferrari et Benetton ne feront que rentrer par effraction dans ce Fort Knox. Si McLaren appose son sceau avec moins de violence sur la F1 qu’en 1988, c’est uniquement car ses deux duettistes s’entretuent dans un duel fratricide à la façon de Romulus et Remus, les jumeaux de la Louve. L’atmosphère devient vite irrespirable dans le team anglo-japonais, qui frôle l’explosion galactique. La troisième guerre mondiale est déclarée, et les deux pilotes appliquent à la lettre les théories du général prussien Von Clausewitz …

Débarrassé de la pression colossale de décrocher ses premiers lauriers mondiaux, le Brésilien n’en garde pas moins un féroce appétit digne de Pantagruel. Le jeune Rastignac aux dents longues a toujours cette ambition dévorante quand il arrive à Rio de Janeiro fin mars 1989. Depuis 1984 et ses débuts parmi l’élite, Senna n’a qu’une seule obsession : vaincre le gladiateur français, déboulonner l’idole de McLaren … En arrivant à Woking, Ayrton était persuadé de pouvoir battre Alain, en trouvant l’antidote à sa formidable panoplie de pilote complet. Car la chrysalide Senna est devenue papillon, prête à vaincre Prost dans un duel au couteau pour connaître son soleil d’Austerlitz.

C’est chose faite depuis Suzuka 1988, mais l’orfèvre brésilien veut enfoncer le clou pour marquer l’Histoire avec un grand H. Du temps de Liliane, ne voulait-il pas devenir le plus grand pilote de tous les temps ? Cette quête passe par forcément par un duel gagné de façon nette contre le grand rival de sa génération, Alain Prost. Le Professeur est l’alpha et l’oméga de la discipline reine du sport automobile. Sa défaite de 1988 augure-t-elle le grand toboggan du déclin ? Comme Fangio, Clark, Stewart avant lui, Prost a repoussé pendant des années l’inexorable érosion du temps. L’émergence de Senna tombe à point nommé pour régler la question : s’il est le meilleur des deux, il aura sa place au panthéon de la Formule 1. Prost perd déjà un an avec sa deuxième place de 1988. Une nouvelle défaite en 1989 contre le même Senna ne redorerait pas son blason à l’heure d’entrer au gotha des pilotes de grand calibre.

Le Français, en 1987, a fait venir le loup dans la bergerie en conseillant à l’écurie McLaren de recruter Ayrton Senna plutôt que Nelson Piquet. Ron Dennis préférait recruter Nelson Piquet mais la diva carioca a préféré quitter Williams pour Lotus, se refusant aux contraintes tournées promotionnelles de Marlboro. Mais ce que Prost n’avait compris, c’est qu’au temps des turbos, ce n’était pas Senna qui venait chez McLaren, mais plutôt lui qui allait chez Honda !

Gourmand financièrement et juridiquement, Senna n’a pas cédé devant le redoutable patron de Woking au moment de conserver son sponsor personnel sur sa combinaison de pilote : au grand dam de Ron Dennis, la banque Nacional figure donc sur la tenue d’Ayrton …

Mais le Pauliste remercie son employeur dès 1988 par 8 victoires, 13 pole positions et surtout ce titre mondial qui justifie pleinement ce recrutement. Le monde entier se consume d’impatience à l’idée de revoir la revanche du duel Prost / Senna, de revoir ces deux génies du volant croiser le fer de nouveau.

En 1989, le bras de fer avec Prost s’intensifie : l’usure du pouvoir n’est pas à l’agenda de 1989 ni pour Prost, ni pour Senna, malgré la razzia de l’année précédente (15 victoires en 16 courses, McLaren ratant le Grand Chelem à Monza dans une course gagnée par Ferrari en hommage au Commendatore décédé trois semaines plus tôt). Si l’année 1988 reste la madeleine de Proust de beaucoup d’aficionados de la F1, 1989 ne l’est pas, tant la tension va monter crescendo. McLaren se transforme en un volcan crachant du soufre tel un dragon expulsant du feu … L’éruption aura lieu au Japon, non pas au Mont Fuji mais à Suzuka …

Le quarantième Mondial, qui sera un quarantième rugissant, débute au Brésil, dans le fief de Senna … ou plutôt de Nelson Piquet, à Rio de Janeiro. Senna, qui étrenne le numéro 1 sur son capot, réussit la pole position à domicile. Il n’a jamais gagné sur ses terres, avec un seul podium réussi en 1986 à Jacarepagua derrière son ennemi juré et compatriote Piquet.

Cette cicatrice, loin de se refermer, va se rouvrir puisque Senna terminera à une anonyme onzième place de ce Grand Prix d’ouverture. Au premier virage, trois pilotes veulent forcer le passage : Ayrton Senna (McLaren Honda), Riccardo Patrese (Williams Renault) et Gerhard Berger (Ferrari). Plus sages et moins téméraires, Alain Prost (McLaren Honda) et surtout Nigel Mansell (Ferrari) vont tirer les marrons du feu sur la très exigeante piste carioca.

A Imola, deuxième manche de la saison, le drame va survenir … Conscient de l’implacable hégémonie de la MP4/5 sur ses rivales de Didcot et de Maranello, Senna sollicite un pacte de non-agression pour le premier tour du Grand Prix de Saint-Marin à son coéquipier Prost pour cette première course européenne. Un deuxième abandon contraindrait le Brésilien à une course-poursuite derrière le Français, comme en 1988. Devant John Hogan (responsable du marketing de Marlboro), Prost accepte ce deal. Autre témoin de la scène, le journaliste français Lionel Froissart, envoyé spécial de Libération, ne comprend pas la démarche d’Ayrton Senna.

L’homme au casque jaune, symbole universel reconnaissable comme le heaume noir de Dark Vador, est un attaquant instinctif. Pourquoi dès lors s’astreindre à une torture de 4 933 mètres sur l’autodrome Enzo e Dino Ferrari, derrière Alain Prost en cas de départ raté ?

Ce ne sera pas le cas, le Brésilien exploitant à merveille sa pole position. Mais un grain de sable vient tout remettre en cause … Au quatrième tour de course sur le circuit romagnol, Gerhard Berger sort dans le virage de Tamburello, ce même virage qui sera fatal à Senna lui-même un funeste dimanche 1er mai 1994.

La Ferrari du pilote autrichien s’embrase à la façon de celle de Niki Lauda en 1976 au Nürburgring. Mais Berger s’en sort bien mieux que son compatriote et aîné, il devra juste déclarer forfait pour le Grand Prix suivant, à Monaco.

Le drapeau rouge stoppant le Grand Prix est levé par la direction de course. Les fauves doivent rentrer en cage, pour une nouvelle grille de départ, un nouveau tour de formation et un nouveau « premier tour » … Le pacte de non-agression reprend ses droits, mais cette fois c’est Prost qui prend le meilleur élan et mène la meute. Sauf qu’à Tosa, Senna franchit le Rubicon, poussé par son ADN de pilote offensif. Chassez le naturel, il revient au galop, c’est bien connu ! Plus qu’un péché d’orgueil, c’est une véritable déclaration de guerre que le Brésilien vient d’envoyer à Prost, rompant lui-même une paix des braves qui n’était qu’un paravent ...

Senna s’envole ensuite vers une chevauchée fantastique, l’emportant à Imola avec une quarantaine de secondes d’avance sur Prost, qui se sent trahi, poignardé dans le dos tel Jules César par Brutus. Mais sur le podium, c’est le masque pour le Professeur, aussi impassible qu’un sphinx. L’explication de Senna, digne du concours Lépine de la langue de bois, n’est guère convaincante : Ayrton argue que le pacte n’était en vigueur que pour le premier départ, et non pour le deuxième … Déjà humilié par le Brésilien sur la piste dans les actes, le voilà ridiculisé sur le terrain des mots. Comme Gilles Villeneuve en 1982, Prost est trahi à Imola par son équipier. Mais le Français ne sait que trop bien comment a fini l’Histoire entre Villeneuve et Pironi : mal, très mal … Le Canadien est mort à Zolder deux semaines plus tard, et Didier Pironi s’est blessé à Hockenheim l’été suivant sous la pluie, voulant prouver qu’il était digne de ce titre hanté par le fantôme du funambule québécois. Le Français rejoindre l’acrobate dans l’autre monde en 1987 au large de l’île de Wight, sa femme mettant au monde deux jumeaux qui seront prénommés Didier et Gilles. Alors malgré les morsures de Senna, Alain Prost garde un calme olympien. La colère est mauvaise conseillère …

Mais le Français ne compte pas se laisser faire de ce coup bas, le second après Estoril 1988. Prenant à partie Ron Dennis, Prost exige des explications à Senna. Le triumvirat se parle sur le circuit gallois de Pembrey, lors d’une séance d’essais privés : poussé à bout, l’introverti Senna termine en pleurs. Par un inexplicable quiproquo, la teneur de cette conversation interne à McLaren termine dans les colonnes du journal L’Equipe, dans un article de Johnny Rives ! La partie immergée de l’iceberg est dévoilée au grand public : Ron Dennis est furieux envers Prost, qu’il venait de soutenir dans sa demande légitime … Mais la colère du patron de McLaren n’est rien comparé à la fureur d’Ayrton Senna.

Le courroux du pilote brésilien se déchaîne contre Prost qu’il condamne à un apartheid. Plus jamais il n’adressera la parole à son coéquipier français. A Monaco, les retrouvailles sont explosives. Les couteaux sont aiguisés en Principauté. Dans le labyrinthe monégasque, sur le Rocher, Senna a deux comptes à régler : le premier avec le dédale azuréen, où il avait dû renoncer en 1988 en tapant un rail au virage du Portier. Le second, avec Prost bien entendu, pour lui faire payer cash ce qu’il considère comme un crime de lèse-majesté.

Les deux figures de proue de la F1 se retrouvent donc sur le plus prestigieux circuit du calendrier pour en découdre façon western-spaghetti : on s’observe, on se guette en chiens de faïence, seul manque l’harmonica d’Ennio Morricone. Comme en 1988, Senna frappe fort en qualifications avant de s’envoler vers la victoire le dimanche. Le Brésilien enchaîne par une troisième victoire à Mexico, dressant la guillotine face à Prost qui se retrouve mené au championnat du monde : 27-20.

Pour ne pas boire la tasse, Prost doit réagir à Phoenix après ce blitzkrieg de sa Némésis : trois victoires de rang pour Senna en riposte à son zéro pointé carioca ... Mais le Français n’a pas oublié ce dîner à Genève avec un très haut responsable de Honda fin 1988 … On avait poliment expliqué au Professeur que sur l’autel de la victoire, il serait l’agneau sacrifié car la jeunesse et le charisme de Senna sont deux atouts incomparables pour Honda … Les Japonais veulent faire d’Ayrton la clé de voûte de leur communication. La popularité universelle de Senna en Asie, en Amérique du Sud et en Europe ouvrait des perspectives commerciales plus grandes pour Honda que l’aura de Prost, champion respecté mais pas autant admiré et encore moins adulé que l’icône brésilienne.

Le rayonnement de Senna est alors tellement grand sur la F1 que Prost est menacé d’extinction, d’autres victoires du Pauliste sonneraient le glas de ses espoirs pour la couronne mondiale 1989. Déjà le tocsin retentit ... Alors le Français abat une carte maîtresse et légitime, car il sent le sol se dérober sous ses pieds. Après sa cuisante défaite de Mexico, qui ressemble à un camouflet (Senna 1er / Prost 5e), le double champion du monde se plaint de ne pas disposer du même matériel que son coéquipier, en particulier sur la motorisation Honda … De nouveau, l’unité de l’écurie McLaren est brisé. Prost remet même en cause un des totems de Ron Dennis : l’équité de traitement entre ses pilotes … En remettant en cause l’omerta, le Français se coupe définitivement de son patron … Le schisme avec Senna était consommé depuis l’article de Johnny Rives entre Pembrey et Monaco, celui avec Ron Dennis se concrétise du fait de cette stratégie digne du cuirassé Potemkine : le mutin Alain Prost, bien qu’ayant raison sur le fond, a tort sur la forme. Au lieu de traiter le problème en interne, Prost renvoie le prisme du mauvais perdant à une F1 de plus en plus cathodique. Sept ans après, le Français n’a pas appris de l’insulte du pompiste. Écœuré par la victoire de René Arnoux en 1982 au Castellet malgré la promesse de Gérard Larrousse de lui permettre de recoller au Mondial derrière l’intouchable Pironi, Alain Prost avait rejoint Saint-Chamond déçu du gâchis orchestré par le management de l’écurie Renault. Sur le chemin du Forez, Alain Prost avait pris de l’essence. Le pompiste l’avait confondu avec son coéquipier grenoblois : Vous avez eu raison, Monsieur Arnoux ! Ce Prost, quel petit con !

Ron Dennis et Osamu Goto démentent officiellement, mais Prost tient bon. A Phoenix, il l’emporte tandis que Senna va voir le succès devenir utopique pour lui pendant quatre courses … Au Canada, le Brésilien frôle le succès sous la pluie québécoise. Mais il est trahi par son moteur à trois tours de l’arrivée. Comme Prost, Senna rentre bredouille de Montréal. La baraka de Senna est bel et bien finie en ce début d’été 1989, place à une scoumoune dont il va avoir un mal fou à se défaire, tel le sparadrap du capitaine Haddock.

En France, où Prost signe une nouvelle pole position après celle réussie dans la Belle-Province, Senna fait encore fausse route. Dans son jardin du Paul-Ricard, sur le billard du Castellet, Alain Prost réussit un cavalier seul. Il en profite pour annoncer qu’il quittera McLaren Honda fin 1989. Personne ne sait encore pour quel nouvel horizon : année sabbatique ? retraite ? passage en endurance ? transfert chez Ferrari ou chez Williams Renault ? lancement de sa propre écurie ? Personne n’est encore capable de miser un kopeck sur le scénario final, mais l’idylle avec Woking, elle, est bien terminée après les grandes années 1984-1985-1986. Deux crocodiles dans un marigot, c’est un de trop et Prost choisit de partir. Senna, lui, jubile en secret. Il a réussi à devenir le leader moral de l’écurie, et le sera officiellement fin 1989 quand le départ du Français sera effectif.

Une semaine plus tard, à Silverstone, Senna se fait piéger par sa boîte de vitesses, offrant un cadeau à Prost sur l’ancien aérodrome de la Royal Air Force : 47-27, Prost s’envole au Mondial, seul sur son Aventin.

Bien qu’ultra-dominateur en vitesse pure, Senna n’a pas complètement retenu la leçon de 1988. Dans la jungle darwinienne de la F1, il faut savoir piloter en épicier pour mieux porter ses banderilles puis l’estocade. Après quatre courses sans points, la Roche Tarpéienne est plus proche que jamais du Capitole pour Senna.

A Hockenheim, le Brésilien est dos au mur. Soit il chausse ses bottes de sept lieues et peut encore espérer conserver son trône, soit il devra remettre ses desseins de gloire à 1990. Le scénario peut sembler ubuesque car Senna est roi dans le garage de Woking, mais c’est bien le dauphin Prost qui domine outrageusement aux points …

Sur le tracé allemand, le duel est sublime. Prost n’est pas loin de s’offrir une troisième victoire consécutive alors que Senna le poursuit en conduisant au paroxysme de la rage, mais sa boîte de vitesses le trahit … Le stadium, à trois boucles du terme, voit émerger la McLaren frappée du numéro 1. Après deux mois de disette, Senna renoue avec le succès. Peu vigilant dans le trafic (pourtant un de ses points forts), le Brésilien est piégé par Nigel Mansell à Budapest. Revenu du diable vauvert sur le tourniquet magyar, le pilote anglais de Ferrari prive Senna de points précieux en Hongrie. Quatrième sur le Hungaroring, Prost engrange les points.

En Belgique, la classe pure parle sur le toboggan des Ardennes. Le circuit de Spa Francorchamps, comme disait Dan Gurney, sépare les hommes des petits garçons, le bon grain de l’ivraie. Il n’est donc guère surprenant de voir les trois meilleurs pilotes du plateau sur les trois marches du podium wallon. Noyé sous une pluie violente, Spa a couronné la virtuosité d’Ayrton Senna.

A Monza, le secret de polichinelle n’en est plus un malgré les précautions de Cesare Fiorio et d’Alain Prost, qui ont négocié durant l’été sur un voilier en Sardaigne, sans avocats. Le Français relève le défi Ferrari pour 1990. Ron Dennis et Ayrton Senna hurlent à la trahison mais Prost n’en a cure. Une fois de plus, il doit puiser dans ses ressources psychologiques pour se hisser au niveau de l’enjeu, tant l’écart de traitement est criant. Sur l’autodrome lombard, les différences de vitesse de pointe entre Senna et Prost prouvent bien aux observateurs que Woking met désormais ses œufs dans le même panier. Mais Senna, la nouvelle poule aux œufs d’or, ne dispose pas de l’œuf de Fabergé de la sagesse.

Pour avoir mal surveillé son nouveau d’huile, Senna gâche une pole position d’anthologie. Le samedi, il avait explosé d’une seconde le chrono réussi le vendredi par Gerhard Berger, pourtant jugé par tous imbattable. Le dimanche, l’archange brésilien renoue avec ses démons. Il n’y aura pas d’été indien pour Senna. L’hallali est proche, avec ce nouvel abandon. Prost, qui n’en demandait pas tant, triomphe devant les tifosi. Et après Pembrey et Mexico, le Français jette une troisième pierre dans le jardin de Ron Dennis … Par contrat, le patron de McLaren exige de récupérer tous les trophées glanés par ses pilotes. Cet homme exigeant, passionné de microscopes, est un fétichiste qui se félicite de voir à Woking tout le métal accumulé par ses pilotes … Arrivé en 1980, ancien mécanicien ayant débuté en 1966 chez Cooper Climax, Ron Dennis a nettoyé les écuries d’Augias laissés par Teddy Mayer, et s’est donc placé dans une position où il pouvait contractuellement exiger beaucoup de ses pilotes étant pendant dix ans (1984-1993) la meilleure écurie en F1, devant Williams et Ferrari. Mais en ce dimanche 9 septembre 1989, Prost est grisé par l’euphorie italienne de Monza … Et la coupe du vainqueur part dans la foule lombarde venue acclamer les héros sur le podium. Jamais Ron Dennis ne retrouvera ce trophée du Grand Prix d’Italie 1989, comme une exception à sa propre règle.

En représailles, Prost boira le calice jusqu’à la lie, et Monza 1989 sera pour lui une victoire à la Pyrrhus. Désormais, McLaren et Honda ne se cachent plus. Dans le paddock, les journalistes peuvent voir ostensiblement des piles de pneus marquées Specified for Senna dans le garage du Brésilien ! Mais Ayrton, maudit en cette année 1989, s’accroche avec Nigel Mansell à Estoril. Les deux pilotes sont en tort. L’Anglais, frappé d’un drapeau noir pour non respect de son ravitaillement, n’obtempère pas et reste en piste contre tout bon sens … Le Brésilien, lui, s’entête à ne pas se laisser dépasser par un pilote qui a été mis hors course. Mis KO par Mansell alors que Prost capitalise par un nouvel accessit derrière Gerhard Berger, Ayrton Senna est désormais au bord du précipice dans son ascension de l’Everest : il lui faut gagner à Jerez, Suzuka et Adelaïde. Le money time est lancé …

En Andalousie, Prost vise la troisième place derrière Senna et Berger afin d’accentuer la pression. Le Brésilien devance l’Autrichien et le Français à Jerez avant que le chapiteau de la F1 ne parte au Japon, au pays de Honda. A Suzuka, loin de pousser son rocher à la façon de Sisyphe, Prost se rebelle, galvanisé par l’enjeu. Il signe tout d’abord une superbe deuxième place sur la grille avant de mener en grandes pompes le Grand Prix du Japon.

Les tribunes de Suzuka retiennent leur souffle. C’est l’acmé de cette saison 1989, le grand moment de bravoure entre Prost et Senna. Au 47e tour de course, à six boucles du terme, le Brésilien lance un dépassement kamikaze sur le leader français … Prost avait prévenu qu’il fermerait la porte, et sans bluffer, ne laisse effectivement pas la place à Senna à la chicane Casio !

Dégrafant son casque, Prost quitte cette navrante comédie, exténué par cette saison faite de polémiques, de guêpiers et de coups bas. Senna, lui, ne renonce pas à son rêve. Il demande assistance aux commissaires et repart en coupant la chicane. Très vite, le phénomène brésilien fond comme neige au soleil sur la Benetton Ford d’Alessandro Nannini. L’Italien avait profité de l’accrochage pour prendre les rênes de la course. Mais avec l’autorité d’un taulier, le Pauliste reprend le leadership à Suzuka et coupe le drapeau à damier, repoussant l’épilogue de ce championnat hitchcockien à Adelaïde, en Australie.

Sauf qu’Ayrton Senna est disqualifié de sa première place à Suzuka, qui va bientôt devenir l’épicentre du séisme. Jean-Marie Balestre et la FIA ne reprochent pas à Senna d’avoir été aidé par les commissaires mais d’avoir court-circuit la chicane Casio à son redémarrage. L’homme au casque jaune enrage de perdre sa couronne sur tapis vert, ne pouvant la défendre bec et ongles jusqu’au bout. Il espérait qu’Adelaïde serait le juge de paix de ce quarantième Mondial. Il n’en sera rien, et la course australienne, inondée par une pluie diluvienne, va finir en queue de poisson pour tout le monde alors que Bernie Ecclestone refuse d’annuler le Grand Prix pour d’évidentes raisons commerciales : pour son ultime course avec McLaren, Prost jette l’éponge à l’issue du premier tour, permettant à son écurie de toucher la prime de départ. En recherche d’un exploit majuscule pour passer un peu de pommade sur cette plaie grande ouverte, Senna illumine la course de ces fulgurances. Sous la pluie, l’artiste est lancé dans un numéro de soliste aux airs de requiem. Mais la lucidité lui manque, et la partition se tâche d’une fausse note, Senna percutant Martin Brundle. Pour la première fois depuis le 3 juin 1984 à Monaco, le voilà vaincu par les éléments. Le numéro 1 parti à Maranello dans les valises de Prost, Senna peut laisser éclater sa rage aux yeux de tous. Le champion du monde déchu crache son venin sur Jean-Marie Balestre, accusant le président de la FIA d’être descendu de sa tour d’ivoire en toute partialité : Français comme Prost, Balestre aurait influencé le jury du Grand Prix du Japon …

Furieux, le chef de l’instance suprême du sport automobile exige des excuses publiques de la part d’Ayrton Senna. Mais ce dernier, blessé dans son orgueil, est reparti dans son Brésil natal. Dans son paradis d’Angra dos Reis, Senna se ressource sous le soleil. Les excuses attendues par Balestre ne parviennent pas, et Senna envisage même une retraite anticipée. A 29 ans, nanti d’un titre mondial et de 20 succès en Grands Prix, Ayrton a pourtant encore beaucoup à offrir au sport automobile. Mais la blessure est trop vivace …

Le 16 février 1990, la sentence tombe … Le nom de Senna ne figure pas sur les engagés du 41E Mondial, et voilà le prodige sud-américain menacé de perdre sa super-licence. Sous la pression de Ron Dennis, Senna faxe ses excuses à Balestre même s’il n’en pense pas un mot … L’hiver brésilien lui a permis de digérer en partie la déception, et de comprendre que sa vie était bien fade sans Formule 1, son pain quotidien. La raison reprend le dessus et chacun ravale sa fierté. En 1990, Ayrton n’a pas encore créé cette fondation que sa sœur aînée Viviane développera après sa mort, afin de compenser les immenses inégalités qui ravagent le Brésil. En 1990, Senna fête tout juste son trentième anniversaire, cette retraite soudaine est un coup de tête, pas l’aboutissement d’un long processus d’essoufflement psychologique. C’est l’écorché vif qui a parlé à l’automne 1989 à Suzuka et à Adelaïde, à chaud, atteint en plein cœur. Mais le cœur et la raison font rarement bon ménage. Et une fois la saison des feuilles mortes passée, et de longues réflexions non pas au coin du feu mais sur son jet-ski sur le littoral atlantique à Angra dos Reis, Senna va revenir dans la fosse aux lions. Comme en 1981-1982, l’appel de la course sera le plus fort. Il a ça en lui, dans la peau, dans son sang, ses veines et ses tripes. Il tient au sport automobile comme à la prunelle de ses yeux. L’homme blessé a parlé à la place du champion, mais c’est ce dernier qui va l’emporter au final. Le sourire a disparu du visage mais la froide détermination de la vengeance est là. Comme Edmond Dantès dans le Comte du Monte-Cristo ou le trader Alexandre dans la bande dessinée Dantès inspirée du roman d’Alexandre Dumas ou encore le docteur Septimus dans la Marque Jaune, Senna va se venger de ceux qui lui ont pris son honneur et son titre : non pas le comte de Morcerf et le procureur Villefort, mais Jean-Marie Balestre et Alain Prost. Sa prison ce n’est pas le Château d’If mais Angra dos Reis, plus luxueuse et bien plus ensoleillée. Son trésor ce n’est pas le gigantesque coffre de pierres précieuses trouvées par Dantès sur cette île proche de l’île d’Elbe, mais cette redoutable MP4/5B qui n’attend que son coup de volant pour se lancer à la conquête d’un nouveau titre mondial. Son mentor, ce n’est pas l’abbé Faria mais Ron Dennis, qui saura trouver les mots pour motiver son pilote vedette pour revenir chez McLaren après cet hiver loin du bruit des moteurs … Senna a compris que la plus belle réponse qu’il avait offrir était sur la piste, et non par avocats ou attachés de presse interposés … Le gamin capricieux et nombriliste des années Toleman et Lotus est devenu un homme, au-delà du champion. L’animal est blessé, plus redoutable que jamais … Ce qui ne tue pas rend plus fort, disait Nietzche. Les saisons 1990 et 1991 de Senna vont illustrer à merveille cet adage. Non seulement il éclipse son nouvel équipier Gerhard Berger chez McLaren Honda, mais le Brésilien va gravir à une vitesse foudroyante les marches le menant vers la gloire. Le martyr devenu héros va se muer en légende, telle une métempsycose et une rédemption vers un destin à écrire en lettres d’or. Le fakir de la F1, qui serait capable de dormi sur un lit de clous si cela lui faisait gagner quelques centièmes de seconde, va se venger du grand vizir, Jean-Marie Balestre … Ce dernier a lancé un boomerang fin 1989 entre le Japon et l’Australie, il lui reviendra en pleine face au pays du Soleil Levant, après une année de révolution autour du monde … A la différence de la flamme olympique, ce boomerang est invisible. Personne ne le voit, sauf Senna, qui attend son heure …

Quant à la déclaration du président de Ferrari, Piero Fusaro, à l’orée de la saison 1990, Ayrton Senna va y apporter une réponse cinglante, prouvant encore une fois qu’il est bien le pilote le plus complet de sa génération : Avec Mansell et Prost, nous disposons des deux meilleurs pilotes du monde en vitesse, en expérience et en mise au point.

A Phoenix le 11 mars 1990, si Gerhard Berger se hisse en pole position, c’est bien Ayrton Senna qui sort grand vainqueur du Grand Prix des Etats-Unis, avec ce numéro 27 qui s’apparente à celui d’un paria … Le phénix renaît en Arizona à Phoenix, ville au nom prédestiné. Comme à Detroit ou Monaco, Senna est comme un poisson dans l’eau sur un tracé urbain, entre les rails, là où sa sensibilité du pilotage s’exprime le mieux. Non, Adelaïde 1989 ne sera pas son chant du cygne, le héros brésilien reprend sa place comme fer de lance de l’écurie McLaren Honda. Deux semaines plus tard, à Interlagos près de Sao Paulo, Alain Prost lui répond par une victoire dans son antre. Mais comme Jean-Marie Balestre avant la course, le Français est copieusement sifflé par les tribunes de l’autodrome José Carlos Pace.

Pour la troisième année consécutive, le titre mondial se joue à Suzuka. Mais cette fois, à l’inverse de 1989, Prost est le chasseur, et Senna la proie. Le chassé prend la parole au briefing des pilotes, voulant convaincre l’aréopage des pilotes ainsi que le fourbe Balestre de placer la pole sur la trajectoire. Mais refusant de faire son aggiornamento face à ce pilote surdoué qu’il juge comme un blanc-bec rebelle, Balestre s’entête à laisser l’emplacement du poleman sur la partie sale de la piste de Suzuka, ce qui compromettra les chances du pilote en question de mener le Grand Prix du Japon après le premier virage ... Le porte-étendard de McLaren Honda avait réclamé à juste titre de déplacer la pole position sur le bon côté de la piste, demande refusée. A fleur de peau, Senna claque la porte au briefing des pilotes, car Nelson Piquet porte le coup de grâce. Le Carioca, son compatriote honni du prodige pauliste, a réclamé de pouvoir court-circuiter la chicane en cas de difficulté, et cette simple évocation de 1989 l'ulcère. Le sujet, pour lui, c'est le déplacement de la pole position dont on ne parle plus. La coupe est pleine.

Ce très attendu Grand Prix du Japon 1990 verra son intérêt torpillé en dix secondes après le départ, le Mondial se finissant dans un nuage de poussière synonyme de loi du talion appliqué par Senna contre Prost. C’est l’épilogue d’une saison débutée par l’ultimatum de Jean-Marie Balestre vers Ayrton Senna menaçant de lui retirer sa super-licence. Face à cette épée de Damoclès, le surdoué de Sao Paulo avait publié des excuses publiques le 16 février 1990. Lauréat à Phoenix en début de saison, Senna refuse de serrer la main de Prost, chose qui sera faite à Monza dans l’hypocrisie la plus totale sur l’initiative du journaliste italien Carlo Marincovich (La Repubblica). Trahi par son coéquipier Nigel Mansell (Ferrari) à Estoril, Alain Prost devance Ayrton Senna au départ à Suzuka, profitant d’une deuxième place situé sur le bon côté de la trajectoire, avec plus d’adhérence que du côté de la pole position conquise par le Brésilien.

Sans jouer les Cassandre, il était cousu de fil blanc que la réconciliation de pacotille de Monza allait être un feu de paille. La conférence de presse d’Estoril en sonne déjà le tocsin, Senna se délectant des malheurs de Prost trahi par Mansell au premier tour du Grand Prix du Portugal. Ferrari est proche de l’implosion, le pompier Fiorio devant éteindre en catastrophe l’incendie que le pyromane Mansell a allumé sous ses yeux. Tel Ponce Pilate, Fiorio n’a pas voulu se salir les mains, mais Mansell ne voulait pas finir 1990 bredouille face au triple champion du monde. L’honneur du pilote anglais, touché dans son orgueil par les exploits à répétition de Prost dans sa combinaison écarlate, a justifié ce coup de Jarnac d’Estoril qui complique encore la tâche de Prost face à Senna.

Vainqueur à Jerez devant Mansell, Prost se donne un sursis jusqu’au Grand Prix du Japon. A Suzuka en octobre 1990, les mots de Monza font place aux actes. Les sabres remplacent les plumes et les micros. Senna applique sans vergogne la loi du talion après que la FIA lui ait stupidement refusé d’exploiter sa pole position sur le côté sale de la piste. Comme en 1989, son dauphin sur la grille a pour nom Alain Prost. Comme en 1989, le Français passe en tête au premier virage. Mais tel un diable sortant ses fourches caudines, Senna joue au bowling avec la Ferrari de Prost. Le strike est parfait, le championnat se finit dans un nuage de poussière au premier virage de Suzuka. La couronne mondiale revient chez Ayrton Senna, docteur Jekyll et Mister Hyde, ange et démon qui n’a pas digéré le cruel épilogue de 1989. Un seul sentiment coulait dans les veines de Senna en 1990, la vengeance, mot qu’il n’a bien sûr pas prononcé devant l’auditoire de Monza suspendu à ses paroles comme si l’Evangile allait connaître deux nouveaux chapitres inédits, selon Alain et selon Ayrton, ce dernier plaçant le Golgotha de son compère au premier virage d’un circuit de Nagoya, Suzuka. Plus qu’un mensonge par omission, c’est un cheval de Troie que Senna a dissimulé bien volontairement à tout le monde avant le moment de vérité. Le désir de revanche a été le plus fort, plus fort que l’esprit sportif ce jour là à Suzuka, loin du temps révolu des gentlemen drivers, Jim Clark, Tazio Nuvolari, Bernd Rosemeyer, Peter Collins, Mike Hawthorn ou encore Graham Hill devant se retourner dans leur tombe. Pour certains, la F1 tombait de Charybde en Scylla, perdant ce supplément d’âme, ce zeste unique qui fait son charme … Loin de lui jeter l’opprobre, le grand public pardonne au Brésilien, personnage mystique au magnétisme incomparable.

Un an plus tard, en octobre 1991, toujours à Suzuka, Senna ouvre la boîte de Pandore après avoir conquis son troisième titre, libérant les démons qui le hantent depuis deux ans, avec des trémolos dans la voix trahissant l’incroyable tension accumulée depuis tant de temps … C’est le grand déballage, les masques tombent façon carnaval de Venise, et Ayrton se libère enfin du poids qu’il porte seul sur ses épaules depuis Suzuka 1990. Oui, il avait prémédité son acte envers Prost, mais c’est Balestre qu’il visait depuis Suzuka 1989, le Français ayant été remplacé en ce début d’automne 1991 par Max Mosley à la tête du pouvoir sportif … Ne manquant pas une occasion de faire rire l’assistance, son coéquipier Gerhard Berger avait lancé devant les journalistes : Tu ne devrais pas raconter tout cela ! Et si Balestre revenait la saison prochaine ?

Si Ayrton Senna avait quitté la scène fin 1989, sa place dans l’Histoire de la F1 ne serait pas la même. Il ne serait qu’une étoile parmi d’autres, et non l’inséparable alter ego de Fangio, Clark et Schumacher à l’heure de débattre du plus grand pilote de tous les temps. Si Senna avait cédé à la tentation de Venise fin 1989, il nous aurait privé de purs chefs d’œuvre qui l’auréolent d’une gloire éternelle dans la grande galerie des mythes de la F1. Suzuka 1988 serait resté sa plus grande victoire, ensuite dépassée par deux sommets de brio inégalable où le Brésilien porta au pinacle son art du pilotage.

A Interlagos en mars 1991, où le rêve d’enfant de Senna, le complexe d’Œdipe du triomphe sur le sol chéri du Brésil trouve enfin sa concrétisation … Harcelé par Riccardo Patrese alors que les gouttes de pluie transforment Interlagos en une patinoire traîtresse, privé de plusieurs vitesses sur la boîte de sa McLaren MP4/6, martyrisé dans son cockpit par un harnais trop serré, le Brésilien se transforme en OVNI l’espace de trois tours … La rage chevillée au corps, il devient la propre monture de sa McLaren Honda afin de l’amener jusqu’à la ligne d’arrivée … Magic devient une sorte d’Hercule imperméable à la souffrance, au venin de l’Hydre de Lerne décoché par cette tunique de Nessus qu’est la position du chassé. Ayrton refuse la défaite, il ne veut pas reporter à 1992 la perspective d’un triomphe devant ses frères de sang brésiliens. La Williams Renault de Patrese ne reviendra jamais, tant Senna est allé loin dans la douleur et l’effort malgré le confort spartiate de son cockpit pour gagner devant les siens, et cette foule qui scandait : A chuva, a chuva, attendant la pluie comme un miracle … Plus que jamais, Ayrton a mérité de hisser l’oriflamme brésilien sur podium. Exténué sur son trône aux côtés de Riccardo Patrese et Gerhard Berger, Senna est le héros de tout un peuple, la fierté de tout un pays. Au firmament du sport national, seul le roi Pelé semble avoir plus rayonné que lui dans les grands soleils sportifs du Brésil. A l’heure où la Seleçao accumule les échecs en Coupe du Monde (contre l’Italie en 1982, la France en 1986 puis l’Argentine en 1990), Senna est le seul à élever au zénith les couleurs auriverde à la face du monde. L’ancienne colonie portugaise domine la F1 depuis 1972 : Fittipaldi d’abord, Piquet ensuite, Senna enfin et surtout ...

Après Interlagos 1991, le pilote 2.0 montera encore plus haut le 11 avril 1993, à Donington Park, comme si la lampe d’Aladdin avait libéré un génie pour répondre aux vœux de Max Mosley et Bernie Ecclestone. Le championnat du monde, orphelin de son tenant du titre Nigel Mansell, est promis à Alain Prost. Favori suprême de ce Mondial 1993, Prost voit l’effet underdog lui jouer un mauvais tour à Interlagos et Donington, où Ayrton Senna quitte à chaque fois les circuits en leader du championnat. Le suspense est si inexistant sur le papier qu’Ecclestone avait sorti de son chapeau une idée totalement absurde pour ne pas dire ubuesque : lester les F1 de 500 grammes par point inscrit en 1992 au championnat constructeurs, autrement dit 82 kg pour Williams, 49.5 kg pour McLaren, 45.5 kg pour Benetton, 10.5 kg pour la Scuderia Ferrari et ainsi de suite ... C’est dire si le grand argentier de la F1 est désespéré de l’insolente domination de Williams Renault sur le reste du plateau. Avec Adrian Newey, Patrick Head et Bernard Dudot, l’écurie de Frank Williams possède quasiment les meilleurs partout, sauf chez les pilotes où Senna défend fièrement l’honneur de McLaren contre un Alain Prost revenu dix ans plus tard dans le giron du Losange ... Les vannes célestes se sont abattues sur le Leicestershire en ce 11 avril 1993. D’une point de vue technique, jamais Senna n’aura aussi bien piloté un bolide de F1 qu’en ce dimanche de Pâques, ensorcelant un jeune métis de 8 ans captivé devant sa télévision tel un oiseau paralysé par un serpent : Lewis Hamilton. Si la pression était plus forte en 1988 à Suzuka, si le destin était contraire en 1991 à Interlagos, la maestria est totale à Donington pour ce miracle pascal où Magic justifie plus que jamais son surnom en voltigeant sur les eaux de la Perfide Albion. Comme Moïse avait séparé les eaux de la Mer Rouge, comme un cosmonaute en apesanteur ou un hydroglisseur sorti tout droit d’un gadget de film de James Bond, Ayrton Senna semble aller aussi vite qu’en slicks sur une piste détrempée, laissant les miettes de son festin à une meute de loups garou aussi inoffensifs qu’à une pleine lune tombante. Crucifié le vendredi sur le sec par les Williams, enterré le samedi par les fusées, Senna ressuscite le dimanche à la façon de Jésus. Les voleurs et autres Barabbas vont payer face à ce 007 qui a hérité le permis de tuer sous la pluie, comme Rudolf Caracciola, Jim Clark ou Jacky Ickx avant lui. Adoubé deux semaines plus tôt par la maestro argentin Juan Manuel Fangio à Interlagos, Senna sait que son destin est de devenir le plus grand pilote de tous les temps, telle une odyssée de légende vivante. Mais ses plans sont contrecarrés par le contrat de deux ans signé par Prost pour 1993-1994 avec Didcot : le Français a un boulevard pour égaler les cinq titres mondiaux de Fangio à horizon 1994. Au mieux, Senna devrait alors attendre 1996 pour rejoindre les étoiles Fangio et Prost sur les cimes de l’Histoire. Le veto irrévocable de Prost de le laisser piloter à ses côtés chez Williams Renault en 1993 va condamner le Français à l’humiliation suprême lors de cette troisième manche du championnat. Pigiste de luxe, Senna facture un million de dollars ses prestations de luxe à McLaren Ford, après avoir failli rejoindre son idole de jeunesse Emerson Fittipaldi en Indy. Fitti avait même fait tester une Penske à Senna en décembre 1992 sur le circuit de Firebird. Senna reste finalement en F1 mais entame des négociations d’une rare âpreté avec le patron de Woking. Mais ce jour là à Donington, Ron Dennis va en avoir pour son argent, et même bien plus encore, preuve en est la haie d’honneur des mécaniciens de Woking à l’arrivée pour saluer le coup d’éclat du Brésilien, au faîte de sa gloire avec ce 38e succès en F1, un millésime exceptionnel, une cuvée VIP du maître. Car si le moteur Ford Zetec qui propulse sa McLaren est d’une faiblesse létale comparée au V10 Renault des Williams, le châssis de sa MP4/8 est un petit bijou aérodynamique. Et Senna va montrer à tous que le pilotage sur piste humide reste son violon d’Ingres … Au premier tour de ce Grand Prix d’Europe 1993, surréaliste, Magic sort le grand jeu, le très grand jeu : qualifié 4e derrière Prost, Damon Hill et Michael Schumacher, il se retrouve 5e au premier virage, dépassé également par la Sauber Ilmor du jeune espoir autrichien Karl Wendlinger. La foudre de Jupiter va frapper, et Senna atomiser la concurrence médusée par tant de talent … Surclassant Schumacher, Senna se joue ensuite de Karl Wendlinger. Les deux anciens complices de F3 allemande (1989) et du Junior Team Mercedes (1990-1991) n’opposent guère de résistance au dragster de Sao Paulo, qui s’est fondu dans la nitroglycérine pour mieux écraser ses adversaires à coup de dépassements fulgurants : pas de manœuvre à la testostérone mais une telle supériorité instantanée pour Senna qu’il est impossible aux deux jeunes loups germanophones de fermer la porte à moins de provoquer un accrochage stupide avec l’épouvantail brésilien. C’est ensuite au tour de Damon Hill d’être dépassé par Ayrton Senna, et ce tour de magie bascule dans l’irrationnel. Les chevaux de la Williams semblent patiner sur la piscine de Donington là où la McLaren colle au bitume comme les chevaux d’un manège. Avant la fin du premier tour, le festival continue avec le scalp d’Alain Prost, pour un feu d’artifice grandiose. Quatrième à l’extinction des feux, cinquième au premier virage, Senna avait un plan clair : couper la ligne du premier tour en tête pour prendre le maximum d’avance pour ne pas hypothéquer sa course. Il sait trop bien que sur le sec, il ne pourra pas tenir la dragée haute aux Williams Renault. Appliquant le plan à la lettre, Senna prouve une fois de plus que la pluie est sa chasse gardée, son deuxième bastion après Monaco. Réglée avec un maximum d’appui et des pneus pluie, la McLaren Ford MP4/8 d’Ayrton Senna lui permet ensuite de s’envoler après ce premier tour marqué au fer rouge du talent exceptionnel du Pauliste. La suite du Grand Prix d’Europe sera une promenade de santé, personne ne pouvant approcher des temps réussis par le Brésilien sur le circuit anglais. L’habileté diabolique de Senna lui permettra de repousser à un tour l’ensemble de la meute, exception faite de Damon Hill, qui échappe de peu à ce camouflet : 1’23’’ de retard sur le grand vainqueur du jour, véritable alchimiste dans des conditions précaires d’adhérence … Fred Astaire chantait sous la pluie, Ayrton Senna, lui, danse et se joue de ses rivaux, éparpillé façon puzzle, surfant sur sa supériorité instantanée sans pour autant lambiner en chemin par la suite. Démarré sur les chapeaux de roue, ce Grand Prix d’Europe est bouclé en trombe par le diable de Sao Paulo. Le Brésilien a humilié un peloton laminé par son état de grâce pascal. Veni, Vidi, Vici

Le dimanche 24 mars 1991 comme le dimanche 11 avril 1993, Ayrton Senna da Silva était à son apogée, en totale osmose avec son bolide avec qui il ne faisait plus qu’un. Sans l’hiver régénérateur d’Angra dos Reis en 1989-1990, le monde n’aurait pas vécu de telles émotions devant sa télévision en voyant Senna étaler une maestria éblouissante, jusqu’au climax de Donington 1993. Quelques mois plus tard, Senna et Prost font la paix au pays des kangourous. Le boomerang de Balestre est définitivement enterré, mais le spectre de Tamburello, celui qui avait déclenché en avril 1989 le premier séisme entre les deux plaques tectoniques Prost et Senna, va ressurgir le 1er mai 1994 à Imola : l’as des as n’était plus, montant au ciel à la plus grande détresse de tous. Près de cinq ans après l’hiver régénérateur d’Angra dos Reis, l’archange ne reviendrait pas, expirant à l’hôpital de Bologne qui verrait dix ans plus tard un autre champion mythique rejoindre l’autre monde : Marco Pantani, autre génie qui s’était battu contre l’injustice de son vivant.


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1 réactions à cet article    


  • Axel_Borg Axel_Borg 3 octobre 2018 10:48

    Si Ayrton Senna n’avait pas poursuivi sa carrier après 1989, son palmarès serait seulement de 1 titre mondial (1988), 20 victoires (6 avec Lotus et 14 avec McLaren) et 42 pole positions.

    Loin des 3 titres, 41 victoires et 65 poles obtenus au final par le prodige de Sao Paulo.

    Mais l’important est ailleurs, car c’est en 1990-1991 que Senna deviant définitivement le mètre etalon de la F1, avec des courses d’anthologie dans la lignée de Monaco 84, Estoril 85, Silverstone 88 ou encore Suzuka 88 : d’abord Phoenix 1990 pour signer son retour, Interlagos 1991 à domicile, et enfin Donington Park 1993, sans doute la plus belle de toutes ses victoires.

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