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Accueil du site > Culture & Loisirs > Sports > 1999, Giro, Tour et Vuelta, Pantani, Armstrong et Ullrich au top … (...)

1999, Giro, Tour et Vuelta, Pantani, Armstrong et Ullrich au top … mais pas simultanément !

En 1999, Marco Pantani atteint son climax avant de voir sa carrière ruinée par son exclusion du Giro. A Madonna di Campiglio, le Pirate passe du Capitole à la Roche Tarpéienne, et descendra aux enfers jusqu’à son décès en 2004. Sur le Tour de France, vendu Tour du Renouveau par Jean-Marie Leblanc et A.S.O., le rescapé du cancer Lance Armstrong écrit un come-back fracassant un peu trop hollywoodien au goût de médias devenu suspicieux en plein contrecoup du scandale Festina de 1998 …Jan Ullrich, lui, écrase la Vuelta 1999 plus encore qu’il avait dominé la Grande Boucle en 1997, donnant ainsi l’espoir d’un duel avec l’Américain pour l’an 2000, arbitré par Marco Pantani en cas d’éventuel come-back …

La colline de Tididabo surplombe la ville de Barcelone. Le nom vient du latin Tibidabo, Je te donnerai, en référence à la tentation de Jésus par le Diable  : Je te donnerai toutes ces choses, si tu te prosternes et m'adores. (Evangile de Saint-Matthieu).

Tel est le cyclisme en 1998, ébranlé par un séisme sans précédent qui a mis fin provisoirement à l’omerta. L’horloge de l’Armageddon est plus proche que jamais de minuit, l’hypocentre était à Dronckaert, lieu où la voiture de Willy Voêt a été saisie par les douanes à la frontière franco-belge, l’épicentre à Dublin, ville départ de la 85e Grande Boucle.

Etrangement, d’un point de vue sportif, ce Tour de France restera comme une madeleine de Proust pour beaucoup, avec le panache de Marco Pantani dans les Pyrénées, au Plateau de Beille, mais surtout dans les Alpes, au col du Galibier puis sous la pluie des Deux-Alpes, le genre d’étape à l’impact indélébile dont on reparle des années après avec des trémolos dans la voix, comme pour Avignon (1955), Aix-les-Bains (1958), le Puy-de-Dôme (1964), Orcières-Merlette (1971), Pra-Loup (1975), Paris (1989), Val Louron (1991) ou les Arcs (1996). Faisant céder le tenant du titre allemand Jan Ullrich, l’escaladeur virtuose ressuscite le mythe des grands grimpeurs du passé : Gino Bartali, Fausto Coppi, Charly Gaul, Federico Bahamontes ou encore Lucien Van Impe. Qu’on lui donne les clés de la ville, avait écrit Antoine Blondin au sujet de Louison Bobet, héroïque dans son maillot irisé sur les pentes rocailleuses du Mont Ventoux en 1955 sur la route d’Avignon. En 1998, Marco Pantani, pour sa chevauchée fantastique entre le Galibier et la petite sœur de l’Alpe d’Huez, mérite également tous les éloges …

Aux Deux-Alpes, l’offensive de grande ampleur de Marco Pantani est la banderille de trop pour l’ogre de Rostock, pour qui le maillot jaune se transforme en tunique de Nessus et l’eau de pluie, très froide, en venin de l’Hydre de Lerne. Déjà victime de l’usure du pouvoir, l’épouvantail Jan Ullrich perd 9 minutes dans ce Golgotha pluvieux des Deux-Alpes, tandis que son rival italien conquiert son Graal. L’Allemand réagit avec orgueil le lendemain sur la route d’Albertville, mais le seul espoir qui lui reste est de finir dauphin du Pirate italien, qui succède à Felice Gimondi, dernier coureur transalpin à ramener le maillot jaune à Paris en 1965. Mais cette apothéose sera sans lendemain pour Pantani …

L’impact du scandale Festina met au grand jour un sport gangréné par le fléau du dopage, symbolisé par l’E.P.O. que tout le peloton connaît au moins depuis la fameuse Flèche Wallonne 1994 d’un édifiant triplé Gewiss Ballan (Moreno Argentin, Evgueni Berzin et Giorgio Furlan), course suivie par une non moins stupéfiante conférence de presse du docteur Ferrari. Ce dernier n’est autre que le padawan du druide du dopage Francesco Conconi, fossoyeur du mythe du Stelvio en 1993. 5E d’une course amateur sur le juge de paix des Dolomites, Conconi est l’homme qui a permis à Francesco Moser de battre en 1984 le record de l’heure d’Eddy Merckx, qui datait de 1972, déjà à Mexico en altitude. Avec Conconi, le cyclisme bascule dans l’ère 2.0, impossible de séparer le bon grain de l’ivraie, tout canasson devient étalon avec l’EPO. Ami avec le Prince Alexander de Mérode (président de la commission médicale du CIO), Francesco Conconi est même chargé par l’UCI de mettre au point le test de dépistage de l’EPO durant les années 90.

Une preuve supplémentaire que l’instance suprême du cyclisme ne voulait pas nettoyer ses écuries d’Augias, alors que plusieurs affaires avaient tiré la sonnette d’alarme : affaire Delgado en 1988 sur le Tour de France (le coureur de Ségovie étant sauvé par un vice de forme), mort de plusieurs cyclistes néerlandais au carrefour des années 80 et 90, fausse intoxication alimentaire des PDM en 1991 sur la Grande Boucle entre Rennes et Quimper ...

Du haut de sa tour d‘ivoire de Lausanne, Hein Verbruggen a préféré s’en laver les mains à la manière de Ponce Pilate. Mais les démons se libèrent de la boîte de Pandore en maudit mois de juillet 1998 qui voit Richard Virenque, Alex Zülle, Laurent Dufaux et le reste de l’équipe Festina exclus en Corrèze par Jean-Marie Leblanc et Jean-Claude Killy.

Qui sont les Jean Valjean et Javert du cyclisme ? Les honnêtes bandits et les policiers véreux ? Le flou est total pour le grand public quand s’ouvre l’année 1999, dans une zone de turbulences sans fin … Le jeu du chat et de la souris, du gendarme et du voleur, reprend de plus belle. Le cyclisme fait penser à Rome en flammes devant Néron continuant de jouer de la lyre … A ce stade, il paraît utopique de retrouve l’innocence d’un sport totalement rongé par le dopage, l’insouciance d’un enfant attaché à sa luge Rosebud au manoir de Xanadu …

Giro

Coureur le plus populaire d’Italie depuis Fausto Coppi en personne, Marco Pantani vient défendre son maillot rose au départ du 82e Giro, qui part de Sicile. Vainqueur d’étape au Gran Sasso dans les Abruzzes, le Romagnol fait grosse impression dans l’étape du sanctuaire d’Oropa. Sur cette difficile montée située dans le Piémont, Pantani est pourtant victime d’une crevaison au pire moment, en plein effort. Le maillot rose revient pourtant avec une facilité déconcertante sur Laurent Jalabert, le champion de France, l’un de ses principaux rivaux au classement général, si tant est que le suspense existe encore.

Stratosphérique pour ne pas dire stellaire, Pantani voltige sur les cols italiens en cette fin mai 1999. A tel point que certains envisagent de voir le tenant du Tour de France défendre son maillot jaune sur la grand-messe de thermidor, malgré un parcours jugé peu enthousiasmant par le leader de la Mercatone Uno à l’automne 1998 (seulement trois arrivées au sommet à Sestrières, l’Alpe d’Huez et Piau-Engaly, kilométrage CLM trop important à Metz et au Futuroscope de Poitiers).

En attendant de prendre sa décision, Pantani cannibalise le Giro tandis que ses poursuivants au classement général, d’Ivan Gotti à Laurent Jalabert en passant par Roberto Heras ou Paolo Savoledlli, se partagent les miettes du festin de ce Pantagruel du cyclisme.

Pérennisant les exploits, Marco Pantani est logiquement plébiscité meilleur coureur du monde tant il chausse les bottes de sept lieues. Au climax de sa carrière durant ce Giro 1999, le natif de Cesenatico fête les cinq ansa de sa révélation au plus haut niveau mondial. Début juin 1994, alors que l’aréopage des observateurs était encore stupéfait de voir Miguel Indurain battu à plate couture par Evgueni Berzin, dans un remake cycliste de David contre Goliath, parlant du toboggan irréversible du déclin pour le sphinx de Navarre, un OVNI portant le maillot de la Carrera allait illuminer les Dolomites : en deux jours, le monde allait découvrir Marco Pantani, 24 ans et des dons intrinsèques prodigieux pour l’escalade dans les cols les plus pentus. Lauréat à Merano, Pantani enfonce le clou à Aprica avec un récital en forme de requiem pour la concurrence sur les terribles pentes du Passo di Mortirolo. La suite tout le monde la connaît, Pantani termine dauphin de Berzin avant de confirmer son exceptionnel talent sur la Grande Boucle 1994. 3e derrière Indurain et Ugrumov après de nouvelles pyrotechnies à Luz Ardiden, sur les pentes rocailleuses du Mont Ventoux et dans les lacets de l’Alpe d’Huez, l’Italien devient le roi de la montagne à partir de 1995, tirant la substantifique moelle de sa classe pure. L’accident dans Superga interrompt sa carrière en 1996, mais Pantani revient encore plus fort en 1997. Retrouvant son trône de meilleur grimpeur du peloton dans l’Alpe d’Huez où il fend la foule tel Moïse coupant la Mer Rouge en deux en devant même freiner dans les virages, l’Italien prend date pour un duel avec le nouveau maître du Tour de France, Jan Ullrich, prodige nourri par les fées du destin au nectar et à l’ambroisie. Presque aussi invincible que ne l’était l’Espagnol Miguel Indurain dans l’effort solitaire, Ullrich est bien difficile à semer dans les cols pyrénéens et alpestres, dressant même la guillotine dans la montée d’Andorre Arcalis. L’Allemand au physique de cyborg et à la boucle d’oreille de Monsieur Propre est le successeur désigné de Miguel Indurain battu en 1996 par le Danois Bjarne Riis, imposteur et vainqueur de transition.

Cinq ans après, alors qu’Indurain est retraité, le roi des cimes a l’occasion d’impressionner Jan Ullrich à distance avant de possibles retrouvailles sur le 86e Tour de France, dont le départ est prévu le 3 juillet 1999 en Vendée, au Puy-du-Fou.

Dans les Dolomites, trois étapes sont prévues sur ce Giro 1999. Il semble utopique de priver Pantani d’une d’entre elles. Mais le maillot rose veut frapper fort, avec le Grnad Chelem : Alpe di Pampeago, Madonna di Campiglio. La première pièce du puzzle est conquise le 3 juin à Alpe di Pampeago. La deuxième suit dès le lendemain à Madonna di Campiglio, avec le même écart que la veille sur la ligne : 1 minute et 7 secondes en faveur du plus célèbre supporter du Diavolo, comprenez l’AC Milan ... Comme le club rossonero qui vient de regagner le Scudetto en ce printemps 1999, le diable romagnol fait passer ses rivaux sous ses fourches caudines.

Tutoyant la perfection, Pantani continue de s’attirer tous les superlatifs. Mais certains commencent à en avoir assez de le voir toiser le reste du peloton avec une facilité aussi insolente, tel le Suisse Pascal Richard, champion olympique sortant.

Vendredi 4 juin 1999. Le champion olympique Pascal Richard ne décolère pas. Rattrapé par Pantani, tout comme le coureur colombien Hernan Buenahora, dans l’ascension de Madonna di Campiglio, le coureur suisse ne supporte pas l’implacable domination du maillot rose dans ce Giro 1999. Au sommet de son art, Pantani est au zénith, au firmament, imposant sa férule à un peloton qui sert plus de réservoir de figurants que de véritables challengers et outsiders à une victoire écrite d’avance … Ce Jupiter de la montagne manie la foudre avec peu de délicatesse, et à force d’atomiser la concurrence, de l’éparpiller façon puzzle, l’Italien se fait des ennemis. Dans l’univers très darwinien du cyclisme, la jungle du peloton, les coups bas sont rois, comme dans un marigot de crocodiles. Personne n’aurait intérêt à voir se prolonger une domination aussi de la Mercatone Uno, cela découragerait les investisseurs. Beaucoup de monde profiterait d’un crépuscule inattendu de Pantani, qui va épouser le destin d’Icare : à trop se rapprocher du Soleil, on se brûle les ailes.

Habitué à triompher sur les cimes en tirant la quintessence de ses jambes de feu, l’hégémonique Marco Pantani ne lève plus les bras, mais sa victoire à Madonna di Campiglio est une victoire à la Pyrrhus, celle de trop … Veni, Vidi, Vici.

Le 5 juin 1999, c’est un coup de tonnerre qui ébranle le cyclisme tout entier. Exclu du Giro pour un taux d’hématocrite de 52, le leader de la Mercatone Uno perd donc une course gagnée d’avance, tel Eddy Merckx en 1969 à Savonne. En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, Pantani passe du Capitole à la Roche Tarpéienne. Sans sa clé de voûte, ce Giro 1999 perd tout intérêt. Mais comme le Tour 1998, il faut bien finir pour tirer le rideau sur cette triste épilogue. Roberto Heras gagne l’étape reine orpheline de Pantani à Aprica, et Ivan Gotti ramène un maillot rose totalement dénué de sens à Milan. Le fantôme du Pirate plane plus que jamais sur la Lombardie en cette fin de Giro … Contrairement à Eddy Merckx en 1969, rapidement bénéficiaire du doute et qui consumait d’impatience de laver l’affront sur le Tour de France, Marco Pantani ne dispute pas la Grande Boucle en juillet 1999. La couronne de lauriers est devenue couronne d’épines, et le coureur se retrouve face au châtiment de Sisyphe, à porter le rocher du paria. 

La revanche avec Jan Ullrich est donc annulée avant même que le forfait de l’Allemand pour le Tour de France ne soit enregistré, et il faudra attendre le samedi 12 mai 2000, à Rome, départ du Giro en cette année de jubilé chrétien, pour revoir Pantani sur un vélo en compétition officielle, après le miracle de Pâques qui l’a convaincu de reprendre l’entraînement. Car pendant neuf mois, le Pirate vit un enfer, tombant de Charybde en Scylla … Sa carrière ne tient plus qu’à un fil, et le héros devient paria ... Si la Botte a gardé les yeux de Chimène, le reste de l’Europe jette l’opprobre sur l’homme qui avait sauvé le cyclisme en juillet 1998, dans un Tour de France sous chape de plomb. Le totem Pantani a donc son image très écorné après ce Giro 1999 qui l’a vu être l’alpha et l’oméga d’un sport pour en devenir, quelques jours plus tard, le vilain petit canard. Mais le phénix renaîtra de ses cendres sur le Tour de France 2000, pour un duel d’anthologie avec un troisième roi de l’épreuve reine du calendrier, Lance Armstrong … Dans Hautacam, sur le Ventoux et dans l’Izoard, le Texan et l’Italien offriront des montagnes russes d’adrénaline au public par une rivalité farouche entre écorchés vifs. Cette Grande Boucle 2000 sera le chant du cygne de Marco Pantani …

Tour de France

6 juin 1999, Autun. Revenu dans le peloton en 1998, le miraculé américain Lance Armstrong remporte le prologue du Critérium du Dauphiné Libéré. Il va ensuite se muer en coéquipier de luxe pour Tyler Hamilton, qui lui rendra la pareille en juillet sur les routes d’asphalte de France et de Navarre, à la conquête du maillot jaune. Vaincu par Alexandre Vinokourov, l’US Postal de Johan Bruyneel s’en fiche de sa première chaussette. Car dans son laboratoire à ciel ouvert, le col de la Madone au-dessus de Menton, Armstrong a battra quelques jours plus tard le vieux record de Tony Rominger : 31’25’’ pour le Zougois, 30’47’’ pour le Texan, accompagné de ses sbires Hamilton et Levin Livingston. Stakhanoviste de l’entraînement , Armstrong sait qu’il détient la martingale gagnante pour le prochain Tour de France, boucle de son odyssée digne de Disney ou d’Hollywood. Au-dessus du fameux ratio de 6.7 watts/kg, le King a le vent en poupe ... L’effet bandwagon est du côté du favori Olano, mais l’effet underdog sera le plus fort. Car Armstrong revient de très loin, et il ne compte pas laisser sa chance d’effectuer une razzia sur le Tour. Sa lampe d’Aladdin à lui, c’est le programme de dopage du docteur Ferrari, qui le suit depuis l’hiver 1994-1995. Johan Bruyneel, lui, a motivé Armstrong comme jamais en octobre 1998 après trois prometteuses quatrièmes places : Vuelta, Mondial (CLM et course en ligne) de Valkenburg … Vous auriez fière allure sur le podium du Tour de France 1999 avec le maillot arc-en-ciel, avait écrit le Belge par mail avant le Championnat du Monde. Les maillots de champion du monde avaient été échu au Suisse Oskar Camenzind (course en ligne) et à l’Espagnol Abraham Olano (CLM), mais l’oracle de Bruyneel avait vu juste pour les Champs-Elysées : Lance Armstrong serait bien sur la plus haute marche podium du Tour du Renouveau, concept marketing vendu par Jean-Marie Leblanc, copie carbone du Tour de la Santé de Jacques Goddet en 1968 à Vittel, un an après la mort de Tom Simpson sur les pentes rocailleuses du Ventoux le 13 juillet 1967 ... L’Anglais laissait une veuve et un orphelin, sans parler d’une maison en Corse encore à payer.

A la faveur d’une réception dans les salons de l’Hôtel de Ville en ce mois de juillet 1968, Jacques Goddet va exprimer ses vœux, en même temps que ses remerciements à la municipalité de Vittel : D’un coureur qui ne se dope pas, on a coutume de dire dans les milieux cyclistes qu’il fait le Tour à l’eau minérale. Eh bien, considérons du plus heureux présage que parte de notre ville, station thermale renommée, ce Tour 68 qui veut être celui de l’évolution des mœurs et de la bonne santé.

La veille du prologue de cette édition 1968, le docteur Dumas avait invité les parties concernées à une table ronde au Grand Hôtel de Vittel, dans la salle de restaurant. Il naîtra de cette réunion un protocole d’accord, paraphé en commun, par les organisateurs, les coureurs et les organisateurs. Le peloton a opté pour des contrôles fédéraux plutôt que pour des descentes de police, en réaction à la mésaventure bordelaise de Raymond Poulidor en 1966. Entre Bordeaux et Bayonne lors de la 9e étape du Tour de France 1966, les coureurs font grève à Gradignan (Gironde) pour protester contre le contrôle anti-dopage surprise dont a été victime Raymond Poulidor à Bordeaux, en présence d’un huissier. Même s’il sera l’un des plus farouches rivaux du Limousin sur l’asphalte lors de cette édition 1966 gagnée par Lucien Aimar, Jacques Anquetil sera solidaire de Poupou dans cette grève …

Tout le monde n’est pas dupe de ce Tour de la Santé en forme de paravent. Même Antoine Blondin, prince des chroniqueurs de L’Equipe sur la Grande Boucle, s’en fait l’écho en ce mois de juillet 1968 : Jacques Goddet, dont le beau souci est la santé du Tour, a donc baptisé celui-ci le Tour de la Santé, ce qui n’implique pas forcément que la course soit une balade du même nom mais laisse assez bien présumer en filigrane, comme dans Knock de Jules Romains, sont des trop souvent des grands malades qui s’ignorent.

Comme un certain Lance Armstrong, qui a couru tout l’été 1996 (Tour de France, Jeux Olympiques d’Atlanta, Wincanton Classic, Championnat de Zurich, Tour des Pays-Bas, Grand Prix Eddy Merckx) avec un cancer dans son organisme …

Champion du monde en 1993 à Oslo à 21 ans, le Texan a quitté le microcosme du cyclisme fin 1996 pour soigner un cancer des testicules ensuite généralisé. Son contrat avec Cofidis prévu pour 1997 est annulé par l’état-major de Wasquehal. Armstrong signe avec l’US Postal et abandonne sur Paris-Nice après un retour honorable à la Ruta del Sol en Andalousie. En proie au doute, l’ancien lauréat de la Flèche Wallonne a retrouvé cette pluie qui fut à la fois son alliée et son ennemie durant sa carrière. Le 8 août 1992 durant la Clasica San Sebastian, le baptême du feu du jeune Américain, chez Motorola, avait été un calvaire, un chemin de croix. Lance Armstrong né Gunderson avait fini 111e et dernier . Le coureur du Texas est humilié, terminant 111e et dernier sous la pluie basque si loin du lauréat mexicain Raul Alcala, moqué par les spectateurs espagnols dans l’Alto du Jaizkibel. Mais il était arrivé avec une naïveté confondante à San Sebastian, pensant se battre pour la victoire, avant de déchanter : Ce jour là, la pluie était si violente qu’elle faisait mal. Peu après le départ sous ces trombes glacées, je me suis retrouvé relégué en queue. Au fil des heures, j’ai eu beau lutter, je grelottais toujours. Bientôt, je chassais derrière le peloton : j’étais dernier. Devant moi, la masse des coureurs s’éclaircissait à mesure des abandons. Régulièrement, je voyais un coureur s’arrêter au bord de la route. La tentation était grande de l’imiter, de serrer les freins, de lâcher le guidon et de rejoindre le bas-côté en roue linre. Rien de plus facile. Mais je ne pouvais pas, non, surtout pour ma première épreuve professionnelle. Quelle humiliation ! Qu’est-ce que mes coéquipiers penseraient de moi ? Un Armstrong n’abandonnait pas. Il y a eu cinquante abandons. Moi, je pédalais toujours. Je suis arrivé bon dernier sur cent onze. J’ai franchi la ligne d’arrivée avec près d’une demi-heure de retard sur le vainqueur. J’ai grimpé la dernière côte sous les huées et les rires des Espagnols. Ils se foutaient carrément de moi : « Eh, regarde, le dernier, la tête qu’il fait. » Quelques heures plus tard, à Madrid, entre deux avions, je m’effondrais sur un siège et j’envisageais d’abandonner le cyclisme. Je venais de prendre la plus grande claque de ma vie. Je m’étais envolé pour Saint-Sébastien avec l’idée que j’avais une chance de gagner. Et maintenant, je me demandais si j’étais capable de continuer la compétition. On s’était fichu de moi. Le cyclisme allait être beaucoup plus dur que je ne l’avais cru. Le rythme était plus soutenu, le terrain plus ardu, les concurrents plus mordus que tout ce que j’avais imaginé.

A l’aéroport de Madrid, le jeune Américain hésite quel billet d’avion choisir : Zurich, pour la prochaine course ? Les Etats-Unis, pour un retour humiliant à la maison après cette Bérézina basque ? Seul une conversation téléphonique avec Chris Carmichael va persuader le jeune novice américain de ne pas tout laisser tomber après cette déception espagnole.

Engagé par Jim Ochowicz après les Jeux Olympiques de Barcelone, Lance Armstrong avait répondu : Je ne veux pas me contenter d’être bon, je veux être le meilleur. Le loup de Jaizkibel n’avait jamais oublié la morsure de cette course au Pays Basque. Mais le 29 août 1993, la pluie d’Oslo lui offre l’arc-en-ciel devant Miguel Indurain en personne. Maillot irisé à trois semaines de fêter ses 22 ans, Armstrong est encore plus précoce que Merckx en 1967 ou LeMond en 1983 …

Armstrong le nomade vivait sur les rives du Lac de Côme avant sa terrible épreuve face au crabe. Le revenant a posé ses valises à Nice. Il ne va pas tarder à quitter l’Hexagone pour Gérone, en Espagne, le nouvel Eldorado du dopage, tant le Tour de France 1999 sera focalisé sur Armstrong et son train bleu, en plein œil du cyclone.

Armstrong n’a les faveurs du pronostic que du seul Miguel Indurain, à qui il va succéder au palmarès du prologue du Puy-du-Fou, six ans après le Tour de France 1993 parti du même fief de Philippe de Villiers. Personne ne mise donc un kopeck sur Lance, dont l’ADN est de gagner envers et contre tous. Le Texan n’est jamais plus fort que quand s’il s’invente des ennemis, persuadé d’être le centre d’une gigantesque théorie du complot : Cofidis, le Mont Ventoux, le public français, tout le monde lui en veut …

Qu’à cela ne tienne, Armstrong le revenant va sortir le napalm pour gagner ce Tour de France 1999 qui laissera ses rivaux en charpie et le cyclisme agonisant qu’auparavant. L’encéphalogramme sera encore plus plat, présageant de la mort clinique de ce sport à l’aube du nouveau millénaire … Armstrong, lui, est occupé à faire sauter la banque, tant pis si on lui prédit que ce sera aussi complexe que de braquer Fort Knox.

La puce italienne Pantani et le colosse allemand Ullrich absents, le landerneau journalistique a identifié plusieurs favoris : la plus grosse pancarte est sur Abraham Olano, parti de Banesto vers ONCE, où le paria Manolo Saiz peut vociférer ses Venga dans la voiture de l’équipe espagnole ... Dossard n°1 en l’absence de Pantani et Ullrich, Bobby Julich représente par deux fois l’homme à abattre pour le shérif Armstrong : en tant que leader de Cofidis et en tant que compatriote qu’il a toujours toisé d’un mépris plus que condescendant, comme s’ils appartenaient à deux castes différentes au pays des Indiens d’Amérique.

 Pestiféré de l’été 1998 avec Festina, Alex Zülle est lui parti chez Banesto, et il va payer ses aveux lyonnais dès le deuxième jour dans le passage du Gois, ONCE appliquant la loi du talion. Le Suisse reprend en pleine face le boomerang de l’omerta violée. Le bushido du peloton, le code d’honneur, interdit pourtant ce genre de pratiques … Six minutes de perdues à Saint-Nazaire, le dauphin d’Indurain sur le Tour 1995 voit la deuxième étape sonner le glas de ses espoirs, comme ceux d’Ivan Gotti, Alexandre Vinokourov ou Michael Boogerd.

Restent les grimpeurs, ceux dont le talon d’Achille est le chrono : Richard Virenque, réintégré au Tour par miracle, Pavel Tonkov, Fernando Escartin ou encore Laurent Dufaux. Le contre-la-montre de Metz sonne déjà le tocsin pour eux, tant Lance Armstrong y fait forte impression, comme s’il fendait l’asphalte à chaque coup de pédale. Le Texan a sorti le bleu de chauffe ce jour là, loin des comptes d’apothicaire il compte bien creuser des écarts en minutes et non en secondes … Un seul homme finira sous la minute à Metz, Alex Zülle, avec 58 secondes de retard sur le nouveau fauve du Tour qui a sorti ses griffes et ses crocs …

C’est un récital, un feu d’artifice digne de Miguel Indurain en ce dimanche 11 juillet 1999 en Lorraine. Myope comme une taupe, Zülle est parti le matin du fait de son retard au général accumulé entre Noirmoutier et la Loire-Atlantique. La scoumoune du Suisse, que les chutes accompagneront durant toute sa carrière comme le sparadrap du capitaine Haddock, contraste avec la baraka d’Armstrong, qui échappe aux pièges à loup de l’épreuve de vérité en Lorraine.

Six ans plus tôt, Miguel Indurain avait remis les pendules à l’heure dans cette même région de Lorraine, au Lac de Madine. Le plus fort, c’était toujours lui. Armstrong, lui, marque son territoire. En état de grâce, l’Américain rattrape Abraham Olano. Le champion du monde du chrono semble bien loin de son coup de pédale aérien de Valkenburg à l’automne 1998. Ayant chuté, le Basque voit Armstrong lui prendre deux minutes. L’hémorragie du temps se poursuit pour le sosie facial d’Indurain … Dauphin d’Armstrong au classement général, Olano peut se consoler en voyant le cruel destin de Bobby Julich, qui a chuté gravement. Le Tour 1999 est terminé pour le coureur de Corpus Christi, loin de la maestria de Lance Armstrong.

A Metz, le maillot jaune change d’épaules, le sprinter estonien Jaan Kirsipuu rend la Toison d’Or à Lance Armstrong. Mais Olano, Virenque, Dufaux, Escartin et consorts ne s’inquiètent pas, car l’Américain n’a jamais fait mieux que 36e sur le Tour de France, à Paris, en 1995. Mais ils ne savent pas qu’il s’agissait d’un autre coureur que l’homme bionique ayant pulvérisé le record de Rominger à la Madone … Lance Armstrong, lui, se sait non seulement capable de regarder les grimpeurs dans le blanc des yeux, mais même de leur prendre du temps en montagne, sur leur propre terrain !

Les masques vont bientôt tomber … Au Grand Bornand, Mario Cipollini se déguise en Jules César mais c’est bien Armstrong qui va franchir le Rubicon avec son armée de postiers vêtus de bleus. Les visages se crispent dans le col du Galibier : Virenque, Dufaux, Zulle est tous les autres comprennent que le Texan, parfaitement escorté par Tyler Hamilton et Kevin Livingston, ne s’effondre pas. Loin de paniquer, Armstrong semble aussi imperturbable qu’Indurain ou Ullrich en leur temps.

Mais à la différence du Navarrais, le rescapé du cancer ne va pas se contenter de gérer son capital en bon épicier, en bon père de famille. Avec sa pédalée souple et un braquet plus léger que les standards des années 90 « bûcheron », Lance Armstrong fait voler en éclats le cyclisme tout entier dans la montée de Sestrières, celle où Coppi en 1952, et Chiappucci en 1992, avaient électrisé les tifosi … La station appartenant à la puissante famille Agnelli est noyée sous la neige. Ivan Gotti et Fernando Escartin sont partis en escarmouche dans le Montgenèvre. Dans la montée finale, l’usurpateur texan fausse compagnie à Virenque, Zülle et Dufaux, tandis qu’Olano est aux oubliettes depuis le sommet du Galibier …

Surveillant son cardio-fréquencemètre comme à l’entraînement, le leader de l’US Postal est intouchable dans son maillot jaune. Seuls les phares des voitures l’accompagnent jusqu’à la ligne d’arrivée où il fait basculer le cyclisme dans une autre dimension, celle de la suspicion permanente.

Sestrières sera le Pandemonium du cyclisme le mardi 13 juillet 1999, Zülle, Olano et consorts servant de punching-ball à Lance « Terminator » Armstrong. Personne n’a donc rien pu faire contre ce Keyzer Soze de la petite reine. La plus belle des ruses du diable est de vous persuader qu'il n'existe pas ! Verbal Kint alias Kevin Spacey n’a fait que paraphraser Charles Baudelaire.

Jusqu’à Paris où il soulèvera le vase de Sèvres, Armstrong sera suivi par une épée de Damoclès. La pomme de la discorde est simple avec la presse, le Texan est revenu trop vite et trop fort de son cancer, sans parler de son absence de références passées en montagne. Voir cet ancien champion du monde, au gabarit de rugbyman devenu aussi maigre qu’un grimpeur espagnol au profil d’aigle, voltiger sur les cimes des Alpes et réussir la quadrature du cercle, l’estocade, laisse la plupart des journalistes pantois, dont David Walsh et Pierre Ballester. De plus, malgré l’exploit majuscule d’un point de vue athlétique, il manque ce supplément d’âme qu’avait le romantique grimpeur Pantani en 1998, avec ses fulgurances et son ADN d’attaquant sans peur et sans reproche.

A Sestrières, le Texan reçoit le soutien de son idole de jeunesse, Greg LeMond, qui deviendra son pire détracteur à partir de 2001. Le pronostic de Jim Ochowicz avant l’Alpe d’Huez a le mérite d’être clair : Pantani serait au moins à deux minutes, avoue l’ancien directeur sportif de Lance Armstrong chez Motorola.

Le nouveau patron du peloton n’oublie pas de faire le ménage parmi ses sujets, renvoyant dans ses foyers Christophe Bassons. Tout le monde, peloton et caravane, se regarde en chiens de faïence, dans une ambiance de western-spaghetti où ne manque que l’harmonica d’Ennio Morricone. Arrogant et rancunier, l’Américain sème la terreur façon shérif faisant valser la porte du saloon, loin du personnage lisse de Miguel Indurain qui avait pris le pouvoir en douceur en 1991, ce Navarrais issu d’une famille très pieuse, venant d’une province paysanne cultivant les valeurs d’une Espagne profonde quand Madrid et Pedro Almodovar vivaient au rythme de la movida, que Barcelone attendait les Jeux Olympiques en 1992. Aux antipodes d’un Miguel Indurain et de son silence, Lance Armstrong a jeté les gants de velours : seule reste la main de fer ! Son US Postal a tout d’un rouleau-compresseur, comme avant elle la Vie Claire ou bien plus tard Astana et la Sky.

S’il se calme dans les Pyrénées où il ne prend aucun risque inconsidéré, le cavalier seul d’Armstrong vers le triomphe reprend dans l’ultime épreuve chronométrée, au Futuroscope de Poitiers, où seul Alex Zülle lui tient la dragée haute dans le money time de ce soi-disant Tour du Renouveau. Certes, sur les huit minutes de retard qu’il compte sur le maillot jaune, le Suisse de Banesto en a perdu six dans le passage du Gois. Mais dans l’Alpe d’Huez comme à Piau-Engaly, l’imposteur américain en a gardé sous la pédale, ne commettant pas le péché d’orgueil de s’exposer à encore plus de suspicion.

Mais paradoxalement, si certains sont persuadés qu’Armstrong est le nouveau tricheur émérite du peloton cycliste, d’autres ne sont pas convaincus par sa victoire, lui donnant rendez-vous en l’an 2000 face aux mètres étalons des grandes courses par étapes, Jan Ullrich et Marco Pantani … L’homonyme de Neil et de Louis a beau avoir conquis la Lune, dont certains préfèrent retenir le face cachée rendue célèbre par Pink Floyd, d’autres refusent d’avaler leur trompette.

Au Musée d’Orsay le dimanche 25 juillet 1999, Lance Armstrong et son équipe peut boire le champagne. Parmi les invités de la réception, un certain Motoman, jardinier du Boss à la ville, qui a sillonné la France pour ravitailler l’US Postal en E.P.O. Car sans cet élixir de puissance, Armstrong est aussi inoffensif qu’Astérix le Gaulois sans la potion magique. Ce premier soleil d’Austerlitz ne sera pas sans lendemain, car quelqu’un a du casser un miroir en juillet 1998 : le cyclisme vivra sept ans de malheur sous le joug d’Armstrong, de 1999 à 2005, et chaque mois de juillet (sauf 2003) ressemblera à une promenade de santé pour Lance, venin puissant contre qui personne ne trouvera l’antidote.

Le Texan devra cependant affronter une impopularité record, cumulant une domination digne de Merckx ou Indurain à la suspicion permanente ... Avec lucidité, le patron du peloton a compris qu’on lui chercherait pendant des années des poux dans la tête : Le cyclisme est depuis quelques années au creux de la vague. Je suis le champion de ces années là, et j’ai donc la popularité du champion de ces années là.

Comme d’autres archanges sans défaut et avec une auréole sur la tête, Armstrong trouvera la parade : Gianni Bugno avait tricoté une histoire mêlant musicothérapie avec ultrasons de Wolfgang Amadeus Mozart et régime à base de pâtes pour expliquer sa fulgurante progression de 1990, Miguel Indurain avait simplement expliqué avoir perdu du poids de façon linéaire sur plusieurs années, et Bjarne Riis également tout en améliorant la qualité de ses entraînements, dans une sorte de concours Lépine annuel de la mauvaise foi.

L’Américain, lui, fait un peu de tout, une sorte de salade composée, comme si ses rivaux étaient des amateurs, tentant de faire avaler des couleuvres au grand public : entraînement commando avec reconnaissances d’étape, perfectionnement du matériel en matière d’aérodynamique, perte de poids liée au cancer, diététique … Comme si les autres mangeaient glaces et cheeseburgers à la pelle sans jamais monter un col au printemps ni faire des essais en soufflerie avec leur constructeurs …

Avant la 89e Grande Boucle en juillet 2002, Lance Armstrong avait résumé en une phrase cinglante, lors d’une interview à L’Equipe Magazine, les raisons de son outrageuse domination : Si je suis si fort, c’est parce que dans tous les domaines qui créent la performance, j’ai ce qu’il y a de meilleur. Dans tous les domaines, l’entourage, le matériel, j’ai recherché l’excellence. Tout est calibré, façonné pour moi. D’un bout à l’autre de la chaîne, il n’y a aucune faiblesse, aucune possibilité d’erreur.

Vuelta

L’été 1999 se termine quand la grande silhouette de Jan Ullrich refait son apparition à Murcie pour le départ du Tour d’Espagne. L’Allemand n’a pas encore compris qu’il ne sera que l’incontournable challenger de Lance Armstrong dans les années 2000, rien de plus qu’un faire-valoir, un Poulidor des temps modernes … Suceur de roue sans panache, coureur formaté , Ullrich est un œuf de Fabergé, un œuf incassable construit par l’ex-RDA. Sa vocation était de succéder aux Bartali, Coppi, Bobet, Anquetil, Merckx, Hinault, leMond et autres Indurain, il n’en sera rien, car il lui manque l’essentiel, un mental de champion, et ce refus viscéral de la défaite qui vous transcende avec l’énergie implacable qui va avec.

Good Bye Lenin … Ce film montrant une famille d’ex RDA perdue dans l’Allemagne réunifiée peut s’appliquer à Jan Ullrich, champion du monde 1993 des amateurs à Oslo (Lance Armstrong gagnant lui chez les professionnels, clin d’œil à leur différence d’approche de l’entraînement par la suite …) qui sera pris de vertige dans le monde professionnel.
Vertige au sens propre dans les descentes, même si l’Allemand n’avait pas de problèmes d’oreille interne comme l’Italien Gianni Bugno, soigné par musicothérapie à grands coups d’ultrasons et de morceaux de Wolfgang Amadeus Mozart. Cela réussira à Bugno, double champion du monde en 1991 à Stuttgart et 1992 à Benidorm, même si victime du complexe Indurain sur le Tour de France, incapable de franchir le seuil mental d’un candidat crédible au maillot jaune.

Vertige au sens figuré car Ullrich va s’embourgeoiser et oublier la discipline de fer de l’ancienne Allemagne de l’Est, loin de pérenniser les exploits auquel il était prédestiné. Lui qui avait résisté à l’impitoyable entraînement de l’ex RDA, à une époque où la règle d’or des entraîneurs était de jeter une douzaine d’œufs contre un mur et de ne garder que ceux qui n’étaient pas cassés … Œuf incassable, œuf de Fabergé du cyclisme, en clin d’œil à celui récupéré par l’agent 009 à l’ambassade britannique de Berlin Est dans le treizième film de la saga James Bond, Octopussy (1983).

Cette RDA qui faisait alors partie du Rideau de Fer, dans un bloc communiste où certains entraîneurs n’hésitaient pas à engrosser puis à faire avorter des athlètes féminines afin de leur faire profiter en compétition des hormones de la grossesse …

Comme d’autres virtuoses de la petite reine (Koblet, Gimondi, Ocaña), Jan Ullrich sera un météore, une comète, une étoile filante, l’homme qui n’aura chanté qu’un seul été sur le Tour de France, 1997 en l’occurrence. Après le purgatoire de 1998, l’Allemand n’a pas retenu la leçon. L’ermite de la Forête Noire continue à prendre des kilos durant l’hiver, lui qui semble avoir pour violon d’Ingres charcuterie et pâtisseries. La cigale Ullrich a dansé tout l’hiver, et se doit de muter en fourmi avant été, il commence une course contre-la-montre, non pas sur le vélo, mais sur la balance ... Au Tour de Suisse, l’ogre de Rostock doit abdiquer, il devra courir le Tour de France en 2000 seulement. L’édition 1999 partira sans lui. Deux ans après avoir été intronisé héritier d’Indurain et probable futur recordman des maillots jaunes devant Merckx et Hinault (on parle alors de 6, 7 voire même 8 Tours de France pour ce Stradivarius de la petite reine), l’enfant terrible du cyclisme allemand doit sauver sa saison 1999. Direction la péninsule ibérique et sa Vuelta. Le tenant du titre Abraham Olano commence sur les chapeaux de roue. Ullrich en personne gagne une étape sans enjeu à Ciudad Rodrigo, mais grimace dans l’Angliru où on le voit même se mettre en danseuse, scène ubuesque pour un coureur habitué à tout casser avec la seule force de ses reins.

Quelques jours plus tard, le feu de paille Ullrich retrouve son oasis préférée, Arcalis. Il y prend le maillot de oro de leader qu’il ne quittera plus. Le diesel de Rostock, comme le bon vin, vieillit de mieux en mieux à chaque jour de course. A Avila, Frank Vandenbrouck lui ravit la victoire, promesse qu’il avait fait à Sarah Pinacci, dont le Belge était tombe amoureux quelques jours avant.

Qu’importe, le bulldozer Ullrich va torpiller le peloton tout entier le lendemain comme en 1997 à Saint-Etienne. En Castille, autour des remparts d’Avila, même Sainte-Thérèse n’a pu protéger les coureurs contre ce Superman enfin débarrassé de la kryptonite. Avec presque trois minutes d’avance sur son dauphin, Ullrich est redevenu l’invincible coureur de l’été 1997, une sorte de mutant sans limites, tel Achille trempé dans le Styx, ou le héros Siegfried recouvert du sang du dragon Fafnir ... Trois semaines plus tard à Trévise, l’Allemand conquiert le maillot irisé de la spécialité avant la course en ligne de Vérone, où il est victime de sa force herculéenne.

Le favori allemand, tout comme son premier challenger VdB, sont surpris par un jeune Espagnol qui vient de débuter son idylle avec la ville de Roméo et Juliette : Oscar Freire. Quelques jours plus tard, au Palais des Congrès de Paris, jour de la présentation du tracé du Tour de France 2000, le pronostic de Johan Bruyneel (US Postal) pour cette 87e édition est le suivant : 1er Armstrong, 2e Ullrich, 3e Pantani. Soit les trois figures de proue du peloton, et les trois derniers lauréats du prestigieux maillot jaune, l’Allemand en 1997, l’Italien en 1998 et l’Américain en 1999.

Mais seul le premier nommé par Johan Bruyneel, concrètement Lance Armstrong, sera au top au début de l’été 2000, le deuxième étant loin de son euphorie espagnole de septembre 1999, devenant donc le faire-valoir du Boss qu’il battra cependant à plate couture à Sydney dans le cadre des Jeux Olympiques d’été. Jan Ullrich fera seulement illusion en 2003 sous le maillot cyan de la Bianchi, son acmé personnel en tant que cycliste, mais la grinta de l’Américain fera encore la différence du côté de Luz-Ardiden, sous la brume pyrénéenne.

Quant au troisième homme cité par le machiavélique directeur sportif belge de l’US Postal, en l’occurrence Marco Pantani, malgré deux victoires à l’orgueil au Ventoux et à Courchevel, il aura subi à Lourdes Hautacam le plus grand camouflet de sa carrière face à Lance Armstrong. Victime de l’apartheid du Tour de France en 2001 et 2002, Pantani dispute son ultime Giro en 2003. Après le cadeau empoisonné du Mont Ventoux en 2000, il n’aura jamais sa revanche face à Armstrong, mais Pantani laissera une empreinte plus forte qu’un Jan Ullrich chloroformé et qui semblait avoir laissé sa testostérone dans le formol.

Moins de quatre ans après ce Tour de France 2000 qu’il quitta par la petite porte du côté de Morzine, Marco Pantani rejoignait Jose Maria Jimenez au panthéon des grimpeurs. Parti deux mois plus tôt fin 2003, l’Aigle d’El Barraco avait sauvé l’honneur des escaladeurs contre le Texan sous la bourrasque d’Hautacam, limitant ses pertes à moins d’une minute. Le 14 février 2004, face à la mer Adriatique, l’Italien expirait son dernier souffle dans un hôtel de Rimini, payant au prix fort le séisme de Madonna di Campiglio du 5 juin 1999, la veille de l’émergence de sa Némésis en Bourgogne, à Autun …


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5 réactions à cet article    


  • Axel_Borg Axel_Borg 6 octobre 2018 14:43

    On ne saura jamais si Marco Pantani et Jan Ullrich auraient battu LanceArmstrong sur le Tour 1999. Mais si le Texan avait vraiment, enplus de l’EPO (via Michele Ferrari et ravitaillement par Motoman) et de la protection politique de l’UCI (via Hein Verbruggen), un moteur dans son vélo Trek, le maillot jaune nelui aurait pas échappé ...

    • Axel_Borg Axel_Borg 7 octobre 2018 10:40

      En effet chacun d’eux était bien « chargé » ... Mais comme indiqué au précédent commentaire, le Texan avait (cela reste à prouver) peut-être en plus le dopage mécanique.

      Comment expliquer en effet qu’il colle (en 2001, où Ullrich est au top de sa forme) 7 minutes à la pédale au monstre de force et de puissance qu’était le champion allemand ?

      4e à Dunkerque (prologue), 2e à l’Alpe d’Huez, 2e à Pontarlier, 4e à Ax 3 Domaines, 2e à Saint-Lary, 3e à Luz Ardiden et 3e au CLM de St Amand Montrond, « Ulle » était monstrueux en 2001, à la façon de son an de grâce 1997.

      L.A. lui, fait 3-1-1-3-1-4-1 sur les mêmes étapes ...

      • Axel_Borg Axel_Borg 8 octobre 2018 11:39

        Sur le parcours du prochain Tour qui partira donc de Bruxelles, il devrait y avoir la Planche des Belles Filles ainsi qu’une étape à Toulouse. A suivre ...


        • Lionel Ladenburger Lionel Ladenburger 9 octobre 2018 16:22

          Incroyable n’empeche d’avoir eu ces trois-la sur une seule generation. Dommage en effect qu’ils n’aient jamais ete au top en meme temps. 


          • Axel_Borg Axel_Borg 9 octobre 2018 17:18

            @Guga,

            Oui c’était bien le but de l’article, à peu de choses près on aurait eu Pantani vs Armstrong sur le Tour 1999, avec Zulle en arbitre s’il n’avait pas chute au passage du Gois (mais que foutait-il en milieu de peloton !).

            Pour Ullrich, il aurait été un ton en-dessous comme en 1998 ou en 2000, avec un jour sans façon Deux Alpes (en mini) ou Hautacam 2000.

            Mais bon il aurait été à la lutte avec Zulle pour le podium via les CLM de Metz et du Futuroscope.

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