Immigration clandestine et mémoire historique
La vague migratoire que l’Union Européenne subit ces derniers temps a marqué les esprits et a divisé les opinions. L’ex-Premier ministre belge et député européen Guy Verhofstadt a vivement critiqué la position contre l’immigration de la Hongrie et de son Premier ministre Viktor Orban. Ce dernier est un opposant résolu du flux massif de migrants de pays musulmans (qui constituent la majorité des migrants clandestins vers l’Europe). Pourtant c’est la position de M. Verhofstadt qui n’est pas facile à tenir, et cela à cause de son propre pays. Tout d’abord, dans le contexte de la lutte contre le terrorisme islamiste, la commune belge de Molenbeek est devenue synonyme de nid de guêpes, avec plusieurs de ses ressortissants participant aux attentats du 13 novembre 2015 à Paris et du 22 mars 2016 à Bruxelles. Et puis, parce que entre 2008 (la fin du mandat de M. Verhofstadt en tant que Premier ministre) et 2011, la Belgique a connu deux crises gouvernementales liées aux tensions entre Flamands et Wallons (et nous allons voir plus loin l’importance des rapports entre communautés dans le contexte de l’immigration clandestine).
Pour comprendre l’idéologie de M. Orban, il faut rappeler qu'après le traité de Trianon de 1920 qui a dessiné les frontières de la Hongrie, cette dernière est restée habitée à plus de 80 % par le peuple titulaire en laissant chez ses voisins plusieurs millions de Hongrois ethniques. D’ailleurs, la politique du pays à maintenir des rapports poussés avec la diaspora hongroise est la cause de frictions avec l’Ukraine qui a déclaré (début octobre 2018) persona non grata le consul hongrois à Bérégovo (en Transcarpatie). Ce dernier avait délivré des papiers hongrois à des citoyens ukrainiens d’origine hongroise en les faisant prêter serment à la Hongrie.
Donc on demande aux Hongrois non seulement de se contenter de frontières qui sont bien plus étroites que celles du peuplement hongrois mais aussi d’accueillir entre ces frontières des quantités conséquentes de population étrangère dont les chances de s’intégrer avec succès paraissent plutôt minces. Et voici pourquoi.
Tout d’abord, la Hongrie fait partie des pays européens qui ont été envahis par l’Empire Ottoman. C’est par ce pays et par l’Autriche que passait la frontière de l’expansion maximale de cet empire vers l’Europe. La frontière Est de la Bosnie-Herzégovine était celle entre l’Empire Ottoman et l’Autriche jusqu’au XIXe siecle. La domination ottomane est le dénominateur commun entre la Hongrie et certains autres pays d’Europe Centrale et Orientale qui sont aussi réticents d’accepter de nombreux migrants musulmans. Rappelons brièvement quelques faits de l’histoire. Les peuples indigènes des Balkans sont restés plusieurs siècles sous cette domination (entre 1396 et 1878 pour les Bulgares, par exemple). Leur développement culturel a été ralenti et ils ont vécu la Renaissance des centaines d'années après l’Europe Occidentale. C'était une vraie période de choc entre deux cultures, qui s’étaient développées sur les bases de deux religions, respectivement le christianisme et l’islam. Les chrétiens devaient construire leurs églises enfoncées dans la terre. On prélevait à la population chrétienne « l’impôt de sang » : on enlevait des garçons de bas âge à leurs familles, on les convertissait à l’islam, on les faisait subir un lavage du cerveau et un entraînement militaire et il devenaient des janissaires, ce redoutable fléau pour le peuple qui les avait mis au monde. Une des nombreuses révoltes bulgares (étouffées toujours dans le sang) a donné raison à l’Empire Russe de déclarer la guerre à l’Empire Ottoman en 1877 suite à laquelle ce dernier a perdu une bonne partie de ses possessions territoriales dans les Balkans.
D’une certaine manière, les peuples balkaniques, avec leur situation géographique à l’Est, ont été sacrifiés pour que l’Europe puisse survivre. Le roman Le pont sur la Drina du lauréat de Prix Nobel pour littérature en 1961 Ivo Andrić raconte la vie en Bosnie-Herzégovine pendant cette période. Le livre commence par un épisode où un jeune Serbe se fait empaler par des Turcs qui le laissent mourir lentement.
Les pays d’Europe Centrale étaient, eux aussi, directement impliqués dans la lutte contre l’Empire Ottoman. En 1444, le Roi polonais Ladislas III Jagellon et le chef militaire hongrois Jean Hunyadi ont combattu contre les Turcs près de Varna (en Bulgarie) ; Ladislas III y a trouvé la mort. Vienne a connu deux sièges par les Turcs, en 1529 et en 1683. Et c’est un autre Roi polonais, Jean III Sobieski, qui a mis en déroute les Turcs à Vienne en 1683. Les Polonais ont connu au XVIIe siècle un autre peuple musulman, les Tatars de Crimée, en tant qu’allié instable ou en tant qu’adversaire. Les Bulgares ont subi des invasions tatares à la fin du XIIIe siècle. D’ailleurs, les Tatars de Crimée prenaient des esclaves russes et ukrainiens (ces derniers habitaient l'état polonais et lithuanien Rzeczpospolita) et en faisaient le commerce avec l’Empire Ottoman jusqu’à la deuxième moitié du XVIIIe siècle. Le mot « esclave » provient de « slave ».
L’expérience du couple franco-allemand avec le monde musulman (hormis la présence de travailleurs immigrés) est toute différente. Pour l’Allemagne, il s’agit d’alliance avec l’Empire Ottoman durant la Première Guerre mondiale et de coopération avec l’Afghanistan (datant d’avant cette dernière). Quant à la France, on connaît la bataille victorieuse de Poitiers de 732, où Charles Martel a stoppé l’invasion arabe. La France du Sud a subi, comme l’Italie, des raids de pirates sarrasins. Les Français ont pris une part très importante dans l’organisation des croisades. François Ier a conclu une alliance avec les Turcs de Soliman le Magnifique et, ensemble, ils ont assiégé Nice en 1543. Quelques siècles plus tard, la France est une des plus grandes puissances coloniales, dominant plusieurs pays arabes. Le mandat français sur la Syrie et le Liban a été institué par la SDN en 1920.
Et puisqu’on a mentionné le Liban, parlons de son système politique qui reflète sa composition religieuse. Son Président est chrétien maronite, son Premier ministre est musulman sunnite et le president de son Assemblée nationale est musulman chiite. Le vice-Premier ministre et le Porte-parole du gouvernement sont des chrétiens orthodoxes. Le statut des plus de 450 000 réfugiés palestiniens dans ce pays (majoritairement sunnites) divise sa classe politique. Les sunnites (appelons-les « les uns ») sont favorables à une naturalisation de ces derniers tandis que les autres (c’est-à-dire les maronites, les chiites et ceux des autres communautés religieuses) y sont opposés. Les uns n’y voient que la résolution d’un problème humanitaire tandis que les autres ne pensent qu’à l'équilibre inter-confessionnel fragile qui serait ainsi violé.
Quand il s’agit de l’immigration clandestine vers l’UE, les uns (représentés par M. Verhofstadt) demandent que l’on accueille de nombreux migrants musulmans en se motivant par le respect de certaines valeurs européennes. Les autres (comme M. Orban) seraient prêts de rappeler aux uns que la toute première valeur de l’Europe, ce sont les pays et nations la constituant.
Nous allons parler aussi d’un des pays qui sont candidats à joindre l’UE. Il s’agit de la Macédoine (du Nord). Mais avant tout, rappelons qu’un des résultats importants de la présence ottomane en Europe est le fait qu’il y reste aujourd’hui des peuples et minorités musulmans, tels que les Bosniaques, les Albanais, les Gorans, les Torbèches, les Pomaques etc. (Ces derniers sont des descendants de Bulgares des Rhodopes convertis par la force à l’islam ; ceux qui refusaient la conversion se faisaient tuer.) Les guerres de l’ex-Yougoslavie opposaient les Serbes d’un côté et les Croates, Slovènes, Bosniaques et Albanais (du Kosovo) de l’autre, aussi les Croates aux Bosniaques. Mais il y avait également un conflit secondaire de 2001 entre Macédoniens et Albanais de Macédoine. Au sens propre, le conflit est déjà passé mais ses racines profondes sont toujours là. Il s’agit de la différence entre les taux de natalité des deux communautés les Albanais ayant de 6 à 8 enfants par couple. Les Macédoniens voient alors le territoire de leur peuplement effectif rétrécir au profit des Albanais. Le même problème touche aussi les Serbes du Kosovo et de la Serbie du Sud et les Monténégrins. Ce n’est pas du tout comme entre les Flamands et les Wallons, deux peuples catholiques disposant chacun de sa propre zone linguistique (sans parler de la ville de Bruxelles, pour faire simple). Et c’est dans ce contexte que les Macédoniens subissent une pression de migrants sur leur frontière Sud. Il est clair qu’ils ne seraient pas d’accord que ces migrants puissent traverser leur pays. Il y aurait le risque que certains y restent, et ils s’agit d’autres musulmans. Ce qui ne signifie pas, bien évidemment, que les Albanais ne regardent pas les migrants comme des indésirables, ne serait ce que pour des raisons économiques.
Donc pour les Macédoniens, l’UE joue le rôle d’une organisation qui, avant même qu’ils en fassent partie, essaie de leur imposer le passage de migrants par leur pays (et implicitement aussi leur séjour dans le pays), ce qu’ils considèrent comme contraire à leurs intérêts nationaux. Maintes dirigeants influants de l’UE décident de ne pas déclarer que renvoyer la plupart des migrants chez eux soit une priorité, les navires des pays de l’UE n’arrêtent pas les embarcations de migrants et l’Aquarius ne fait que continuer le travail des passeurs. Sur quoi alors doivent compter les Macédoniens de la part de l’UE ?
Plus à l’Est, ce sont les Bulgares qui veillent sur leur frontière terrestre avec la Turquie. De nombreux Afghans ayant traversé celle-ci essaient de passer la clôture récemment construite le long de cette frontière. Les Afghans essaient de s’introduire dans la région boisée de Strandja et des volontaires bulgares essaient de les arrêter et de les renvoyer vers le côté turc. Tout comme les Macédoniens, les Bulgares ne veulent pas voir des Molenbeek pousser chez eux. On peut se rappeler qu’en 1984, l’ex-dictateur communiste Todor Jivkov a changé de force les noms des Turcs ethniques et des Pomaques par des noms bulgares sous le prétexte que ces derniers avaient demandé de l’autonomie au sein du pays. Après la chute du communisme en 1989, les membres de ces minorités ont retrouvé leurs noms originaux mais la nation bulgare est restée déchirée le long de lignes religieuses.
Puisqu’on a mentionné la Turquie, l’ héritièr de l’Empire Ottoman, rappelons qu’elle exercera toujours une influence importante auprès des musulmans sunnites d’Europe.
Pour son Président actuel Erdoğan, les rapports de partenariat entre l’UE et la Turquie ne se trouvaient pas à un niveau satisfaisant. Après le virage depuis le coup d'état avorté de 2016 de ce pays vers une société plus islamisée et moins laïque, les hommes politiques occidentaux ont compris qu’ils avaient parfaitement raison de ne pas accepter que la Turquie devienne membre de l’UE. Et, malheureusement, ce pays aura toujours son mot à dire quand il s’agira de la guerre civile en Syrie, une des sources principales de migrants vers l’Europe.
Un autre pays qui exerce de l’influence sur les fidèles sunnites, c’est l’Arabie Saoudite. Il s’agit ici d’influence religieuse et spirituelle (accompagnée de construction de mosquées dans les pays européens) car chaque musulman doit faire au moins une fois dans sa vie le Hajj (pèlerinage à la Mecque). Etant donné que les droits des femmes sont restreints dans ce pays et qu’un Saoudien peut se faire infliger un châtiment corporel pour avoir introduit de l’alcool au pays, on peut admettre que cet état stimule le fondamentalisme islamiste, ce milieu nutritif sur la base duquel se développent les Molenbeek.
Des châtiments corporels comme faisant partie de la charia sont appliqués aussi dans la province indonésienne d’Aceh (pour sexe en dehors du mariage, par exemple). Et ce n’est pas le seul aspect d’incompatibilité entre une société basée sur la charia et une société laïque (ce qui est le cas de la plupart des sociétés dans les pays dits « chrétiens » au sens large). Peu importe que ceci ne soit pas dit sans ambiguïté dans le Coran, pour la majorité des savants religieux musulmans, quand un musulman renie sa religion (c-est-à-dire devient apostat), un tel acte mérite la mort. On connaît le cas de Mohamed Ould Cheikh M'Kheitir, un Mauritanien condamné à mort pour apostasie en décembre 2014, avant que sa peine soit réduite en appel.
Cette incompatibilité et surtout l’histoire d’Europe abondamment arrosée de sang, y compris des récents conflits ex-yougoslaves et des attentats perpétrés par des terroristes islamistes radicaux, rendent incompréhensible l’attitude de certains hommes politiques européens qui refusent de voir dans l’immigration massive en provenance de pays musulmans un vrai danger pour l’Europe. Essayer d’imposer à un pays européen d’accepter de grandes quantités de tels migrants, c’est essayer de priver ce pays d’une partie de sa souveraineté. Viktor Orban est loin d'être le seul à ne pas vouloir admettre qu’une chose pareille arrive à son pays.
14 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON