Changement climatique : faut-il casser le thermomètre ?
Alors que l’amplitude thermique quotidienne dépasse régulièrement les dix degrés, comment pourrions-nous être émus par un réchauffement de 2 degrés ?
Deux degrés : pourquoi tout le monde s’en moque
Les diagrammes décrivant l’évolution de la température mondiale depuis la fin du XIXe siècle montrent ainsi une courbe presque plate1.
En un siècle et demi, la température moyenne du globe a donc augmenté d’environ 1°C.
Bon, d’accord, mais qu’est-ce que ça change dans notre vie quotidienne ?
Pourquoi parler en degrés empêche d’agir
Le fait de parler en degrés ne permet pas d’appréhender véritablement une progression en valeur relative.
Prenons l’exemple d’une augmentation de température de 10° à 11° Celsius. Cela correspond à un passage de 50° à 51,8° Fahrenheit, soit +10% en Celsius et +3,6% en Fahrenheit.
L’absence de proportionnalité quand on raisonne en degrés implique qu’on ne communique que sur cette fameuse élévation de 2,3 ou 4 degrés. C’est l’impasse.
Deux notions mesurables ET parlantes, le besoin de chauffage et le besoin de refroidissement
Les professionnels du chauffage et de la climatisation utilisent pourtant une référence bien plus parlante, qui permet de mettre en évidence les changements climatiques en cours : les degrés-jours unifiés ou DJU2.
Pour un lieu donné, le degré-jour est une valeur qui représente l’écart entre la température d’une journée donnée et un seuil de température préétabli (définition du COSTIC3).
Besoin de chauffage : les degrés-jours chauffagiste
Pour la période hivernale (période de chauffe), on calcule ce que l’on appelle les degrés-jours chauffagiste. Chaque jour de cette période, on calcule la différence entre une valeur de température visée à l’intérieur des logements et la température extérieure.
S’il fait plus froid à l’extérieur qu’à l’intérieur, il faut chauffer. Logique.
En pratique, avec l’une des méthodes utilisées pour le calcul (la méthode météo), la température extérieure est calculée à partir de la moyenne entre le maximum et le minimum relevés sur 24h.
Par exemple, avec une température de référence intérieure de 18° et une température extérieure de 10°, on va compter 18-10=8 degrés-jour. Naturellement, lors d’une belle journée d’hiver, si la température extérieure est de 19°, on n’a pas besoin de chauffer les locaux, et du coup on ne compte aucun degré-jour.
Le cumul des degrés-jours pendant l’ensemble de la saison de chauffe (par exemple, du 15 octobre au 15 avril) dans une ville donnée donne les DJU de la ville en question. Il permet d’évaluer le besoin de chauffage des logements. Plus les DJU chauffagistes sont élevés, plus il fait froid, plus il faut chauffer.
Rappelons que les degrés jour chauffagiste sont utilisés comme outil de référence dans la plupart des contrats d’exploitation des grandes sociétés énergétiques. Ils permettent en effet de corréler la consommation d’énergie avec la rigueur du climat.
Besoin de refroidissement : les degrés-jours climaticien
C’est à peu près la même logique qui prévaut pour l’été, mais dans le sens opposé, car il s’agit d’évaluer le besoin de refroidissement4. Chaque jour de cette période, on mesure la différence entre la température moyenne extérieure et la température visée à l’intérieur des locaux. Ainsi, avec une température extérieure de 30° et une température intérieure fixée à 24°, on comptabilise 6 degrés-jour.
Les degrés-jours : un indicateur qui permet de mesurer une évolution relative
Contrairement aux degrés seuls, nous disposons avec les degrés-jours d’un indicateur qui rend possible la comparaison d’une année par rapport à une autre, avec une notion de proportionnalité.
Le réchauffement hivernal : un tabou ?
Voici l’évolution des DJU pour la saison de chauffe sur les villes de Paris, Lyon et Marseille depuis les années 505.
Ces courbes expriment clairement la diminution des besoins de chauffage, avec une baisse de 20 % sur la période (-18 % pour Lyon et Paris, -22% pour Marseille). Les droites d’ajustement traduisent la tendance linéaire. Mais naturellement, la météo est tout sauf linéaire…
Le grand public a-t-il été informé de cette conséquence opérationnelle du réchauffement climatique ? Car -20% des besoins de chauffage, cela signifie bien -20% de consommation d’énergie !
Le fait que l’on ait tendanciellement moins besoin de chauffage en hiver pourrait-il être un tabou ?
Les gouvernements successifs incitent plutôt, dans le cadre des aides à la transition énergétique, à une isolation des bâtiments toujours plus importante. Or, avec cette évolution, beaucoup d’acteurs pourraient considérer qu’il n’est plus nécessaire d’effectuer des efforts sur l’isolation et sur les économies de chauffage en hiver.
Ce serait une erreur, car :
- il n’y a pas de certitude sur la prolongation du réchauffement (un arrêt du Gulf Stream pourrait déclencher un refroidissement local).
- le prix de l’énergie est plutôt orienté à la hausse sur le long terme ; une mauvaise isolation n’empêche pas une augmentation des coûts, même si les besoins de chauffage diminuent.
- enfin, un climat tropical toute l’année en France métropolitaine n’est pas prévu avant bien longtemps. Pour mémoire, la température moyenne annuelle est de 24°C à l’île de la Réunion et de 14°C à Marseille.
Les faits sont néanmoins là : les besoins de chauffage diminuent dans le temps sur les trois premières métropoles françaises.
Réchauffement estival : une explosion des besoins de climatisation
Voici maintenant l’évolution des degrés-jours climaticiens sur Paris, Lyon et Marseille depuis les années 506.
La tendance au réchauffement apparaît donc bien plus forte en été : augmentation de 47% des DJU climatisation à Marseille, de 105 % à Paris et de 149% à Lyon ! En outre, si la température de référence pour la climatisation était prise sur une base de 24 ou 26°C, sachant que les données disponibles sont ici sur une base de 18°C, l’augmentation relative apparaîtrait encore plus forte.
Comment amener les dégrés-jours à remplacer les degrés tout court ?
Sur la base des moyennes de températures à Paris sur la période 1950-2017, on obtient 1,8°C d’augmentation de la température. Annoncer que le besoin de chauffage en hiver a diminué de 20% sur la même période d’une part, et que le besoin de refroidissement en été a augmenté de 100 % est évidemment plus parlant.
Dès lors, comment procéder pour faire reconnaître l’indicateur degrés-jours ?
De nouveaux indicateurs environnementaux récents et utiles ont bien été popularisés
Des indicateurs environnementaux nouveaux sont arrivés ces dernières années.
Ainsi, nous avons vu apparaître la « température ressentie7 », permettant de prendre en compte le refroidissement lié au vent. Ce concept n’est plus basé sur le thermomètre. Il est bien accepté et utilisé couramment.
Autre indicateur, le « jour du dépassement8 », date à laquelle l'humanité a dépensé l'ensemble des ressources que la Terre peut régénérer en une année. En 2018, la date obtenue par l’ONG Global Footprint Network est le 1er août.
Normaliser les notions de « besoin de chauffage » et de « besoin de climatisation »
Aujourd’hui, les DJU sont calculés pour une station météo donnée. Or, nous aurons besoin d’indicateurs normalisés à des échelons plus larges : métropoles, régions, états (avec des zones climatiques cohérentes).
Des dates conventionnelles devront également être choisies : la saison de chauffe ne commence pas au même moment à Chamonix et à Menton !
La base de température intérieure de 18°C en hiver est généralement admise, mais la base estivale reste à préciser (24°C, 26°C... ?).
Les méthodes de calcul elles-mêmes devront être affinées, selon la représentation plus pédagogique ou physique que l’on visera.
Communiquer massivement sur ces nouveaux indicateurs
Une fois les degrés-jours nouvelle mouture disponibles, il sera naturellement nécessaire de les médiatiser massivement, comme on le fait actuellement avec les degrés de réchauffement à horizon 2100.
Engager les actions
Continuer à réduire les consommations de chauffage
Encore une fois, la France métropolitaine ne connaîtra pas de températures tropicales avant longtemps. En outre, le chauffage hivernal est émetteur de gaz à effet de serre qui accroissent le réchauffement. Dans les résidences principales en France, 43% du parc est chauffé au gaz et 14% au fioul9. Le chauffage électrique n’est lui-même pas neutre en CO2. Et cela, sans même entrer dans le débat sur le nucléaire, qui est loin de proposer des solutions éprouvées pour les déchets qu’elle génère.
Oui, même si nous sommes dans une période de réchauffement, pour éviter l’emballement, il faut poursuivre l’encouragement de l’isolation des logements, d’autant plus que l’on sait faire à coût raisonnable des bâtiments passifs, dont les besoins de chauffage sont dérisoires.
Confort d’été : un enjeu considérable
Face à la très forte hausse des températures estivales, il faut être réaliste : les besoins de refroidissement vont exploser.
Il est possible de retarder le recours à la climatisation grâce à des ventilateurs de plafond, qui abaissent nettement la température ressentie. Mais pour les épisodes de canicule, seule l’air conditionné pourra apporter des conditions de confort acceptable.
Reconnaissant cela, il faut être extrêmement vigilant sur un développement non maîtrisé de la climatisation. Ainsi, les climatiseurs traditionnels renvoient de l’air chaud à l’extérieur des bâtiments, contribuant à renforcer l’effet « îlot de chaleur » en zone urbaine.
Des bâtiments passifs, limitant les déperditions de froid comme de chaud, peuvent ici encore constituer une réponse intéressante. Mais cela ne sera pas la seule solution : il faudra aussi végétaliser davantage, « débétonner », limiter la circulation des véhicules thermiques, favoriser les zones bien ombragées…
Nous sommes tous concernés : pouvoirs publics, propriétaires des logements ou de bureaux, occupants. Les industriels de l’énergie, du bâtiment et de l’isolation doivent aussi prendre leur part pour contribuer à l’intérêt général, comme d’ailleurs tous les acteurs de la filière. La balle est dans notre camp.
Notes de bas de page
1. source Météo France
3. Comité Scientifique et Technique des Industries Climatiques.
4. Autant l’indicateur hivernal (DJU chauffagiste) est largement utilisé par les professionnels du chauffage et contribue au calcul des consommations d’énergie, autant l’indicateur estival (DJU climaticien) a davantage un caractère informatif, car un nombre plus grand de critères détermine la consommation de climatisation.
5. Les trois courbes ont été harmonisées. Base DJU 18°C, calcul selon méthode des professionnels de l’énergie, période de chauffe du 1er octobre au 31 mai. Deux années jugées anormales ont été remplacées par la moyenne de leur décennie (Marseille en 1951, Paris en 1984).Diagramme réalisé grâce aux données du site infoclimat.fr
6. Les trois courbes ont été harmonisées. Base DJU 18°C, calcul selon méthode des professionnels de l’énergie, période de climatisation du 1er juin au 30 septembre. Les deux années 2013 et 2014 de Marignane, jugées anormales, ont été remplacées par les années correspondantes d’Istres, le climat de ces deux stations étant très proche. Diagramme réalisé grâce aux données du site infoclimat.fr
7. Voir article de Météo France sur la température ressentie
8. Voir la page du WWF sur le sujet
9. données CEREN 2015
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