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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > Egon Schiele, l’enfant tourmenté et sulfureux

Egon Schiele, l’enfant tourmenté et sulfureux

« Je me fais une publicité terrible avec mes dessins interdits. » (Cité par Jeanette Zwingenberger et Esther Selsdon).



Il y a exactement un siècle que le peintre expressionniste Egon Schiele est mort. Le 31 octobre 1918, il s’est "éteint" à Vienne de la "grippe espagnole" (à l’appellation trompeuse). Sa femme Edith, qui était enceinte d’un bébé au sixième mois de sa grossesse, est morte trois jours avant lui. Tout Vienne fut sous le choc de l’épidémie. Il n’avait que 28 ans (né le 12 juin 1890 à Vienne), mais il a laissé des milliers d’œuvres, souvent guidées par des pulsions de mort ou des pulsions sexuelles, qui en fait l’un des artistes essentiels du début du XXe siècle. Entre 1906 et 1918, en douze ans donc, il a réalisé environ 3 000 dessins, aquarelles et gouaches et 300 peintures (et très peu de gravures, lithographies).

Son dernier tableau ("La Famille") anticipa à tort la famille qu’il n’a jamais eue : il envisageait ainsi la paternité dans un cadre stable après quelques années d’errance avant de rencontrer sa future épouse (l’écrivain et cinéaste Alain Fleischer a publié un essai sur ce tableau en 2008 aux éditions du Huitième jour).

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Egon Schiele fut passionné par le dessin et la peinture très tôt dans son existence qui a été marquée par plusieurs drames comme la mort de sa sœur aînée (quand il avait 3 ans) et surtout la mort de son père de syphilis (quand il avait 14 ans). Ce fut à la mort de son père qu’Egon Schiele a commencé à peindre ses premiers autoportraits. Sa mère convainquit l’oncle, qui était devenu le tuteur, de laisser Egon étudier aux Beaux-Arts de Vienne (à partir de 1906) parce qu’il avait un talent fou, mais le futur artiste quitta vite ce repaire du conservatisme et d’académisme avec d’autres amis pour fonder son propre groupe artistique, le "Neukunstgruppe" ("groupe pour le nouvel art", en allemand).

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Ce petit groupe d’amis fut essentiel dans la promotion mutuelle de leurs œuvres, et aussi dans leur vie personnelle (l’un s’est marié à l’une des sœurs d’Egon Schiele, par exemple). En 1907, Egon Schiele a fait la rencontre de son maître artistique, Gustav Klimt (1962-1918), qui l’a ensuite introduit dans différents cercles artistiques. Les deux peintres allaient s’apprécier et apprécier leurs œuvres mutuellement. L’année 1909 fut pour Egon Schiel essentielle car elle représenta son ouverture à son public et à ses "sponsors" : premières expositions, rencontre avec des éditeurs, des collectionneurs, etc.

Pendant le reste de sa vie, il a réalisé des dizaines et des dizaines d’autoportraits, qui montre toute l’étendue de son état d’esprit très tourmenté, torturé, inquiétant, d’une noirceur à faire peur, de traits qui sembleraient presque cadavériques, d’un style ascétique et abrupt. Les mains et les membres en général ressemblent à des parties d’un squelette, les visages sont souvent horrifiés, tuméfiés. L’un des autoportraits fait vraiment penser au célèbre tableau d’Edvard Munch (1863-1944), "Le Cri" (1893).

Également poète, Egon Schiele savait décrire ses sensations : « J’entre sous le dôme noir rouge de cette épaisse forêt de sapins, qui vit sans vacarme et se regarde en mimant. Les troncs d’yeux qui denses s’agrippent et expirent un air visiblement humide. Parfois ! Tout est mort vivant. ».

La critique parlait d’un "excès d’un cerveau perdu". Egon Schiele ne manquait pas d’humour ni d’autodérision car beaucoup décrié (pour les raisons qui suivent), il coupait l’herbe sous le pied de ses détracteurs en dessinant ses yeux avec un certain strabisme, pour jouer sur son patronyme qui est associé au verbe "schielen" qui signifie en allemand "loucher".

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Signe d’un talent original, le style d’Egon Schiele est reconnaissable parmi les autres, mais il ne fut pas reconnu par beaucoup de monde au début. Pas seulement de lui, il a fait aussi beaucoup de portraits d’amis. Il a exposé ses tableaux et dessins dans certaines villes allemandes et austro-hongroise (Prague, Cologne, Munich, Budapest, etc.).

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La rencontre de la gracieuse Wally Neuzil (1894-1917), supposée être un modèle de Klimt, fut une étape importante dans sa vie, ils ont noué une liaison artistique et amoureuse de 1911 à 1913. La femme avait la réputation d’être une prostituée. Ils se sont installés dans une petite ville de Bohême, Krumau, d’où fut originaire la mère d’Egon, mais, rejetés par les habitants, ils se résignèrent à habiter finalement près de Vienne.

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Pourquoi un tel rejet ? Parce que les toiles d’Egon Schiele étaient "sulfureuses". Il a peint de nombreux nus qui avaient des poses très osées, ou même scandaleuses, notamment des couples de lesbiennes, ou alors un cardinal avec "sa" nonne (en 1912), etc. Beaucoup de dessins d’Egon Schiele étaient à caractère érotique, il ne s’interdisait pas non plus à se représenter nu, dans les poses, la composition, tout porterait aussi à croire qu’Egon Schiele cherchait plus à peintre la réalité crue plutôt que des positions à vocations pornographiques.

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Comme avec ses autoportraits, ses représentations de nus ont parfois l’air très sombre. Les regards sont noirs, les membres parfois désarticulés. Egon Schiele s’était inspiré notamment des gestes de malades dans un asile psychiatrique.

Cet "audacieux" art a valu à Egon Schiele vingt-quatre jours de prison en avril 1912, soupçonné de détournement de mineures et de pédophilie. Soutenu de manière indéfectible par sa compagne Wally, il fut innocenté pour les soupçons qui ont provoqué sa détention (il fut arrêté parce qu’il avait séduit une jeune fille mineure) mais fut quand même condamné pour atteinte aux bonnes mœurs car il exposait ses œuvres qui n’étaient pas destinées aux enfants dans des lieux publics (en fait, dans son atelier mais des enfants pouvaient y venir et les apercevoir). Même si ce fut court, son séjour en prison l’a beaucoup traumatisé, lui qui refusait tous les cadres : « Entraver l’artiste est un crime, cela revient à assassiner une vie en germe. ». Cela lui inspira quelques œuvres encore plus sombres.

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Il est vrai qu’Egon Schiele adorait les femmes et un moment, il compta qu’il avait reçu 180 femmes dans son atelier en huit mois !

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Ce scandale a probablement contribué à diffuser ses œuvres dans toute l’Europe en 1913 et 1914, qu’il a exposées, en plus des villes déjà citées plus haut, à Düsseldorf, Dresde, Paris, Bruxelles, Rome, etc. Son talent commença à être reconnu à sa juste valeur. Certaines personnes haut placées qui l’admiraient lui permirent de passer son service militaire, en 1914, dans un bureau administratif pour continuer à se consacrer au dessin et à la peinture malgré la guerre.

Egon Schiele avait quitté Wally en 1913 (celle-ci est morte de la scarlatine à l’âge de 23 ans, le 27 décembre 1915) et se maria le 17 juin 1915 avec Edith Harms, l’une des deux sœurs voisines avec lesquelles il avait sympathisé à partir de 1914 (il a eu aussi des relations avec la sœur, Gertrude). Son mariage a eu lieu quatre jours avant sa mobilisation à Prague pour quelques semaines avant de retourner à Vienne.

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Toujours dans sa soif de reconnaissance et tombant dans la vanité, il a réalisé l’affiche de la 49e exposition de la Sécession viennoise en mars 1918, en se représentant au milieu d’une composition qui pourrait être prise pour la Cène. Egon Jésus Christ ! Lors de cette exposition, qu’il organisa alors qu’elle aurait dû être présidée par Klimt qui est mort le mois précédent, Egon Schiele remporta un vif succès avec les œuvres qu’il a présentées et réussi à vendre. Il reçut beaucoup de commandes de portraits, mais qu’il n’a jamais pu honorer en raison de sa mort soudaine.

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Pour se donner une idée de l’importance d’Egon Schiele aujourd’hui, voici trois exemples, parmi d’autres, de sa valeur dans le marché de l’art, au cours de ventes chez Christie’s, à New York.

Un tableau représentant la ville de Krumau en 1910 a été vendu à presque 3 millions de dollars le 5 novembre 2014.

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Le dessin représentant un nu couché avec jambe gauche levée, réalisé en 1914, a été vendu à près de 1,8 million de dollars le 6 mai 2008.

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Enfin, probablement le record, le tableau représentant un autoportrait avec modèle, peint en 1913, a été vendu à plus de 11 millions de dollars le 8 mai 2013.

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Le site de Christie’s évoque la permanence de l’œuvre d’Egon Schiele (qui disait : « Mon œuvre n’est pas moderne, elle est de toute éternité. ») en ces termes : « L’héritage artistique de Schiele est profond. Cent ans après sa mort, l’anxiété suscitée par les images érotiquement chargées de Schiele n’a pas diminué. Peu d’artistes ont été aussi francs dans leur exploration de la sexualité et n’ont pas manqué d’être aussi dangereux que le tabou. ».

Dans le monde cette année, de nombreuses expositions rendent hommage à Egon Schiele à l’occasion du centenaire de sa mort. Trois ont déjà fermé leurs portes, au Metropolitan Museum, à New York, qui a exposé des nus d’Egon Schiele du 3 juillet 2018 au 7 octobre 2018, à la Neue Galerie, à New York, du 26 juin 2018 au 4 septembre 2018, et au Tate Liverpool jusqu’au 23 septembre 2018. Une autre va bientôt se clore le 4 novembre 2018 à Vienne, au Leopold Museum, qui expose une quarantaine de tableaux et près de 180 dessins d’Egon Schiele.

La Royal Academy of Arts à Londres présente des dessins réalisés par Egon Schiele et Gustav Klimt du 4 novembre 2018 au 3 février 2019. Enfin, la Fondation Louis Vuitton, au Bois de Boulogne, près du Jardin d’acclimatation de Paris, dans le 16e arrondissement, propose également une exposition sur Egon Schiele et Jean-Michel Basquiat du 3 octobre 2018 au 14 janvier 2019 (Jean-Michel Basquiat fut, lui aussi, un enfant terrible de l’avant-garde, laissant plus de 800 tableaux et 1 500 dessins à sa mort à l’âge de 27 ans, il y a trente ans, le 12 août 1988).

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Et voici pour terminer un extrait d’un écrit d’Egon Schiele : « L’artiste est surtout un être extrêmement doué au plan spirituel qui exprime des vues de phénomènes imaginables dans la nature. Qu’il soit explorateur lequel la nature d’abord approche et qu’il se montre pour être communiquée au monde. L’artiste ressent aisément la grande lumière tremblante, la chaleur, le souffle des êtres vivants, l’émergence et la disparition. Il devine la ressemblance entre les plantes et les animaux, entre les animaux et les humains, et la ressemblance entre l’homme et Dieu. Ce n’est pas l’érudit dévorant par ambition les livres, il est lui-même. La religion est pour lui un degré dans le ressenti. (…) C’est au-dehors dans la tempête automnale déchaînée ou bien tout là-haut sur les rochers où poussent pour lui de nobles fleurs, c’est là qu’il est à même de deviner Dieu. » ("Lequel d’entre les grands doués", traduit par Henri Christophe, éd. Agone).


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (31 octobre 2018)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Egon Schiele.
Banksy.
Marcel Duchamp.
Pablo Picasso.
Le British Museum et le monde des humains.
Yves Klein.
Le Tintoret.
Gustav Klimt.
Georges Méliès.
David Hamilton.
Paula Modersohn-Becker.
Auguste Rodin.
Margaret Keane.
Rouault et Matisse à Paris.
La garde rapprochée du Premier Empereur de Chine.
Un Renoir de la Côte d’Ivoire.
Magritte.
Daniel Cordier.
Boulez à Paris.
La collection Cordier à Rodez.
Soulages à Rodez.
Claude Lévêque à Rodez.
Caillebotte à Yerres.
Goya à Paris.
Brueghel à Paris.
Chagall à Paris.
Dali à Paris.
Van Gogh à Paris.
Hiroshige à Paris.
Manet à Paris.
Rembrandt à Paris.
Boltanski, artiste contemporain.
Boltanski au MacVal.

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9 réactions à cet article    


  • pallas 1er novembre 2018 13:12
    Sylvain RakotoarisonBonjour,

    Mise à part la perversité pédophile de ce déchet de peintre, enfin cloporte, je peut faire des gribouillages moi aussi.

     smiley

    Salut


    • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 1er novembre 2018 13:37

      Article étonnant après les nombreuses niaiseries de Rako. La réalité nue. Il faut une grande force pour la voir en face. J’ai un livre sur les dessins faits sur des mies de pain et des bouts de charbon dans les camps de concentrations et retrouvés à la sortie. SAVOIR VOIR. 


      • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 1er novembre 2018 13:44

        Stefan Zweig fut aussi accusé de pédophilie. L’époque était monstrueuse et a enfanté l’innomable. Ne tombons pas dans l’excès inverse de croire l’humain pur et sans perversion. Cela n’existe pas. Juste des nuances et des degrés,....


        • Fanny 1er novembre 2018 15:54

          « Jean-Michel Basquiat fut, lui aussi, un enfant terrible de l’avant-garde »


          Schiele et Basquiat. Deux lumières aveuglantes éclairant notre temps.


          • ZenZoe ZenZoe 1er novembre 2018 17:54

            Un talent fou, et un artiste, un vrai, qui peignait avec ses tripes.


            • egos 1er novembre 2018 18:25

              V Schlöndorff prêtait à Egon Schiele cette approche des activités artitisques : 

              « la fonction de l’art est de réparer les erreurs de la création et de l’histoire »

              Par certains aspects et au niveau intime, le propos offre matière à réflexion.

              Quoique le peintre n’ait pas fait preuve de bcp compassion au travers de ses autoportraits.

              Les portraits et tableaux féminins, qd à eux, représentent probablement la quintessence de la production artistique de cette période mêlant une approche figurative dans une expression épurée à l’extrême, chargée de sensualité brute, glacée, émotionnelle et tendre.

              Il serait tentant de rapprocher Klimt et Schiele (cf le cliché), l’époque, les lieux, une proximité avec l’art abstrait,

              pour autant, tout dans leurs réalisations les éloigne,

              à l’exception des series Standing Girls et Moa.

              Nude on coloured fabric

              Three girls

              Two girls

              Girl with Blue-Black Hair and Hat

              Nude


              • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 2 novembre 2018 10:46

                La civilisation pour être équilibrée a besoin de sa partie sombre pour être dans la lumière. Tous les peintres le savent. Et la sublimation des pulsions même « limites » est la voie que nous indique Schiele. Et si Hitler avait poursuivi la peinture,... ? .Merci à nos « fous géniaux », il ne sont ni mieux, ni pires que vous. Mais ils ont au moins essayé des transcender leurs démons,...UN TOUT GRAND,...


                • Jean 2 novembre 2018 17:18

                  super ! photoshop est réparé !


                  • Elliot Elliot 2 novembre 2018 20:16

                    Je me suis toujours demandé pourquoi vos articles qui, au départ, appelait la lecture faisaient finalement l’objet de notations négatives voire très négatives des lecteurs ( en somme, j’imagine tout de même qu’ils vous lisent et ne vous condamnent pas sur votre apparence ou pour Dieu sait quel motif )
                    Ce dernier article m’a peut-être ( on n’est jamais trop prudents ) permis de comprendre : en fait, il n’y a chez vous aucune recherche de l’originalité, à peine un soupçon d’engagement personnel en faveur du sujet traité ( j’ai eu de la peine à éviter de le qualifier d’objet par déférence pour le grand artiste )

                    Vous vous contentez de faire vôtres des opinions données par d’autres.

                    Cela se comprendrait dans le catalogue d’introduction d’une exposition mais c’est peut-être un peu abusif dans le cadre d’un article.

                    Rassurez-vous, je ne lis pas l’intégralité de votre prose et notamment les chroniques nécrologiques où on se surprend à détester celui qui fait l’objet de votre sollicitude.

                    Vous êtes un des incontournables d’Agoravox, votre production a l’air d’être industrielle mais elle emporte, semble-t-il, l’adhésion d’une majorité de modérateurs mais ces derniers ne poussent pas l’audace jusqu’à vous favoriser de leurs appréciations positives.

                    C’est, vous en conviendrez, assez interpellant.

                    Vous faites en fait une œuvre de compilateur, vous nous livrez une masse d’appréciations pêchées Dieu sait où.

                    Vous devriez vous concentrer sur cet aspect du métier et nous composter une encyclopédie des personnages qui vous ont marqué vous et dont vous espérez nous faire partager l’excellente opinion que vous en avez mais aussi éviter de nous en imposer les épreuves sur Agoravox.


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