L’État du monde
Une civilisation n’est puissante que par le nombre de ses fidèles et par la cohérence pouvant être créée par un quelconque sacré entre dominants et dominés, nantis et démunis. Dans ce cadre quel est l’état du monde ?
Les auteurs, les philosophes, les grands esprits prédisent le délitement ou l’effondrement à courte échéance de la civilisation judéo-chrétienne. Celle-ci est de fait profondément divisée entre ceux qui croient dans le seul Dieu-Amour et d’autres qui spéculent que « la richesse est une bénédiction divine ». Il s’agit donc d’un combat entre la quête d’un idéal inaccessible sur terre et la recherche bien plus réaliste de biens matériels : que cherche-t-on le paradis ou le paradis terrestre ? La fin de la séquence est connu, le spirituel n’a aucune chance contre le temporel, les biens célestes contre les biens terrestres, l’ascèse contre la jouissance, l’humilité contre le besoin de domination. Mais la quête de profit ne représente pas un sacré unificateur entre les humbles et les dominants : Dieu est bien mort. C’est pourtant grâce à lui qu’une élite pouvait demander efforts et abnégation aux masses populaires. D’autres mécanismes bien loin du sacré, la concurrence, la loi du marché, des pseudo-lois économiques, sont proposés à la place par l’intermédiaire d’une inondation médiatique et politique mais ces propositions conduisent inévitablement au renforcement des inégalités, et tôt ou tard, ceux qu’un sacré n’éblouit plus s’en rendent compte. Dans la société proposée ce sont les inégalités qui doivent assurer la cohésion par la contrainte ou la coercition, l’expérience montre que la pire des ploutocraties ne parvient pas à se maintenir. Il se trouve aussi que les occidentaux sont ceux qui ont le plus massivement utilisées les énergies fossiles (gaz, pétrole, charbon) pour bâtir une société dans laquelle un morceau terrestre du paradis céleste promis depuis longtemps fut installée : le temps de ce paradis artificiel est compté.
L'Europe, qui constitue le cœur de la civilisation judéo-chrétienne, compte environ 738 millions d'habitants en 2015 en comptant la Russie. Le taux de fécondité dans l'Union européenne est de 1,6 enfant par femme. Même si ce taux est un peu supérieur (1,75) en Russie, la natalité n’assure pas le renouvellement endogène des populations ce qui reflète, ou qui est dû, à l’effritement des valeurs fondatrices.
L’Afrique subsaharienne ne connaît pas une telle panne démographique (4,9 enfants par femme). Sa contribution à la population mondiale globale augmente constamment de 1950 à nos jours pour atteindre un peu moins de 15% actuellement. Il n’existe pas de lien fédérateur spirituel ou politique entre les différents groupes de population. L’Afrique subsaharienne compte 60% de chrétiens, 30% de musulmans et environ 10% suivent les préceptes de religions traditionnelles africaines. Mais l’élan vital des populations n’est pas fourni par l’observation plus ou moins stricte de préceptes édictés par un invisible scrutateur. Tous les pays africains, dans tous les domaines, se sont lancés dans des modèles imitant la civilisation judéo-chrétienne dont ils ont pourtant, pour la plupart, subi les affres de la colonisation.
La tentation d’émigrer d’un pays pauvre à forte natalité vers un pays riche démographiquement déclinant semble s’imposer d’évidence. Au début des années 1960, les africains subsahariens immigraient très peu vers l’Europe. Le volume annuel de l’immigration régulière a régulièrement crû depuis. D’après les projections, « Les Subsahariens, qui représentent 1 % de la population européenne, représenteront 3 % ou 4 % de la population des pays du nord en 2050 ». D’autres études prédisent des chiffres plus élevés car un saut en matière de développement de l’Afrique donnerait paradoxalement lieu à une émigration beaucoup plus massive, il est expérimentalement observé que plus un pays est pauvre, moins ses habitants ont la possibilité de migrer au loin. Pourtant la sagesse voudrait que l’Afrique s’empare des énergies renouvelables pour se constituer un tissu industriel adapté à ses besoins… le fera-t-elle ? Rien n’est moins sûr dans un monde agité par l’instant. La naissance ou l’affermissement d’une civilisation noire propre, autonome et fière de ce qu’elle est, est un prérequis pour éviter le chaos qui découle, et plus encore découlera, de la raréfaction incontournable des ressources fossiles et des migrations qui en découleront. Bâtir une société africaine calquée sur les débris d’un modèle européen en perdition est probablement le meilleur moyen de ne jamais accéder à une civilisation noire riche de ses propres richesses.
La troisième civilisation qui marque le présent est celle associée à l’Islam. En Égypte, Gamal Abdel Nasser meurt en 1970 après avoir renversé la monarchie, mené une politique socialiste ; il avait moqué publiquement le port du voile. Mustafa Kemal Atatürk, fut le premier président de la République de Turquie de 1923 à 1938 ; durant son mandat, il a interdit le port du fez, il n'a pas interdit le port du hijab, mais son port fut interdit aux fonctionnaires. Habib Bourguiba, président de la République de Tunisie entre 1957 et 1987, met en place un ensemble de réformes afin de moderniser son pays et même changer les mentalités des tunisiens. Il met fin au double cursus d’enseignement coranique et occidentalisé : l’école devient publique et gratuite. Il appelle ses concitoyens à ne pas observer le jeûne du ramadan. Il déclare : « Quant à ceux qui s’érigent en défenseurs de la liberté individuelle, du secteur privé et de la libre entreprise, nous disons que le plan sert l’intérêt de tous. Dans notre situation, seule l’action collective est efficace. »
Les dés sont jetés dans ces trois pays musulmans comme partout ailleurs, le modernisme musulman est associé par ses détracteurs au socialisme, au collectivisme : un travail de sape va être mené, il sera couronné de succès. La construction d’un pays ne peut que suivre un seul chemin, celui de la ligne de crête. Celui-ci est étroit et toutes les autres directions conduisent à un abaissement, souvent à une chute irrémédiable. L’alliance contre nature entre les forces obscurantistes des pays arabes et de certains pays occidentaux a été sans équivoque démontrée lors de la guerre d'Afghanistan entre 1979 et 1989 qui opposa des groupes islamistes aidés par les Etats-Unis et le Parti démocratique populaire d'Afghanistan d'obédience marxiste au pouvoir. Dès la chute du régime prosoviétique, les volontaires islamistes arabophones tentèrent de faire de l’Afghanistan une base pour l’entraînement à la guerre sainte (jihad) et construire un État respectant la charia. L’Afghanistan a été transformé en brûlis afin d’éradiquer toute pousse socialisante jugée incompatible avec les arcanes des lois du marché. L’utilisation de l’Islam pour mettre un terme à tout espoir de modernité, a été menée dans tous les pays arabes ou/et musulmans avec le même succès. Le proche Orient est à feu et à sang, et le reste des pays musulmans (Indonésie, Pakistan, Bangladesh…) sont sous haute surveillance.
Environ 25% des habitants de la planète sont musulmans. Au sein des pays à majorité musulmane, le taux de fécondité est passé de 4,3 enfants par femme en 1990 à 2,9 de nos jours. Tous les termes d’une civilisation conquérante sont en place : le nombre et une foi inébranlable dans un sacré qui ne peut être remis en cause.
La Chine et ses 1,4 milliard d’habitants fournit la troisième et dernière civilisation pouvant jouer un rôle durant le XXIe siècle. Contrairement à ses deux consœurs, le pouvoir politique chinois est extrêmement puissant en Chine : le Parti Communiste regroupe 83 millions de membres et domine très largement le gouvernement. La démographie présente la caractéristique, unique au monde, d’être contrôlée par l’État : après une politique très volontaire de l’enfant unique de 1979 à 2015, elle a été suivie depuis par la recommandation d’un nombre maximal d'enfants à deux par famille. Il y a peu de migrants en Chine et il est quasiment impossible de traverser la frontière chinoise sans papiers. Le nombre, l’unité, l’organisation, la cohérence d’action, une foi au moins utilitaire en une force communiste supérieure : tout est réuni pour prédire l’essor de la Chine. Il est intéressant de constater que le développement chinois illustré par le PIB par habitant est particulièrement marqué depuis seulement le tout début des années 2000 et qu’il devient prodigieux après 2005. Tout est fait pour que « la Chine devienne la meilleure destination d'investissement du monde aux yeux des entreprises étrangères », comme l’a déclaré le vice-président du Centre chinois pour les échanges économiques internationaux. Lors de la prodigieuse ascension chinoise, les économies européennes subissent une crise financière et économique. Les crises font partie intégrante du système et on en retrouve régulièrement leur trace : de 1637 date de la première crise, celle dite des tulipes, et les dernières en date, l’éclatement de la bulle internet (2000) et la crise des subprimes (2008), des dizaines de désastres ont éclaté montrant la nature constitutionnelle de celles-ci. L’industrialisation de la Chine se fait grâce aux investissements étrangers mais aussi par les industriels occidentaux eux-mêmes qui délocalisent leurs activités en vue d’avoir accès à un immense marché pour écouler leurs produits. Les ouvriers français voient (temporairement) leur pouvoir d’achat maintenu en achetant, plus ou moins consciemment, des produits chinois bien moins chers que si ils avaient été fabriqués localement avec une main d’œuvre mieux rémunérée et surtout mieux socialement protégée.
La civilisation chinoise a tous les atouts pour être dominatrice mais désirera-t-elle être conquérante ?
Pour les quelques années qui viennent, le bloc occidental va finir de se convertir au Dieu-Argent et abandonner les biens non pondérables (dont l’Amour remplacé par les spectacles charitables). Le bloc musulman restera inébranlable autour de sa foi et tâchera de la répandre chez les démunis qui souvent n’ont pas d’autre voie pour espérer devenir quelqu’un d’important, au moins à leurs propres yeux. Tous essaieront de tirer le bloc chinois des griffes du communisme : des démocrates de toutes sortes s’y emploieront en faisant miroiter les délices de la liberté de jouissance ; les chinois s’épuiseront peut-être à vouloir hisser leur puissance militaire au niveau de celle des plus grands. La civilisation noire restera probablement à construire.
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