MBENGUE Sagar
Lettre ouverte au Premier Ministre
Édouard Philippe
Contre l’augmentation des frais
d’inscription des étudiants
Monsieur le Premier Ministre,
Je me permets de vous adresser ces quelques mots pour vous
faire part de mon quotidien ordinaire…
Je me réveille tous les matins, du lundi au vendredi, à 5h du matin, je prends le métro pour aller au
Crous où je prépare des sandwichs jusqu’
à 9h avant d’aller en cours. Ne
bénéficiant pas d’une bourse d’étude,
éloignée de ma famille
qui fait des
sacrifices pour mes études, je cours toute la journée de peur de rater
un cours.
Je compte mes sous
parfois au centime près pour payer mon loyer mais je ne suis pas découragée
pour autant, car ma soif de connaissances dépasse tout. Les notes que j’obtiens
me rassurent parfois, m’encouragent souvent ; dire bonjour aux gens en souriant me réconforte et aider les enfants
en difficulté au collège me passionne.
Monsieur le Premier
Ministre, laissez-moi vous dire que durant tout l’été je travaille, j’épargne
pour la rentrée, afin de pouvoir payer
mon inscription, mes frais de
renouvellements pour le titre de
séjour, le dépôt de garantie et quelques mois de loyer avant de reprendre mon travail tous les
matins. Je sème la graine de l’effort pour les beaux fruits de la connaissance
et de sa liberté infinie. Et
pourtant, les frais
d’inscription sont seulement
de 170 euros,
170 euros qui
pèsent déjà lourd
sur mon budget…
Voyez-vous, Monsieur le Premier Ministre, je rêve de faire
un Master, mais au vu de la situation que je vous ai décrite, imaginez-moi avec
3770 euros de frais d’inscription… Une saison d’été à faire la plonge ou à
travailler comme serveuse n’y suffira pas, les matins ne seront que miettes.
J’imagine que je ne pourrai que difficilement me loger, je ne parle même pas de
me nourrir et sans doute devrai-je aller voir
l’assistante sociale de
l’Université qui, en dépit de toute
sa bonne volonté, finira par remettre
mon sort entre les mains d’une commission qui en décidera sans états
d’âme.
Et pourtant
avec des frais
d’inscription à l’université
qui s’élevaient à
170 euros, un
loyer, des frais
de transports et
de nourriture, j’avais encore, en
dépit des difficultés, ma vie en main.
Monsieur le Premier
Ministre, s’agit-il juste ici de mettre en place des critères de sélection ou
n’est-ce pas plutôt restreindre l’accès
à l’éducation à des gens comme moi ? Je suis étrangère, certes, non européenne
certes, mais issue de cette francophonie si chère à Léopold Sedar Senghor, et
j’ai peine à croire que le pays que vous représentez et dans lequel je me suis
battue pour étudier veuille renier toute fraternité, y compris celle qui lie
nos peuples en dépit d’une histoire extrêmement douloureuse.
Monsieur le Premier Ministre, si l’augmentation des frais
d’inscription a pour but de faire valoir la reconnaissance de la qualité de
l’Université française, je
peux témoigner de
son excellence : chaque
année passée en
France est pour
moi l’occasion d’acquérir une
richesse intellectuelle sans précédent, d’accumuler des savoirs que je sens
fleurir en moi et qui un jour peut-être
donneront leurs fruits. À moins que toutes ces perspectives ne soient
désormais réduites à néant ?
L’agence Campus
France affirme que l’apport global des étudiant.e.s étranger.e.s
à l‘économie française s’élève à un montant de 4,65 milliards ; à côté
de cela, le coût des étudiants étrangers pour le budget de l’État est de 3
milliards d’euros. Mais cela n’a pas de
commune mesure avec la connaissance et l’expérience que la France nous offre.
Et pourtant j’aime la France, même en
écoutant les vieux tubes de Youssou Ndour qui parlent d’esclavage ou des
tirailleurs africains.
Monsieur le
Premier Ministre,
l’Université ne serait-elle
pour vous qu’un
outil d’échange commercial
dont le savoir
serait la marchandise
offerte au plus
offrant et dont
certaines catégories de
personnes seraient privées
? Quels seraient dès
lors les critères qui
permettraient de décider de qui a le droit ou non à l’éducation ? Monsieur le
Premier Ministre, qu’est la France sans
cette égalité ! qui définit
son essence ? Ne
faites pas en
sorte, s’il vous
plaît, qu’être une
étudiante étrangère hors
UE soit désormais un critère discriminatoire.
Rassurez-moi,
Monsieur le Premier Ministre, cette décision n’est pas le cheval de Troie qui
vous permettra d’augmenter les frais
d’inscriptions pour tout.e.s les
étudiant.e.s à l’exemple du système américain ? Je veux croire que vos projets
pour l’Université sont toujours en
accord avec les grands principes de la République. Mon cas particulier n’est
qu’un parmi des milliers d’autres,
qu’on soit étranger
ou non c’est
toute une jeunesse
qui est dans
le tourment aujourd’hui
quant au futur de
l’Université française.
Monsieur le
Premier Ministre,
conformément aux valeurs
que vous défendez
et que nous
défendons, faites en
sorte que l’Université reste un lieu de partage de
connaissances et non le terrain de l’inégalité entre les individus.
MBENGUE Sagar