Gilets Jaunes et extrême-droite : liaisons dangereuses
Lorsqu'on les interroge aujourd'hui sur leurs doléances, les Gilets Jaunes répondent pêle-mêle : plus de services publics, moins d'impôts, la dissolution de l'Assemblée Nationale, la suppression du Sénat, la démission d'Emmanuel Macron, l'expulsion des clandestins, l'introduction du référendum citoyen, la sortie de l'UE etc… Il est d'autant plus difficile d'y voir clair que les Gilets Jaunes sont un mouvement décentralisé et se disent eux-mêmes apolitiques, directement issu du peuple. "Notre couleur, c'est le jaune", affirmait ainsi un certain Geoffroy, gilet jaune invité sur BFM TV. De fait, beaucoup sont des anonymes : loin des partis politiques et des syndicats dont ils disent se méfier.
Mais, en épluchant les groupes facebook, les communiqués et les revendications, ainsi que certains profils de Gilets Jaunes, on retrouve une partie non-négligeable de l'idéologie nationaliste : méfiance envers les élites, éloge du localisme, propension à l' "information alternative" et désir d'un changement systémique radical. L'honnêteté doit nous faire admettre que tous les Gilets Jaunes ne sont pas militants ou même électeurs nationalistes ; dans le même temps, tout l'électorat de l'extrême-droite se reconnaît dans les revendications des Gilets Jaunes – et une grande partie n'hésite pas à se joindre à la vague protestataire. Se pencher sur les relations troubles entre Gilets Jaunes et extrême-droite est la tâche à laquelle nous nous attèlerons pour le présent article.
L'occasion était fort belle, les divers groupes dextrogyres l'ont vite saisie au vol : récupérer le mouvement et en inspirer les revendications, voire, en prendre la tête. Il y a là quelque chose d'ironique à ce que l'extrême-droite, foncièrement antimaçonnique, se soit inspirée de la stratégie Weishaupt. Faut-il encore préciser de quelle extrême-droite on parle : il y a bien sûr les mouvements politiques nationalistes (RN, AF, GUD, Œuvre Française, Bloc Identitaire, Debout
Bien sûr, le soutien de quelques personnalités nationalistes ne suffit pas à cataloguer ce mouvement social à l'extrême-droite de l'échiquier politique. S'impose dès lors la nécessaire analyse de l'ossature même des cortèges et du rôle qu'y joue l'extrême-droite. Ainsi, à la manifestation du 1er décembre, des centaines de militants royalistes ou identitaires défilaient à côté des antifas et des anarchistes, scandant des slogans tels que : "On est chez nous !" ou "
Pour ce qui est du rôle joué par l'extrême-droite dans le mouvement des Gilets Jaunes, cela dépend véritablement des régions. Si certains secteurs sont presque exempts de présence nationaliste, dans d'autres, ceux-ci ont pris la tête des opérations et coordonnent l'action du mouvement tant dans les manifestations que sur les ronds-points. En témoigne l'éviction de François Ruffin des Gilets Jaunes, ce qui serait, selon la presse locale, un coup politique de l'extrême-droite picarde ayant sévèrement infiltré le mouvement social. Le lien existe néanmoins entre Gilets Jaunes et extrême-droite dans presque toutes les villes, même des territoires peu enclins au nationalisme comme
Enfin, l'ingérence russe, moquée par les sites nationalistes, n'est pas à balayer d'un revers de main. Il est avéré que des centaines de bots ont été créés par des hackers russes ou du moins pro-russes pour gonfler les groupes jaunistes et y poster automatiquement des contenus issus de RT France ou SputnikNews. Plusieurs dizaines de manifestants emmaillotés dans des drapeaux russes (ou des drapeaux de l'état séparatiste de Donetsk) ont également défilé dans les cortèges de Gilets Jaunes à Paris et en province. De fait, Poutine apparaît comme une figure très populaire au sein des groupes jaunistes qui, paradoxalement, réclament l'introduction du mandat impératif et du référendum populaire.
A travers une campagne de communication bien huilée et une présence quasi-invasive sur les réseaux sociaux ainsi que sur le terrain, l'extrême-droite a non seulement infiltré le mouvement pour en prendre la tête et y imprimer sa marque idéologique mais elle semble également mêlée de près aux violences qui ont perturbé les divers rassemblements du 17 novembre à ce 15 décembre. Voici un résumé détaillé.
Dès le 24 novembre, le Ministre de l'Intérieur avait pris la parole à la mi-journée pour dénoncer les violences commises par l'ultra-droite en les accusant d'avoir été à l'origine des affrontements avec les forces de l'ordre. Comme il fallait s'y attendre, les nationalistes ont nié en bloc ces accusations pour crier au complot. Le groupuscule Génération Identitaire a même annoncé sa volonté de déposer plainte pour diffamation contre Christophe Castaner, tandis que Marion Maréchal imputait les violences et les dégradations à des groupes d'ultra-gauche. Au vu des dénégations On en viendrait à se demander si cette fameuse ultra-droite a vraiment été aux Champs Élysées. Il semble bien que oui. D'après nos confrères d'Europe 1, plus de 200 militants royalistes ou identitaires ont ainsi participé à des violences contre les forces de l'ordre. Parmi eux, se retrouvent les maurrassiens de l'Action Française, les nationalistes du GUD et ceux de Génération Identitaire. Des militants aguerris habitués aux opérations coup de poing.
L'influence de l'extrême-droite sur le mouvement et la radicalisation de ses nervis semblent être allés crescendo au fil des semaines. Sur les 412 personnes interpellées le 1er décembre à Paris, près de la moitié étaient "des militants d'extrême-droite déjà fichés pour leur propension à la violence", affirme France 2. Selon des sources policières, ces militants étaient principalement issus de l'Action Française, du GUD, du Bastion Social, de l'Œuvre Française et de moult autres groupuscules d'ultra-droite. La vice-procureure de Paris, Alexandra Onfray, indique que ceux-ci servaient tant d'agitateurs que de meneurs lors du rassemblement : "quand des grenades lacrymogènes étaient lancées, ils disaient aux manifestants de ne pas courir", déclare-t-elle. Le procureur Rémy Heitz va plus loin en déclarant que ces militants aguerris ont concouru à la "désinhibition" qui a amené les violences. "Les premiers heurts, intervenus avant 9 heures du matin, sont imputables à des groupes d'ultra-droite", déclare le magistrat.
Même chose, en pire, lors de la manifestation du 8 décembre, le fameux "Acte IV". 1378 interpellations, des dizaines de commerces vandalisés, des centaines de voitures brûlées et dix-huit policiers blessés. L'une des manifestations les plus violentes de ces dernières années en France. Les auteurs des violences ont été vite identifiés : black blocs, ultra-gauche, délinquants et nervis d'ultra-droite. Il semble que ces derniers aient joué un rôle primordial dans les violences et les dégradations. Ainsi, dans une vidéo reprise en masse sur les réseaux sociaux on voit un délinquant cagoulé et un militant identitaire (reconnaissable à la croix celtique tracée sur le dos de son gilet) piller un Apple Store côte à côte. Le négationniste Hervé Ryssen a également été filmé en train de pousser un CRS. Plusieurs personnes affirment également avoir entendu des "A mort
La présence de l'extrême-droite a cependant décru avec la mobilisation. Pour le flop de l'Acte V, survenu ce samedi 15 décembre, seule une dizaine de militants d'extrême-droite ont été signalés à Paris. Ils ont néanmoins été au rendez-vous à Toulouse et Bordeaux où des échauffourées ont éclaté avec les forces de l'ordre.
Si le mouvement s'estompe en France, la grogne sociale semble gagner d'autres pays, comme en témoignent les manifestations de Gilets Jaunes en Belgique, en Croatie et même en Israël. Inspirés du modèle français, les mécontents de ces pays ont enfilé des gilets de couleur jaune pour réclamer du changement. Il est intéressant de noter l'implication des extrême-droites locales dans ces mouvements. Les Gilets Jaunes Belges ont ainsi bénéficié du soutien du parti nationaliste Vlaams Belang ainsi que de plusieurs groupes nationalistes wallons. En Croatie, des drapeaux oustachis (milice croate catholique et pro-nazie qui a assassiné des milliers d'Orthodoxes et de Musulmans entre 1941 et 1944) étaient visibles dans les manifestations de Gilets Jaunes qui ont éclaté à Zagreb et Dubrovnik. Les Gilets Jaunes israéliens ont quant à eux été majoritairement perçus comme modérés même si plusieurs centaines de militants sionistes étaient dans les cortèges. Dans d'autres pays, le rôle de l'extrême-droite est plus visible.
L'Allemagne a ainsi emboîté le pas à
Le mouvement semble aussi s'être métastasé au Portugal où les gilets jaunes locaux projettent de "bloquer le Portugal ce 21 décembre". L'évènement facebook compte déjà 14000 participants et 46000 intéressés. Or, les journaux portugais ont révélé que ce mouvement social est clairement noyauté par l'extrême-droite dont les membres les plus virulents se disent nostalgiques du salazarisme : une dictature national-catholique sous le joug de laquelle le Portugal a souffert entre 1929 et 1973. Plusieurs leaders du mouvement ont ainsi posté des contenus xénophobes et révisionnistes sur les réseaux sociaux.
Après la forte baisse de la mobilisation (à peine 2000 manifestants à Paris) le mouvement des Gilets Jaunes semble s'estomper : lassitude, froid, violences, approche des fêtes, autant de raisons qui poussent ces Français mécontents à rester chez eux. L'influence de l'extrême-droite décroit en même temps que le nombre de manifestants. Si les nationalistes n'ont pas directement inspiré la naissance du mouvement social, ils ont su le faire grandir, lui imposer leur idéologie et en prendre le contrôle au point que gilet jaune et chemise brune se confondent aujourd'hui. Pour n'avoir pas su nettoyer leurs écuries d'Augias en éloignant roycos et skinheads, les Gilets Jaunes (les vrais, ceux qui voulaient simplement manifester sans avoir rien de commun avec le nationalisme) sont les grands perdants de l'histoire. Mais, à peine les plaies se cicatrisent-elles en France qu'elles commencent à s'ouvrir et à puruler chez nos amis européens, sur fond de drapeaux nazis et de slogans xénophobes. Jadis éclairée par la torche prométhéenne des Lumières, l'Europe rit jaune en cette fin d'année 2018.
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