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Accueil du site > Tribune Libre > L’oubli éthique du journalisme français

L’oubli éthique du journalisme français

 

Une Charte des devoirs professionnels des journalistes français est censée régir leur profession. Elle date de janvier 1938, et précise un cadre déontologique à son bon fonctionnement, notamment sur un plan éthique. La dignité de sa fonction passe par le respect le plus strict possible de certains principes. L’un d’eux consiste à bannir la déformation des faits, du réel.

Par exemple, produire et diffuser une image biaisée d’un événement social entre totalement dans cette catégorisation. Monopoliser un temps d’antenne substantiel, sidérant l’attention, pendant des jours, en focalisant sur une simple bagarre (atypique et unique en son genre) opposant un boxeur à différents CRS, en occultant les centaines d’actions illicites menées par ces derniers pendant des mois à l’encontre des citoyens français exerçant leur droit légitime à manifester, démontre une méthodologie réductionniste très dangereuse, car elle concourt à distordre la compréhension de ce qui a lieu dans les rues de ce pays.

Même le très inconsistant et stérile CSA avait tancé ces rédactions, le 7 décembre dernier, les appelant, je cite :

"à la responsabilité, lourde et complexe, des médias audiovisuels". Il avait recommandé "de ne pas diffuser d'informations susceptibles de mettre en danger les forces de sécurité et la paix civile", et mis "en garde contre toute diffusion complaisante, déséquilibrée ou insuffisamment vérifiée d'images et de commentaires qui attiseraient les antagonismes et les oppositions". 

Adopter tous les partis pris d’un discours proche de celui tenu par un ministre de l’Intérieur aux abois, à savoir le point de vue du maintien de l’ordre (tout en occultant gravement ses dérives qui contreviennent à ses propres règles), au détriment des discours tenus par un peuple entré en lutte frontale contre un gouvernement, toujours mis en cause, soupçonnés eux de dérives, accusés, scrutés, mis en doute, rendus anxiogènes, disqualifiés par des scènes minoritaires mais savamment choisies et répétées en boucle afin de faire vérité et réduire un processus complexe, contradictoire et justement irréductible à des catégories prédéterminées, à un simple problème de désordre urbain.

Restituer une révolte populaire demande paradoxalement une certaine neutralité. Mais les plateaux Tv, il faut le dire, sont trustés par des éditorialistes, qui donnent leurs opinions et éditorialisent l’actualité en fonction de leurs propres critères idéologiques.

L’éditorialiste n’est qu’une facette du journalisme, mais cette figure a pris en France le dessus sur les reporters, et le monde journalistique, dans son écrasante majorité (hormis via quelques notables exceptions), va jusqu’à taire les dizaines d’agressions policières dont il est lui-même victime pour ne souligner que celles qui sont le fait de Gilets Jaunes.

Yann Foreix


@yannforeix
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#GiletsJaunes je viens de prendre un tir de flashball dans la nuque

 

Paul Conge

@paulcng
Je viens de me prendre une grenade desencerclante à mi-cuisse

30
12:16 - 8 déc. 2018

@BorisKharlamoff
Un policier vient de me tirer dessus au flash-ball alors que j’avais mon brassard de presse en évidence. Ça pique mais tout va bien. Consœurs, confrères soyez prudents sur les Champs-Élysées !

https://www.lexpress.fr/actualite/societe/violences-a-paris-hugo-clement-blesse-a-la-tete_2051491.html?fbclid=IwAR1eEKlWMx049Ysff950amRWWUCkmsXOs6bbfC8Qi8hcnK5J7N3G8z9seWE

 

 

En somme, axer une information sur des faits réels et vrais, mais minoritaires, au détriment d’autres, majoritaires, (j’entends, par exemple, le nombre de manifestants pacifiques rapportés aux violents) de façon systématique, induit une insuffisance informationnelle qui contrevient à cette fameuse charte des journalistes.

 Cette approche institue de facto un filtre idéologique, ce qui n’est pas le propre des médias privés mais contamine tout autant ceux qui prétendent encore être publics.

 

Que les intérêts des actionnaires finançant ces médias contredisent ceux des Gilets Jaunes, c’est une évidence factuelle qui fonde dès lors le principal et unique critère prévalant à la façon de « couvrir » le phénomène populaire en question.

Tf1, LCI, (Bouygues), Point (Pinault/Artemis), Journal du dimanche (Lagardère), Échos (Arnault/lvmh), Canal Plus, Cnews (Bolloré) et autres Figaro (Dassault) défendent leur façon de gérer le secteur des travaux publics, du grand commerce, de l’armement, des industries du luxe ou de l’aéronautique militaire, voire de l’huile de Palme, et non les revendications salariales d’une classe moyenne prolétarisée.

Le parti pris est alors tout autant idéologique que strictement financier, la rigueur des choses n’entrant plus en compte, et une perspective objectivante n’arrangeant pas lesdits intérêts.

Cette déformation devient criante du fait de la montée en puissance des réseaux sociaux qui représentent désormais une alternative crédible d’information auprès des nouvelles générations.

Des médias se contentant d’un flux (Brut) continu, ou bien des journalistes indépendants prenant fait et cause pour le camp des manifestants rencontrent une adhésion grandissante devant un tel conglomérat de médias soumis à des intérêts privés peu représentatifs d’une population manifestante.

 

Tout rédacteur est conditionné par les intérêts de son entreprise, et sa démarche informative ne peut plus qu’en être un reflet plus ou moins fidèle.

 L’omission des "grands médias" à l’égard des violences policières, attestées par photos et vidéos ainsi que témoignages circonstanciés (https://twitter.com/davduf), les accommodements de leurs rédactions avec ces violences ayant pourtant entraîné des centaines de blessés graves (amputés, éborgnés, et autres invalidités définitives induites) révèlent l’abime qui sépare de façon de plus en plus spectaculaire cette sphère professionnelle de la population française.

 La censure et l’autocensure des journalistes qui rendent possible cet escamotage du réel provient clairement de la proximité d’intérêts qui relie les actionnaires de ces médias au pouvoir en place.

 

Cette veule complaisance envers des archétypes simplistes et des schémas de représentations binaires (manifestants violents, économie en berne, peuple intolérant, élites éclairées) grignotent un peu plus la confiance des citoyens en leurs institutions.

 Le reportage devient alors un paramètre parmi d’autres pour faire correspondre la présentation des situations données avec les intérêts des dirigeants de chaînes et journaux.

 

Le traitement de l’affaire du boxeur correspond pleinement à la notion de Sous-qualification qui consiste à simplifier et appauvrir une situation par réduction du collectif à l’individuel. La complexité paradoxale d’un mouvement populaire unissant des individus aux intérêts diversifiés et parfois contraires ne rentrant pas dans la grille de lecture faussée des médias dominants. Cette Sous-qualification ouvre la voie à l’étape suivante de ce traitement partial, la Disqualification.

Compromettre un mouvement de contestation populaire par la mise en avant d’individus minoritaires, faire endosser la responsabilité de violences marginales à un groupe ainsi dévalorisé et artificiellement condamné semble la principale ligne de conduite éthique de ces rédactions désincarnées.

 Les médias dominants appréciant la facilité, ils sont mimétiques et se reproduisent les uns les autres, dans leurs contenus, leurs chronologies, et leurs focus choisis. Cela débouche sur une uniformisation de nature totalisante pour ne pas dire totalitaire sous couvert de multiplicité des vecteurs. La communauté de vue qui les unit s’établissant sur cette communauté d’intérêts économiques. Cette uniformisation est lourde de frustrations et de ressentiment en créant des poches considérables de sensibilités non représentées et à fortiori non respectées.

 

Selon cette charte des journalistes de 1938, « la liberté de publier honnêtement ses informations, tient le scrupule et le souci de la justice pour des règles premières, ne confond pas son rôle avec celui du policier. » Il serait temps qu’ils la relisent ! Et qu’un pluralisme des opinions redevienne d’actualité au sein de ces rédactions…

 

 


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10 réactions à cet article    


  • Pimpin 14 janvier 2019 10:39

    Ces journalistes qui font de la désinformation et qui prétendent imposer leurs opinions au lieu d’informer sont une plaie pour notre démocratie.


    • Christian Labrune Christian Labrune 14 janvier 2019 10:44

      Le propos de cet article est tout aussi réducteur que l’approche des faits reprochée à la presse, laquelle, et c’est aisément compréhensible, ne signale jamais ce qui paraît insignifiant. On n’a jamais vu un article signalant que tel jour tous les trains sont arrivés à l’heure prévue à la gare du Nord ou que la circulation automobile dans la région parisienne a été aussi fluide que souhaitable.

      Prenons le cas de la scène atroce évoquée sur la passerelle Senghor. Si, ayant été connue parce qu’on disposait de vidéos, elle avait été laissée de côté et rangée dans un tiroir, c’est bien là qu’il aurait fallu parler d’une partialité de la presse.

      Or, j’observe que le jour où cela est arrivé, j’ai vu plusieurs fois le seul début de la scène : un type boxant les CRS. Je m’étais dit qu’il n’y avait pas là de quoi fouetter un chat : c’était un combat inégal entre un type agissant à mains nues et un homme armé. C’est seulement le lendemain que j’ai pu voir la suite : le même policier à terre, sur lequel on s’acharnait pour lui faire la peau.

      S’il fallait prendre au sérieux le point de vue de cet article, on arriverait à des aberrations : il n’y a pas tous les jours des attentats islamistes en France, et sur une population de 65 millions de Francais, très peu, proportionnellement, meurent dans des attentats. C’est même le raisonnement imbécile qu’avait tenu un « philosophe » qui s’était fait applaudir à la Sorbonne par un public de parfaits crétins. Pourquoi, dès lors, faire un sort à ce qui s’était passé il y a peu à Strasbourg ?

      S’il y a eu moins d’exactions commises ce dernier samedi, c’est bien parce que les gilets jaunes commencent à se rendre compte, grâce à la presse, que s’ils ne veulent pas être ostracisés par une population qui les avait immédiatement soutenus, ils ont tout intérêt à ne pas se comporter comme les sans-culottes dans le faubourg Saint-Antoine à la veille des massacres de septembre 1792.

      Quelques parfaits connards auront encore cru bon de devoir molester des journalistes. C’est absolument inqualifiable. Toutes les critiques sont évidemment possibles et souhaitables, et je serai le premier à critiquer le rôle d’une presse qui s’oriente assez spontanément, comme une girouette, dans le sens des vents dominants, mais de là à casser la gueule à des gens qui font leur boulot, il y a un abîme que seuls des imbéciles absolus peuvent essayer de franchir.


      • L'Astronome L’Astronome 15 janvier 2019 09:40

         
        @Christian Labrune : « Quelques parfaits connards auront encore cru bon de devoir molester des journalistes »
         
        C’est vrai que ce sont de parfaits connards ; ils auraient normalement dû étriper les journalistes et les pendre avec leurs tripes. Mais on n’est plus au temps de la Révolution française. Devrons-nous maintenant nous révolter à genoux ?
         
         


      • Gollum Gollum 14 janvier 2019 11:02

        Très bon texte sur le miroir déformant des médias qui ne laissent filtrer que ce qui convient aux riches comme l’a bien montré Chouard.

        On est dans le même cadre que l’ancienne URSS qui elle aussi avait sa presse officielle mais le peuple le savait car l’arnaque était à l’époque plus grossière et donc visible.

        Chez nous cela est resté longtemps invisible car un semblant de liberté semblait exister.

        Mais voilà, les journalistes devenant de plus en plus cons au fil des décennies, de plus en plus conformistes, l’« information » devenant de plus en plus infantilisante, cela a fini par devenir trop visible. Le peu d’affaires judiciaires concernant le monde des affaires a fait émerger des doutes légitimes.

        Dans le même temps l’espace de liberté offert par le Web a permis l’expression de pensées alternatives qui n’auraient pas pu passer le barrage filtrant si Internet n’avait pas été là.

        Et des blogs de qualité ont commencé à apparaitre. Bien évidemment la méfiance anti-Système a généré aussi une pensée paranoïaque dont se sert le Système pour discréditer ses opposants. Oubliant que c’est lui-même qui a engendré cette paranoïa et cette méfiance généralisée.

        Il faut donc que la profession de journaliste soit définitivement soustraite aux forces d’argent afin d’assurer une liberté de la presse qui n’existe plus depuis longtemps.

        Et des salaires en adéquation au lieu des salaires mirobolants qui ne sont rien d’autre qu’une forme de corruption déguisée.


        • Doume65 14 janvier 2019 15:55

          La Charte de déontologie de Munich (ou Déclaration des devoirs et des droits des journalistes), signée le 24 novembre 1971 à Munich et adoptée par la Fédération européenne des journalistes, est une référence européenne concernant la déontologie du journalisme, en distinguant dix devoirs et cinq droits. Le texte reprend les principes de la Charte des devoirs professionnels des journalistes français écrite en 1918 et remaniée en 1938, pour y préciser les droits permettant de les respecter. Il reprend le principe du secret professionnel en y ajoutant un devoir jugé essentiel, celui de la protection des sources d’information des journalistes.

          (Source : Wikipedia)


          • Giordano Bruno - Non vacciné Giordano Bruno 14 janvier 2019 22:39

            L’éthique journalistique devrait respecter les maximes de Grice (1975). Les voici :

            Maximes de quantité
            1. Que votre contribution soit aussi informative que nécessaire.
            2. Que votre contribution ne soit pas plus informative que nécessaire.
            Maximes de qualité
            1. Ne dites pas ce que vous croyez être faux.
            2. Ne dites pas ce que vous n’avez pas de raisons suffisantes de considérer comme vrai.
            Maxime de relation
            1. Soyez pertinents.
            Maximes de manière
            1. Évitez de vous exprimer de manière obscure.
            2. Évitez l’ambiguïté.
            3. Soyez bref.
            4. Soyez ordonné.


            • sikorezed 15 janvier 2019 03:58

              @Giordano Bruno

              Qui a fait quoi, ou quant comment ?

              Éventuellement « pourquoi » déclaration ou intention ?
              Et « comment tu le sait » / « Qui quant comment » te l’a rapporté ?


            • zygzornifle zygzornifle 15 janvier 2019 09:07

              les tiques c’est sur le dos des chiens .....


              • zygzornifle zygzornifle 15 janvier 2019 09:08

                BFMerde et ses journalopes ont fait élire Macron ....


                • zygzornifle zygzornifle 15 janvier 2019 09:10

                  Comme le disait si bien Coluche, les politiques mentent et les journalistes qui le savent le répètent ....

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