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Accueil du site > Tribune Libre > Les Gilets Jaunes En Marche vers la soumission ?

Les Gilets Jaunes En Marche vers la soumission ?

A la mémoire de Chantal Mazet,

première victime que le gouvernement et la presse qui le soutient ont voulu inscrire au bilan du mouvement des Gilets Jaunes,

à celle de toutes les victimes des violences routières et policières,

aux amputés, aux éborgnés, aux gueules cassées.

On ne dira jamais assez l’influence de Schumpeter sur des mouvements de rue, les émotions des gueux et les émeutes plus ou moins spontanées. Des barrages sur les ronds points jusqu’au pillage des magasins de luxe, en passant par les bris de vitrines et les incendies de mobiliers urbains, qu’elle est belle la destruction créatrice !

Bien sûr, des esprits chagrins soupirent sur la perte d’un point ou d’un demi point de croissance. Les commerçants verront baisser leurs chiffres d’affaires, certes. Mais c’est oublier que le PIB comprend aussi les activités de réparations des dégâts : dégâts matériels (BTP, etc...), mais aussi moraux, intellectuels, idéologiques (commentaire de presse, consulting, expertise, police de la pensée).

Les chaînes d’intox avaient d’abord excité le peuple car elles voyaient monter un mouvement antifiscal. Mais, après quelques débordements regrettables, elles lui ont demandé de s’apaiser. L’exercice est familier : diffuser les images de violences inacceptables (il faut bien faire de l’audimat) et exiger des Gilets Jaunes et de leurs soutiens déclarés une condamnation sans réserve de ces violences (il faut être responsable).

Quant au monarque et à ses courtisans, on s’interroge : stratégie délibérée du chaos ou incompétence et incurie.

Du péril jaune

Le mouvement des Gilets Jaunes a surpris avant de sidérer. Son histoire sera écrite plus tard, ainsi que sa sociologie. Il a pu apparaître dans un premier temps comme un mouvement de droite, puisque des partis de droite l’assuraient de leur soutien a priori. Rendez-vous était pris dès le mois d’octobre sur les réseaux sociaux pour un blocage routier le 17 novembre. Certains porte-paroles de la conjuration étaient déjà reçus par les chaînes d’intox qui semblaient les légitimer par avance. En revanche, du côté de la gauche, on était partagé entre méfiance et soutien critique.

Un premier drame, le matin de ce 17 novembre, a permis de lever un doute : il ne s’agissait pas de blocages organisés par un lobby des grosses cylindrées.

Au bien mal nommé Pont-de-Beauvoisin, en Savoie, Chantal Mazet, une femme de 63 ans qui portait un gilet jaune, est mortellement fauchée par la conductrice d’un 4x4. Sur les carrefours, se rencontrent donc au moins deux populations : celles pour qui la lutte contre les taxes est une question de survie et celles pour qui elle n’est qu’une occasion de gueuler contre le gouvernement lors d’un apéro, d’une partie de chasse ou d’une réunion démonstration vente à domicile. Quelques heures plus tard à Paris, des gens qui n’avaient jamais manifesté découvrent avec stupeur les joies du combat de rue avec les forces de l’ordre (gaz, canon à eau, charge...).

Ce jour-là, selon la police, il y avait (admirez la précision !) 287 710 Gilets Jaunes dans les rues et sur les ronds points.

A partir de là, les chaînes d’intox ont entretenu une tragicomédie télévisuelle : reportages quotidiens sur les ronds points et sur les autres points de blocages et direct tous les samedis sur événements parisiens. Elles ont tenu aussi, comme éléments de langage, une triple comptabilité des mobilisations (en baisse, forcément en baisse), du soutien dans la population, mesurés par des sondages scientifiques (en baisse, mais pas assez) et des décès (qu’il faut inscrire au débit des Gilets Jaunes, évidemment).

Quant au gouvernement, ses éléments de langage ont consisté principalement dans la dénonciation de complots fomentés par l’ultra droite, d’abord, puis par ce que la droite au pouvoir et ses complices appellent « les extrêmes ».

Les samedis parisiens ont été qualifiés, je ne sais par qui, d’acte I, puis d’acte II... Mais les Gilets Jaunes ne respectent pas les règles de la tragédie classique qui doit se conclure en cinq actes, pas plus. Sur le théâtre des opérations, le mouvement a pu constater l’évolution du soutien des uns et de la méfiance des autres. Et le lettré souverain a dû se souvenir de ces vers que lui avait fait découvrir son épouse autrefois : « Vous me connaissez mal : la même ardeur me brûle / Et le désir s'accroît quand l'effet se recule ».

 

Détournements

« Outre le langage, il est possible de détourner par la même méthode le vêtement, avec toute l'importance affective qu'il recèle. Là aussi, nous trouvons la notion de déguisement en liaison étroite avec le jeu. »

Guy Debord, Mode d’emploi du détournement (1956) Les lèvres nues

 

Le choix du gilet jaune de la sécurité routière est avant tout un « détournement ».

Cependant, ce choix est à l’origine d’un malentendu. La couleur jaune a une histoire assez chargée, ainsi que le résumait en Maurice Tournier 1984 : « Jaune semble surgir brusquement, à la fracture des 19 et 20e siècles, pour désigner le briseur de grève. Vingt ans plus tôt en Californie, les syndicalistes s'insurgeaient contre les Asiatiques, importés en fonction des croisades patronales. »[i]

Les droites « LR » et « RN » ont vu là un mouvement « anti-rouge » et « anti-immigration » qui pouvait les servir contre la droite « LREM » au pouvoir. Et puis, un mouvement « antifiscal », c’est dans l’« ADN » de la droite , comme le proclamait NDA en appelant à « bloquer la France ».[ii]

le Figaro, lui aussi, montrait sa joie en publiant un petit rappel historique : « Les Jaunes en 1902 Le Figaro les soutient ».[iii]

En revanche, le 4 décembre, sur Radio Paris, Cohn-Bendit terminait son entretien en confiant, mystérieux : « Je suis allergique au jaune... pour des raisons personnelles.... » Toujours à la pointe de l’analyse politique, Demorand lui demandait alors : « l’étoile jaune ? »

« Exactement, lui répondait alors celui que naguère on avait qualifié de « rouge ». [iv]

On verra que cette thématique sera reprise plus tard pour discréditer le « mouvement des Gilets jaunes ».

 

Si le gilet avait été rouge, la méfiance aurait dominé à droite, et l’enthousiasme l’aurait peut-être emporté à gauche. Des « Foulards Jaunes » se seraient alors organisés contre les « Gilets Rouges » et « contre les blocages ».

 

Mais d’un côté comme de l’autres, les idéologues se sont aveuglés sur la couleur, alors que le détournement portait sur le vêtement.

Celles et ceux qui portent cette « chasuble » en font une « arme de la critique par destination ». Les forces de l’ordre étaient en droit de vérifier dans toute automobile la présence de ce vêtement jaune. Désormais elles sont conduites à interpeller des automobilistes qui en sont équipés, au motif qu’ils pourraient les enfiler, non pour signaler un accident ou une panne, mais pour se réunir, en signe de protestation, sur un rond point ou pour défiler à pieds sur la voie publique.

 

Dégagements

« L'ampleur de la mobilisation s'explique en partie par la capacité des sociétés à se mobiliser autour d'une revendication générique et fédératrice, symbolisée par la reprise de slogans simples, tels que « dégage » (...) pour demander le départ des pouvoirs en place ou « « pain, dignité, humanité, liberté ». »

Philippe DROZ-VINCENT, Printemps arabesEncyclopedia Universalis (2017)

On oublie parfois, mais beaucoup s’en souviennent, que cette revendication est née en Tunisie, en 2011. Mélenchon l’a théorisée avant 2017, mais c’est Macron qui, en banquier avisé, en a tiré profit.

Evidemment, les commentateurs professionnels, pour la plupart, s’étaient félicités du « dégagisme En Marche ». Ils l’ont salué dans des termes qui, à l’époque, se voulaient élogieux : « hold-up », « casse du siècle ». Puis, ils ont tenu à souligner que, non seulement le « PS » et les LR, mais Mélenchon aussi avaient pâti de cette « opération mains propres ». La preuve : il n’a fait que 4ème à la présidentielle et son groupe parlementaire n’est que le 5ème. Aujourd’hui, ils aiment à révéler que, selon certains sondages, La France Insoumise ne profite pas du mouvement des Gilets Jaunes, contrairement au « RN » qui ferait jeu égal (voire mieux) avec « LREM » aux Européennes. Cependant ils négligent de remarquer qu’elle serait 3ème, c’est à dire au niveau de la liste « LR », voire devant elle.

Mais l’importance dans les sondages, ce n’est pas les « chiffres », puisqu’ils sont contrôlés par les « instituts » avant publication (c’est le caractère « scientifique » de leurs méthodes). L’important dans les sondages, ce sont les commentaires, les argumentaires, les éléments de langage, que ces instituts fournissent à leurs clients afin de contribuer à fabriquer l’opinion publique. D’ailleurs, si les « chiffres » ne conviennent pas à leurs clients et ne sont pas trafiquables, ils ne sont pas publiés : ils restent secrets et servent à élaborer une nouvelle stratégie.

Contrairement au « dégagisme tunisien » (arabe), le « dégagisme français », (européen) ne visait pas, jusqu’ici, un dirigeant particulier : il se fondait sur une critique des partis traditionnels, d’une part, et, d’autre part, sur une idée du peuple et de la façon, horizontale on non, de le gouverner. C’est ce qu’avaient proposé successivement, et avec des fortunes différentes, les programmes présidentiels de Mélenchon (L’Avenir en commun) et de Macron (Révolution).

Mélenchon avait bien tenté de faire des prochaines élections européennes un référendum anti-Macron. Mais ce sont les Gilets Jaunes qui reprennent désormais, sans complexe et sans forcément en avoir conscience, la revendication « arabe » de se débarrasser du « raïs » : « Macron démission » et « Macron dégage ».

 

De l’emploi malheureux des mots

« Qu’ils viennent me chercher. »

Emmanuel Macron, le 25 juillet 2018

 

« Nous devons aller plus loin dans le changement, être plus radicaux dans nos méthodes. »

Benjamin Griveaux, le 4 janvier 2018

 

« Les auteurs nous révèlent quelques rudes vérités sur la façon dont gouverne le Président, alternant entre érudition, séduction et une certaine brutalité. »

Publicité des éditions Albin Michel pour vendre le dernier exercice d’admiration de deux vieux courtisans, Nicolas Domenach et Maurice Szafran : Le tueur et le poète.(2019)

https://www.albin-michel.fr/ouvrages/le-tueur-et-le-poete-9782226398055

 

« Contre toute attente, le « Bien-Aimé » finit « Mal-Aimé ».

http://www.chateauversailles.fr/decouvrir/histoire/grandes-dates/mort-louis-xv

 

Bon ! Tous les bons mots, ou presque, du petit Macron ont fait le tour du monde. On se souvient des « illettrés » et « des gens qui ne sont rien ». Les commentateurs professionnels les ont déplorés, tout en disant qu’il parlait « cash » et qu’il faisait le « job ». Le fameux « en même temps » ! Et puis c’était à l’oral. A l’écrit, il se relit, le bougre.

Mais bien peu d’observateurs ont noté sa capacité d’innovation sémantique.

Le verbe « désocialiser » signifie toujours dans les dictionnaires des idées comme :

Ne plus partager au niveau de l’ensemble de la société, du corps social ; Couper (quelqu’un) de sa vie normale en société. [v]

ou

Exclure de la société, couper quelqu'un, quelque chose de la vie normale en société. En d'autres termes, placer quelqu'un dans une situation où il n'a plus de contact avec ses congénères ; Arrêter de partager au sein de la société. [vi]

 

Ses dérivés vont dans le même sens.

 

« Désocialisé, désocialisée »  : Qui n'est plus en état de participer à la vie sociale, de se conformer à ses règles et de jouir de ses avantages.[vii]

 

Désocialisation  : Processus menant quelqu'un, une catégorie de personnes à ne plus pouvoir participer à la vie sociale, par mise à l'écart prolongée du système productif, impréparation personnelle ou civique, solitude, etc...[viii]

 

On croirait lire là une description sévère de « la France d’en bas », un portrait des gueux qui jouent les traine-savates tous les samedis depuis deux mois ou profitent de leur temps libre sur les ronds points. Et c’est pourtant ce mot qui a été choisi par les poètes de la France d’en haut pour vendre les « mesures » de Noël dites « d'urgence économiques et sociales » : « désocialiser les heures supplémentaires ».

 

On peut trouver ce terme horrible et lui préférer « exonération de cotisations sociales »[ix]. Mais il a été choisi dès la campagne présidentielle, par le candidat ou par ses communicants. Ce qu’il faut donc interroger, c’est l’inconscient de l’adolescent attardé qui nous gouverne, et de ce qui le gouverne.

Comme le disait déjà sa marraine anglaise : « La société n'existe pas ».[x]

 

Récupérations

La récupération est l’action de récupérer. La première question est de savoir ce qu’il s’agit de récupérer : une perte, un prêt, un avantage, des forces, des idées ou un mouvement social. Une seconde question se posera pour les idées et le mouvement social : celle du récupérateur.

Après un effort soutenu pendant plusieurs semaines, il s’agit donc, pour les forces en présence sur le théâtre des opérations, de récupérer des forces[xi].

Pour « les forces de l’ordre » et pour les Gilets Jaunes qui se sont rencontrés sur la voie publique, ce sont d’abord des forces physiques et des forces morales, c’est-à-dire du repos et du soutien matériel et financier. Des compensations ont été offertes en fin d’année par le gouvernement à ces deux populations. Et des cagnottes en lignes concurrentes ont été organisées en janvier pour réparer des dommages matériels et moraux.

 

Mais dans ce qu’on appelle « la presse », il a été généralement question d’une autre forme de récupération : la récupération politique.

Le mouvement des Gilets Jaunes était parti d’une « colère fiscale ». Celles et ceux qui répondaient aux « journalistes » refusaient le titre de « représentants » et voulaient apparaître comme des « porte-paroles ». Les « commentateurs professionnels » qui les recevaient les voyaient comme de « bons clients » et se réjouissaient que le mouvement fût « apolitique ».

Dès que certaines revendications prirent un ton plus social (rétablissement de l’ISF) ou politique, on les vit pointer un soupçon de tentative de récupération. Il visait évidemment les partis que, dans leur habitude langagière, ils qualifient d’« extrêmes ».

Depuis le débuts du conflit étaient organisés, sur les chaînes et des stations d’intox, des débats spectaculaires réunissant des « porte-paroles » des Gilets Jaunes « apolitiques », des « représentants » des partis politiques et des « experts », bien entendu, chargés de démêler le vrai du faux.

Mais ces « experts » autoproclamés (de l’ultra-droite, de l’ultra-gauche, de la violence, de la police, du commentaire...) ne sont en réalité que des « représentants » et des « porte-paroles » : de leurs employeurs, du lobby qu’ils représentent, voire, pour les audacieux, de la recherche en science sociale (on est prié de ne pas rire).

Que dire des « animateurs » de ces débats qui ne pouvaient s’empêcher de prendre parti, d’adopter un ton autoritaire ou indigné pour s’adresser à des gueux ou à des opposants politiques  ?

Au mieux, tous ces gens, qui parfois s’intitulent « grands reporters » ne sont que les « représentants » et « porte-paroles » de leur classe sociale.

A d’autres, ils apparaitront carrément comme les cadres dune police de la pensée et seront traités comme tels sur les « réseaux sociaux ». Mais ces commissaires politiques ne risquent pas trop sur le terrain. La violence physique se tournera donc, malheureusement, vers la piétaille des petits reporters mal payés qui se risquent parmi les Gilets Jaunes. Elle sera évidemment dénoncée avec indignation par ceux qui les envoient au casse-pipe. (Mais, corporatisme oblige, un tournant interviendra en début d’année quand on ne pourra plus cacher que cette piétaille des petits reporters a aussi été victime des violences policières.)

 

Enfin, pour récupérer des forces, le président déprimé se lancera à son tour, avec son « débat national », dans une vaste opération de récupération politique, sous l’égide de Clemenceau : « Quand les événements nous dépassent, feignons d'en être les organisateurs. »

 

Du maintien de l’ordre et de son parti

« Il y a une lutte des classes, évidemment, mais c'est ma classe, la classe des riches qui mène la lutte. Et nous sommes en train de gagner. »

Warren Buffet, le 26 novembre 2006

Aujourd’hui, le titre de « forces de l’ordre » ne doit pas être réservé à ces « travailleurs manuels » rencontrés sur la voie publique, en uniforme ou non, armés de casques, de matraques et de boucliers. Il doit être appliqué aussi à ces « travailleurs intellectuels », qui aiment à s’attribuer la fonction de « quatrième pouvoir ».

Il y a longtemps que cette fonction a échappé à celles et à ceux qui prétendent le détenir. Certes, il persiste une presse d’opposition (de droite et de gauche) groupusculaire et crépusculaire. Mais le « quatrième pouvoir » n’est plus un « contre-pouvoir ». Il est soumis, par intérêt, conviction ou obligation, soit pouvoir politique (Chine, Russie, « démocraties illibérales ») , soit au pouvoir économique (« Occident », « démocraties libérales ou ordolibérales »).

En France, il se partage entre ces deux soumissions.

En 2017, parce que c’était le choix de ceux qui le contrôlent, ce « quatrième pouvoir » est parvenu à faire élire un jeune banquier, contre ce qui était présenté comme le mal absolu. Et c’est la même stratégie qu’il semble vouloir reconduire dès aujourd’hui pour 2022.

Mais en 2016, cette stratégie n’a pas réussi aux Etats-Unis. Donald Trump était sulfureux, mais c’était un homme d’affaires. Le pouvoir économique était divisé et le« quatrième pouvoir » aussi. Ce ne sont pas les « complots russes » qui ont fait son élection, mais, d’une part, les maladresses des « Démocrates » et, d’autre part, les institutions étatsuniennes qui permettent de gagner sans avoir la majorité populaire.

Ce sont aussi les institutions qui ont permis à un banquier d’être élu et de faire croire que son projet était partagé par la majorité des Françaises et des Français. Marine le Pen ne présente pas les qualités rassurantes de Donald Trump quant à la chose économique, même si les milieux économiques lui savent gré d’avoir renoncé à la sortie de l’euro. Mais l’influence de son parti au sein des forces de l’ordre en uniforme peut contribuer à la faire passer pour la représentante la plus qualifiée du parti de l’ordre.

Dès lors, le pouvoir économique peut trouver une issue dans son accession momentanée au pouvoir. Ce moment peut être long, mais la destruction créatrice, quand ce sont les gueux qui s’en chargent, c’est carrément insupportable. Et la bourgeoisie française est, au fond, restée versaillaise et a toujours préféré Hitler au Front Populaire.

 

Conclusions (provisoires, comme d’habitude)

-« Il faut que je vive.

- Je n’en vois pas la nécessité »

Après les révélations de Warren Buffet sur la lutte des classes, ce fameux dialogue que rapportent Voltaire et Rousseau n’est plus seulement un bon mot à placer dans une conversation. Le « génocide délibéré » d’une grande partie de l’humanité est devenue, avec le changement climatique, une « option raisonnable ».

 

J’aurais pu intituler ce billet : « Les gilets jaunes en marche vers l’insoumission ».J’aurais peut-être alors fait montre d’un triomphalisme prématuré.

Quand on s’affronte à la réalité du monde, on est toujours partagé entre un optimisme du cœur et un pessimisme de la raison.

 

Les riches veulent garder leur état quand les pauvres souhaitent en sortir.

Les premiers nomment leur état :« état de droit ». Il est, selon eux, fondé sur le caractère sacré de la propriété privé. Ils ne se privent pas de lui accorder une initiale majuscule : l’Etat. Et ils s’accordent ainsi le privilège de la violence légitime pour défendre leur domination.

Il arrive que les pauvres se révoltent. Si leur révolte vise l’Etat fiscal, les riches peuvent regarder avec sympathie, voire soutenir (sans y participer) cette révolte fiscale. Mais il ne faut pas exagérer. Désormais, la défense de l’ordre et de la propriété privée est à l’ordre du jour, et, s’il le faut, par la terreur.

En France, un coup d’Etat n’est pas forcément nécessaire. Un gouvernement d’union nationale pourrait suffire, à condition d’en exclure au moins La France Insoumise. Une dissolution pourrait faire l’affaire puisque, dans le mode de scrutin actuel, elle aboutirait vraisemblablement à une cohabitation de la droite avec elle-même (LR et LREM). Bruno Lemaire est déjà en campagne pour succéder à Emmanuel Macron s’il ne fait plus l’affaire. Il faut simplement rétablir l’ordre à tout prix.

Voilà en quelques mots la situation envisagée du point de vue de la classe dirigeante.

 

Bien sûr, il ne sera pas exprimé ainsi par le « quatrième pouvoir » qui lui sert de porte-voix. Il tournera en rond autour de deux sujets : les violences et les complots, mais seulement ceux qu’il aura lui-même dénoncés. Il fera à chaque interlocuteur l’injonction de les dénoncer sans réserve. Et celles et ceux qui ne se joindront pas à cette opération de police seront soupçonnés de les soutenir.

 

Du point de vue des révoltés en Gilets Jaunes et de leurs soutiens, la situation est beaucoup plus confuse. Peu de commentateurs ont remarqué ce paradoxe : ces gueux, parfois petits patrons, s’imaginent appartenir à la classe moyenne.

Une majorité de Gilets Jaunes semblent se croire « apolitiques » et certains prétendent fonder un « parti apolitique ». Il leur faudra perdre cette première illusion.

Ensuite, sauf à se penser comme libertaire, comme anarchiste, ils vont découvrir que se déclarer ni de droite ni de gauche, c’est historiquement être de droite, voire de droite extrême.

Justement ils vont devoir apprendre de l’histoire. L’enseignement de l’histoire étant un champ de ruines, même dans les milieux favorisés, on imagine ce qu’il en est dans les populaires.

Et de leur propre histoire, ils devront tirer une leçon : de leurs réussites, de leurs échecs, de l’impasse où ils vont se trouver s’ils ne parviennent pas à se dépasser.

Enfin la question de la violence doit être discutée entre eux. Sur les médias, certains la condamnaient sans réserves, préparant leur récupération par le parti de l’ordre.D’autres, tout en la condamnant, disaient en comprendre les causes (mépris de classe engendrant la haine de classe, violences policières, manipulations et provocations). D’autres encore la déploraient comme une nécessité (la destruction créatrice, quoi !). Les « journalistes » et les « experts » prenaient un air effaré, mais bon ! ces gens n’étaient pas cultivés, instruits, politisés...

 

Une telle indulgence n’était pas de mise avec La France Insoumise. Puisqu’elle refusait de se soumettre à cette injonction médiatique de dénoncer les violences. Elle avait longtemps été présentée comme d’opposition principale, celle que le souverain souhaitait avoir devant pour asseoir sa grandeur. Elle devenait soudain « l’ennemi public numéro 1 ».

Aussi le traitement médiatique n’a pas été le même avec tous les « porte-paroles » des Gilets Jaunes. Les uns n’ont pas caché qu’ils avaient toujours voté « à droite » (LR ou LREM). On ne le leur a jamais reproché jamais (Benjamin Cauchy, Christophe Chalençon, Jacline Mouraud, Jean Claude Resnier, etc...). En revanche, à Christophe Couderc ou à José Espinosa, on n’hésitait à accorder la qualité de Gilets Jaunes, voire on la contestait.

La France Insoumise a affiché un soutien inconditionnel et constant aux Gilets Jaunes, mais il n’est pas certain qu’elle en tire profit. D’abord, rien ne lui sera épargné parce qu’elle est « l’ennemi public numéro 1 », non seulement de la classe dirigeante et de son« quatrième pouvoir » , mais aussi de « la gauche en lambeaux » qui s’imagine être une alternative crédible sans se compromettre avec les gueux.

Ensuite, si elle a déjà donné un bon signe en choisissant en dehors de ses rangs sa tête de liste aux Européennes, elle va devoir poursuivre sa refondation. Une refondation pratique pour élargir sa base et ses alliances. Mais aussi une refondation théorique qui avait été entamée par l’ouverture de son programme à la transition écologique : elle va devoir reprendre à son compte la critique de ce qu’un historien Etatsunien appelait le « principe de propriété privée illimitée ».

 

Quant au Front National, il a découvert, lui, les limites de son « rassemblement » : sur les ronds points de province, ce sont des supposés sympathisants qui ont établi des barrages et d’autres qui les ont forcés ; et, aux alentours du rond point des Champs Elysées, ce sont des électeurs du Front National en uniforme qui se sont chargés de la répression populaire. Depuis le début du mouvement, il a surfé sur lui avec l’assentiment du « quatrième pouvoir », allant parfois jusqu’à la beaufitude dans la récupération du RIC en RICARD. Heureusement pour lui, la stratégie de la classe dirigeante est de le présenter comme la seule alternative possible, et, évidemment, il partage cette stratégie.

La soumission durable peut passer par cette solution provisoire.

 

[ix] Eric Heyer : « "Avec cette 'désocialisation', terme horrible auquel je préfère 'exonération de cotisations sociales', on s'adresse en général au classes moyennes et aux classes populaires, puisque les cadres ne font pas d'heures supplémentaires. Elles sont payées en moyenne 1,3 fois le Smic, donc ça permet de dire qu'on augmente le pouvoir d'achat"

[x] Margaret Thatcher en septembre 1987( interview au magazine Woman's Own : « Nous sommes arrivés à une époque où trop d'enfants et de gens (...) rejettent leurs problèmes sur la société. Et qui est la société ? Cela n'existe pas ! Il n'y a que des individus, hommes et femmes, et des familles. » 

[xi] « Reprendre des forces après un effort violent, recouvrer sa santé après une maladie, retrouver l'usage d'un membre, d'un organe : Récupérer l'usage de sa main. » (Larousse)


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5 réactions à cet article    


  • clostra 18 janvier 2019 12:15

    Tout est dans tout qui forme un TOUT
    Karl Lagerfeld, aussi
    Mais à propos, où vont les bénéfices de la vente internationale de gilets jaunes, réfléchissants, donc réfléchissons !
    N’allons pas plus loin sur ce chapitre qui nous plongerait dans la perplexité (est-ce le jaune ou les bandes réfléchissantes qui sécurisent celui qui le porte ? le jaune est la couleur du soleil parfois des étoiles de la lumière en général).

    Disons que c’est un « uniforme », ce qui en soi pose problème et peut peut-être expliquer pourquoi le « chef de l’Etat » fait semblant de ne pas comprendre.

    Le « chef de l’Etat » répond avec beaucoup d’application à côté de la demande des gilets jaunes la plus évidente : ils/nous voulons prendre part aux décisions qui nous concernent. Alors, il commence par aller voir les maires. Bien joué !

    à suivre donc



    • clostra 18 janvier 2019 19:50

      @JulietFox
      Le maire et monsieur le curé
      https://www.youtube.com/watch?v=Xq74LEQzliI
      dirent en colère cela ne peut durer !
      nous avons marché tout le jour ...
       encore une histoire d’uniforme !

      à bien réfléchir ce que font les bandes des gilets jaunes, les bandes (tricolores) des maires ne signifient pas qu’ils sont tous d’accord.

      Le plus petit dénominateur commun entre gilets jaunes est qu’ils veulent se faire entendre, parler, s’exprimer, réfléchir ensemble aux solutions.
      Il y a des mairies tenues de la sorte, en particulier dans le Drôme, pour réfléchir ensemble aux solutions, ce qui ne signifie pas que tous soient d’accord.
      Pourquoi vouloir souligner que les gilets jaunes ne sont pas tous d’accord, mais s’ils l’étaient ils n’auraient pas besoin de discuter et encore moins de se faire entendre.
      S’adresser aux maires de la sorte c’est les infantiliser afin qu’ils retombent dans leur léthargie.


    • Attila Attila 18 janvier 2019 12:38

      Réflexion intéressante.

      Mais sur ce point, je pense que vous vous trompez :

      "Ensuite, sauf à se penser comme libertaire, comme anarchiste, ils vont découvrir que se déclarer ni de droite ni de gauche, c’est historiquement être de droite, voire de droite extrême. « 

      Christophe Guilluy nous a confirmé que la France d’en bas n’était plus représentée par aucun parti politique. La gauche populaire a disparu avec l’effondrement du Parti Communiste.

      Le lambeaux de ce qu’il reste de la gauche a abandonné les classes populaires : le sociétal a remplacé le social. Les gilets Jaunes, c’est le retour du social.

      En 1981, Georges Marchais écrivait : »La présence en France de près de quatre millions et demi de travailleurs immigrés et de membres de leurs familles, la poursuite de l’immigration posent aujourd’hui de graves problèmes « Lien

      Mais il a écrit aussi : »C’est une conséquence du régime capitaliste, de l’impérialisme. Des millions d’hommes sont contraints au cruel exil en terre étrangère, loin de leur ciel et de leur peuple, parce qu’ils n’ont pas de travail chez eux « 

      La préoccupation des effets d’une immigration incontrôlée dont profitent les gros capitalistes au détriment des classes populaires était une préoccupation de gauche.

      La gauche actuelle ayant abandonné les classes populaires, les thèmes politiques que la gauche a rejeté ont été récupérés par le Front National de Marine Le Pen dans sa stratégie de dédiabolisation. Mais sans le volet anticapitaliste et anti-impérialiste du PC de 1980.

      .

      Il y a quelques mois, j’avais écris : »Si un mouvement de défense des classes populaires devait émerger, pas sûr qu’il se réclame de la gauche"

      On y est.

      .


      • zygzornifle zygzornifle 18 janvier 2019 14:21

        Pot de fer conte pot de terre , il suffit d’attendre que le pot de fer soit bien rouillé ....

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