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La royauté et le sacré par Christophe Levalois

Christophe Levalois est enseignant en histoire et rédacteur en chef du site d’information Orthodoxie.com. Avec cet ouvrage intitulé La royauté et le sacré, il répond à des questions simples mais fondamentales : qu’est-ce qu’un roi ? Au nom de quoi règne-t-il ? Quelles relations entretient-il avec les autres pouvoirs que sont le clergé, l’armée, le peuple ? Et surtout, peut-on édifier une théorie de la royauté par-delà la diversité des temps et des lieux ?

Concernant la dernière interrogation, il stipule dès les premières pages que « les exemples pris proviennent des traditions d’Europe et d’Asie, même si l’Afrique et le continent américain ne sont pas absents. Ils montrent une cohérence et une universalité dans les grands principes, pour ce qui concerne la royauté, malgré l’éloignement dans le temps et la distance géographique ». Il ajoute : « ils témoignent d’une indéniable permanence ».

L’auteur entreprend un travail intéressant sur l’origine de la royauté et sa légitimité. Le lien entre le sacré et la royauté se veut à la fois réel et immémorial. Levalois écrit : « l’ouvrage explore la relation étroite de la royauté et du sacré, plus précisément il expose comment le sacré, par sa présence et sa manifestation, constitue et anime la royauté ». Ce n’est pas un hasard si en France, les théoriciens politiques parlent de l’alliance du trône et de l’autel.

Néanmoins, il demeure indispensable de définir ce que revêt le sens profond des termes royauté et sacré. Il explique que « pour le premier, le lecteur comprendra très vite qu’il ne s’agit pas tant d’un système ou d’une organisation politique que de la concrétisation d’une vision de la société vue comme un organisme en correspondance avec la Création visible et invisible, matérielle et spirituelle, et tâchant d’être à l’image de celle-ci ».

Pour le mot sacré, il énonce que celui-ci est «  pour lui ambivalent et problématique. Il présente l’avantage d’être vite compris, d’où son utilisation ici. Il évoque la manifestation de la transcendance dans l’ici-bas, d’une verticalité dans notre horizontalité. Mais il a l’inconvénient d’amener à un dualisme, à savoir que l’on ne conçoit pas le sacré sans le profane. Il existe là une opposition, qui est souvent systématisée, à laquelle il me semble dangereux de réduire le cheminement spirituel et la vie tout court ».

Toutefois, la modernité et la révolution sont passées par là. Elles imprègnent notre époque et par conséquent régissent la vie de beaucoup d’individus. Levalois constate que « l’association intime de la royauté et du sacré apparaît comme dépassée depuis longtemps ». Nous le regrettons mais nul ne contestera que « les diverses couronnes encore existantes ne sont plus, de fait, que de loins reflets des royautés d’antan par-delà les apparences. Elles ont suivi l’évolution des sociétés ». Les monarchies européennes, dans une très large mesure, sont devenues des monarchies d’opérettes parce qu’elles piétinent leurs fondements philosophiques, historiques et politiques.

Par ailleurs, il développe une idée à laquelle nous souscrivons sans retenue : « pour moi, un trône n’a plus de sens à la tête d’un pays actuellement car les sociétés contemporaines, notamment occidentales, au moins institutionnellement et dans leur grande majorité, rejettent la transcendance ou l’ignorent, ne s’en rappelant, parfois, que lors de grandes catastrophes  ».

Levalois précise à juste titre : « le fondement, la légitimité, la vertu et le sens authentique de la royauté proviennent de cette vision du monde qui intègre pleinement la transcendance et dont le moins que l’on puisse dire est qu’elle est largement étrangère actuellement aux corps étatiques, tout comme à la grande majorité des représentations de la société par elle-même, nonobstant quelques reliquats collectifs souvent contestés  ». Les nombreuses polémiques liées à l’installation des crèches dans l’espace public confirment cet état d’esprit que nous refusons.

L’auteur rappelle la mission cruciale du roi dans la gestion des affaires du pays et les immenses charges pesant sur lui : « les fautes commises par un souverain sont funestes et lourdes de conséquences pour l’ensemble de la communauté. Car si celui qui sert de guide et de modèle dévie, alors l’ensemble de la communauté se fourvoie et se perd, à terme disparaît. On conçoit dès lors l’énorme responsabilité du roi et de l’intérêt pour les ennemis d’un royaume de frapper la tête d’une manière ou d’une autre  ». Raison pour laquelle les révolutionnaires ont envoyé le roi Louis XVI dans les bras de la grande faucheuse.

Nous lisons que « les textes traditionnels mettent souvent en garde les souverains contre les égarements dus notamment à l’orgueil, puis au mensonge. Que le roi se détourne du Ciel et il sombre, lui et son peuple, dans les plus noirs tourments  ». L’hiver vient… Cependant, le roi doit également être entouré par de sages conseillers qui évoqueront, si nécessaire, les lois ancestrales du pays sur lequel il gouverne.

Quand on parle de royauté, il faut comprendre que le roi « a un rôle d’intermédiaire entre notre monde et le monde céleste. C’est ce que souligne le terme romain pontifex, faiseur de pont, création du roi légendaire Numa Pompilius, repris bien après par l’empereur, qualifié de pontifex Maximus, c’est-à-dire pontife suprême. Cette désignation fut, à partir du VIIème siècle, relevée par la papauté  ». Ne soyons donc pas surpris de lire que le jurisconsulte Pierre Pithou (1539-1589) expliquait en son temps que « le roi est une personne sacrée, ointe et chérie de Dieu, comme mitoyenne entre les anges et les hommes ».

De longue date, les adversaires de la royauté dupent leur monde en expliquant que le roi était l’ennemi des sujets les plus faibles et l’allié des puissants. Selon eux, il régnait avec l’aide d’une caste sacerdotale et guerrière. A les entendre, la noblesse et le clergé avec l’accord du monarque n’hésitaient pas à écraser le peuple de taxes et d’impôts tout en le livrant constamment à l’injustice. Pourtant, Levalois mentionne le propos suivant : « dans la philosophie européenne, à partir de la Grèce antique et notamment d’Aristote, l’un des aspects majeurs de la royauté, de la monarchie plus précisément, mis en avant est qu’elle manifeste l’unité d’un peuple et du gouvernement ». Il ajoute une pensée incontournable : « c’est pourquoi, dans les sociétés traditionnelles, le roi, considéré comme étant le père du peuple, incarne l’unité de la société, mais aussi inaugure et impulse tout nouveau cycle ».

Tout est intimement lié et parfaitement logique. Pour les philosophes de la royauté, dont nous sommes, « le souverain est à la fois l’origine, le régulateur et le rénovateur de la société, ces trois fonctions étant étroitement liées ». Certains disent que le roi agit comme un niveleur des tensions sociales.

Dans le même ordre d’idée, l’auteur spécifie que « sans roi, le monde n’a plus de centre et plus de rempart contre les puissances infernales. En effet, sans tête, et sans les relations avec le monde céleste que la tête permet, les hommes ne voient plus, n’entendent plus, n’agissent plus et s’égarent, ils deviennent alors en somme des aveugles qui guident des aveugles comme l’écrit l’évangéliste Matthieu ». Malheureusement, nous le vivons tous les jours.

Contrairement à ce que déclare une certaine propagande du XVIIIème siècle « le véritable souverain n’est pas un autocrate omnipotent ». Il ne faut surtout pas le voir comme un homme au pouvoir illimité : « le roi ne s’occupe pas de régler les affaires quotidiennes, même s’il peut, à l’occasion, intervenir dans celles-ci, mais définit les grands axes de la politique et s’attache aux sujets importants qui touchent l’ensemble de la communauté. Pour les autres questions, il nomme des responsables, investis de sa confiance, qui s’en chargent. Le rôle du roi consiste à représenter, à être. Là est l’essentiel de son action. Ainsi, il rayonne, influence et dirige subtilement la société tout entière ».

Peuple et roi, en réalité, ne font qu’un : « reporté au corps, selon une vision organique du peuple, le roi correspond à la tête. L’Epître aux Colossiens évoquant la tête du corps, relatif au Christ et à l’Eglise, en constitue le fondement spirituel logique pour celui qui est perçu au Moyen Age comme le lieutenant du Christ ». Louis XIV dans ses Mémoires pour l’instruction du Dauphin écrivait déjà : « nous devons considérer le bien de nos sujets bien plus que le nôtre propre ». La tête n’a donc aucun intérêt à maltraiter le corps…

L’auteur nous invite « plus qu’à la présence fondatrice et structurante du sacré dans la royauté, à la découverte d’un monde différent du nôtre, en espérant apporter au regard du lecteur et à son être de nouvelles perspectives. Vivifiantes ». Nous les avons réellement appréciées. Ce livre court mais puissant démontre que les questions de la légitimité, de l’autorité et de la tradition sont plus que jamais d’actualité dans notre monde fou car en manque de (re)pères.

 

Franck ABED

 


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8 réactions à cet article    


  • Arogavox Arogavox 23 janvier 2019 10:14

    « La civilisation, la vraie, se construit non sur des complicités faciles,

    des démissions, des esclavages mais sur des refus, des ruptures »
     Théodore Monod

    (bis repetita)

     Ce texte a au moins le mérite de rappeler une question que l’on croit avoir dépassée avec notre « démocratie représentative » est ses incarneurs de peuple et de France.

     Car oui, la civilisation française a tenté les refus et ruptures qui l’ont conduite de l’Ancien Régime à ... celui d’aujourd’hui.

      Mais le ressort théorique inavouable de cette représentation qui n’a rien de démocratique est-il différent de celui qui a inspiré l’habitude atavique chez les Français de s’imaginer que des humains puissent être incarnés par l’un d’entre eux ?!

     J’en veut pour preuve cette sotte docilité avec laquelle tout le gratin de « l’intelligentsia » française autant que de ses zélés zélus, de ses média et de tous les moutons qui les badent, avides de découvrir le destin qu’Il va leur réserver, scrutent les lèvres d’un jupiter lorsqu’il commet la prétention de publier son avis personnel commué en diktat, concernant tout et n’importe quoi (cela va de l’usage de la bombe nucléaire ... à la permission ou non de donner des fessées !)

      

    Paradoxalement, nos amis d’outre-Manche, bien qu’il ait conservé une reine, ont réalisé une rupture de civilisation plus crédible, en retirant à leurs rois le pouvoir des décisions politiques et en séparant de fait ce qui est du ressort purement politique de ce qui est du ressort affectif. Ils ne confondent plus, contrairement à ce qui se passe en France, leurs motivations d’ordre politique avec leurs motivations à aduler un Papa ou une Maman !

     Ils n’ont pas besoin de transférer à leurs rois cette « infaillibilité pontificale » que nos révolutionnaires croyaient dépasser, mais que notre franchouillard concept de « représentation » du peuple n’a fait que reporter, sans argumentation raisonnable, 

    à des « vainqueurs » d’une technique très particulière de scrutin (On s« attend d’ailleurs à ce cette infaillibilité soit bientôt reconnue à des »élus" tirés au sort !!

    Ni intuition, ni raison : ni esprit de géométrie, ni esprit de finesse. Notre Blaise Pascal qui voyait là la marque des esprit faux doit se retourner dans sa tombe)


    • Gollum Gollum 23 janvier 2019 10:52

      Bon texte, malgré des réserves, car le refus de la Royauté procède d’un refus du vertical, de l’autorité, du Père en somme...

      Et on aboutit plusieurs siècles après à avoir une nouvelle « aristocratie » ou élite, pire que l’ancienne, une ploutocratie aux manettes, des parvenus aux dents longues au pouvoir, et enfin des parents et des profs incapables de faire respecter la moindre discipline et de se faire respecter. Et on aboutit au chaos généralisé et à la guerre de tous contre tous.

      Bien évidemment vous omettez quelques détails d’importance. L’usure, et même la falsification des castes sacerdotale et royale.

      La papauté notamment, en se modélisant sur la Rome impériale, a usurpé la fonction royale. Avoir un chef, dans une caste sacerdotale, est une erreur profonde. Et ce sont les orthodoxes qui ont raison sur ce point. 

      Bien évidemment cela a entrainé des conflits permanents entre pouvoir royal et pouvoir papal. Notamment à partir de Philippe le Bel.

      Le Roi lui-même n’était pas dépourvu d’appétits purement matériels comme Philippe le Bel l’a montré.

      Les institutions ne suffisent pas donc. Il faut que l’esprit y soit aussi.

      Bref, nous sommes ici en pleine dialectique des castes et l’usure des castes principales a entrainé la prise de pouvoir de la caste des Marchands et l’élimination des castes du haut. Et le monde a sombré dans le matérialisme. Ce que j’écris ici Platon l’avait anticipé quand il prévoyait le chaos social si les hyliques (du grec : υλη, matière) parvenaient au pouvoir. Nous y sommes.

      Mais le monde des marchands va à sa fin aussi. Et le retour de l’Esprit, et d’une véritable aristocratie, sera le signe d’un renouveau.

      Ce retour de l’aristocratie pourrait fort bien se passer aux niveau du peuple lui-même et non pas au niveau d’un retour d’une caste au sens propre. Mais cela nous entrainerait trop loin...

      Ainsi va la roue des castes entrainant la roue du dharma et l’écoulement du temps et des cycles.


      • Monarque31 Monarque31 23 janvier 2019 15:37

        @Gollum

        Je suis d’accord avec vous sur le fond, y compris sur le fait que l’Eglise n’est qu’une piètre imitation de caste sacerdotale, mais je ne comprends pas un point : en quoi un chef dans la caste sacerdotale est une erreur ?

        Aussi, n’y aura-t-il pas une période de chaos après la chute des Marchands avant que l’on vive un renouveau ? Je dis ça sur ce que je connais des cycles, notamment la formule de Pythagore 10 = 4 + 3 + 2 + 1.


      • Gollum Gollum 23 janvier 2019 16:28

        @Monarque31

        Parce qu’autant l’exercice du pouvoir, de la capacité à l’action, attributs du Roi, exige la solitude du pouvoir, autant la caste sacerdotale, pour éviter la tentation du pouvoir se doit d‘être une collégialité. Il s’agit d’une complémentarité de fonctions. 

        Une caste de sages, à égalité de voix, me semble une bonne chose quant aux débats sur les questions métaphysiques.

        Je suis persuadé que les conflits Papauté/Royauté qu’il y a eu en Occident ont été en grande partie dus au fait qu’il y avait un chef unique à la tête de Rome.

        Je ne suis pas assez historien pour savoir quelles ont été les rapports entre le Tsar et l’Orthodoxie, mais d’instinct je suis assez prêt à parier que cela a été moins conflictuel. En raison même de l’absence d’un chef unique. A vérifier.

        Pour ce qui est de la période de chaos que vous évoquez, cela me semble une évidence.


      • Gollum Gollum 23 janvier 2019 16:32

        quelles ont été les rapports

        quels ont été les rapports   désolé smiley


      • Monarque31 Monarque31 23 janvier 2019 17:30

        @Gollum
        Je comprends mais cela soulève une question : ne peut-on pas dire que le rôle de Prophète est comparable à celui de chef ?


      • Gollum Gollum 24 janvier 2019 11:17

        @Monarque31

        Non je ne pense pas. Le prophète annonce. On l’écoute... ou pas.


      • Decouz 20 mars 2020 09:17

        Il y a aussi de Jean Hani « La Royauté sacrée » (« du pharaon au roi très chrétien »).

        Jean Hani s’inspire de l’oeuvre de Guénon et montre qu’il n’y a aucune contradiction entre ce qui est exposé par ce dernier et le christianisme, bien au contraire, en particullier pour la lecture du symbolisme.

        Egalement du même auteur dans le domaine du christianisme : « Le symbolisme du temple chrétien », « La Vierge Noire et le mystère marial », « la Divine liturgie », « Les métiers de Dieu »...Ses autres études concernent l’Antiquité.

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