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Accueil du site > Actualités > Citoyenneté > La démocratie judiciaire, un outil démocratique au soutien du référendum (...)

La démocratie judiciaire, un outil démocratique au soutien du référendum d’initiative citoyenne

Quoi qu’on pense du mouvement des « gilets jaunes », on ne peut pas lui dénier un mérite immense : celui d’avoir amené sur le devant de la scène le débat sur le référendum d’initiative citoyenne (RIC).

Car rares sont les occasions que nous avons de nous interroger sur nos institutions politiques et sur la manière dont nous pourrions les transformer.

À cet égard, je partage le constat, dressé par bien d’autres avant moi, du profond déficit démocratique de notre système politique actuel, où les citoyens peuvent uniquement désigner des représentants dans des conditions telles que ceux-ci sont les véritables détenteurs du pouvoir.

Certes, on pourrait m’opposer qu’en France la démocratie est représentative et que, à ce titre, la volonté du peuple s’exprime par la bouche de ses représentants. Mais, ainsi comprise, cette expression n’est qu’une fiction. Si le peuple a quelque volonté à exprimer, il paraît relativement absurde de la rechercher ailleurs que dans la parole des citoyens eux-mêmes. Je ne vois donc pas comment on peut se dire démocrate, ou attaché au respect de la volonté du peuple, tout en soutenant que l’élection doit être systématiquement préférée au RIC.

Mais le RIC n’est pas la seule voie qui, aujourd’hui, peut mener à un système plus démocratique. Bien d’autres combats sont à mener ; ils portent sur une diversité de sujets allant du pluralisme dans la presse jusqu’à l’organisation de nos institutions, en passant par les conditions d’élaboration du droit européen et international.

La plupart de ces sujets ont déjà été discutés par des personnes bien plus compétentes que moi et, qui plus est, il est impossible tous les traiter dans cette brève tribune. Aussi, je voudrais me concentrer sur l’un de ceux qui sont les moins débattus, à savoir la place de la fonction judiciaire[1] dans notre démocratie.

La thèse que je défendrai est la suivante : il est aujourd’hui possible, et même souhaitable, de revendiquer, ce que j’appellerais une « démocratie judiciaire ».

De quoi s’agit-il et quelles pourraient en être les modalités concrètes ? C’est ce dont je voudrais traiter dans cet article.

Qu’est-ce que la démocratie judiciaire et pourquoi est-elle intéressante ?

Le RIC – de même que tous les outils de démocratie directe habituellement revendiqués (référendum révocatoire, tirage au sort des représentants…) – constitue sans nul doute un instrument intéressant mais il se heurte à une limite importante : il ne donne prise aux citoyens que sur l’élaboration de la loi et pas sur son application.

Or, de nombreux juristes (en France, on peut notamment citer Michel Troper[2]), ont montré que la règle de droit n’a pas d’existence indépendante de l’application du texte dans lequel elle est exprimée. Car, quelle que soit la formulation de la loi, il est toujours possible de l’interpréter de diverses manières ; même lorsque ses termes paraissent simples et peu équivoques, un juge peut toujours considérer qu’un mot ou un groupe de mots quelconque a un sens juridique précis qui ne correspond pas à son sens usuel et, ainsi, former à sa guise la signification du texte, au moins dans une certaine mesure.

Je veux d’emblée préciser que mon dessein n’est pas ici de critiquer cette pratique, qui me semble aussi nécessaire qu’elle est inévitable. Je veux simplement attirer l’attention sur le fait que la logique démocratique en est presque totalement absente, alors même qu’il s’agit d’un stade important de l’élaboration du droit.

Toutefois, je pense qu’il est possible d’associer la voix du peuple à l’interprétation et l’application de la loi, au travers de la mise en place de certains processus. Et, c’est précisément cela que j’appelle la démocratie judiciaire.

Comment faire advenir la démocratie judiciaire ?

Immédiatement, l’idée de rendre l’activité judiciaire plus démocratique suscite une difficulté importante : comment peut-on associer la voix du peuple à la fonction de juger ?

Bien entendu, il n’est pas envisageable que nous votions tous les décisions de justice. Mais l’idée de démocratie implique-t-elle véritablement le recours systématique à la consultation du peuple dans son ensemble ? Je ne le crois pas. Pour étayer ce point de vue, je reprendrais une thèse exposée par Jacques Rancière, dans son ouvrage La haine de la démocratie. Selon Rancière, l’essence de la démocratie n’est pas à rechercher dans des processus électifs ou dans des systèmes de vote mais dans un principe : celui de l’égalité de tous avec tous.

Ce qui importe donc pour qu’une institution soit démocratique, c’est qu’elle donne le pouvoir de décision aux citoyens ordinaires, à ceux qui n’ont aucun titre à gouverner, autrement dit, à n’importe qui. Et pour cela, il n'est pas nécessaire que tout le monde participe au processus de décision, il suffit que tout le monde soit dans la possibilité (réelle et non fictive) d'exercer le pouvoir de décision.

On peut donc parvenir à la démocratie judiciaire en permettant à un collège de quelques citoyens ordinaires, choisis par tirage au sort pour une durée très courte, de trancher les litiges en lieux et place de magistrats professionnels.

Mais alors, une seconde difficulté fait irruption : il est évident que la logique démocratique ne peut pas régir intégralement les fonctions nécessitant manifestement des compétences ou des titres particuliers pour être convenablement exercées (on ne peut, par exemple, tirer au sort les scientifiques ou les généraux). Or, l’activité judiciaire est incontestablement de cette sorte. Elle ne peut être exercée de façon satisfaisante que si elle implique des personnes qui disposent de vastes connaissances juridiques et de certaines compétences techniques acquises au terme d’un apprentissage relativement long et difficile.

Serait-on alors face à une difficulté insurmontable ? Je ne le crois pas. En effet, je pense que, si l’on ne peut se dispenser de l’expertise de notre personnel judiciaire, on peut toutefois imaginer des systèmes permettant de faire cohabiter cette expertise avec la voix de citoyens, de telle sorte que le processus de décision, à défaut d'être entièrement démocratiques, soit le plus démocratique possible.

Notre système actuel comporte même une institution qui en donne une parfaite illustration : les jurys de Cour d’assise.

La Cour d’assise est la juridiction qui, en France, est chargée de juger les infractions pénales les plus graves. Et, dans les procès d’assise, le pouvoir de décider si l'accusé doit être reconnu coupable et de choisir la peine à appliquer, le cas échéant, revient à un jury composé de citoyens tirés au sort sur les listes électorales, c’est-à-dire à… n’importe qui.

Cet exemple est particulièrement instructif parce qu’il montre qu’il est possible de laisser n’importe qui exercer une fonction juridictionnelle, à condition que cet exercice s’opère dans des conditions garantissant qu’elle sera éclairée par l’expertise de différents professionnels de la justice.

Les jurés d’assise sont assistés par un collège de trois magistrats professionnels susceptibles de les orienter. De plus, ce n’est pas à eux qu’il revient de diriger l’instruction du procès ni de conduire les débats judiciaires lors de l’audience, etc. En somme, toutes les conditions sont mises en place pour qu’ils puissent prendre une décision sans pâtir de n’avoir pas les compétences requises pour ce faire.

Je propose donc, à partir de cet exemple, de réfléchir à une instauration plus vaste de la logique démocratique dans l’appareil judiciaire.

Une proposition de système de démocratie judiciaire

Bien entendu, de multiples systèmes de démocratie judiciaire peuvent être envisagés. Voici celui que je propose.

Il existe en France trois juridictions suprêmes (le Conseil constitutionnel, la Cour de cassation et le Conseil d’État), qui, pour faire simple, sont chargées de déterminer la manière dont les textes qui relèvent de leur champ de compétences doivent être compris et appliqués. Ainsi :

  • le Conseil constitutionnel est compétent pour donner la bonne interprétation de la Constitution et de certains textes et principes fondamentaux. Il peut, notamment, censurer toute loi dont il estimerait qu’elle contrevient à ces textes et principes ;
  • la Cour de cassation, est compétente pour donner la bonne interprétation des textes composant le droit privé français (comprenant le droit civil, le droit pénal, le droit commercial, le droit du travail, etc.). Ses décisions font autorités pour tous les tribunaux civils français ;
  • le Conseil d’État est compétent pour donner la bonne interprétation des textes et principes composant le droit public français (comprenant l’essentiel du droit fiscal, le droit des collectivités territoriales, le droit de l’environnement, le droit de l’urbanisme, etc.). Ses décisions font autorité pour tous les tribunaux administratifs français.

Je suggère donc d’instituer des jurys uniquement au niveau de ces trois juridictions suprêmes.

L’enjeu sera alors de trouver le bon équilibre entre la liberté de choix de ces jurys et la nécessité de limiter leur action aux tâches qui peuvent être exercées sans compétence judiciaire particulière. Pour opérer cette conciliation, les procédures suivantes pourraient être mises en place :

  • les magistrats des juridictions suprêmes que nous connaissons aujourd’hui ne seraient plus juges mais rapporteurs. Ils seraient ainsi chargés, non de délibérer mais de faire un rapport à l’attention du jury ;
  • chaque tendance politique disposant d’un groupe parlementaire à l’assemblée nationale pourrait désigner un rapporteur, parmi un ensemble de juristes sélectionnés sur la seule base de leurs compétences ;
  • pour toutes les affaires qui sont portées devant la juridiction suprême, chacun de ces rapporteurs devrait prendre une position individuelle sur la solution à apporter à cette affaire et donner tous les arguments qui lui paraissent pertinent pour la justifier ;
  • chaque rapporteur devrait se prononcer de façon isolée afin qu’il n’existe aucune possibilité pour plusieurs d’entre eux de s’entendre sur une position commune ;
  • le jury devrait auditionner chacun des rapporteurs et poser toutes les questions qui lui semblent nécessaires pour comprendre la position du rapporteur et les raisons qui la motivent ;
  • à l’issue du processus, le jury retiendrait celles des différentes décisions proposées qui lui paraîtrait la meilleure.

Réponse à quelques objections

Avant de poser la plume, je voudrais essayer d’anticiper quelques-unes des objections qui pourraient m'être adressées.

Première objection : le système proposé n’est pas démocratique puisque les magistrats-rapporteurs conservent une large influence sur le jury

Certes, le système que je propose n’est pas un système totalement démocratique puisque la décision du jury est fermée : il peut uniquement choisir parmi des propositions qui s’imposent à lui.

Mais, comme je l’ai indiqué, le métier de juge de dernier ressort est difficile et exigeant. Il ne peut pas être exercé de façon pleine et entière par des personnes qui de disposeraient pas de certaines compétences cruciales. Face à ce constat, qui me semble difficile à remettre en cause, je ne vois que deux choix possibles : soit on essaye de rendre les juridictions suprêmes démocratiques, dans la seule mesure où cela est possible, soit on renonce à toute idée de démocratie judiciaire.

Or, si l’on croit, comme c’est mon cas, aux vertus de la démocratie, il me semble que l'on doit préférer la première possibilité car elle demeure beaucoup plus proche de l’idéal démocratique que la seconde.

Deuxième objection : l’avis des citoyens n’apporte rien car les magistrats sont mieux placés pour décider de la bonne application du droit

Cette objection me semble devoir être écartée pour les mêmes raisons que l’on doit écarter celles qui visent le RIC lui-même.

Si l’on croit à la démocratie, c’est que l’on accepte que le peuple, c’est-à-dire, n’importe qui, puisse décider du contenu de la loi et des autres textes de portée générale, au moins dans la mesure où il n’est pas possible de mettre en évidence que cette décision ne requiert pas impérieusement certaines compétences particulières.

Et si l’on reconnaît que les juridictions suprêmes participent à la détermination du contenu des lois – ce qui me paraît difficile à nier –, alors je ne vois pas pourquoi le peuple n’aurait pas son mot à dire sur les positions qu’elle adopte, dès lors que son expression s’effectue dans des conditions qui permettent de la concilier de façon acceptable avec l’expertise des magistrats professionnels.

Lui refuser cette faculté dans ces conditions me paraît être l’aveu d’un profond désamour pour la démocratie.

Troisième objection : et si cela ne marchait pas ?

Il est fort possible que le système que je propose pose un certain nombre de problèmes que je n’ai pas aperçus et qui le rendent impraticable.

C’est pourquoi je ne recommanderais pas de le mettre en place sans l’avoir testé préalablement.

Pour ce faire, il me semble qu’il suffirait de l’instituer « pour de faux », en marge de notre système actuel, afin d’observer les décisions qui sont prises par les jurys et de les comparer aux décisions que prennent les juridictions suprêmes telles qu'elles existent actuellement.

Si l’on faisait cela, alors on disposerait certainement d’éléments suffisamment solides pour juger de la pertinence de ce système.

 

[1] Que j’entends ici au sens large comme comprenant toutes les activités juridictionnelles

[2] Voir notamment, Michel Troper, La théorie du droit, le droit, l’État, PUF, Paris, 2001, pp. 69-84. Pour d’autres réflexions en ce sens, voir notamment Riccardo Guastini, « Les juges créent-ils du droit ? », in Revus, n°24, 2014, pp.99-113 ; Ronald Dworkin, La théorie du droit comme interprétation in Droit et société, n°1, 1985, pp. 81-92.


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4 réactions à cet article    


  • Étirév 2 février 2019 10:21

    « Pas une tête ne doit se lever. Si une seule dépasse, on la coupe.  »
    N’est-ce pas, en réalité, cela le grand principe de la démocratie ?
    Les Temps changent, les idées doivent évoluer.
    Notre Système s’effondre un peu plus chaque jour, et le régime politique dégénéré qu’il représente apparait sous ses aspects inepte, vulgaire et inique les plus évident aux yeux de tous ou presque tous. Et c’est ainsi parce que toutes ses règles, toutes ses lois, et d’une manière générale tous ses rouages fonctionne à l’envers, sont contre Nature : Le vol est dans les lois, dans les administrations, dans le commerce, dans les mœurs, le crime est de tous côtés autour de nous, l’injustice est partout, l’hypocrisie triomphe.
    Rappelons rapidement ce qu’est, en réalité, une démocratie, ce régime de gouvernance considéré par les plus nombreux comme un immense progrès humain.
    La démocratie est un régime politique qui avilit en abaissant les bons, c’est une tyrannie qui s’exerce par un mouvement de traction morale, de bas en haut ; elle fait descendre, elle empêche les meilleurs de s’élever, elle abat les têtes qui dépassent le niveau des médiocres, empêchant ainsi l’éclosion des types supérieurs, elle supprime le respect et rend les petits insolents.
    Toute élévation du type humain demande un régime aristocratique.
    La médiocrité est, de manière tout à fait évidente, devenue le réel étalon de référence de nos moeurs, de la politique et des gouvernances successives qui en sont les (in)dignes reprensentants et continuateurs.
    C’est pour cela que le cycle nouveau dans lequel nous sommes entrés dépassera la démocratie, et la remplacera par une aristocratie de l’Esprit.


    • Odin Odin 2 février 2019 14:22

      La justice devrait être « totalement » séparée de l’exécutif.

      Elle ne devrait pas être que démocratique mais aussi et surtout équitable avec une totale impartialité. Nous en sommes très loin.

      Pour être possible, il faudrait des bases solides avec interdiction d’appartenir à un parti politique ou à un syndicat (le mur des cons) ni à aucune secte, le ministère de la justice et le bastion, derrière celui de l’intérieur, où l’on trouve le plus de « frères » porteur de tablier.

      Sans ce nettoyage, la justice conservera son image négative et ce sera toujours celle du « pot de terre contre pot fer ».


      • Daniel0 3 février 2019 12:24

        Bonjour, la recherche d’une démocratie idéale avec le RIC pour plus de participation citoyenne n’’est pas la panacée. Il n’y a pas de système politique idéal. C’est le reflet de la société. Par exemple, les assemblées de copropriétaires montrent les limites de l’utopie du RIC. A une petite échelle on y retrouve tous les freins et limites d’une gestion participative. Les propriétaires narrivent pas à un consensus de décisions car les intérêts sont différents. Un propriétaire bailleur ne se soucis pas d’investir pour une rénovation énergétique pour une baisse des charges de son locataire, quand bien même il s’agit d’un investissement pour la valorisation de son patrimoine. Il cherche un gain à court terme. Le propriétaire occupant voit un intérêt personnel pour son confort en plus. Donc un bien commun mais des objectifs différent. Le fonctionnement de cette assemblée pourtant démocratique et participative montre les limites également. Sans parler du droit des locataires qui doivent payer et se taire...Quasiment aucune gestion en régie directe, en raison du manque de temps nécessaire, de compétence et de la difficulté de chercher un consensus sur la gestion, la maintenance et l’investissement de l’immeuble qui est un patrimoine commun. Ces tâches sont exercées le plus souvent par un tiers, un syndic qui recueille toutes les doléances, il est incompétent, escroc, voleur. La comparaison de la gestion d’un immeuble avec celui d’un pays montre que il est très facile de critiquer, plus dur de proposer et encore plus de faire.


        • maQiavel maQiavel 5 février 2019 00:19

          Merci pour ces propositions intéressantes. 

          A creuser. 

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Auteur de l'article

Marc Vincent


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