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La mort en face

Un mythe errant ...

Il était une fois un homme qui avait eu le bonheur de naître avec une cuillère d’argent dans la bouche. Tout lui réussissait tandis que chacun s’extasiait devant ses succès innombrables, sa faconde légendaire et son art consommé de se montrer partout en temps opportuns. Il était devenu au fil des temps une sorte d’icône, de passage obligé pour évoquer et découvrir sa chère Rivière qu’il ne remerciait jamais assez.

La Loire n’avait pourtant pas été pour lui une évidence. Il était parti sur les chemins de la réussite sociale par étapes successives aux méandres incertains. Voulant sans doute s’élever plus dans l’existence, il avait pris son bâton de pèlerin, sa tenue de petit mage de dame Jeanne, pour aller à la conquête de la connaissance, de la richesse et de la notoriété.

Le premier à lui tendre les mains s’en mordit par la suite les doigts. C’est souvent ainsi dans ce monde étrange qui veut que pour s’élever il convient de s’appuyer sur la tête de son prochain. Le malheureux lui enseigna tout ce qu’il apprit. Avec lui il décrypta les signes sur l’eau, il comprit l’art de la navigation, il se fit grande et belle culture ligérienne. Puis, sa besace pleine d’un immense savoir, il tourna le dos à son maître, le dénigra et lui fit fort mauvaise presse avant que de tenter de le mettre à bas.

Son ascension pouvait commencer. Il se mit en quête de devenir toujours plus riche. Il s’imposa dans la communauté des marchands de Loire et des rivières allant à icelle. Il s’y montra si entreprenant que ses idées devenaient toutes des sources de revenus. Il était devenu le grand alchimiste de l’endroit, transformant l’eau en Or. Tout était alors prétexte à faire de l’argent en bon Marchand digne de ce nom. Il acquit la confiance des Princes, pouvant ainsi les leurrer avec ses belles manières pour accroître toujours plus son merveilleux commerce.

Il en voulait toujours plus. C’est la gloire qui était son but ultime. Il profita de la venue de la reine de France, pour la mener en bateau. Il était devenu dès cet instant le chouchou des gazettes. On se pressait à son bord pour découvrir le Fleuve Royal, comprendre l’histoire d’une cité qui, pour lui, aurait mérité d’être Capitale de France. Il adopta une tenue de gala pour développer ainsi une légende dont il était le maître d’œuvre.

Il avait atteint son but. Il était devenu l’incontournable des bords de Loire. Plus rien ne pouvait se passer sans qu’il en soit informé, sans qu’il s’en attribue l’exclusivité afin d’en tirer un bénéfice substantiel. Il avait su détourner l’information, s’accaparer les marchés, devenir l'interlocuteur unique des puissants. Il était devenu le point central, la plaque tournante et flottante de la rivière. Que demander de plus ? Il avait réussi au-delà de ses espérances.

C’était hélas sans compter sur la jalousie des mesquins, la volonté de nuire de ceux qui n’avaient pas son immense talent. Il était montré du doigt, accusé de bien des maux imaginaires, vilipendé, injurié… En d’autres termes, il n’avait désormais que des ennemis dans les rangs de ses confrères qui le nommaient entre eux le Riverain Poncif. Il devait toujours se méfier ou plus encore se tenir sur ses gardes. Les coups bas étaient possibles, les attaques sournoises certaines. Sa sûreté était menacée.

Ce qui devait arriver survint, comme toujours dans pareil cas, de manière insidieuse, presque par inadvertance. Sa vie fut mise en péril. Un incendie se déclara inopinément dans l’une de ses embarcations alors qu’il était justement à la barre. Les flammes pouvaient réduire en cendres son incroyable et mirifique parcours. Fort heureusement, il sut se tirer de ce traquenard, blessé dans son corps, son amour propre et plus encore dans son âme. Il savait désormais que des sournois attendaient sa chute ! Il changea profondément. S’enferma dans une profonde réflexion. Il continuait de faire bonne figure mais après avoir frôlé la mort, il convenait de la défier en face ! Il lui fallait affronter du regard l’Ankou, couper la route du Charon et devenir ainsi le premier humain à vaincre les forces des ténèbres. Une pure folie sans doute. Un rêve qui le mit en mouvement plus fort encore …

C’est ainsi que notre godelureau bascula dans l’irrationnel, se mit en tête de découvrir l’impossible. Prenant ses rêves pour des réalités, vivant dans un univers qui se limitait désormais à la seule rivière sur laquelle il avait conduit son ascension fulgurante, il se dit que là résidaient les clefs de sa quête. Il enfila sa cape, prit la dame Liger à rebrousse-poil pour remonter jusqu’à sa Source. Son voyage fut long, très long même… Il se retrouva au cœur d’un étrange univers. Le décor habituel se dérobait à ses yeux, il était entré dans un autre monde. Plus il avançait plus ses repères habituels se dérobaient. Les humains se faisaient plus rares, différents, étranges. Il ne s’en inquiétait pas, son but était clair dans sa tête : surprendre le passeur ou remonter jusqu’à la Source.

Il ne croisa pas le Charon et tout naturellement il parvint jusqu’au Mont Gerbier des Joncs. Il y découvrit un vieillard, un pauvre erre en loques, à la barbe hirsute, qui du matin au soir, grattait le pain de glace, ce volcan ancestral, avec une petite truelle. Interloqué par ce comportement irrationnel, notre Riverain s’enquit d’une explication. « Je sais ta recherche, mon ami. Elle ne se réalisera que lorsque j’aurai usé la montagne, qu’il n’en restera plus rien. Alors le passeur surgira du dernier filet d’eau pour transporter vers l’autre monde les ultimes ligériens. Il te faudra beaucoup attendre encore pour voir la mort en face ! » et le vieil homme de continuer son travail sans plus se soucier de notre ami.

Impatient comme toujours, l’homme rebroussa chemin pour aller au terme du parcours de la rivière. Le Passeur était certainement du côté de l’Océan. Il s’était trompé en confondant le début et la fin. C’est certainement là que la mort attend son heure. Cette fois, il descendit le cours d’une Loire de plus en plus mystérieuse et inquiétante. Après un temps infini, dans un environnement hostile, il parvint à bout de force à l’Estuaire. Il avait beaucoup changé durant ce voyage interminable. Il n’était plus le même sans doute, découvrant l’humilité et la modestie. C’est ainsi qu’il s’approcha d’un vénérable personnage qui, muni d’une petite pelle déposait de la vase et du sable dans l’Estuaire.

Le Godelureau voulut en connaître la raison. Il interrogea l’homme qui s’affairait ainsi. « Je sais que quelqu’un tout là-haut s’attaque à la Source. Il compte ainsi assécher la rivière. Si je bouche son issue, nous parviendrons alors à conserver un certain temps ce magnifique cadeau de la Nature ... » Alors l’homme à la recherche du Passeur lui demanda où il aurait une chance de l’apercevoir enfin et le vénérable de lui dire qu’à son avis, c’est au point septentrional de la rivière qu’il aurait le bonheur unique de le voir.

Une fois encore, il lui fallait reprendre sa route, en rebroussant le chemin afin de revenir sur ses pas pour se rendre précisément à l’endroit d’où il était parti il y a si longtemps. Sa route fut longue, l’épuisement était désormais son compagnon. Il eut bien de la peine à revenir en son point de départ. La nature était devenue hostile, les hommes et les animaux avaient déserté les lieux. Il régnait une atmosphère de fin du monde et pourtant Ankou ne se montrait toujours pas.

C’est en passant devant les anciennes centrales nucléaires que Rastignac comprit qu’il était le dernier humain. Les monstres avaient craché le feu, irradiant toute la contrée. Rien n’avait échappé à la folie dévastatrice de l’atome. Pourquoi en avait-il échappé ? Il ne pouvait résoudre cette énigme même s’il découvrait que son ombre s’était volatilisée également. Était-il lui aussi passé de l’autre côté ?

C’est en arrivant là où il avait jadis joué lui-même les passeurs qu’il comprit qu’il n’aurait pas la chance de franchir le Styx. À singer le Charon, à prendre sa place par appât du gain, il avait passé son tour. Il était déjà mort, comme tous ceux qui jadis vivaient en bord de Loire. Mais lui était condamné à l’errance éternelle. Il avait transgressé la règle, il avait voulu voir la mort en face et même elle, lui tournait le dos. Il serait pour toujours une âme en peine. À trop jouer avec le feu, même l’enfer lui était refusé !

Passablement sien

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3 réactions à cet article    


  • nono le simplet 5 février 2019 17:35

    conte étrange mais prenant ...

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