Nulle vie sans envie
Peut-on parler de l'Etre sans parler de la vie et s'en tenir là, comme l'a fait Descartes ? Son cogito s'énonce hors de toute idée de vie : "je pense donc je suis" et point final ? Cette vérité première, née de l'esprit du génial philosophe, a oublié une chose, LA chose essentielle : la vie ! Et ce qui accompagne toute vie : l'envie. Ce n'est pas là un mince oubli et il nous appartient de le réparer.
Mais tout d'abord, comment donner chair au cogito qui n'est qu'un énoncé métaphysique sans lien avec notre vécu de tous les jours, sans application concrète ? Beaucoup s'y sont essayés et ont échoué. C'est pourquoi, je revendique la plus rigoureuse méthode et donc la plus simple. Inspirée d'Aristote, autre penseur génial (restons dans la proximité des génies pour ne pas nous égarer...), ma première proposition est d'appliquer le concept de catégories. Ainsi, nous pouvons examiner l'être pensant défini par le cogito au travers de deux catégories universelles : la qualité et la quantité. Nous pouvons aller plus loin, toujours avec prudence, en invoquant deux autres concepts universels : le temps et l'espace. Comment l'être se pose-t-il dans ces deux dimensions.
I - Le cogito et ses déclinaisons en qualité et quantité
Déclinaisons à la lumière des catégories de quantité et de qualité, et des concepts de temps et d'espace.
Je pense bien donc je suis bien
C'est ainsi que se poserait le cogito confronté à la catégorie de qualité. L'axiome ainsi créé peut se vérifier. En effet, quand nous sentons-nous le plus mal sinon quand notre pensée nous échappe, va de travers ou montre ses insuffisances ? Quand nous sentons-nous le mieux sinon quand tout est clair à notre esprit, harmonieux et bien compris ? Je pense mal donc je suis mal : c'est-à-dire que je vais mal ou que je me sens mal, ou que je vais dans la mauvaise direction.
Plus je pense et plus je suis
La pensée s'entend ici au sens métaphysique cartésien. A l'inverse : je pense peu donc je suis peu.
Plus je pense et plus je suis ? Cela demande à être vérifié. Si je pense peu, je disparais comme sujet et je deviens simple objet (je subis les événements, la volonté des autres). Donc, oui, il semble que cela marche aussi. Plus notre être se sent en phase avec la perception de sa pensée fondatrice, plus il éprouve la vérité du cogito, et plus il est ! Plus l'être se pense en harmonie avec la nature dont il fait partie et plus il est.
Ces deux catégories - qualité et quantité - ne se conçoivent pas chez l'être humain sans l'idée de l'amour. Penser bien est penser profond. Penser profond inclut le fait d'aimer. Ne dit-on pas que les sentiments sont profonds ?
Il apparaît ainsi que le cogito puisse s'appréhender de façon plus concrète en ayant recours aux catégories.
L'être peut se préciser aussi à la lumière des notions de temps et d'espace.
Confronté au temps, l'être se fait véritablement pensant. Il prend conscience de la finitude des choses et de lui-même, il comprend la nécessité vitale d'y opposer une certaine permanence intérieure (son identité, le souvenir), il s'interroge aussi (d'où venons-nous, où allons-nous ?). Or, l'interrogation est l'aiguillon de la pensée.
Confronté à l'espace, l'être prend conscience de la dimension de l'univers et de toutes choses. Il relativise. Contrairement au temps qui pour lui est fini, l'espace se pose à lui comme infini et cela l'effraie (comme le dit Pascal). Or, l'effroi est, avec la capacité d'émerveillement (l'opposé de l'effroi), la source de la conscience pleine et entière de la vie. L'effroi et l'émerveillement ont inspiré les dramaturges (Aristote voyait dans la terreur inspirée aux spectateurs l'une des deux clés du théâtre, l'autre étant la compassion). Ils ont inspiré tant de chefs-d'oeuvre de la peinture ! Pour l'effroi, je citerai Le Cri de Munsch.
Sans l'effroi et sans l'émerveillement, point de philosophie, point de récits (on se fait peur le soir au coind du feu), point d'art tout simplement !
II - Nulle vie sans envie
Peut-on parler de l'être sans parler de l'envie (en s'en tenant au strict cogito) ? Il me semble que non. Ce qui n'est pas habité pas l'envie de vivre ne vient pas à la vie, ne naît pas. L'envie va avec la vie. L'être qui n'a plus envie de rien ne vit plus, il végète, il se dégrade.
L'envie suit le besoin et parfois le dépasse. L'être humain est en effet capable de désirer plus que ce qui est à l'origine de son besoin. C'est là le problème qui se pose à l'Homme. Son désir est illimité, à lui d'apprendre à se limiter. La première des choses qu'il a tenté de s'imposer est de circonscrire son envie pour ne pas nuire à autrui. Qu'on se souvienne ici des Dix commandements. Ils interdisent essentiellement de porter son envie au-delà de ce qui est juste et raisonnable : ne pas convoiter la femme de son prochain, ne pas céder à l'envie de le faire disparaître, etc.
La notion de "juste" est la passerelle entre l'être et l'avoir.
Il y a ce qui est juste de vouloir, et il y a ce qu'il est injuste (ou injustifiable) de vouloir. L'envie qui sait se satisfaire aux bonnes limites est ce qui crée l'idée du juste.
S'il n'existe pas de vie sans envie, nous ne devons pas nous laisser conduire par la seule envie car alors nous passons de l'état de sujet pensant et désirant à celui d'objet de nos propres désirs. Notre société fait souvent de nous des objets soumis à des désirs créés par les nécessités économiques. Y céder sans se demander quelles sont nos propres envies est subir une forme d'esclavage. Comme sujets du moment immédiat (désirs, émotions), nous ne sommes plus des sujets libres.
On peut être esclave des désirs entretenus par le modèle socio économique, comme on peut être esclave de ses propres envies.
Pour conclure ce point, on peut dire : nulle vie sans envie mais nulle autonomie sans limites posées à nos envies.
III - Nulle existence sans résistance
Tout comme on ne peut évoquer la vie sans l'envie, on ne peut parler d'existence sans la chose qui lui est indispensable : la résistance. En résistant, l'être sort de l'envie (momentanément) pour se construire à travers la lutte. C'est ainsi qu'il survit puis (chez l'e^tre humain surtout) se forge une identité. Le proverbe dit "l'union fait la force". La résistance par l'union des forces suppose de créer une identité de clan. L'identité est ainsi le résultat de la résistance plus que celui de l'envie.
Résister, c'est avoir le sens des priorités vitales. En effet, pour pouvoir laisser libre cours à son envie, il faut tout d'abord résister à ce qui nous entoure et s'impose à nous, aux dangers, aux pressions extérieures, et même à nos passions internes. Sans quoi la libération de notre seule envie risque de nous mener tout droit à notre perte.
Résister permet l'adaptation et donc - comme l'a montré la théorie de l'évolution - de survivre. Tout est affaire de dosage. Si l'adaptation ne peut passer que par des compromis, l'envie s'étiole et nous ne sommes plus des sujets libres. Il serait idiot de confondre l'adaptation nécessaire avec la lâche compromission. Si nous nous refusons à tout compromis, on a peu de chance de satisfaire un jour son envie. L'équilibre à trouver est ici nécessaire.
En conclusion, on peut voir, qu'en ayant pris comme point de départ le cogito, on en est arrivé à mettre au jour les deux grandes causes des guerres : l'envie et la résistance. L'envie des terres du voisin ou de ses titres, la résistance pour préserver sa vie, son clan, son espace vital. Si ce sont les deux causes prépondérantes des guerres, cela veut dire que l'envie et la résistance sont les deux forces essentielles à la vie de l'être et à sa conservation.
CQFD : Nulle vie sans envie. Nulle existence sans résistance.
Prenons conscience de cela pour penser bien et pour être bien.
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