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Législatives en Espagne : le pari gagné de Pedro Sanchez

« J’entrevois mieux le principe des victoires : celui-là qui s’assure d’un poste de sacristain ou de chaisière dans la cathédrale bâtie, est déjà vaincu. Mais quiconque porte dans le cœur une cathédrale à bâtir, est déjà vainqueur. » (Antoine de Saint-Exupéry, 1942).



L’Europe se retournerait-elle de nouveau vers les socialistes et sociaux-démocrates après les avoir délaissés ces dernières années un peu partout (France, Allemagne, Italie, etc.) ? Va-t-elle également connaître un nouveau leader européen potentiel qui pourrait concurrencer Emmanuel Macron ?

Les élections législatives qui se sont déroulées en Espagne ce dimanche 28 avril 2019 ont été remportées par Pedro Sanchez (47 ans), l’actuel Président du gouvernement espagnol (Premier Ministre) et secrétaire général du Parti socialiste (PSOE). Si son parti n’a pas la majorité absolue (merci la proportionnelle !), il est cependant très largement en tête tandis que le principal opposant, le Parti populaire (PP), centre droit, de l’ancien Premier Ministre Mariano Rajoy, s’est effondré.

Ces résultats sont d’autant plus significatifs que la participation a été élevée, avec 75,8% des électeurs inscrits, soit un bond de 9,3% par rapport aux précédentes élections législatives du 26 juin 2016.

Le PSOE a obtenu 28,7% des voix, soit 6,1% de plus qu’en 2016, et 123 sièges sur 350 au total, soit 39 sièges de plus. Au contraire, le PP, mené par Pablo Casado (38 ans), s’est effondré, il a perdu la moitié de son audience, en passant de 33,0% à 16,7% des voix ! et en n’obtenant que 66 sièges, soit une perte de 71 sièges.

Le nouveau parti de centre droit (le parti de Manuel Valls à Barcelone), Ciudadanos, mené par Albert Rivera (39 ans), a nettement amélioré sa performance d’il y a trois ans avec 15,6% des voix (soit au même niveau que le PP !), une hausse de 2,8%, et 57 sièges, soit un gain de 25 sièges, tandis que le nouveau parti d’ultra-gauche, Podemos, mené par Pablo Iglesias (40 ans), a chuté d’un tiers de ses voix, passant de 21,2% à 14,3% des voix, et 42 sièges, une perte de 17 sièges par rapport à 2016.

Enfin, le nouveau parti d’extrême droite Vox, issu du franquisme, mené par Santiago Abascal (43 ans), fait son entrée aux Cortes Generales (les deux chambres du Parlement espagnol) avec 10,3% des voix et la conquête de 24 sièges. Il y a encore six mois, Vox n’existait quasiment pas dans le paysage politique espagnol. Il n’avait obtenu que 0,2% des voix le 26 juin 2016, mais il a fait irruption dans le débat public lors des élections régionales en Andalousie le 2 décembre 2018, où il avait obtenu 11,0% des voix et 12 sièges sur 109 au Parlement d’Andalousie (le 22 mars 2015, aux précédentes élections régionales en Andalousie, il n’avait eu que 0,4% des voix).

Les autres partis, certains indépendantistes, ont obtenu moins de voix que ces cinq premières formations politiques. Cependant, il faut noter la performance de la Gauche républicaine de Catalogne (ERC) qui a obtenu 15 sièges, soit un gain de 6, et globalement, les partis indépendantistes catalans ont obtenu 22 sièges, dont cinq attribués à des séparatistes catalans qui ont mené leur campagne en prison, dont le procès a commencé le 12 février 2019 et pour qui le parquet a requis vingt-cinq ans de prison pour rébellion et détournement de fonds.

Les élections espagnoles du 28 avril 2019 étaient générales, c’est-à-dire législatives mais aussi sénatoriales. Les résultats des élections sénatoriales ont apporté des conclusions sensiblement équivalentes à celles des élections législatives. 208 sièges étaient à pouvoir sur les 266 que compte au total le Sénat espagnol. Le PSOE y a obtenu 123 sièges élus, soit un gain de 81, le PP seulement 53, soit une perte de 73, Ciudadanos a gagné 2 sièges élus tandis que Podemos a perdu ses 12 sièges élus. Les 58 autres sièges sont désignés et pas élus, ce qui fait qu’en comptant ces derniers sièges, sur 266, le PSO a 141 sièges, le PP 78, Ciudadanos 8, Podemos 7 et Vox 1. Des partis régionalistes ou indépendantistes sont mieux représentés au Sénat, ainsi, la Gauche républicaine de Catalogne a obtenu 12 sièges dont 10 sièges élus, et le Parti nationaliste basque 10 sièges dont 9 sièges élus (même la Coalition canarienne a 3 sièges).

Je propose plusieurs remarques concernant les résultats de l’élection des 350 sièges du Congrès des députés.

Premièrement, la proportionnelle, qui était la cause de la crise politique espagnole depuis plusieurs années (au moins trois scrutins), reste encore une cause de crise potentielle dans l’avenir, par cette impossibilité d’obtenir une majorité "franche et massive", selon l’expression de De Gaulle. Ce type de scrutin n’est valable que lorsqu’au moins un parti politique représente une très grande part de l’électorat. Lorsque le paysage politique est éclaté, ce qui est le cas dans presque toutes les démocraties européennes aujourd’hui, y compris au Royaume-Uni, la proportionnelle aboutit nécessairement à une chambre parlementaire émiettée et sans majorité, donc, sans stabilité. Je reviendrai plus loin sur la raison de ces élections anticipées, car elles auraient dû avoir lieu l’année prochaine, en juillet 2020.

Deuxièmement, malgré l’émiettement de la classe politique, le bipartisme parvient à se maintenir en Espagne, puisque depuis la mort de Franco, on assiste généralement à l’alternance d’un Premier Ministre de centre droit (PP) et d’un Premier Ministre socialiste : Aldolfo Suarez (1976-1981), de l’Union du centre démocratique (UCD), Felipe Gonzalez (1982-1996), du PSOE, José Maria Aznar (1996-2004), du PP, José Luis Rodriguez Zapatero (2004-2011), du PSOE, Mariano Rajoy (2011-2018), du PP, enfin, Pedro Sanchez (depuis 2018), du PSOE. Ce bipartisme à la tête du gouvernement ne semble donc pas remis en cause par ce scrutin du 28 avril 2019, malgré l’implantation des deux nouveaux partis Ciudadanos et Podemos et l’arrivée d’un troisième, Vox.

Troisièmement, les transferts de voix semblent s’être réalisés au sein de chaque "camp". À droite, le PP s’est effondré au profit du centre droit Ciudadanos et de l’extrême droite Vox. Paradoxalement, à gauche, au contraire de la radicalisation à droite, il y a eu un recentrage où une part non négligeable de l’électorat de Podemos semble s’être retournée vers le PSOE, probablement dans un contexte de "vote utile".

Quatrièmement, la poussée de l’extrême droite est une nouvelle réalité politique de l’Espagne, mais elle est finalement plus limitée que dans d’autres pays européens. De plus, le principal cheval de bataille de Vox est surtout espagnol (et n’a rien de commun avec d’autres extrémismes européens, malgre la satisfaction un peu artificielle de Marine Le Pen), à savoir la centralisation de l’État espagnol, et donc, la lutte contre le séparatisme. La fermeté de Mariano Rajoy ne semble pas avoir profité à son parti (PP), probablement pour d’autres raisons (comme les scandales politico-financiers).

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Revenons à la genèse de ces élections législatives qui ont été décidées par Pedro Sanchez le 15 février 2019. Les précédentes élections législatives ont eu lieu le 26 juin 2016. Elles étaient elles-mêmes anticipées puisque les précédents élections avaient eu lieu le 20 décembre 2015 et aucune majorité n’avait permis la formation d’un gouvernement. Cependant, les élections 26 juin 2016, toujours à la proportionnelle dans un paysage éclaté (j’insiste sur l’importance du mode de scrutin) n’ont abouti, elles non plus, à aucune majorité gouvernementale. Pendant près de trois ans, le gouvernement espagnol était toujours sous l’épée de Damoclès du retrait d’un soutien ou d’une bienveillante neutralité.

Les élections législatives du 26 juin 2016 avaient apporté la configuration parlementaire suivante : 137 députés sur 350 pour le PP (33,0% des voix), puis 85 sièges pour le PSOE (22,6%), 71 sièges pour Podemos (21,1%), enfin, 32 sièges pour Ciudadanos (13,1%). Même avec une coalition avec Ciudadanos, le Premier Ministre sortant Mariano Rajoy n’avait pas la majorité absolue (il lui manquait 7 sièges).

À l’issue des élections de décembre 2015, Mariano Rajoy avait proposé une "grande coalition" à l’image de celle en Allemagne, réunissant le PP, le PSOE et Ciudadanos. Après les élections de juin 2016, le PP a été le seul parti à avoir gagné des sièges et il a maintenu sa majorité absolue au Sénat, si bien que Mariano Rajoy a revendiqué le droit de continuer à présider le futur gouvernement. Ciudadanos a accepté de former une coalition avec le PP basée sur un pacte anti-corruption, mais les socialistes ont refusé toute coalition dirigée par Mariano Rajoy.

Le 1er octobre 2016, en raison des mauvais résultats du PSOE aux élections régionales, Pedro Sanchez, secrétaire général du PSOE depuis le 25 juillet 2014, est évincé de la tête du parti au profit de Javier Fernandez Fernandez (dirigeant par intérim). Ce dernier a accepté le 23 octobre 2016 que Mariano Rajoy gouvernât grâce à l’abstention bienveillante des députés socialistes, ce qui a permis la nouvelle investiture de Mariano Rajoy le 29 octobre 2016. Pedro Sanchez retrouva toutefois le secrétariat général du PSOE le 18 juin 2017.

La crise institutionnelle en Catalogne, qui a commencé quand Carles Puigdemont, le Président de la Généralité de Catalogne, a annoncé le 9 juin 2017 la convocation d’un référendum sur l’indépendance, a permis de préserver la neutralité du PSOE vis-à-vis du gouvernement de Mariano Rajoy, considérant qu’une crise politique nationale rendrait encore plus difficile la résolution de la crise catalane.

Cependant, une motion de censure a fini par renverser le gouvernement le 1er juin 2018 (par 180 voix contre 169 voix et 1 abstention) en raison d’un scandale politico-financier touchant le PP (qui fut condamné par la justice le 24 mai 2018 dans une affaire de corruption). Mariano Rajoy a alors laissé la Présidence du Gouvernement à Pedro Sanchez, qui a prêté serment devant le roi et sans bible le 2 juin 2018. Pedro Sanchez a réussi à dégager une nouvelle coalition (PSOE, Podemos, ERC, etc.) pour soutenir son nouveau gouvernement formé le 7 juin 2018 (avec 11 femmes sur 17 membres, soit 65%, ce fut le gouvernement le plus féminisé du monde).

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Toutefois, malgré le soutien de Podemos, l’impossibilité de trouver une majorité pour voter le budget 2019 (qui a été rejeté par les députés le 13 février 2019 par 191 voix contre 158 voix et 1 abstention) a rendu nécessaire l’organisation rapide de nouvelles élections législatives. Ce furent les partis indépendantistes qui firent défaut à Pedro Sanchez.

D’un gouvernement ultraminoritaire (le PSOE ne représentait que 24% des sièges), Pedro Sanchez a désormais, depuis ce 28 avril 2019, les moyens de présider un gouvernement soutenu par une majorité absolue dans le cadre d’une coalition.

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Victorieux, Pedro Sanchez a déclaré dans la soirée du 28 avril 2019 : « Le futur a gagné et le passé a perdu. (…) La démocratie sociale a un grand avenir devant elle, grâce à son exceptionnel présent, et l’Espagne en est le reflet. Nous allons former un gouvernement pro-européen qui va renforcer et non pas affaiblir l’Europe. ».

Cette formation du nouveau gouvernement ne sera pas qu’une simple formalité. D’un point de vue uniquement arithmétique, Pedro Sanchez a deux coalitions possibles pour former un gouvernement soutenu par la majorité absolue des députés : une coalition PSOE-Ciudadanos qui rassemblerait 180 sièges (sur 350), ou une coalition PSOE-Podemos-ERC qui rassemblerait autant de sièges, 180 sur 350.

Politiquement, c’est la seconde hypothèse qui semble être la plus probable, car les responsables du Ciudadanos veulent à tout prix dégager Pedro Sancher du gouvernement, car Pedro Sanchez a conquis son pouvoir grâce aux voix des séparatistes catalans. La seconde hypothèse renforcerait le bipartisme espagnol (gauche vs droite), avec une nouvelle considération qui est l’autonomie des régions. Car cette coalition de gauche devrait avoir le soutien des Catalans de gauche, clairement indépendantistes.

On a pu voir la différence de traitement entre Mariano Rajoy et Pedro Sanchez sur la crise avec les indépendantistes catalans depuis presque deux ans. Mariano Rajoy a voulu montrer une nette fermeté de l’État de droit et a refusé toute discussion et tout compromis hors de la légalité constitutionnelle. Au contraire, Pedro Sanchez, qui a besoin de cet apport de voix, a montré une grande souplesse et a ouvert des discussions qui ont permis une certaine détente dans les relations entre la région Catalogne et l’État espagnol.

On a pu voir aussi d’autres inflexions qui permettaient au PSOE d’imaginer une bienveillante perspective avec Podemos, notamment lorsque Pedro Sanchez, pour l’honneur non seulement de l’Espagne mais aussi de l’Europe, a accepté d’accueillir l’Aquarius à Valence (au sud de Barcelone).

Dans moins d’un mois, le 26 mai 2019, le nouveau gouvernement espagnol devra affronter des élections européennes, des élections municipales et des élections régionales. Cette issue électorale à la crise politique espagnole a de quoi réjouir les socialistes européens : en effet, le retour en grâce du PSOE et le maintien temporaire du Royaume-Uni au sein de l’Union Européenne vont probablement rééquilibrer le Parlement Européen en faveur des sociaux-démocrates européens grâce à l’apport des députés européens espagnols du PSOE et des députés européens britanniques du Parti travailliste. De quoi réjouir ceux qui pensent que jamais rien n’est écrit avant une élection…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (29 avril 2019)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Pedro Sanchez.
Les élections législatives du 28 avril 2019 en Espagne.
Manuel Valls.
Salvador Dali.
Carles Puigdemont.
La Castalogne.
Attentats en Catalogne.
Franco.

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2 réactions à cet article    


  • Dom66 Dom66 29 avril 2019 21:30

    connaître un nouveau leader européen potentiel qui pourrait concurrencer Emmanuel Macron ?

    Comment ?? on nous l’aurait caché !! un nouveau leader qui pourrait concurrencer « Lesmanuel Micron » ?? Impossible, aussi con c’est pas possible !! smiley

    (J’ai pas été plus loin) smiley


    • Clocel Clocel 1er mai 2019 09:39

      Les Socialistes au pouvoir, les espagnols vont à nouveau connaître le goût amer de la trahison.

      Dans un pays où un dictateur a pu se maintenir 40 ans au pouvoir, on devrait traiter les urnes comme des déchets toxiques.

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