Vincent Lambert, Hervé Pierra : deux fins de vie loi Léonetti
Je suis la mère d’Hervé Pierra.
- Mon fils est resté plongé pendant 8 ans ½ dans un coma végétatif chronique irréversible, à l’âge de 20 ans. Il était figé dans une grande rigidité, totalement inconscient et paralysé. Il respirait par trachéotomie et était nourri par sonde de gastrostomie. Il s’étouffait chaque jour, depuis le début de son calvaire dans ses propres glaires, déglutissant à minima. Affecté de problèmes pulmonaires persistants, dus à la présence de bactéries multi résistantes, il était souvent en isolement. Sa position fœtale, ses attitudes viciées avaient provoqué une plaie atone grave (escarre au 4 ième degré). Il est décédé en 2006, après notre requête d’application de la loi Léonetti (du 22 avril 2005). Ce parcours, semé d’embûches, a duré 18 mois. Les plus hautes instances politiques et médicales de l’époque étaient intervenues. Les IRM attestaient de lésions cérébrales très importantes et irréversibles. Tout en reconnaissant le « coma végétatif » de mon fils (comme ils l’écrivaient eux-mêmes), les médecins décidaient de ne pas appliquer la loi par peur infondée pour leurs carrières. Le comité d’éthique de Cochin avait donné son aval ainsi que le professeur Régis Aubry missionné par le député Jean Léonetti. Le corps médical a dû s’exécuter.
- Après le retrait de la sonde de gastrostomie, notre fils est mort en 6 jours cauchemardesques, soumis à des convulsions insoutenables, brûlant, avec un teint cireux, cyanosé. Il s’agit, dans notre cas, qui a été médiatisé, d’un « laisser crever », comme l’a écrit Monsieur le député Jean Léonetti dans son livre « à la lumière du crépuscule ». Par peur d’être accusés d’euthanasie, les médecins ont fait durer son agonie et se sont octroyés le droit, dans le même esprit, de ne pas le sédater (médicaments anti douleur). Nous avons vécu l’horreur et nous nous battons, promesse faite à l’âme de mon fils pour que plus jamais personne ne vive une telle inhumanité.
- Le professeur Puybasset, spécialiste des états végétatifs chroniques irréversibles, dénonce : « à ces égards, l’état végétatif est la plus extrême des situations inextricables créée par la médecine. L’épouvantable revers de la réanimation moderne, n’est jamais un état naturel. Ce n’est pas par hasard, si plusieurs affaires médiatiques qui nourrissent la demande d’aide active à mourir, concernent des personnes végétatives, comme Hervé Pierra en France ou Terri Schiavo aux Etats Unis.
- Sauver notre fils, qui ne pouvait plus vivre, par la libération de la mort, a été la plus difficile preuve d’amour abnégation que l’on pouvait donner à notre enfant. Nous avions choisi d’habiter à quatre kilomètres de la structure où il était hospitalisé, afin que je puisse chaque jour, lui parler, le caresser, communiquer avec son âme. Je ne voulais pas qu’il se sente abandonné, même s’il n’était déjà plus parmi nous. Je lui racontais la vie de ses sœurs, la vie dehors, la vie tout court, le cadeau qu’il était pour nous et restera toujours, l’amour indicible que nous éprouvions et éprouvons pour lui. Peut-être son âme, quelque part dans cette chambre d’hôpital, nous entendait-t-elle ! Mon mari, persécuté par la souffrance, par l’insupportable, le visitait toutes les semaines, lui donnant les résultats de foot, de tennis, lui livrant dans un chagrin non contenu toute l’actualité sportive, passion qu’ils avaient en commun.
- Nous avons reçu beaucoup d’amour et la compassion de tous. Monsieur le député Jean Léonetti et quatre autres députés nous ont auditionnés dans le cadre d’une commission d’enquête sur la fin de vie en France, pour une évaluation en mai 2008. Le climat était respectueux et emphatique. Les médecins du conseil national de l’ordre des médecins nous ont reçus et présentés leurs excuses au nom de la médecine française. De cet échange est née la modification de l’article 37 du code de déontologie qui stipule qu’un patient qui ne peut être évalué du fait de son état cérébral doit être sédaté après une limitation ou l’arrêt des traitements. Les médecins, y compris les détracteurs de l’euthanasie (docteur Levallois, Puybasset, l’éminent généticien Axel Khan) nous ont réservé, dans leurs écrits ou leurs déclarations, un accueil chaleureux, bienveillant. Le sociologue Philippe Bataille nous soutient dans un combat commun pour le droit à l’aide active à mourir.
- Mon époux et moi-même étions conscients que la loi Léonetti du 22avril 2005, ne permettrait la délivrance de notre enfant que par une euthanasie passive (qui ne dit pas son nom) et non une euthanasie active. Ce protocole qui consiste à ne plus alimenter et hydrater un patient est la source de tous les maux, on attend que le patient s’éteigne. Un amendement prévoyait alors le double effet de la sédation, c’est à dire, le premier effet est la sédation en elle-même, le second effet risque d’aboutir au décès (notre enfant a eu la malchance de ne pas être sédaté). C’est une façon de pratiquer l’euthanasie en ayant bonne conscience ! « ce n’est pas moi, ce n’était pas voulu ! ». La loi de février 2016 instaure la sédation profonde et continue qui, sous un autre vocable, signifie la même chose. Tous ces petits arrangements de sémantique interprétables, subjectifs, laissés à l’arbitraire des médecins, sont vecteurs de catastrophes. La sédation profonde et continue est inappropriée pour ces situations d’état végétatif chronique irréversible. A partir de quand déclencher le compte à rebours qui conduit à la mort, il ne s’agit pas d’une maladie, mais d’une non vie ? Nous recueillons, mon mari et moi, des témoignages poignants de familles en détresse qui voient s’éteindre leurs proches au bout de deux, trois semaines, avec des corps dégradés, décharnés. Ces horreurs ont aussi étaient relatées par Monsieur Philippe Bataille et le comité d’éthique de l’hôpital Cochin. Ce dernier, dans un article publié dans le journal Libération du 28 février 2014 évoque l’agonie de 21 bébés grands prématurés. Toute l’équipe médicale était anéantie. La lecture de cet article est insoutenable.
- Nous n’avons pas trouvé auprès des intégristes catholiques la même écoute emphatique, ils nous ont cloués au pilori. Monsieur Tugdual Derville, délégué général d’Alliance Vita (manif pour tous), nous taclait ainsi : « …spectaculaire agonie provoquée par une décision parentale ». Quelques ignominies plus loin, il rajoute, concernant Mari Humbert, « voilà qu’on érigeait en modèle d’amour, une femme capable de donner la mort à son enfant, au nom d’un parallélisme terrifiant : je lui ai donné la vie, n’ai-je pas le droit de lui donner la mort ». Il poursuit : « les pleureuses sont assurément télégéniques ». Dans le journal Riposte Catholique, dans une pure tradition de charité chrétienne, l’auteur écrit : « ...Hervé est mort dans d’atroces souffrances », « les parents et le lobby de l’euthanasie, en tirent arguments pour réclamer le droit de mourir, de mourir vite ! ».
- Chacun de nous devrait écrire ses directives anticipées, pour le cas où il se trouverait dans l’incapacité de s’exprimer à cause de son état de santé. Cela peut se faire sur papier libre daté signé.
Vincent Lambert.
- Il est aussi une victime collatérale des progrès de la réanimation , celle-ci n’assure pas ses responsabilités dans un second temps, lorsque le coma ou l’état végétatif est avéré. Le cas spécifique de Vincent, connaît l’ampleur qu’il a maintenant à cause d’une querelle familiale. Cette « guerre s’inscrit, en dehors de tout clivage politique et toute querelle d’égo, elle s’apparente plus à une croisade, croisade pour l’intégrisme catholique et croisade contre la laïcité. Victor Hugo doit se retourner dans sa tombe, qui déclarait : " l’état chez lui, l’église chez elle ! ".
- Le cadre est posé par Joseph Lambert (frère de Vincent) dans le journal l’Obs société du 13 février 2014 : " Aujourd'hui, ma mère est partie dans un combat qui n'est plus seulement celui d'une mère pour son fils. Mes parents auraient pu louer un appartement à Reims pour être plus proches de Vincent. Mais ma mère ne pouvait pas quitter la Drôme, où elle s'est installée pour se rapprocher du monastère Sainte Madeleine du Barroux, où l'un des mes demi-frères a longtemps été moine. La religion, c'est tout pour elle".
- La journaliste Doan Bui poursuit : " Très catholiques, Viviane et Pierre Lambert avaient pourtant déjà l'un et l'autre une famille quand ils se sont rencontrés. Lui était gynécologue, militant anti-avortement, elle, assistante, distribuait aussi des tracts pro-vie. Les enfants Lambert ont grandi dans cet univers corseté, élevés dans des pensions de la Fraternité Saint-Pie-X. Vincent, lui, se révolte durant l'adolescence, c'est un garçon entier, extrême, avec sa part d'ombre, ses blessures secrètes et une rancoeur sourde contre ses parents, celle de ne pas avoir été assez protégé enfant.
- Comme leur aîné, Joseph et Marie ont choisi de s'éloigner de cette religion écrasante à la maison, où il fallait le dimanche "faire le chapelet". Seule leur soeur Anne est restée du côté des parents. Elle s'est également portée partie civile, même si elle semble dépassée par la tournure qu'ont pris les événements. « Vincent avait profondément rejeté les valeurs de mes parents, je leur en veux beaucoup de l'utiliser pour leur croisade », note Joseph qui ne leur a quasiment plus adressé la parole depuis !"
- La fraternité sacerdotale Saint Pie X, est une société de prêtres traditionalistes. Cette congrégation rigoriste et révisionniste a un passé émaillé de scandales. L’association AVREF, association d’aide aux victimes de dérives de mouvements religieux dénonce des crimes, des viols et des tortures. La FSSPX a orchestré des diffamations, intimidations et menaces de mort sur les médecins de Vincent qui, tour à tour, ont « jeté l’éponge ». Son fondateur, Monseigneur Lefèbvre déclarait, au mépris de la loi de séparation de l’église et de l’état, dans une pure tradition anti démocratique : « voter socialiste, c’est voter contre Dieu ! ».
- La position des parents de Vincent est éclairée par les propos de six membres de cette famille qui ont cosigné une tribune dans le journal l’Express : « Ils critiquent sans cesse la loi Léonetti et prétendent défendre les 1700 patients qui sont plus ou moins dans la même situation que lui. Tout cela traduit uniquement une position de principe : on ne peut pas débrancher ces patients, quels qu'aient pu être leurs souhaits. Nous appelons ça de l'idéologie, visant à défendre une cause intégriste. Termes que nous assumons totalement ».
- Nous sommes tous et toutes des victimes potentielles de ces pratiques incontrôlées. Il suffit de quelques minutes sans oxygénation du cerveau (accident, suicide, AVC, crise cardiaque etc.) pour rejoindre le rang de ces condamnés qui ne peuvent plus vivre et n’ont pas le droit de mourir. Mourir devient un droit, un droit à revendiquer.
- Madame Marie-Geneviève Lambert, demie sœur de Vincent, s’est exprimée à ce sujet sur son blog du « Huffington Post » : "La situation de Vincent est la conséquence d'une performance scientifique qui est allée très loin sans pouvoir le ramener complètement parmi nous. Vincent est abandonné entre la vie et la mort, à ce qui, dans la nature n'est vécu qu'au stade de l'agonie : une agonie pendant des années, biologiquement stabilisée, monstrueuse, et qui va, on le sait maintenant, inexorablement vers une détérioration."
- Cette famille, unie contre les parents et une sœur, interpelle actuellement la ministre de la santé Agnès Buzin et la met face à ses responsabilités : "non, il ne va pas mieux, il n’a pas récupérer le réflexe de déglutition".
- Notre très Saint Père au double visage, tantôt progressiste, tantôt conservateur, se plaît à brouiller les pistes. C’est sans scrupule qu’il s’adonne à l’art de l’amalgame malsain en rapprochant l’aide active à mourir au terrorisme et à la guerre. Les directives publiées par la puissante congrégation pour la doctrine de la foi, ordonne la poursuite de l’alimentation et de l’hydratation à un patient par voie artificielle même s’il se trouve dans un état végétatif avancé (s’opposant ainsi au fondement de la loi Léonetti).
- L’agitateur en chef, l’avocat Maître Jérôme Triomphe, avocat des parents de Vincent, déclare sur les ondes de « radio courtoisie » : « c’est la première fois qu’un avocat plaide pour un condamné à mort. Pour l’instant, les autorités religieuses ne sont pas intervenues, honte à elles, elles devront en rendre compte devant le tout puissant ». Il faut dire que le « saint homme » a un sacré pedigree ou plutôt un pedigree sacré, il est également avocat de l’association fondamentaliste catholique Civitas.
- Monsieur Jean-Frédéric Poisson, président du parti chrétien démocrate, successeur de dame Boutin, évoque concernant Vincent : « le meurtre par préméditation ».
- Je décerne, en toute humilité bien sûr, la palme d’or au comité international des droits des personnes handicapées de l’ONU qui se fend du communiqué suivant : « il faut souligner une chose importante, c’est qu’outre les aspects factuels, Vincent Lambert n’est pas en état végétatif, en tout cas, pas tout le temps ». Je m’interroge, sont-ils sains d’esprit ou pas tout le temps ?
Quelle morale transcendante nous condamne-t-elle à tant de cruauté ?
- Ce sont bien les effets des progrès de la réanimation qui sont à l’heure actuelle transgressifs de la loi naturelle. Cessons ces souffrances institutionnalisées ! Je prie Dieu de nous délivrer des trois religions monothéistes et autres sectes, de tous ces faiseurs de chaos. J’en ai assez du dolorisme érigé en vertu chrétienne. Je suis croyante mais catholique par tradition familiale et farouche opposante à toute religion par analyse critique et par conviction.
- J’ai une pensée pour Vincent Lambert, pour François son neveux, que nous connaissons et dont nous admirons la combativité et la bienveillance. Nous souhaitons le meilleur à Rachel, l’épouse de Vincent. Quelle que soit l’issue de « l’affaire Vincent Lambert », nous espérons que chaque membre de cette famille trouvera l’apaisement.
- J’ai une pensée pleine d’amour pour celle que l’on n’évoque jamais, la fille de Vincent Lambert, une petite fille innocente qui vit ce qu’aucun enfant ne mériterait de connaître. Qu’elle nous pardonne collectivement. Elle aura toute légitimité plus tard de dire que : "parfois les grands, déchirés par leurs passions, semblent perdre la raison".
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