Le Homard aux Pinces d’Or
« La comptabilité est la pince-monseigneur des sociétés anonymes »
Paul Laffite, Jéroboam, ou la Finance sans méningite, La Sirène, 1920
La comptabilité est la pince-monseigneur des sociétés anonymes et il semblerait que les frais de représentation soient à leur tour la pince dorée ou la clé d'or des fric-frac plus ou moins discrets dont la République, généreuse, est une fois encore la victime lorsque les fonds publics sont mobilisés au bénéfice d'intérêts discutables.
Histoire désespérément classique que celle de cet élu de la République, précisément, qui s’est à son tour fait pincer pour des frais de bouche dont le montant et la nature, soigneusement détaillés pour montrer la différence de régime alimentaire entre les zélites et les autres, sont plus que scandaleux une fois rapportés aux leçons de morale que l’intéressé avait cru utile de prodiguer au bon peuple de France au mois de novembre 2018, lors du début de la contestation des Gilets jaunes.
Rappelez-vous :
Visiblement peu convaincue par la réponse du ministre qui lui expliquait qu’elle pouvait toucher une prime pour l’achat d’une voiture moins polluante, une manifestante répliquait : "Monsieur le ministre, ne pourriez-vous pas baisser vos trains de vie pour que nous, les petits smicards, on puisse vivre correctement ?"
Une remarque à laquelle François de Rugy avait alors répondu ; "Qu’est-ce que vous entendez par baisser vos trains de vie. Si vous voulez, je vous fais visiter mon bureau, les plafonds s’effondrent. Dans les ministères on fait des économies ».
La polémique est donc née après des révélations de Mediapart sur le train de vie fastueux de François de Rugy, actuel ministre d’État et ex-président de l’Assemblée nationale qui prône depuis des années l’exemplarité, la transparence et une meilleure gestion des deniers publics. Le site d'investigation a fêlé la carapace et révélé au grand public l'existence d'une dizaine de dîners en grande pompe donnés entre octobre 2017 et juin 2018.
Ces réceptions dédiées à l’occupant du perchoir comptaient entre dix et trente convives dans les magnifiques salons de l’hôtel de Lassay, dans le 7e arrondissement de Paris, invités issus du "monde de la communication, du journalisme, du cinéma, de la télévision ou de la finance". Le personnel, de qualité, servait donc homards, champagne et grands crus issus directement de la cave renommée du palais Bourbon, comme le prouvent des clichés mis en ligne par Mediapart. Le ministre s'est donc défendu, expliquant sur France Inter qu'il était légitime pour un président de l'Assemblée nationale ou un ministre de rencontrer « dans un cadre informel des responsables d'entreprise, de la culture, de l’université ». « J'assume que cela puisse se faire dans des dîners », a-t-il ajouté.
Selon Mme de Rugy, ces dîners avaient surtout une fonction essentielle pour son mari : l’aider à rester connecté à la vraie vie. « Quand vous êtes un homme politique, vous ne pouvez pas vous couper de la société », dit-elle. Sans doute en dégustant des grands crus à plusieurs centaines d’euros la bouteille plutôt qu'en clappant un verre de "velours de l'estomac" dans un troquet ou une brasserie.
« Avec François, on boit très peu, répond Séverine de Rugy. Il y a une cave à l’Assemblée qui est très conséquente. On nous met à disposition des bouteilles, j’imagine que M. Ferrand [actuel président de l’Assemblée ], c’est la même chose. Je n’ai jamais demandé quoi que ce soit et je n’ai jamais vérifié ce qu’on mettait comme vin. Ce n’est pas mon truc. »
Le Lecteur appréciera cette double sobriété (celle du couple de Rugy comme celle de la grammaire) dans l'usage de ce "on" - pronom personnel indéfini, de la troisième personne, invariable, exprimant l'idée d'un sujet humain animé, agissant ou exprimant une action de portée générale bien que ne s'appliquant qu'à des objets particuliers, dans des circonstances déterminées -, un "on", donc, qui mettait à disposition des intéressés quelques flacons particulièrement choisis, comme on l'aura compris.
Interrogé, le cabinet de Richard Ferrand a démenti des pratiques analogues et expliqué que ses dîners à l’hôtel de Lassay n’excèdaient guère un ou deux convives, souvent des parlementaires ou des membres du gouvernement.
« Quel que soit le déjeuner ou le dîner, les menus, y compris le vin servi, étaient choisis par le service restauration de l’Assemblée nationale. François de Rugy n’a jamais passé aucune commande spécifique et n’a jamais rien fait acheter en externe », explique pour sa part le cabinet du ministre.
Nul besoin d'aller faire quelques emplettes à la supérette du coin, effectivement, puisque tout était disponible sur place.
Est-il cruel de rappeler que François de Rugy avait déjà été épinglé par la presse pour avoir organisé, le 17 décembre 2017, le déjeuner de son mariage à l’hôtel de Lassay, ce qui avait beaucoup fait jaser en interne à l’Assemblée ? Mais il était parvenu à éteindre la polémique, dit-on, en affirmant qu’il avait remboursé une bonne partie des frais engagés.
En novembre 2018, lors d’une discussion organisée par Le Parisien avec des « gilets jaunes », François de Rugy avait pris soin de déclarer : « Il faut que nous, les politiques, y compris au plus haut niveau, on s’interroge sur nos façons de faire et d’être. »
Certes.
https://www.loup.eu/vie-princiere-francois-de-rugy-ministre-ecologie-macronienne/
Finalement sommé de s'expliquer sur ses frais de bouche extravagants alors qu'il était président de l'Assemblée nationale, M. de Rugy a également été contraint de fournir quelques précisions sur les 63 000 euros de travaux effectués dans son appartement et payés avec de l'argent public (dont un "dressing" à 17000 euros, sans doute pour une garde-robe de qualité).
De son côté, M.Edouard Philippe, Premier ministre, sans doute alarmé par l’aspect potentiellement désastreux de l’affaire, a demandé au secrétariat général du gouvernement de diligenter « une inspection » afin de vérifier par ailleurs que les travaux entrepris dans le logement de fonction ministériel de François de Rugy se conformaient au « respect des règles » et « au principe d'exemplarité », a annoncé Matignon.
On voit effectivement en quoi consiste le souci d'exemplarité en matière de fonds publics avec, pour LREM, cette autre grenade dégoupillée qui traîne dans les couloirs.
L'autre point sensible concernant M. de Rugy, révélé par le journal en ligne Mediapart, a pour objet le logement social à Paris de sa directrice de cabinet, Mme Nicole Klein, logement qu'elle a conservé alors même qu'elle ne résidait plus dans la capitale.
La directrice a annoncé son départ mais les ennuis continuent pour le ministre, assailli de questions lors d'un déplacement dans les Deux-Sèvres. « S'il y a des erreurs d'appréciation de ma part, je serai tout prêt également à les corriger, c'est normal, ce sont les comptes que l'on doit rendre aux Français. Je suis élu depuis 2001, j'ai toujours rendu des comptes aux Français », a-t-il déclaré à des journalistes, précisant qu'il continuerait son « travail pour l'écologie à la tête de ce ministère ».
Avant son entrevue précipitée à l'hôtel de Matignon, M. de Rugy a aussi dû rencontrer à Niort quelques dizaines de militants écologistes qui se sont rassemblés devant la préfecture où il était reçu pour le déjeuner. Les militants ont alors brandi un grand homard géant gonflable. Le ministre a été accueilli aux cris de « on veut du homard » et « François démission ».
L’intéressé « assume » donc et après s’être entretenu « pendant plusieurs heures » avec le Premier ministre - lequel a décidément beaucoup de temps à consacrer à un cas qui, avec moi, aurait été réglé en dix minutes -, François de Rugy a annoncé à sa sortie qu'il ne voulait laisser « aucun doute » et « s'engageait à rembourser chaque euro contesté ». (On réfléchira à ce que recouvre exactement le concept d'euros "contestés" par rapport à ceux qui ne le seront pas). Le ministre de la Transition écologique s'est par ailleurs dit prêt à soumettre à « une autorité de contrôle de l'Assemblée » nationale les frais engagés pour des dîners lorsqu'il en était président.
Foutaises que tout cela, pensera-t-on avec raison.
Chers Francais, partez en vacances tranquilles. Les promesses n'engagent que ceux qui y croient. Evidemment M. de Rugy ne remboursera rien du tout. Et tous nos princes vivant dans les lambris dorés de la République font pareil, mais celui-là a eu le tort de se faire pincer.
C'est cela que le Premier ministre lui reproche, et non pas ses écarts.
Mais voilà que les choses se compliquent puisque l'on apprend qu'à l'instar de son ancienne directrice de cabinet, M. François de Rugy occuperait un logement à vocation sociale. Depuis 2016, le ministre de la transition écologique disposerait en effet d’un appartement relevant du dispositif Scellier social, près de Nantes, sans répondre aux conditions de location dont il dit ne pas avoir été informé.
En a-t-il parlé à M. Edouard Philippe ou doit-on encore s'attendre à la découverte d'autres "oublis" ou anomalies de la même sorte ? Un chauffeur en trop pour accompagner un enfant à l'école ? Un sèche-cheveux "doré à la feuille d'or" ? Le dépôt d'une plainte à l'encontre de l'agence immobilière qui aurait omis d'informer préalablement M. de Rugy des conditions d'éligibilité (plafond de revenus) au Dispositif Scellier ? Comme on le voit dans ce cortège de révélations toutes plus lamentables les unes que les autres, les vannes sont ouvertes et le homard, cuit à point, est bon pour être dépiauté et passé à la presse.
Ces gens n'ont toujours manifestement rien compris et continuent de prendre leurs concitoyens pour des imbéciles.
Un an après l'affaire Benalla, il me semble que si M. le ministre d'Etat souhaite réellement "assumer " ses agissements, qu'il rende immédiatement service à sa "famille politique" en cessant de discréditer plus que de mesure le gouvernement dont il ne devrait plus faire partie.
L'affaire pouvant s'envenimer, va-t-il falloir une intervention présidentielle en sous-main pour que l'intéressé remette sans plus tarder - avec un pincement au coeur, sans doute, vu ses réticences -, sa démission et disparaisse du paysage politique tout en remboursant en même temps, espérons-le, les fonds publics dont il a peut-être injustement tiré avantage avec son épouse et leur cercle de relations, d'amis ou d'obligés ?
Et pendant ce temps, des milliers de voyous dont la place est en Algérie et certainement plus en France manifestent, cassent, pillent, portent atteinte à la vie de deux personnes (une mère et son bébé, heurtés par une voiture) et mettent à sac les rues de Paris, Marseille et Montpellier pour "fêter" une victoire sportive.
A la place de MM. Macron et Philippe, je ferais attention à l'étincelle qui pourrait bien (re)mettre le feu à la plaine...
Arts de la table et crustacés :
https://actucourses.blogspot.com/2019/07/scandale-les-homards-geants-de-francois.html
Logement social :
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