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Le World Economic Forum en fête

« C’est une folie de se comporter toujours de la même manière et de s’attendre à un résultat différent. » - Albert Einstein

Klaus Schwab, initiateur et président de la fondation à but non lucrative, « World Economic Forum », est en tournée de promotion. 47 ans après l’approbation du manifeste de 1973, signé par tous ses membres, intitulé « L’économie doit bénéficier à tous, aux actionnaires, aux employés, aux clients autant qu’aux populations », la direction profitera du 50ème anniversaire de la réunion annuelle à Davos, en janvier prochain, pour lancer le « Manifeste de Davos 2020 pour un capitalisme plus durable », ou, pour paraphraser le défunt président ivoirien Félix Houphouët Boigny « Il y a 50 ans nous étions au bord du gouffre, depuis, nous avons fait un grand pas en avant. »

En effet, dans une interview accordée à la télévision suisse romande Monsieur Schwab se montre « inquiet du sort des laissés pour compte » dans la société, craint « une division profonde entre les générations » et redoute « l’impact écologique néfaste de l’activité humaine », déclare néanmoins « ne pas adhérer à la décroissance » et « met en garde contre le catastrophisme ».

Pour Monsieur Schwab il n’y a pas d’alternative au capitalisme « On l’a vu, si l’économie est dirigée par l’Etat, cela conduit à une détérioration des ressources et à la corruption. Il faut trouver un chemin au milieu, entre l’étatisme et le néolibéralisme. » Deux phrases qui se contredisent. 

Primo, il n’y a aucune étude scientifique qui appuie la thèse selon laquelle un collectif de travail, sous le contrôle du secteur privé, travaillerait de manière plus efficace qu’un autre, dirigé par les pouvoirs publics. En revanche, ce qui est certain, c’est que le secteur public opère à moindre coût, car il n’a pas à rémunérer le capital, la maxime du capitalisme n’étant pas de fabriquer le meilleur produit au prix le plus avantageux mais de produire le meilleur rendement possible sur le capital par le biais de la minimisation du coût, notamment celui du travail, engendrant de plus en plus de « laissés pour compte », une évolution tant redoutée par Monsieur Schwab, qui fait pourtant l’apologie de la compétition économique.

Tout entrepreneur qui ne respecte pas cette maxime sera englouti par la concurrence qui, de ce fait, aura un accès privilégié au capital. La formation de monopoles est ainsi programmée, en boucle, avec, à la clé, les effets néfastes sur la redistribution équitable du progrès, par le biais de la sous-enchère salariale d’un côté, et, sur l’environnement, par la surproduction inhérente, de l’autre, jusqu’à ce que l’Etat « corrompu et vorace » instaure une énième loi anti-trust.

Le président explique son attachement à l’économie sociale du marché, un des innombrables courants du capitalisme qui ont fait le bonheur de l’humanité. « Le développement économique et le progrès social sont les deux faces d’une même pièce, mais il faut le faire plus vert et plus inclusif. » Le vocabulaire du « yaka » de l’OCDE.

Secundo, il faut bien s’entendre sur la définition de l’Etat, car il y a probablement autant de régimes politiques que de courants de pensée à l’intérieur du dogme du capitalisme. L’Etat, au sens libéral, est avant tout un collectif, collectif auquel Monsieur Schwab, et en effet tous les penseurs néolibéraux, prétendent que l’économie, et, selon la définition capitaliste, le marché, soit exogène.

Monsieur Schwab veut pour preuve de la supériorité du capitalisme la réduction du taux de pauvreté dans le monde « En 50 ans, d’énormes progrès ont été faits dans la lutte contre la pauvreté. » En effet, par le Parti communiste chinois, l’Etat donc, avec des méthodes certes peu compatibles avec les valeurs démocratiques occidentales.

La pauvreté en Chine, relative au revenu médian, ajusté au pouvoir d’achat, a baissé, selon une statistique de la Banque Mondiale, de 17,3% (97,5% en 1978 pour comparaison et selon une autre source) à 3,1% entre 2010 et 2017 (chiffres disponibles)

En 2017, le revenu moyen disponible de la population rurale s’élevait à 2'106 Yuan contre 133 Yuan en 1978 et la consommation moyenne par habitant s’est multipliée par 14 pendant la même période, grâce à la redistribution collective des gains de productivité, pendant que le PIB (produit intérieur brut) chinois est passé de 367 milliards Yuan en 1978 à 11'800 milliards Yuan en 2016, ce qui représente une croissance moyenne annuelle de 9,6%. (Université Renmin, Peking, Wang Sangui)

A défaut d’être une science au sens propre du terme, en un siècle, l’économie a carrément muée en religion. Par conséquent on peut reprocher à la guilde des économistes, dont Monsieur Schwab fait partie, d’être devenus des idéologues plutôt que des scientifiques, avec un pouvoir de nuisance infiniment plus important que ces derniers.

Le « World Economic Forum » se targue d’être un « Think Tank » indépendant, ouvert à une variété d’idéologies et courants de pensée. Il n’en est rien. Il est corseté dans une rigidité intellectuelle, redevable à ses clients.

Lors de la conférence annuelle du parti de gauche britannique « Labour », le chancelier de l’échiquier du cabinet fantôme, John McDonnell, avait présenté, entre autres, une mesure proudhonienne (1) du programme de parti, taxée immédiatement de « marxiste » par la presse britannique, ce qui illustre bien le niveau d’instruction des journalistes britanniques. Proudhon était antimarxiste.

De quoi s’agit-il ? Dans le système capitaliste, un collectif de production est contrôlé par ses actionnaires, en fonction de l’importance de leurs apports pécuniers, ce qui les déresponsabilise des conséquences, liées au processus de production et son impact social et environnemental, étant donné que leur objectif principal réside dans l’optimisation de la rémunération financière.

En cas de clôture ou délocalisation d’un collectif de travail « Labour » aurait proposé un droit de préemption en faveur des collaborateurs. En cas de reprise du collectif par ceux-ci, l’Etat aurait fourni les crédits nécessaires à des conditions préférentielles. Mise à part le fait qu’entre-temps la presse britannique a su éviter à la population britannique la réalisation de « telles idées loufoques », une proposition de ce genre ne trouverait guère davantage de résonance au sein du directoire du « World Ecomomic Forum ».

Toujours est-il, pour marquer l’anniversaire de la vénérable institution, est sorti le 24 novembre dernier, au festival international du film documentaire à Amsterdam, le dernier film du réalisateur allemand Marcus Vetter, « Das Forum ». La critique de la Pravda allemande « Deutsche Welle » est dithyrambique.

Il semblerait que le réalisateur allemand soit le premier à avoir obtenu l’autorisation de filmer dans les coulisses de la réunion annuelle du WEF à Davos.

Le réalisateur Marcus Vettel nous livre ses impressions : « Moi aussi, j’avais des préjugés. Pour beaucoup de gens le forum de Davos n’est rien d’autre qu’un événement décalé de la « Jet-Set » internationale de l’économie. Ce sont des préjugés. Le film montre les politiciens, les pontes de la finance et de l’économie faisant du « small-talk », mais il montre également des projets concrets comme, par exemple une initiative privée, au Rwanda qui avait permis l’approvisionnement en médicaments d’une région reculée à l’aide de drones. » 

« Avant de tourner ce film, je pensais qu’il s’agissait d’un événement qui permettait à des capitalistes de conclure leurs affaires. Mais, je voulais éviter de faire du « bashing » des élites. Ils ne sont pas tous mauvais. J’ai rencontré des gens tout à fait sympathiques. Le film invite les spectateurs à se poser des questions. »

« La philosophie de Klaus Schwab est de permettre à des gens de se rencontrer. Je le considère un peu comme une sorte de prêtre dont l’objectif est de réunir ses fidèles dans son église en les empêchant de commettre des pêchés. Monsieur Schwab a gardé cet esprit social en lui. »

 

(1) Pierre-Joseph Proudhom (1809 - 1865) philosophe et économiste français, autodidacte, antimarxiste, précurseur de l’anarchisme et du principe des « mutuelles » et « coopératives » d’assurés, employés, consommateurs. Il imagine le crédit sans intérêt, la création de banques du peuple, la réalisation de toute prise d’intérêt et de toute réalisation de profit dans le cadre des structures d’échange entre individus uniquement, selon le principe d’une société anarchique, le terme anarchie provenant du grec « anarkhia », absence de commandement pouvoir ou autorité.


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