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Accueil du site > Tribune Libre > Le crime contre l’humanité : confusion sur une incrimination (...)

Le crime contre l’humanité : confusion sur une incrimination récente

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 L'utilisation fréquente et inappropriée de l'expression "crime contre l'humanité", aussi bien par la presse que par nos dirigeants politiques, exige une clarification. En effet sa définition comme incrimination de Droit International Humanitaire fut retenue tant par le Tibunal de Nuremberg que par les les tribunaux pénaux internationaux pour l'ex-Yougoslavie et pour le Rwanda que par la Coup pénale international , chaque organisme proposant une interprétation spécifique. En France depuis la loi du 26 décembre 1964, l'article 212-1 du code pénal dispose que constitue un crime contre l'humanité "l'un des actes ci-après commis en exécution d'un plan concerté à l'encontre d'un groupe de population civile dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique » (parmi ces actes : l'extermination, la réduction en esclavage, les transferts dorcés de population, la torture, le viol...). 

 Il n'entre pas dans le cadre de mon intervention (peut-être pour une autre contibution !) de commenter cet article qui s'inscrit dans notre droit positif. Je vais me contenter de disserter sur le concept d'humanité utilisé dans l'expression "crime contre l'humanité", parce qu'il porte à controverse. En effet, trois conceptions de cette catégorie d'infraction s'opposent : la première se fonde sur la gravité du crime, la deuxième sur la singularité de sa commission, la troisième sur la référence à l'humanité.

 

Le "crime contre l'humanité", une infraction d'une exceptionnelle gravité

La création d’une nouvelle catégorie de crimes serait justifié par la gravité des infracions commises. Mais un tel critère est imprécis (qu’est-ce qui est grave ?). Par ailleurs est-ce que cette gravité fait référence à la nature intrinsèque des actes commis – déjà réprimés sous la catégorie des crimes de guerre - ou à l’importance numérique de ceux-ci ? Ce critère fut utilisé à plusieurs reprises : par exemple lorsque le Secrétaire général des Nations unies qui, dans son rapport proposant un Statut au TPIY, estima que « les crimes contre l'humanité [désignaient] des actes inhumains d'une extrême gravité, tels que l'homicide intentionnel, la torture ou le viol » ; et par la Commission du droit international des Nations unies créée le 21 novembre 1947 par une résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies, qui retint que « la définition des crimes contre l'humanité [englobait] les actes inhumains de caractère très grave… ». Mais à l’inverse le TPIY, dans un arrêt de sa Chambre d’appel du 26 janvier 2000, souligna qu’il n’existait « en droit aucune distinction entre la gravité d’un crime contre l’humanité et celle d’un crime de guerre », que « le Statut et le Règlement du Tribunal international, interprétés conformément au droit international coutumier, ne [fournissaient] aucun fondement à une telle distinction », et que « les peines applicables [étaient] exactement les mêmes et [que c’étaient] les circonstances de l’espèce qui [permettaient] de les fixer dans une affaire donnée ». On ne peut que se ranger à cette dernière interprétation pour rejeter ainsi le critère de gravité comme explication du crime contre l’humanité, spécialement s’il est commis par un « simple exécutant ».

 

Le "crime contre l'humanité", une infraction d'un caractère singulier

La deuxième conception se fonde sur la singularité de la commission des infractions contenues dans cette catégorie. Dès 1975 la Cour de cassation française avait évoqué que les crimes contre l’humanité constituaient « des crimes de droit commun commis dans certaines circonstances et pour certains motifs précisés dans le texte qui les définit ». Les différents tribunaux internationaux rejoignirent la haute juridiction française pour définir statutairement le crime contre l’humanité en fonction des circonstances particulières à sa commission et de la poursuite d’un projet criminel concerté. Le nouvel article 212-1 du Code pénal français se situe dans cette même perspective. Ce deuxième critère, incontestablement le plus clair et le plus proche des textes, permet certes de différencier les crimes contre l’humanité des crimes de guerre, mais il n’explique pas en quoi les actes incriminés portent spécialement atteinte à l’humanité de chacune des victimes.

 

Le "crime contre l'humanité", une infraction qui fait intervenir une victime singulière : l'humanité

La troisième conception du crime contre l’humanité, soutenue par une fraction importante de la doctrine, consiste à considérer qu’un individu, en commettant un ou plusieurs actes criminels spécifiques, ne vise pas seulement des êtres humains mais aussi cette « humanité » qui se trouve en chacun d’eux. C’est ce dont convint en particulier le professeur Jacques Francillon lorsqu’il évoqua des « crimes qui portent atteinte à l’essence même de la personne humaine ». Une opinion semblable fut exprimée par la professeure Mireille Delmas-Marty lorsqu’elle évoqua « la destruction de l’ordre symbolique qui permet justement de construire l’humanité de l’homme (…), la destruction de l’ordre humain tout entier, la négation de l’effet même par lequel il y a humanité dans l’homme ». Il semble que cette idée ait fait son chemin au sein des institutions juridiques internationales puisque le TPIY, évoquant des actes qui « transcendent […] l’individu, puisqu’en attaquant l’homme, est visée, est niée, l’Humanité d’un individu » précisa : « C’est l’identité de la victime, l’humanité, qui marque […] la spécificité du crime contre l’humanité ». Toutefois cette explication, aussi satisfaisante soit-elle pour l’esprit, manque de précision ; en effet le rapport entre, d’une part les actes incriminants retenus dans toutes les définitions du « crime contre l’humanité », et d’autre part l’atteinte à l’« humanité » des victimes, n’est pas clairement établi.

Mais pourquoi, à titre d’exemple, le même acte de torture accompli dans un contexte d' « attaque généralisée ou systématique lancée contre une population civile » (crime contre l’humanité) porterait-il atteinte à l’« humanité » d’une victime alors que ce ne serait pas le cas dans d’autres circonstances (crimes de guerre ou crimes de droit commun) ? Deux situations pourraient être considérées, en fonction de ce troisième critère : celle où l’humanité d’un homme ou d’un groupe humain est niée, et celle où la part d’humanité qui se trouve dans tout homme est agressée.

 

L'humanité niée chez un être humain

Lorsque l’« hominité » d’un être humain est niée à travers un acte criminel dirigé contre lui, quel que soit le contexte dans lequel cet acte a été commis, on pourrait en effet considérer qu’il s’agisse d’un crime contre l’humanité : au mieux la victime est regardée comme un sous-homme (l’apartheid sud-africain), au pire elle est assimilée à une chose (toutes les formes d’esclavage). L’acte criminel en question participe alors d’une idéologie qui promeut au pire l’exclusion de la race humaine de certains groupes considérés comme indignes d’en faire partie, au mieux une hiérarchisation en son sein, fondée sur la dignité. Le concept de crime contre l’humanité prend ici tout son sens. Dans certains conflits armés, les haines sont si tenaces que la qualité d’être humain est déniée à l’adversaire, comme ce fut le cas dans la Guerre des Balkans de 1912-1913, au sujet de laquelle le Rapport de la Commission Carnegie fit état des sentiments des Grecs à l’égard des Bulgares, disant d’eux : « Ce ne sont pas des hommes » ; ou comme ce fut démontré des nazis qui utilisèrent fréquemment le mot « Untermensch » (sous-hommes) pour désigner les membres de certaines communautés. Mais de tels crimes répondant à de telles motivations sont aussi régulièrement commis hors du cadre d’un conflit armé (exemple des persécutions contre les albinos en Afrique centrale) et échappent au droit de la guerre.

 

L'humanité agressée chez un être humain

Cette même prévention de crime contre l’humanité pourrait également être retenue contre un individu qui, quoique n’adhérant pas aux thèses racistes précédemment définies, commettrait un acte transgressif qui, par sa spécificité, d’une part affecterait la personne agressée et ébranlerait la société dont les normes seraient transgressées, mais d’autre part porterait atteinte à tout le genre humain, de la même manière qu’une famille ou qu’une tribu se sent agressée par une attaque perpétrée contre l’un de ses membres. A la victime-individu et à la victime-société devrait donc se greffer la victime-humanité. Selon ce critère, la catégorie des crimes contre l’humanité devrait ainsi être constituée à partir d’une dispersion des crimes actuellement retenus par le code pénal, aussi bien les crimes internationaux que les crimes de droit commun, effectuée en fonction de l’atteinte à « l’essence même de la personne humaine ».

*

Le mot "génocide", qui selon le droit français, constitue le pire des "crimes contre l'humanité", et qui fait appel à une volonté de destruction d'un groupe précis de populations, a acquis un statut exceptionnel dans l'ordre juridique international. Lui aussi fait malheureusement l'objet d'interprétations multiples, souvent hasardeuses.

 

 


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14 réactions à cet article    


  • Clark Kent Séraphin Lampion 17 janvier 2020 17:43

    La Cour Pénale Internationale (CPI) est le seul tribunal permanent chargé de sanctionner les crimes contre l’humanité, en dehors des juridictions pénales nationales pour les états qui, comme la France, ont placé le crime contre l’humanité dans leur droit pénal.

    Par contre, les États-Unis ne sont paradoxalement pas signataires de la convention et ne peuvent pas être poursuivis pour telle ou telle opération militaire qu’ils mènent dans le monde. La CPI est compétente sur 110 états parmi les 193 que reconnaît l’ONU.

    Tout observateur éclairé a compris après la guerre de Yougoslavie à quoi servait vraiment la CPI.


    • Analis 17 janvier 2020 19:47

      @Séraphin Lampion

      Attention à ne pas faire un grave contresens : la CPI n’a jamais été impliquée dans les guerres de Yougoslavie. Il s’agissait d’un tribunal spécial créé spécifiquement pour les conflits ayant ensanglanté la Yougoslavie par l’ONU (par le Conseil de Sécurité plus précisément), le TPIY. Alors que la CPI est un tribunal à compétence générale, valant pour tous les États l’ayant ratifié, et n’était pas créée au moment où ont commencé les procès contre des responsables de crimes de guerre en ex-Yougoslavie.

      Il est certain que le TPIY a protégé les alliés des occidentaux*, et a fini par perdre sa crédibilité. La CPI, bien que d’une portée différente, supposée mondiale, établie par traité et donc soutenue par d’autres acteurs (sans la participation des USA, de la Chine, de l’Indonésie, de la Malaysie, de l’Inde, du Pakistan et de la Russie), s’est elle révélée toute aussi partiale. Les occidentaux, dont des pays signataires du traité l’instituant (il est donc vain de s’abriter derrière l’absence des USA des parties prenantes à la Cour) et leurs soutiens ont pu ainsi ravager en toute impunité la Syrie, la Libye, le Yémen, l’Ukraine etc... sans être inquiété le moins du monde, ni, manifestement, considérer que la CPI pouvait un jour venir les inquiéter. Sarkozy, Juppé, Hollande, Fabius, Macron, Cameron, Hague, May, Johnson se moquent bien de la CPI, qu’ils ne craignent absolument pas.

      * https://www.lepoint.fr/invites-du-point/daniel-salvatore-schiffer/ex-yougoslavie-le-scandaleux-verdict-du-tpiy-16-11-2012-1529841_1446.php (acquittement de deux généraux croates, indiscutables criminels contre l’humanité – là, l’expression n’est pas galvaudée - ; il est vrai que pour faire bonne mesure, le tribunal allait aussi acquitter le serbe Seselj, qui s’était pourtant vanté de sa participation à la purification ethnique)


    • jidejeandominique jidejeandominique 17 janvier 2020 18:08

      Merci pour ce commentaire. On peut toujours critiquer la CPI. Mais tout « observateur éclairé »comprendra que sa création constitua un pas dans le bon sens.


      • Clark Kent Séraphin Lampion 17 janvier 2020 18:30

        @jidejeandominique

        d’accord, mais l’absence des Etats-Unis, de la Chine, de la Russie, de l’Inde, de l’Iran, etc... ça fait quand même du monde, ça fait penser à la démocratie « participative » : je décide, vous participez.


      • jidejeandominique jidejeandominique 18 janvier 2020 11:10

        @CLOJAC
        C’est justement contre des délires comme le votre que je tente de clarifier les choses ! Peine, perdue hélas !


      • popov 19 janvier 2020 02:10

        @CLOJAC

        Bonjour

        Je ne connais rien en droit, mais il me semble que vous justifiez ici la différence entre crime de guerre et crime contre l’humanité en montrant un exemple de crime à grande échelle commis dans un contexte autre que la guerre. 


      • Jonas Jonas 18 janvier 2020 12:26

        La notion juridique de « crime contre l’humanité » a été définie la première fois comme loi pénale contre l’Allemagne nazie par les alliés à la fin de la deuxième guerre mondiale lors du procès de Nuremberg en 1945.
        C’est la première fois dans l’Histoire qu’on a créé une loi spécifique pour condamner des accusés de manière rétroactive !
        Elle marque l’asservissement des nations au droit international : désormais, un chef militaire, avant d’obéir aux ordres que lui donne son supérieur pour protéger sa patrie, devra réfléchir à deux fois avant de l’exécuter, est-ce que cet ordre est juste ou non, et s’il ne risque pas d’être condamné par la suite.
        Ce procès fut la rampe de lancement du début de la mondialisation universelle, et marque le déclin des États nations.

        À noter évidemment la parodie de ce tribunal de Nuremberg, non neutre, puisqu’il est dirigé par les Alliés vainqueurs, qui n’a fait appliquer la loi de « crime contre l’humanité » que contre les Allemands : les milliers de civils exterminés lors du bombardement de Dresde par les Alliés, les civils allemands, torturés, traités comme du bétail, spoliés de leurs biens après l’arrivée des Alliés américains et russes en Allemagne, les camps de concentration soviétiques où ont été exterminés des centaines de milliers de personnes (femmes, enfants, vieillards,...), les bombes atomiques d’Hiroshima et de Nagasaki qui ont rayé de la carte en deux minutes des dizaines de milliers de Japonais, n’ont évidemment jamais fait l’objet de « crime contre l’humanité ».


        • jidejeandominique jidejeandominique 18 janvier 2020 17:53

          @Jonas
          Bien vu, mais on ne pourra jamais empêcher que la justice post-conflit ne soit pas une justice de vainqueur.


        • Esprit Critique 18 janvier 2020 17:14

          Faut d’urgence expliquer tout ça a Macron, qui a qualifié notre création de l’Algérie de crime contre l(humanité, et qui ignore jusqu’à l’existence d’une culture Française.


          • jidejeandominique jidejeandominique 18 janvier 2020 17:50

            Il est vrai qu’il n’a rien compris. Mais c’est la mode !


            • popov 19 janvier 2020 02:27

              @jidejeandominique

              Le bombardement de Dresde était certainement un crime de guerre. Mais était-ce un crime contre l’humanité ou un crime en faveur de l’humanité (à condition qu’on puisse prouver qu’il a accéléré le défaite des nazis et évité de plus grands massacres) ?


              • jidejeandominique jidejeandominique 19 janvier 2020 13:49

                Le crime contre l’humanité, établi pour la première fois en tant que notion proprement juridique, par l’article 6 littera c) du Statut du Tribunal de Nuremberg, fut ainsi défini :

                «  L’assassinat, l’extermination, la réduction en esclavage, la déportation, et tout autre acte inhumain commis contre toutes populations civiles, avant ou après la guerre ; ou bien les persécutions pour des motifs politiques, raciaux ou religieux, commis à la suite de tout crime rentrant dans la compétence du Tribunal International ou s’y rattachant, que ces persécutions aient constitué ou non une violation du droit interne du pays où elles ont été perpétrées ».

                Les bombardements de Dresde, de Hambourg et d’ailleurs auraient certainement constitué des crimes contre l’humanité, au sens de la définition ci-dessus, pour autant que cette incrimination de droit pénal international ait existé à l’époque.

                Quant à dire que ce fut un crime en faveur de l’humanité, outre que le raisonnement est inacceptable, personne n’en saura jamais rien.


                • Eric F Eric F 16 février 2020 14:26

                  @jidejeandominique
                  [remarque tardive]
                  « Les bombardements de Dresde, de Hambourg et d’ailleurs auraient certainement constitué des crimes contre l’humanité... »

                  Il y a une différence dans l’« intention » :
                  -Des bombardements ou actes de guerre destinés à affaiblir la combattivité de l’ennemi et le soutien de la population à un gouvernement belliciste, sont des crimes de guerre ayant pour objectif d’accélérer la victoire contre cet ennemi [ce qui peut-être « justifié » devant l’histoire si cet ennemi aurait causé de bien pires horreurs en poursuivant le conflit]
                  -Des massacres de civils en tant qu’objectif en soi ou leur déshumanisation (escalavage...) relèvent de crime contre l’humanité, le génocide est le stade ultime visant à une élimination de masse.

                  Vu de la victime, ça ne fait évidemment pas de différence, vu globalement pour l’humanité, cela peut en avoir.


                • jidejeandominique jidejeandominique 16 février 2020 17:23

                  Bien vu !

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