La nouvelle monnaie « ECO » une pilule qui a du mal à passer ?
L'intégration monétaire est, en principe, le couronnement d'une intégration économique et commerciale poussée. La mobilité intra-africaine des personnes est plus forte, même si elle ne joue pas toujours dans le sens de l'intégration.
Mais qu’en est-il du flux de commerce intra-africain ? Car la vérité est que l’intégration commerciale intra-africaine n’est pas très portée.
Dans le cas de la zone franc, elle n'a guère progressé malgré l'homogénéité et la stabilité créées par le franc CFA.
Les raisons de cette faible intégration réelle sont nombreuses ; elles tiennent en particulier à la spécialisation des pays membres, polarisée autour de la production et de l'exportation de matières premières. Cela ne changera pas du jour au lendemain, même si l'arrivée de l'Eco est « susceptible » à long terme, de doper les échanges intra-CEDEAO.
Certains analystes doutaient déjà qu'une monnaie unique soit la solution pour stimuler le commerce.
« Nous luttons rien qu'au Nigeria pour acheminer les produits du nord à Lagos et dans d'autres régions du sud où ils peuvent être consommés », a déclaré Sanyade Okoli, responsable d'Alpha African Advisory.
« Si les marchandises ne peuvent pas circuler librement, comment pouvons-nous parler d'une monnaie unique ? », s'interroge-t-elle. « Nous devons d'abord nous attaquer à la faiblesse de l'infrastructure et à la bureaucratie, les points les plus faciles à réformer ».
Un avenir incertain pour l'Éco
Dès lors plusieurs observateurs voient une controverse envers la nouvelle monnaie unique qui couvrira la zone de la CEDEAO. D’aucuns diront même qu’il faudra rester dans le franc CFA. Une nouvelle polémique qui pourrait fragiliser la mise en marche de l’ECO.
Puisque pour qui connaît les pays membres de la CEDEAO, la plupart (Ghana, Nigeria, etc.) n’utilisaient pas le franc colonial, c’est pourquoi ceux-ci risqueront de garder leurs positions habituelles au détriment de la nouvelle monnaie unique (ECO). D’où la contestation par plusieurs pays de la zone CEDEAO.
Pour Alassane Ouattara, le taux de change fixe entre le franc CFA et l’euro a fait ses preuves pour apporter la stabilité et réduire l’inflation.
À travers les propos du chef d'État ivoirien transparaît l’idée que la zone CFA pourrait devenir le noyau dur de la future zone monétaire ouest-africaine. Le CFA serait alors rebaptisé éco et conserverait sa parité fixe avec l’euro.
Alassane Ouattara avance d’autant plus aisément ses arguments que la CEDEAO, reconnaissant que la convergence des économies de la région est encore insuffisante, préconise désormais une approche graduée.
Ce qui revient à démarrer l’éco avec un petit nombre de pays. Sans doute à l’exclusion du Nigeria.
Reste qu’un simple tour de passe-passe consistant à débaptiser le franc CFA ne suffira sans doute pas à une partie des opinions publiques des pays concernés, bien déterminée à voir s’opérer un changement de paradigme. Les arguments techniques et économiques, si valables soient-ils, seront toujours plus faibles, aux yeux d’une frange de l’opinion, que les slogans politiques.
La prudence du Nigeria concernant l’Éco
Abuja, qui gère déjà sa propre devise, le Naïra, conditionne la mise en place de l'éco à une discipline budgétaire. La ministre nigériane des Finances, Zainab Shamsuna Ahmed, le répète à chaque réunion : les critères de convergence doivent être respectés. À savoir un déficit budgétaire qui n'excède pas les 3%, une inflation de moins de 10% et une dette inférieure à 70% du PIB. Or à ce stade, seul le Togo répond à ces exigences.
Bismarck Rewane, consultant et PDG du cabinet Financial Derivatives, résume les enjeux : Pour nous, l'éco est une transition vers une éventuelle monnaie commune en Afrique de l'Ouest, qui rassemblera les pays anglophones et francophones.
D'abord, côté nigérian, il nous faut lever une question : le Naïra n'est pas une monnaie convertible. Ensuite, il faut que les critères de convergences soient établis et respectés. Enfin, il faut que les pays francophones soient indépendants du soutien dont ils bénéficient avec la France.
En effet, avec ce nouvel accord, Paris conserve un rôle de garant financier. Pour nous, pays anglophones, cela pose une question de gouvernance d'autant que l'éco sera toujours arrimé à l'euro. Mais selon moi, cette garantie ne peut pas durer de manière illimitée. Donc nous sommes dans une période de transition, qui prépare progressivement nos États à une intégration régionale, dans laquelle tous les pays d'Afrique de l'Ouest auront une monnaie unique, basée sur des critères de convergence. Cela va prendre du temps. »
Le Nigeria fait donc preuve de prudence. En témoignent les longues discussions avant d'adhérer à la zone continentale de libre-échange, ou encore, la fermeture de sa frontière terrestre depuis août, pour lutter contre la contrebande. Selon Abdoul Salam Bello, chercheur invité à l'Atlantic Council et auteur de La régionalisation en Afrique, « le Nigeria cherche avant tout à protéger son marché, à diversifier son économie et à s'industrialiser, constate ce spécialiste. Cela l'amène à être réservé sur les questions d'intégration ».
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