Je croyais acheter une école de Prud’hon et, apparemment, il s’agit d’un Géricault
Il y a 30 ans, mon épouse, aujourd'hui décédée, achetait en salle des ventes, un tableau peint pour meubler le château en ruines que nous avions acquis, quatorze ans plus tôt. Voici ce que disait alors le catalogue : Joseph et la femme de Putiphar. PRUD’HONM Pierre Paul (Atelier de). n° 69. Huile sur toile. Cadre Empire. 32 x 24 cm. Vente du 30 mai 1990. Drouot-Richelieu, salles 1 et 7. Maîtres Dominique Ribeyre et Florence Baron.
Cinq ans après, le 18 octobre 1995, à Drouot salles 1 et 7, Maître Binoche mettait en vente un dessin qu’il présentait comme étant également de Pierre-Paul Prud’hon. Il s'agit, manifestement, d'un dessin préparatoire à notre tableau. Dans son commentaire, il écrit que c’est chez un bouquiniste qui possédait plusieurs cartons de dessins de ce peintre que François Marcille découvrit Prud’hon. Or, voici ce que Prud’hon a écrit au fils Constantin de ce bouquiniste : « … Ton père signait pour moi les dessins de moi qui lui tombaient dans les mains, car jamais je n'en ai signé aucun. Si ceux dont tu me parles, tu les reconnais de moi, rien ne t'empêche d'en faire autant, de plus tu as ma signature au bas de ma lettre : elle peut te servir de type. »
Conclusion : Il faut revoir l’attribution des dessins précités ou de ce style sans apporter foi à la signature de Prud’hon qui pourrait éventuellement s’y trouver et envisager la possibilité qu’ils soient d'un autre. Et ceci, depuis l'esquisse ci-dessous : encre, plume, papier, Prud'hon, vente Artcurial, 13.11.2015... Voyez les tentures !
Or, le 26 juin 1992, Maître Ader Tajan, à l’Hôtel Drouot, salles 5 et 6, a mis en vente un tableau semblable au nôtre, mais en l'attribuant, non pas à Proud'hon, mais à Géricault, soulignant, en deux pages de commentaires, la rareté du sujet et son importance pour comprendre l’œuvre du peintre.
(Actuellement au Getty Center, Museum West Pavilion, Gallery W201).
je cite Wikipédia : En 1814, Théodore Géricault s'éprend de sa tante Alexandrine, qui n'a que 6 ans de plus que lui. De cette liaison, qui va durer plusieurs années et qui s’avère désastreuse pour l’artiste, naîtra le 21 août 1818 un fils Georges-Hippolyte, déclaré à sa naissance comme le fils de la bonne Suzanne et de père inconnu. À la mort de Géricault, l'enfant sera reconnu par le père de l'artiste.
Mon interprétation : Comme dans mon tableau, l'ardente femme prend littéralement d'assaut le lit… et Géricault. Elle est représentée de dos. Ses cheveux blonds, sa nuque dégagée, sa cuisse lourde, sa chair claire, sa lingerie fine expriment le même appétit et la même exigeante sensualité. Dignement étendu sur le lit, Géricault se laisse aimer, comme dans mon tableau. Il reçoit son amante dans ses bras tandis que sa jambe gauche se raidit, comme dans mon tableau. Son visage est dans l'ombre, mais son profil se devine. Mais un enfant naquit, scandale ! Qu'importe ! On le fera passer pour le fils de la bonne, la grosse Suzanne. Voilà pourquoi cette dernière est symboliquement dans le lit. Cette Suzanne servait de modèle à Géricault. Non ! Il ne s'agit pas d'une scène d'amour à trois. Voilà aussi pourquoi, dans une lettre à un ami intime, Géricault évoque les terribles embarras dans lesquels il s'est mis, les plaisirs imaginaires, la réalité des souffrances, son lamentable caractère, et le silence qu'il vaudrait peut-être mieux garder… (sur certains embarras) ! Mais le plus étonnant dans cette histoire, c'est cette curieuse idée d'avoir illustré l'affaire dans un tableau.
Il faut reprendre l'enquête.
Je recite Wikipédia : Théodore Géricault (1791-1824) séjourna au château de Chesnay de 1812 à 1832... En 1807, il assistera au mariage de son oncle quinquagénaire avec la jeune Alexandrine de Saint-Martin dans ce qui est probablement son premier séjour au Chesnay. Son oncle l'aidera en finançant ses cours auprès du peintre Carle Vernet... Il aura une relation avec sa tante par alliance, Alexandrine, d'où naitra un fils caché, Georges Hippolyte, en 1818. Un carnet de dessins qu'il a faits du Chesnay de l'époque se trouve au musée de Chicago (?).
D'où mon interprétation : tableau inconnu de Géricault faussement attribué à Prud'hon ; un amour tragique, romantique, sensuel et fou.
De lourdes tentures rouge mordoré pendent aux murs de l'alcôve intime, entre des têtes stylisées typiquement pharaoniques. Derrière l'alcôve, un haut entablement de pierre que portent des colonnes égyptiennes aux riches chapiteaux évoque les longs couloirs obscurs et souvent déserts du palais de Putiphar.
La scène se passe sur le lit, un lit Retour d'Egypte, dont le désordre de la literie montre combien la bataille est ardente. La chair au contact d'un velours vert Empire, la femme de Putiphar est nue. Sa légère chemise au reflet scintillant d'or et d'argent ne tient plus que par une bretelle fragile. Un foulard seul, l'habille, entortillant dans son bleu vert toujours Empire son opulente chevelure coiffée à l'antique. Elle enserre entre ses cuisses blanches nuancées de rose la jambe virile de Joseph dont le manteau rouge ne peut résister à l'appel de la chair. Elle saisit l'homme qu'elle désire entre ses bras tendus. Sa gorge se gonfle et son regard se fait suppliant. « Couche avec moi », lui dit-elle.…… (parole de Bible, Genèse, 39).
Jeune et beau sous sa chevelure d'ébène, Joseph a détourné la tête. Et pourtant, sa peau brunie ne demande qu'à toucher la peau douce de la femme. Sa main musclée s'imprime dans le moelleux de son bras. Sa jambe raidie est au contact de sa jambe.
En même temps que le couple s'attire, la volonté de Joseph résiste. L'arc de son corps se courbe en sens contraire. Joseph veut sortir, mais la femme le retient.
En 1815, date de la chute du Ier Empire, Géricault est âgé de vingt-quatre ans. C'est un peintre confirmé et reconnu. Il est beau, il est fort, il est jeune… comme Joseph. Son oncle, auquel il doit tout, est âgé de cinquante-huit ans. L’épouse de ce dernier n'a que trente ans, six ans seulement de plus que Géricault. Elle est belle, experte et attirante. Ses chairs sont lourdes mais sensuelles. En 1815, ou avant, elle dit à son jeune neveu : « Couche avec moi ! » Et comme Joseph, le jeune homme essaie d'échapper à l'étreinte de cette femme avide ; il ne veut pas trahir la confiance de son oncle. Sous la chevelure bouclée de Joseph, il a le visage idéalisé de ses portraits de jeunesse. Mais qui est la personne la plus romantique des deux ?
Est-ce l'amant ou l'amante ? La tante de Géricault monte en amazone son cheval pie dans le paysage le plus romantique et le plus tourmenté qui soit. Comme dans le tableau où elle est la femme de Putiphar, ses cheveux sont blonds, sa chair rose, sa poitrine haute, sa taille fine, son bassin large, ses jambes lourdes. Femme de caractère et experte écuyère, madame Caruel, née Alexandrine-Modeste de Saint-Martin, tient dans sa main droite… une cravache. Cette femme sait ce qu’elle veut … sublimer les actes de sa vie – et de la vie du monde – en épopées ou en drames romantiques. Elle sera l’inspiratrice, le professeur, la correctrice, Géricault sera la main qui peint. Cela donnera… Le radeau de la Méduse.
Malgré la naissance survenue ou à venir, fruit de l'adultère, les deux amants auraient-ils décidé de continuer à s'aimer avec la même fougue qu'un cheval que l'on force au galop ? Il ne semble pas. Son tableau du "Radeau de la Méduse" n'ayant pas reçu l'accueil qu'il méritait, Géricault part pour l'Angleterre pour se faire reconnaître. Il en reviendra malade et meurt à 32 ans.
Dans une lettre datée du 17 novembre 1875, Hippolyte Gericault, le fils adultérin, écrit : « Cet après-midi de la part d’une dame de 89 ans, décédée il y a deux mois, j’ai reçu ce portrait (celui de ma mère)…Lorsque la liaison de Théodore et de sa tante fut découverte, le père du jeune Géricault et l’époux outragé décidèrent que l’enfant né de leur passion serait à jamais banni et placé chez des parents nourriciers. On ordonna aussitôt aux jeunes gens de ne pas chercher à le voir, ni à se revoir. Ces dispositions furent exécutées à la lettre. Condamnée par les siens et par la société, Alexandrine, séquestrée, se mura dans le silence le restant de sa vie. J’ai emporté sous le bras le portrait de ma mère. Son front est lumineux, sa bouche sensuelle, ses yeux scrutent un sombre avenir. On dirait qu’ils cherchent à m’atteindre, à transpercer les épaisseurs d’une interminable nuit qui nous sépare à jamais. Je la regarde, je la contemple, ma mère …Tout cela est beaucoup trop loin. Sans issue. » (vente Tajan du 18/12/2002).
Emile Mourey, château de Taisey, le 9 mars 2020. Portrait de Géricault jeune par Alexandre Colin, 1816 ; les autres par Géricault. Les images peuvent être soumises à des droits d'auteur. À noter que le Louvre possède plusieurs scènes d'accouplement entre Géricault et sa maîtresse et l'ignore jusqu'à dire que le peintre n'a jamais peint de scènes érotiques ???
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