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Accueil du site > Tribune Libre > « Libre pour apprendre » : un livre qui fait bien avancer l’éducation

« Libre pour apprendre » : un livre qui fait bien avancer l’éducation

Paru aux Etats-Unis en 2013 et édité en France par Actes sud en 2016, voilà un livre sur l’éducation qui fait du bien à son lecteur pour peu que celui-ci ait envie que notre monde change. C’est l’avant garde qui est là à toutes les pages. Son auteur, Peter Gray, est psychologue du développement et directeur de recherche au Boston College, il s’adresse autant aux parents qu’aux éducateurs et aux citoyens que nous sommes tous.

« Ça y est je l’ai dit »

Le livre vient des Etats-Unis mais c’est de notre système éducatif mondialisé dont il parle : « Ce qui importe, dans le monde de l’éducation actuel, ce sont les performances, qui peuvent être évaluées et donner lieu à des comparaisons entre les élèves, entre les écoles, voire entre les pays, pour voir qui est le premier et qui est le dernier ». Le problème, c’est qu’aujourd’hui : « Le taux de troubles mentaux lié au stress chez les jeunes a grimpé en flèche pendant les cinquante dernières années », et que : « Depuis 1950, le taux de suicide des enfants de moins de quinze ans à été multiplié par quatre, et celui des jeunes de quinze à vingt ans a plus que doublé » . Au même titre que Jean-Luc Godard qui affirme que : « Tous les enfants sont des prisonniers politiques » Peter Gray dit : « Les enfants n’aiment pas l’école parce que pour eux l’école est une prison – ça y est je l’ai dit. Les enfants n’aiment pas l’école parce que, comme tous les êtres humains, ils aspirent à la liberté et qu’à l’école ils ne sont pas libres. »

Une posture également politique.

Plus que le système éducatif c’est tout notre rapport à l’enfance que l’auteur nous propose de revoir : « Même lorsqu’ils ne sont pas à l’école, les enfants passent de plus en plus de temps dans des cadres où des adultes les dirigent, les protègent, répondent à leurs besoins, les jugent, les critiquent, leur attribuent un classement, leur décernent des louanges et des récompenses. » Dès les premières pages la dimension politique du livre apparait : « Et pourtant, ce que les experts autorisés et les hommes politiques actuels réclament à cor et à cri, c’est d’augmenter encore cette forme de scolarisation restrictive, au lieu de la diminuer. Ils préconisent plus de tests standardisés, plus de devoirs à la maison, plus d’encadrement, des journées de classe et des années scolaires plus longues (…) Il s’agit d’un domaine où les hommes politiques des partis majoritaires, à tous les niveaux de gouvernement, semblent être d’accord. Plus d’école et plus de test sont préférables à moins d’école et moins de test. »

L’heure de se soulever

Nous rappelant Bourdieu, l’auteur qui est également chercheur, montre un réel engagement : « Il est temps que les personnes qui connaissent mieux le sujet se soulèvent pour faire échec à cette tendance dévastatrice. Les enfants n’ont pas besoin de plus d’école, ils ont besoin de plus de liberté. Ils ont besoin d’environnement où ils puissent jouer et explorer en toute sécurité… ». Nous sommes de nombreux éducateurs à confirmer ce besoin de liberté des enfants. Une brève histoire de l’éducation est donnée et sont exposés les « sept péchés de notre système d’éducation forcée » : Enfants privés de liberté, sens de la responsabilité individuelle et de l’autonomie perturbé, sape du désir d’apprendre, montée de la honte, de l’orgueil, du cynisme et de la tricherie, entrave du développement de la coopération, inhibition de l’esprit critique, réduction de la palette des compétences. Cela fait beaucoup, j’ai envie d’ajouter stérilisation de l’esprit d’initiative, cette capacité d’innovation dont on a tellement besoin dans tous les territoires pour faire face à la crise écologique.

La Sudbery Valley School

Depuis longtemps, pour en savoir davantage sur cette expérience extraordinaire, ceux qui
s’intéressent à l’éducation cherchent des éléments nouveaux sur la Sudbery Valley School autre que ce film très enthousiasmant et les témoignages qu’on peut trouver du coté de l’EUDEC comme celui de Ramin Farhangi délivré lors de son TEDx. Ramin à fait le voyage sur place et rencontré les fondateurs visionnaires et tellement réalistes de cette école. Peter Gray a mit son fils dans cet établissement et y a conduit une étude. Il confirme tout ce qu’on sentait déjà. Le fondateur Daniel Greenberg professeur d’université à Columbia voulait autre chose pour ses enfants, c’était à la fin des années 60. Depuis on peut dire que sa proposition innovante a fait ses preuves.

Une école démocratique

Une idée est au coeur : « Ce ne sont pas les adultes qui contrôlent l’éducation des enfants, les enfants s’éduquent eux-mêmes ». Il y a entre 130 et 180 élèves dans cette école pour une équipe adulte entre 9 et 11 membres. « Les frais de scolarité sont bas et l’école fonctionne avec un budget par élève deux fois moins élevé que celui des écoles publiques environnantes, et largement inférieur à celui des autres écoles privées ». Les enfants ont entre 4 ans et 19 ans et : « La pédagogie de l’école est fondée sur le principe selon lequel chaque individu est responsable de sa propre éducation. L’école n’établit pas de programme, ne fait pas passer de test, ne procède à aucun classement ni à aucune évaluation. ». « L’école est avant tout une communauté démocratique. » Un conseil hebdomadaire où tous, enfants et adultes, sont invités à participer prend les décisions pour l’école de façon démocratique selon le principe : « une personne égale une voix ». Il existe aussi une « commission judiciaire » qui est responsable du respect des règles de l’école.

Les laisser tranquilles

Peter Gray rapporte des propos tenus par des membres de l’équipe de Sudbury Valley School : « … la meilleure façon d’apprendre, c’est de le faire de sa propre initiative, en choisissant soi-même, de façon autonome, les moyens de le faire, et que la meilleure façon d’aider les enfants c’est de les laisser tranquilles, sauf quand ceux-ci demandent de l’aide ou des conseils. Et même dans ces cas-là, il convient selon eux de se limiter strictement à l’aide ou aux conseils qui ont été sollicités ».

Chasseurs cueilleurs et Sudbury Valley School

Peter Gray nous invite à regarder du coté des chasseurs-cueilleurs qui s’y entendent bien en matière d’accompagnement des enfants dans leurs apprentissages. Leurs principales valeurs mises en oeuvre sont l’autonomie, le partage et l’égalité et ils exercent une parentalité placée sous le signe de la confiance. Le lien est fait avec ce qui se passe à la Sudbury Valley School. Les points communs sont nombreux. Les enfants ont « du temps et de l’espace pour jouer et explorer (…) Enfants et adolescents (sont) libres de se côtoyer sans distinction d’âge… (en) présence d’adultes attentionnés et compétents… (avec) du matériel accessible avec lequel on a le droit de jouer… libre échange des idées… pas de harcèlement… Immersion au sein d’une communauté démocratique ».

Le rôle clé du jeu

Le jeu a une place importante dans les travaux de Peter Gray, il a consulté beaucoup d’études réalisées sur ce thème et il affirme : « …tous les enfants du monde, si on les laisse faire ce qu’ils veulent, jouent à ce qu’ils devront savoir faire pour s’épanouir en tant qu’adulte … Etre capable de bien s’entendre avec les autres et d’arriver à des accords fait certainement partie des compétences humaines les plus précieuses pour la survie, et les enfants s’y exercent sans relâche au cours de leur jeux sociaux ». Et d’une façon magistrale il pose : « Le jeu est le moyen grâce auquel la nature apprend aux enfants à résoudre eux-mêmes leurs problèmes, maitriser leurs impulsions, réguler leurs émotions, se mettre à la place d’autrui, négocier en cas de désaccord et traiter les autres sur un pied d’égalité. Rien ne peut se substituer au jeu pour l’acquisition de ces compétences. La maitrise de soi, la responsabilité individuelle et la sociabilité : ce sont des choses que l’école est incapable d’enseigner. Or elles sont bien plus importantes dans la vie que n’importe quelle leçon scolaire ». Il n’est pas inquiet à propos des jeux vidéo, son argumentation est intéressante...

Rôle clé de l’hétérogénéité des âges

Après avoir dit que : « … la ségrégation des enfants en classes d’âge est une aberration » l’auteur expose ce que gagnent les plus jeunes et ce que gagnent les plus âgés à se côtoyer mutuellement. Si les plus jeunes apprennent beaucoup en observant les plus grands et souvent en étant aidés par eux, les plus grands eux apprennent a avoir soin d’autrui, ils approfondissent leur compréhension de certaines notions et, on l’aurait facilement oublié, « les plus jeunes suscitent davantage de créativité chez les plus vieux », la force du jeu toujours.

Des perspectives heureuses

Après un plaidoyer pour des parents laissant de coté le contrôle et donnant leur confiance aux enfants et malgré tout ce qui est décrit de la situation plus qu’inquiétante de l’éducation pratiquée actuellement, l’auteur se déclare optimiste pour l’avenir. Il constate « qu’un nombre toujours croissant de personnes tournent le dos à l’école coercitive… » Il ose dire : « je prédis que, dans un futur pas si éloigné, nous allons atteindre un point de bascule ». Il imagine des lieux où les enfants et les adultes pourraient venir pour jouer, explorer, se faire de nouveaux amis et apprendre… Il décrit alors quelque chose qui ressemble à ce que sont les écoles démocratiques qui s’inventent sous nos yeux, un peu plus nombreuses tous les ans. « Libre pour apprendre » est un livre à mettre dans toutes les mains, sa lecture est facile, très enrichissante et on referme le livre, se sentant optimiste, comme l’est son auteur.

Roland Gérard


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11 réactions à cet article    


  • Martha 5 mai 2020 11:51

    Dans la ligne directe de l’essai décrit par son auteur dans : « Libres enfants de summerhill » de A.S.Neill.

     Et des réflexions sur la philosophe de l’éducation de John Dewey : pour une pédagogie de l’expérience..


    • Clark Kent Séraphin Lampion 5 mai 2020 12:03

      et avec le déconfinement, ça va se passer comment ?

      un nombre toujours croissant de personnes va continuer à tourner le dos à l’école coercitive ?


      • bouffon(s) du roi bouffon(s) du roi 5 mai 2020 13:45

        @Séraphin Lampion

        On peut bien lui tourner le dos, mais l’ennui c’est qu’elle vous rattrape ^^



        • bouffon(s) du roi bouffon(s) du roi 5 mai 2020 14:54

          Tiens, pourquoi rosemar ne commente-t-elle pas ? smiley


          • arthes, Britney for ever arthes 5 mai 2020 16:13

            Il faut aussi se demander : Quel savoir veut on transmettre ?

            Quel contenu dans l’es programmes de l EN ?

            Car, Le désir d’apprendre, la curiosité sont des dispositions naturelles chez l’enfant.

            L initier au beau, à l’art et à la culture comme révélateur « à lui m^me » de sa propre éthique morale, par ex, parrait ...Tellement désuet

            Alors, que l’on ait peu à peu une génération d’abrutis lobotomisés au cerveau rempli comme un logiciel ou qui vont finir branque dans des fermes permaculture, woofing aux 4 coins du monde....

             


            • JC_Lavau JC_Lavau 6 mai 2020 11:39

              @arthes. Exemple de ce qu’on y enseigne :
              Enrôler les élèves comme militants supplétifs...


            • Brunehaut 6 mai 2020 11:06

              Une école qui se veut démocratique en même temps qu’efficace doit reposer sur deux principes : l’autorité et l’effort. Autant dire qu’on en est loin ... 

              D’ailleurs, pourquoi vouloir changer l’école ? Elle est en cohérence avec la société d’aujourd’hui ! Si vous voulez la réformer, il faut aussi changer la société et c’est tout un projet politique. Au moins ... 


              • mmbbb 6 mai 2020 19:48

                @Brunehaut parce que tous les mioches d aujourd hui sont des cretins ! Vous citez « ecole » c est une institution tres hétérogéne dont le public est devenu si différencié , qu il est vain de vouloir comparer 
                L ecole d hier avait le devoir de former des républicains à minima et de reproduire comme aujourd hui la caste dominante .
                Rien de nouveau sous le soleil sinon peut etre une plus grande hypocrisie . La distanciation sociale est plus cachée desormais 


              • JC_Lavau JC_Lavau 6 mai 2020 11:33

                « Même lorsqu’ils ne sont pas à l’école, les enfants passent de plus en plus de temps dans des cadres où des adultes les dirigent, les protègent, répondent à leurs besoins, les jugent, les critiquent, leur attribuent un classement, leur décernent des louanges et des récompenses. »

                C’est ainsi qu’une enfant a été étranglée au foulard à la récré. Les adultes regardaient ailleurs.

                Un psyka qui sévissait durant les années cinquante-soixante expliquait qu’aucun adulte ne devait mettre le hola aux persécutions à l’école. D’une part parce que cela pourrait traumatiser les tortionnaires, et de plus que les boucs émissaires et souffre-douleurs « n’étaient que des masochistes qui recherchaient inconsciemment les coups ».


                • Désintox Désintox 6 mai 2020 23:46

                  Article intéressant.

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