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La France d’après : dépasser Paris ?

 

L'épidémie de coronavirus, spectaculaire, suscite de tous côtés l’espoir d’un autre monde. Ce monde rêvé n’est pas le même au travers des diverses franges de la population française, et les antagonismes d’hier ne font que s’exacerber. Un symbole est au cœur des relations entre élites et peuple : le vieux clivage Paris - province

 

Le monde d’après : un antagonisme exacerbé

L’expression « le monde d’après », qui fleurit dans les médias et sur les réseaux sociaux depuis le début du confinement, implique que le « monde d’avant » soit remis en cause. Avec les mesures sanitaires c’est effectivement toute une politique qui est battue en brèche : fermeture des frontières, relocalisation des productions, État-providence… le démenti est d’autant plus cinglant qu’il conforte les « populistes » dans leurs thèses. Il faut peut-être rappeler la phrase de Gustave Le Bon : « Les révolutions qui commencent sont en réalité des croyances qui finissent. »1

Cet antagonisme mondialistes/populistes n’est certes pas nouveau ; on le pensait atteindre son paroxysme avec l’élection de M. Macron, père de la Start-up nation. Le mouvement social contre la réforme des retraites et les Gilets jaunes en étaient l’expression. Ces derniers, déjà relativement nombreux, sont plus sensibles que le reste de la population aux questions de pouvoir d’achat, et moins préoccupés par la dette ou l’environnement2. Le confinement pourrait ainsi grossir leurs rangs : l’OFCE prévoit 500 000 chômeurs de plus en raison du Covid3, tandis que les mesures prises par la BCE (à hauteur de 750 milliards4) laissent présager une forte inflation. Entre le choc économique et sa gestion de la crise, très mal perçue, on ne saurait donc trop conseiller à M. Macron de marcher sur des œufs : la dynamique est à l’avantage de ses détracteurs...

Celui-ci — pourtant au-dessus de tout soupçon de velléité populiste — a semblé infléchir sa politique lorsqu’il remarquait en mars que l’État-providence est un « bien précieux », ou encore que certains biens et services « doivent être placés en dehors des lois du marché »5. Hélas, loin de sanctuariser la Santé, les plans d’attrition des hôpitaux sont suspendus sans pour autant être annulés, comme révélé par l’ex-directeur de l’ARS Grand Est6. Autre symptôme, quand le ministre Le Maire dégage 7 milliards d’euros d’argent public pour sauver le fleuron Air France, il refuse la nationalisation — à laquelle s’opposait son PDG, le canadien Ben Smith7 — mais pose des conditions d’efficacité… écologique8 ! Les éléments de langage n’engagent que ceux qui y croient…

C’est M. Attali qui nous éclaire sur les intentions profondes des élites. Dans un article publié en mars, il estime qu’après le Covid « les secteurs économiques dominants seront (...) ceux de l’empathie : la santé, l’hospitalité, l’alimentation, l’éducation, l’écologie »9 ; ou comment définir la fracture sociale autour de la capacité, lui faisant manifestement défaut, à envisager une activité comme non lucrative… Autant dire que l’horizon idéologique est bouché, tant les aspirations populistes renforcées par le virus n’entament visiblement pas l’appétit néolibéral des classes supérieures.

 

La fracture et le territoire

Le clivage que nous décrivons s’inscrit dans le contexte d’archipélisation de la société française, qui voit s’opposer les habitants des centres gentrifiés des métropoles aux classes populaires, rejetées en périphérie10. Paris, en tant que capitale économique, représente le paroxysme des grandes villes en matière d’opinion, qu’il s’agisse du vote ( majoritairement LREM et EELV11 ), ou de sympathie relative à l’égard des mouvements sociaux12 et des Gilets jaunes13.

Ce qui distingue toutefois la capitale des autres métropoles est un sentiment anti-parisien tellement enraciné qu’il est passé dans la culture. En témoigne l’expression populaire « Parisiens têtes de chiens, parigots têtes de veau... », réplique provinciale à une cité macrocéphale, voire hautaine. Autre exemple, en 2017, l’ouverture de la ligne à grande vitesse (LGV) sur l’itinéraire entre Bordeaux et Paris a entraîné une volée de bois vert contre les « envahisseurs » parisiens14. Plus récemment encore, ce sont les personnes rejoignant leur résidence secondaire à l’occasion du confinement qui suscitent la polémique.

Si depuis peu le cœur de l’opposition politique semble être dispersé sur les ronds-points de province, il n’en a pas toujours été le cas. À la Révolution, c’est le peuple de Paris qui est en première ligne, comme le décrit l’historien Bainville : « Le système [révolutionnaire] consistait à dominer la Commune de Paris, à s’en emparer, à tenir les parties turbulentes de la capitale dans une exaltation continuelle (...)15 » En 2020, après des décennies de gentrification ( par ailleurs source de la colère des classes populaires ) Paris n’est toujours pas épargnée par les turbulences sociales, mais il s’agit désormais de l’expression politique… des provinciaux.

 

Dépasser Paris : un symbole pour un changement d’équilibre

La fracture Paris/province est à la fois ancienne et alimentée par les problématiques sociales modernes ; avec l’épidémie, l’antagonisme ne fait que se renforcer. Difficile d’imaginer qu’un jour Paris ne soit plus la capitale économique ; en revanche, on peut imaginer un changement de capitale politique, comme cela a été le cas en Indonésie, au Brésil, en Allemagne…

Déplacer la capitale politique hors d’Île de France serait d’abord un signal éminemment populiste. Le transfert du pouvoir politique en province en permettrait une réappropriation symbolique par la « France périphérique », et sa séparation physique des élites économiques et intellectuelles pourrait renforcer la confiance envers les gouvernants. Toutefois, cet éloignement géographique pourrait être perçu comme un affaiblissement du pouvoir, et favoriser les fédéralismes, voire les indépendantismes, dans les zones où ils sont traditionnellement bien implantés.

Ensuite, une pareille révolution de décentralisation changerait la direction économique du pays. Déjà par un rééquilibrage démographique, qui soulagerait l’Île-de-France et dynamiserait le ou les territoires accueillant les institutions. Et par un contrepoids à l’influence de Paris dans les projets d’infrastructures, à l’instar des lignes à grande vitesse qui desservent très bien celle-ci mais restent quasi-inexistantes dans des régions comme le Sud-Ouest16.

Enfin, à l’heure où l’idée d’un « couple franco-allemand » paraît de plus en plus ridicule17, une relocalisation du pouvoir dans la moitié sud de la France faciliterait un rapprochement des quelques pays d’Europe avec lesquels nous partageons désormais une communauté de destins. Ce sont surtout l’Italie et l’Espagne, pays du sud de l’Europe, de culture latine, durement touchés par l’épidémie, qui peuvent faire bloc avec la France18. En Allemagne, le transfert de la capitale de Bonn à Berlin en 1990 préparait ainsi l’élargissement de l’UE à l’est et accrut son influence19.

 

Ainsi, bien que le « monde d’après » constitue un espoir pour tous, cet espoir est très différent pour chaque catégorie sociale. Les tensions déjà importantes avant l’épidémie ne feront que se renforcer après la crise ; dans ce contexte la ville de Paris est hautement symbolique. La pression populiste, qui semble vouée à s’intensifier, pourrait influencer la destinée de ce symbole, dans un effort de rééquilibrage économique et surtout politique en faveur de la province.

 

Sources :

  1. Gustave Le Bon, Psychologie des foules, p.130
  2. Baromètre ELABE / Institut Montaigne 2019 
  3. Observatoire Français des Conjonctures Économiques
  4. https://www.latribune.fr/economie/international/750-milliards-d-euros-la-bce-corrige-le-tir-et-sort-l-artillerie-lourde-842654.html
  5. https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2020/03/12/adresse-aux-francais
  6. M. Lannelongue, depuis limogé face au tollé (Nouvel Obs) ; d’autres menaces de suppression dans le Cotentin et près de Lyon.
  7. https://www.pnc-contact.com/2020/04/15/air-france-pas-de-nationalisation
  8. https://twitter.com/BrunoLeMaire/status/1253756394420961289
  9. http://www.attali.com/societe/que-naitra-t-il/
  10. https://fr.wikipedia.org/wiki/La_France_p%C3%A9riph%C3%A9rique
  11. Sondage IFOP Européennes 2019 
  12. Sondage BVA septembre 2019 
  13. Sondage Elabe novembre 2019
  14. https://www.liberation.fr/france/2017/10/25/a-bordeaux-une-campagne-contre-les-parisiens-prend-de-l-ampleur_1605542
  15. Jacques Bainville, Histoire de France, p.325
  16. Réseau ferré en 2018 ; à l’exception de la Rhin-Rhône, isolée, les LGV sont toutes des radiales parisiennes.
  17. La cour constitutionnelle allemande retoque le programme de rachat d’actifs de la BCE, confirmant s’il y avait encore un doute qu’ils ne veulent décidément pas payer… https://www.lesechos.fr/finance-marches/marches-financiers/la-cour-constitutionnelle-allemande-lance-un-ultimatum-a-la-bce-1200519
  18. Entretien avec Alexandre Adler 
  19. McBride et Park, After the wall ( en anglais sur le site du CFR)

 


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14 réactions à cet article    


  • devphil30 devphil30 6 mai 2020 18:31

    Fatigué d’entendre que le monde d’après sera plus comme celui d’avant.

    Le retour à la normalité n’est pas pour demain

    etc .....

    Soit ils ont quelque chose à mettre en place dans le domaine du liberticide soit ils parlent pour ne rien dire alors autant ne rien dire et ne pas parler.


    • François Vesin François Vesin 6 mai 2020 18:36

       « La pression populiste, qui semble vouée à s’intensifier, pourrait influencer la destinée de ce symbole, dans un effort de rééquilibrage économique et surtout politique en faveur de la province. »

      .

      « La pression populiste » c’est la terminologie macronienne

      pour parler des gens, de cette populace qui l’encombre et

      à laquelle il dénie tout autre droit que celui de se taire !

      La pression du Peuple c’est celle de nos concitoyens qui

      en tous lieux du territoire français ne supportent plus ni

      que la « tête » de la France soit Paris, ni qu’à la tête de la

      France ce soit Macron qui les entraîne dans sa chute !!

      Le jacobinisme totalitaire a vécu, Macron sera déchu.



      • Florian LeBaroudeur Florian LeBaroudeur 6 mai 2020 18:54

        Toutes les grandes villes de France qui pourraient se porter candidate sont toutes devenues les chasses gardés de la bourgeoisie, seul Marseille a conservé une population à dominante populaire. 


        • titi titi 6 mai 2020 22:20

          @L’auteur

          « Ensuite, une pareille révolution de décentralisation changerait la direction économique du pays. »

          On voit très bien avec le déconfinement, que les élus locaux sont pour la décentralisation, quand il s’agit d’encaisser les dotations de fonctionnement, mais qu’ils sont contre quand il s’agit d’endosser des responsabilités.


          Du coup la question inverse se pose : puisque les maires ne veulent endosser aucune responsabilité, à quoi servent ils ? Ne pourraient ils pas être avantageusement remplacé par le cabinet du préfet ?



          • gaijin gaijin 7 mai 2020 07:27

            dépasser paris ?

            ça n’est pas la question la question c’est l’incapacité des technocrates a gérer le réel, qui engendre la cacophonie ubuesque et la dérive sécuritaire actuelle .........


            • chantecler chantecler 7 mai 2020 07:37

              @gaijin
              Mais les technocrates gèrent parfaitement leur réel , leurs intérêts ....


            • gaijin gaijin 7 mai 2020 07:53

              @chantecler
              « gèrent parfaitement leur réel , leurs intérêts ... »
              même pas
              un regard sur la france d’après :
              https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/depuis-cinq-jours-c-est-la-douche-froide-les-soignants-redoutent-un-retour-en-arriere-a-l-hopital-public-apres-l-epidemie-de-coronavirus_3951467.html
              « les patients atteints du Covid-19 sont partis de mon bâtiment, et on a de nouveau des tableaux Excel, pousuit la diabétologue. On calcule notre activité sur mars-avril et, comme on n’est pas du tout comme d’habitude, on nous pointe qu’on est en négatif. »
              cette fois on ne faisait pas face a un vrai problème mais demain ?
              ils vont se retrouver a la morgue comme les autres .....et avec ceux qui ne sont rien ...


            • Trelawney 7 mai 2020 07:36

              Autant dire que l’horizon idéologique est bouché, tant les aspirations populistes renforcées par le virus n’entament visiblement pas l’appétit néolibéral des classes supérieures.

              Il n’y a aucune aspiration populiste comme il n’y a aucun appetit néolibéral. Les personnes qui sont au bout de l’entonnoir et qui récupèrent les bénéfices de ce « néolibéralisme » se sont placé là, car il fallait être là et elles se gavent car elles ne contrôlent pas le flux qui arrive.

              Exemple : lorsque quelques familles observant comment vivaient les petits commerçants de proximité, ont installé des super et hyper en périphérie avec de la marchandise pas cher à profusion, elles n’ont pas mis un pistolet sur la tempe du consommateur pour les faire rentrer. Ces personnes étaient trop contente de lancer leur argent dans cet entonnoir. Lorsque dans les années 60 on a incité les salariés à prendre un compte en banque, ce dernier était trop content de se voir accorder un petit crédit et toujours de jeter son argent dans cet entonnoir, pour s’acheter sa première simca dauphine et partir en vacances avec (il ira accessoirement nettoyer les voitures dans le garages (second boulot) pour payer le crédit). Le néolibéral n’a rien fait d’autre qu’exacerber les désirs du consommateur.

              Le monde d’après :

              Toyota peut ouvrir à Valenciennes, car dans la même usine il fabrique la carrosserie, le moteur et la boite de vitesse. Renault Douai ne le peut pas car le moteur vient de Turquie et la boite de vitesse de Chine. Je suis certain que dans peu de temps Douai fabriquera les boites de vitesses et les moteurs (comme avant). Ou alors Douai sera condamné à disparaitre.

              Le télétravail a mis 3 semaines à s’organiser. Les entreprises du CAC40 travaillent à ce que 30% de leur personnel (et pas toujours les même) soit en télétravail. Moins de transports, des bureaux moins volumineux, moins de cantines et moins d’activité autour des bassins d’emplois. Et aussi et surtout moins de déplacement (avion TGV ou autre).

              Les consommateurs commencent à trouver agréable de se faire livrer de produits commandés sur internet accélérant ainsi le déclin des surfaces commerciales en périphérie. Idem pour la restauration, mais aussi et surtout le cinéma où le téléchargement va dépasser le visionnage en salle.

              Ce monde d’après arrive tranquillement sans qu’il soit voulu ou prémédité et surtout sans que personne et même pas un politique ait fait force de proposition


              • chantecler chantecler 7 mai 2020 07:39

                @Trelawney
                Ben oui !
                Suffisait de généraliser le confinement, faute de détecter et de se mettre d’accord sur un traitement .


              • Trelawney 7 mai 2020 10:20

                @chantecler
                On ne réfléchit jamais à une stratégie. On s’adapte face aux faits et on trouve des échappatoires pour se facilité la vie de tous les jours


              • dimitrius 7 mai 2020 09:19

                Très bonne idée de délocaliser la capitale , vue l’histoire de France , je propose Vichy , çà nous rappellera de bons souvenirs , il n’y a plus qu’à donner le titre de maréchal à Emanuel .

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