Procureurs : indépendance et états d’âme
Procureurs : indépendance et états d’âme.
L’idée de la séparation des pouvoirs est une astuce qui a été trouvée pour justifier que le roi perdrait ses compétences, qui étaient celles d’un propriétaire foncier. Qui décidait de ce qui devait se passer sur ses terres et qui veillait directement ou par l’intermédiaire de ses employés spécialisés (les juges, les bourreaux et la soldatesque) à ce que cette propriété soit respectée par ceux qui s’y trouvaient.
Mais quand on a séparé les pouvoirs, chacun des démembrements du pouvoir a continué à faire partie du même ensemble :
- le pouvoir législatif fait la loi en votant des textes, - le pouvoir exécutif en organise l’exécution (après d’ailleurs avoir suggéré le contenu de ce qui était soumis au vote) , et - les juges sanctionnent le non respect de la loi.
A partir de cet état de fait se greffent différentes questions qui concernent l’exercice du métier de juge.
1. Celle de l’application de la loi. Il faut que les juges fassent leur travail ( trancher les questions qui leur sont soumises en se servant de ce que la loi a prévu ) . Et il faut qu’ils le fassent de la même manière à Lille et à Bordeaux. Ce qui suppose qu’il existe un système de contrôle et de coordination de leurs jurisprudences.
C’est
- soit le pouvoir exécutif qui donne des directives en ce sens ( pour les lois répressives, « la politique pénale »),
- soit la / les cour (s) suprême (s) par la voie de la cassation.
2. Celle de la possibilité pour le juge de décider ( ou non) que la norme arrêtée par les décideurs ne s’appliquera pas. Pour telle ou telle raison que le juge fabrique (« violation » de tel principe, « violation » par une autre, de telle règle écrite …)
C’est ainsi que se développa, à partir de la loi des 7-10 octobre 1790, un recours, que l’on appela ultérieurement « pour excès de pouvoir(s) ». Qui permit aux citoyens de faire déclarer qu’une décision (dite « administrative ») prise par un agent faisant partie du pouvoir exécutif national ou par les organismes déconcentrés ou décentralisés, était illégale et même de l’annuler.
C’est ainsi que l’application des actes du pouvoir législatif put être également, mais plus tardivement et moins largement, paralysée par des décisions des juges. Avec le dernier complément de l’inutilement lourde « QPC » introduite dans la constitution.
3. Celle de l’attitude des juges dans leur environnement. Par rapport à leur « hiérarchie » et par rapport à leurs copains à l’occasion de l’examen d’un dossier.
Il est admis par les juges du siège d’un tribunal de premier ressort, que leur décision serait revue par leurs collègues d’une cour d’appel ou de la juridiction de cassation.
On commence à contester qu’il puisse en aller de même avec les magistrats du parquet, sous la forme du jeu du pouvoir hiérarchique. Membres du parquet dont certains ont des états d’âme lorsqu’ils rendent compte ou reçoivent des instructions ou des demandes d’information de leur hiérarchie. Hiérarchie qui est elle-même soumise à l’autorité du ministre de la justice, qui est lui même tenu de rendre politiquement des comptes de l’application de la loi.
Il n’est pas admis que les juges fassent plaisir à leurs copains. Par exemple en utilisant les ressources des règles de procédure pour couler un dossier ou en utilisant leur pouvoir de décision, pour donner au copain ce que ce dernier voulait recevoir.
Mais cela se fait.
Le copinage avec les politiques peut avoir des effets (bénéfiques) sur le déroulement de la carrière. Le copinage avec d’autres, peut permettre simplement d’entretenir des relations mondaines (voire fraternelles) entre gens du même monde ou du même secteur d’activités.
Cela existe.
On ne saurait avoir des idées définitives sur la manière de régler ces questions. Car, quelle que soit le contenu des règles, les juges étant des êtres humains, certains d’entre eux ne pourront pas s’empêcher d’être bêtes, lâches, courtisans ou soucieux du bon déroulement de leur carrière. Tandis que d’autres feront en sorte d’essayer d’imposer aux décideurs du gouvernement ou du parlement, , un peu comme les parlements d’Ancien régime, leurs vues, leur idéologie (y compris économique) ou divers intérêts.
Et au lieu d’imaginer le système « idéal » et définitif, on serait bien inspiré de partir des travers observés chez les juges, de trouver la manière de priver d’effets au moins certains de ces travers.
Travers, dont l’exploitation par des gens extérieurs à la sphère juridictionnelle, engendre le doute sur le point de savoir si l’on peut « avoir confiance dans le justice de son pays ».
Car si des ministres essaient d’influencer le cours de la justice, c’est qu’ils savent qu’ils trouveront des juges disposés à y prêter la main.
D’un autre côté, si les juges savent qu’on les laissera faire, ils peuvent indirectement dicter au pouvoir législatif ce que ce dernier sera désormais autoriser à voter.
Sans aller jusqu’au fond des choses et sans couvrir tous les aspects de la question, on peut réfléchir à deux réformes. Protégeant les juges de certaines tentations.
A.
Réforme pour le parquet.
Le problème du parquet c’est que d’un côté il représente la société et est doté de prérogatives pour faire respecter le droit élaboré (théoriquement) à ces fins par les politiques. Mais que d’un autre côté, ses membres font partie d’un ensemble hiérarchique, dont la tête est un politicien de passage dans les fonctions de garde des sceaux dont les préoccupations obéissent à une logique différente.
On peut penser à supprimer le parquet, au moins tel qu’il est.
Le ministre ( et / ou ce qu’il incarne) pourrait être représenté devant les tribunaux par des fonctionnaires (ou des avocats dans la logique de l’ « externalisation ») qui porteraient ouvertement la parole de ce personnage politique. D’autant plus facilement que la parole du ministre s’accorderait avec l’intérêt général.
Les fonctions des parquetiers pourraient être distribués aux magistrats qui existent : magistrats chargés de l’instruction des dossiers ; conseillers rapporteurs / rapporteurs publics.
B.
Réforme pour les juges (magistrats du siège, membres des juridictions administratives) :
On peut envisager de couper les liens entre ceux qui jugent et ceux qui décident : - Suppression des allers - retours entre la fonction de juge et les fonctions politico administratives. - Suppression des magistrats à la chancellerie. - Suppression des membres du Conseil d’Etat dans les cabinets ministériels ou dans des postes hors juridiction.
Ce ne sont pas les juristes de bonne qualité qui manquent pour occuper ces fonctions.
Et il n’est pas invraisemblable que dans le métier de juge, comme dans beaucoup d’autres, les personnes fassent carrière dans la même profession.
Marcel-M. MONIN
m. de conf. hon. des universités.
5 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON