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Accueil du site > Culture & Loisirs > L’été léger > Poussez pas, on n’est pas des bœufs !

Poussez pas, on n’est pas des bœufs !

Moins bien que ça encore…

 

En ce temps-là, les bœufs allaient à la queue-leu-leu vers leur triste sort. Prenant leurs jambes à leurs cornes, ils suivaient une voie toute tracée de croix et de repères qui les menait alors vers l’abattoir. La viande était nerveuse, la bête avait beaucoup marché pour arriver dans une assiette parisienne.

Quelques bouviers assuraient le convoyage. Les bestiaux en cette lointaine époque ne prenaient ni la route ni le rail pour se rendre à leur destinée bouchère. Du Limousin ou de l’Auvergne, des bandes de bêtes allaient sur les chemins, effectuant ainsi une transhumance à voyage unique. Sur leur passage, c’était la fête, une distraction qui sortait de l’ordinaire d’un quotidien fait bien plus de labeur que de loisirs.

Dans notre Val, deux franchissements possibles pour la Loire. Meung-sur-Loire avec son pont de pierre et Sully avec son bac à bœufs. Clermont-Ferrand, Montluçon, Bourges, Sully, la ligne directe se poursuivait jusqu’à Paris. Le nord pour unique repère, les bêtes à cornes n’avaient pas à se poser de question tandis que le GPS n’était pas encore à leur disposition. Limoges, Châteauroux, Meung, l’autre circuit suivait pareillement l’étoile polaire d’un berger qui avait troqué ses moutons pour des bovins.

C’est vers Sully-sur-Loire que nous poussent nos pas en cette année 1769. Nous sommes en janvier, les bœufs ne sont pas frileux. Ils marchent d’un bon pas aidés en cela par quatre sabots convenablement ferrés pour le voyage, l’ancêtre du chemin de fer sur des pavés disjoints. Libérés des tâches domestiques, les braves bêtes avancent insouciantes vers leur tragique destin. Sur la route, les foules se pressent, c’est grand spectacle qu’un tel convoi qui passe de temps à autre.

Arrivés à Sully, il faut emprunter la charrière, le passe-cheval qui habituellement ne transporte qu’au printemps des troupeaux qui iront paître sur les îles pour les entretenir. Le passeur est homme habile, il connaît son métier. C’est avec une extrême prudence que les animaux sont chargés, rassurés, attachés avant que de traverser dans un courant assez puissant en ce mois hivernal. Les bouviers sont là à tour de rôle pour que tout se passe bien.

Les différentes navettes se déroulent sans encombre. L’habileté du passeur, l’influence des gardiens et la docilité des animaux se marient à merveille pour que tout se passe sans anicroche. Le troupeau, regroupé poursuit son chemin vers une des quatre boucheries de la Capitale établies par ordonnance d’août 1416 du roi Charles VI ; à savoir au marché Saint-Jean, au Petit-Pont près du Châtelet, Au Grand Châtelet et enfin autour du cimetière Saint-Gervais. C’est sans doute parce que les braves bêtes allaient vers cette destination que la suite de l’aventure sera glaçante.

 

Quelques jours plus tard, le 17 janvier, la Loire charrie glaçons et objets divers à la dérive. Le courant a forci depuis le passage des bœufs quand une troupe fort avinée d’une cinquantaine de jeunes gens se présente devant le passeur. Les joyeux drilles beuglent comme des veaux, ce qui les incitent sans doute à une bravade dont ils auront à se repentir chèrement, devant l’homme qui fait traverser en l’absence du pont romain qui a rendu l’âme lors de la Saint-Martin de 1363.

Les hardis soiffards exigent de monter tous ensemble, de ne faire qu’un voyage, non pour faire des économies mais en prétextant que si les animaux avaient trouvé place, des ânes de leur espèce passeraient aisément. Le passeur devant la promesse d’une bourse bien rempli ne se fit pas tirer l’oreille, il acquiesça en demandant cependant à ces bruyant clients de se tenir coi quand ils seront sur l’eau. Il dut même tasser un peu sa troupe pour que les derniers passagers trouvent place. C’est ce jour-là qu’un de ceux-là déclara une phrase qui restera en usage « Poussez-pas, on n’est pas des bœufs ! » C’est un témoin resté sur le bord qui rapportera ultérieurement cette anecdote.

La traversée s’annonce plus périlleuse que n’y avait songé le passeur. Certains, de trop voir d’eau sans doute, de peur plus sûrement se penchent sur la bordée pour vider les excédents qui encombrent un estomac tourmenté par trop de libations. C’est soudain la catastrophe, le grand bateau penche vers l’amont, se remplit d’eau et en moins de temps qu’il n’en faut pour le raconter, chavire dans une eau glacée et intrépide.

Ce fut un véritable carnage. L’état des noceurs, la force du courant, la température de l’eau se conjuguèrent pour provoquer en ce jour de sinistre mémoire une véritable boucherie. C’est par un curieux clin d’œil du destin que ce même jour, à ce même instant, les bœufs passés quelques jours plus tôt ici, succombaient sous la masse du tueur avant d’être égorgés.

De cette tragédie, selon les rares témoins, seul le passeur sut se tirer de ce mauvais pas. Il disparut cependant sans jamais laisser d’adresse, désireux sans nul doute d'échapper à toute poursuite pénale pour un drame qui fit cinquante victimes. Est-ce qu’il revint au bord avec la fameuse bourse qui avait fait pencher la balance en faveur de cette folie ou bien avait-elle coulé par le fond pour accroître sa punition. Personne n’en saura jamais rien ?

Toujours est-il qu’on garda longtemps en mémoire dans le Sullias cette tragédie qui venait s’ajouter à celle du 3 novembre 1551 qui avait fait autant de victimes. Quand le 4 avril 1975 dans la pente de Laffrey à Vizille, un car d’une compagnie locale transportant des pèlerins de Sully-sur-Loire pour un voyage célébrant la Pâques plongea dans un ravin, on releva 30 cadavres et 14 blessés graves. Cette fois, la Loire n’y était pour rien et c’est une défaillance technique du système de frein qui en fut la cause. Il est à espérer qu’ainsi s’achève la liste des tragédies liées au transport en cette bonne cité ligérienne.

Mémoriellement leur.

 


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8 réactions à cet article    


  • Clocel Clocel 23 juillet 2020 11:10

    Pensez à commettre un conte végan de temps en temps, z’allez finir par vous faire chopper par la patrouille sinon !? smiley

    La masse du boucher est un merlin.


    • C'est Nabum C’est Nabum 23 juillet 2020 11:45

      @Clocel

      Jusqu’à s’en mordre les doigts.
      Une histoire qui vous laissera sur votre faim.

       Il était un curieux personnage qui avait décidé de vouer un amour fou à tous les animaux de la création. On ne peut naturellement pas reprocher pareil penchant, il est dans la nature des humains de se savoir partie prenante de la création au même titre que toutes les autres espèces. Une telle attitude aurait sans doute évité la grande catastrophe qui se profile à l’horizon sans que monsieur Trump n’en sache rien.

       Végan, car c’était son nom avait renoncé à manger de la chair animale. Se faire végétarien est certainement une réponse adaptée au dérèglement climatique, l’abus d’alimentation carnée étant responsable de bien des maux sur cette planète. En cela, nous ne pouvons pas lui donner tort. Mais chez les individus, il y a souvent une incroyable propension à pousser le bouchon toujours plus loin. Végan étant en ce domaine, un virtuose de l’exagération.

       Il refusait mordicus, tout produit issu de l’animal que ce soit pour s’alimenter comme pour se vêtir. Inutile d’aller lui manger la laine sur le dos, vous n’en auriez pas trouvé. Il préférait se couvrir de synthétique tout autant que de ridicule, grand bien lui fasse ! Point n’était question de marcher sur des œufs lorsque vous vouliez débattre avec lui, l’intransigeance était dans son camp et la discussion tournait à la foire d’empoigne.

       Végan, en bon idéologue qu’il était, souhaitait plier la Terre entière à sa croyance. Il multipliait les coups de main, déchirant les filets des pêcheurs, brisant les enclos des éleveurs, insultant les chasseurs et couvrant d’avanie les buveurs de lait. Personne n’échappait à son courroux, sa fureur n’avait d’égale que son incompréhension des souffrances du monde végétal.

       La fréquentation de ce curieux personnage devenait strictement impossible. Il avait fermé toutes les portes autour de lui, tournant le dos à des amis pourtant chers autrefois, sous prétexte qu’ils portaient encore des chaussures en cuir et mangeaient des œufs issus des poules qu’ils élevaient chez eux pour réduire leurs déchets quotidiens. Même les bonnes solutions ne trouvaient pas grâce à ses yeux.

       Tout bascula quand la pénurie alimentaire toucha la Planète. Si la viande était devenue rare, les produits comme le lait, les œufs, les fromages assuraient un bon équilibre tout autant d’ailleurs que les végétaux qui demeuraient encore en abondance. Mais un jour, un nouveau courant de pensée évoqua le cri de la carotte qu’on arrache à sa terre natale. Végan fut bouleversé, il se jura de ne plus manger le moindre légume pas plus que les fruits de nos arbres, du moins ceux qui restaient encore productifs depuis la disparition totale des abeilles.

       Végan ne mangeaient que des produits artificiels, des aliments tout autant de synthèse que les vêtements qu’il portait. Son exécration des petits éleveurs l’avait conduit à honorer sans réserve les monstres de l’industrie chimique. Tout n’est jamais cohérent de par ce monde, il en administrait la preuve à ses dépens.

       Une grève mondiale, un jour bloqua durablement la production de produits de synthèse. Végan s’en trouva fort affecté. Il avait depuis quelques jours l’estomac dans les talons, refusant obstinément de faire une entorse à sa ligne de conduite. Il allait s’en morde les doigts, il ne croyait pas si bien dire. Enfant il avait appris une poésie, de Xavier Forneret, un pauvre honteux. Le texte tournait en boucle dans sa tête, devenait, par la faim qui le tenaillait, une véritable obsession. À bout de force, à bout d’espoir, il appliqua à la lettre le précepte.

       Depuis Végan est certes manchot mais survit dans ce monde effroyable en étant devenu anthropophage. C’est ainsi que lorsqu’on plonge sans modération dans une doctrine, on peut finir par s’en mordre les doigts et plus encore. Nous l’avions pourtant mis en garde, mais le garçon ne voulait rien entendre. Cette histoire vous laissera peut-être sur votre faim. Dans pareil cas, suivez donc le conseil du poème ...

       Carnivorement vôtre.


    • caillou14 rita 23 juillet 2020 11:20

      Les boeufs et les percherons sont l’agriculture de nos ancêtres pour nourrir la France, c’était avant l’ere de la modernité et des produits toxiques pour faire pousser les produits ?


      • C'est Nabum C’est Nabum 23 juillet 2020 11:45

        @rita

        Exactement
        Merci


      • babelouest babelouest 23 juillet 2020 11:41

        La traversée de canaux et autres, par des animaux divers... voilà qui rappelle ma jeunesse, quand beaucoup de prés n’étaient accessibles dans mon coin que par bateau.

        Ce genre de moyen de locomotion existe encore un peu, mais il s’est modernisé !

        https://www.blog-marais-poitevin.fr/transhumance-vaches-bateau/


        • C'est Nabum C’est Nabum 23 juillet 2020 11:46

          @babelouest

          Modernité polluante en effet


        • juluch juluch 23 juillet 2020 11:43

          ce genre d’accident devait être assez fréquent...

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