Stepanakert : le dernier rempart de la civilisation face à la barbarie
Tout d’abord, je souhaite commencer ce papier en recourant à l’histoire tourmentée de l’Occident et de l’Orient proche : Par deux fois dans le passé, en 1529 et en 1683, les armées ottomanes ont assiégé Vienne. L’expansion de l’Empire ottoman s’est arrêtée à Vienne qui, les deux fois a résisté héroïquement aux armées ottomanes, pourtant plus nombreuses.
Ces deux faits ont marqué notre histoire car, si Vienne tombait…
Le siège de Vienne de 1529 est l'un des épisodes les plus marquants des guerres entre l’Empire ottoman et le Saint Empire. Il représente l’avance extrême à l’ouest des campagnes militaires ottomanes en Europe, et peut être considéré comme celui qui a finalement marqué l’arrêt de l’avancée des forces ottomanes, malgré leur conquête de parties de la Hongrie[1].
Le sultan Soliman I avait lancé une expansion de son empire : en 1521, il prit Belgrade, en 1522, il s'empara de Rhodes, tenu par l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem, en 1526 il prit Buda et la majeure partie de la Hongrie, en 1527, il prit aux Vénitiens la Bosnie, la Croatie, la Slavonie et la Dalmatie.
Restait alors l’ennemie Saint-Empire. Au printemps de 1529, Soliman mobilisa une armée d’au moins 100 000 hommes et 500 pièces d’artillerie. Il y avait au moins 20 000 janissaires parmi les soldats ottomans. Les défenseurs de Vienne étaient environ 25 000 ; la ville résista et remporta la bataille.
Le second siège de Vienne par l’Empire ottoman eut lieu du 14 juillet au 12 septembre 1683. Le 12 septembre 1683, après deux mois de siège, les Turcs échouent à s'emparer de la ville. C'est la deuxième (et dernière fois) que Vienne affronta un siège turc.
Aujourd’hui, les Azéris attaquent l’Artsakh, territoire arménien depuis des millénaires, sous prétexte que Staline l’avait arbitrairement attribué administrativement à l’Azerbaïdjan en 1920.
Trente ans après le conflit entre l’Azerbaïdjan et l’Artsakh, à la chute de l’Union soviétique, deux situations spécifiques ont conduit de nouveau à l’agression azérie :
1. Le pouvoir héréditaire en place à Bakou depuis la chute de l’Union soviétique (Ilham Aliyev ayant succédé à son père Heydar), connait des difficultés économiques importantes. La chute vertigineuse des prix du pétrole et du gaz à cause de la pandémie du covid-19, tarissent les revenus de l’État et font apparaitre, une fois de plus (une fois de trop ?) la corruption qui est la règle dans ce pays. En effet, la manne du pétrole et du gaz profite à une poignée de personnes du cercle présidentiel restreint.
La vieille pratique, toujours en vigueur, est alors appliquée : détourner l’attention du peuple et attiser son nationalisme par une attaque « patriotique », contre l’ennemie « héréditaire ».
C’est ce que fait Aliyev.
2. Parallèlement, le président turc Recep Tayyip Erdogan, est arrivé au paroxysme de ses velléités expansionnistes.
Si j’ai cité plus haut dans ce papier les deux sièges de Vienne, c’est pour montrer le parallèle avec la situation d’aujourd’hui. Le président turc, qui se rêve en sultan et calife, n’est pas avare en déclarations et actes expansionnistes et islamistes :
Recep Tayyip Erdogan déclare que :
a) Le Traité de Lausanne[2] est caduc et réclame des droits dans l’espace grec.
b) Les Balkans sont arrière court de la Turquie et occupe petit à petit le terrain, afin de ramener cette région dans le giron turc.
c) Chypre appartient à l’espace vital de la Turquie.
d) La Libye faisait partie de l’Empire ottoman et que la Turquie a versé du sang pour cette terre et par conséquent elle y a des droits légitimes.
e) Mossoul et Kirkuk ont été des sandjaks de l’Empire ottoman, donc la Turquie peut y être légitimement.
f) Jérusalem appartient à la Turquie.
(…)
La liste est longue et non exhaustive, mais je ne vais pas la poursuivre ; tout le monde a compris l’idéologie néo-ottomane expansionniste qui se cache derrière ces positions turques…
Alors, que cherche Erdogan dans le Caucase en apportant son soutien militaire et politique à l’Azerbaïdjan ?
La réponse est facile : affirmer la puissance de son pays et faire sauter le verrou arménien qui se trouve sur son chemin vers la jonction des territoires turcs et azéris !
C’est pourquoi, malgré les appels de la communauté internationale à la retenue, azéris et turcs sont montés au créneau menaçant tous azimuts. La Turquie a pris fait et cause pour l’Azerbaïdjan, faisant craindre une déstabilisation du Caucase.
Cependant, en observant bien la réaction effective de la communauté internationale on peut être déçu et désemparé devant une telle « désinvolture ».
Dans mon précédent papier sur le site, je citais la fameuse décision du Conseil européen du 2 octobre 2020 sur l’Artsakh. Je me permets de la rapporter encore, car elle est inénarrable : « Le Conseil européen appelle à une cessation immédiate des hostilités et demande instamment aux parties de s'engager à nouveau en faveur d'un cessez-le-feu durable et du règlement pacifique du conflit. Les pertes de vies humaines et le tribut payé par la population civile sont inacceptables. Il ne saurait y avoir de solution militaire au conflit ni d'ingérence extérieure. L'Azerbaïdjan et l'Arménie devraient entamer des négociations de fond, sans conditions préalables. Le Conseil européen exprime son soutien aux coprésidents du groupe de Minsk de l'OSCE et demande au haut représentant d'examiner d'autres mesures d'appui de l'UE au processus de règlement. » Je suis certain que quand les Turcs et les Azéris ont pris connaissance de cette décision, ils ont pris leurs jambes à leur cou et sont partis en courant !
La Turquie, devant la faiblesse des réactions internationales, se croit tout permis. C’est elle qui est maintenant derrière les agissements de l’Azerbaïdjan et cela risque de devenir encore plus dangereux et déstabilisateur, car le rêve expansionniste de Recep Tayyip Erdogan est au moins, équivalent à celui de son prédécesseur Soliman, que le président turc cite volontiers comme exemple et idole !
L’Artsakh est le dernier verrou de la civilisation contre la barbarie ; en laissant faire les azéro-turcs dans cette région si particulière, on risque de laisser se recréer un empire agressif, nationaliste et islamiste qui constituerait un péril mondial et pas seulement un danger pour les Arméniens, qui risquent, rappelons-le de subir un nouveau génocide.
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