Ecologie état d’urgence
« Il y a une alternative au capitalisme et c’est l’écologie » estime le journaliste Hervé Kempf. Au paradigme d’un « avenir technologique, fondé sur la numérisation et l’intelligence artificielle », il oppose une autre voie – forcément « verte », feutrée de bonnes et fermes intentions, toute de refus du fatalisme et de convivialité.
Quelle est la finalité d’une société humaine ? Le bien-être de chacun voué à la poursuite de l’oeuvre de vie commune à l’espèce ?
Dans ce cas, pourquoi réduire l’existence humaine à ses seuls aspects consuméristes et marchands - à sa seule dimension économique ?
Rédacteur en chef de Reporterre, le quotidien en ligne de l’écologie, Hervé Kempf rappelle ce qui fait obstacle à ce bien-être social dont la définition, pourtant, tomberait sous le « sens commun » : le « capitalisme ». C’est-à-dire un système de « prédation généralisé sur la planète et sur l’humanité »...
Ainsi, après l’ébranlement financier de 2008-2009, « la classe dirigeante s’est arc-boutée sur un nouveau chemin de radicalisation du capitalisme, niant la nécessité du changement et montant les pièces d’un apartheid planétaire ». On dirait « que plus la situation écologique s’aggrave », plus les bénéficiaires de ce système-là « se dépêchent de saccager le monde »...
Le « poids de l’ajustement de la dernière « crise » a porté sur les plus pauvres ». Mais celle de 2020 se solde d'ores et déjà, dirait-on, par l’éradication des classes moyennes...
Jusqu’alors, « le capitalisme a pu sauver le système financier sans avoir à le remettre en cause, puisque le scénario futuriste renforcé par les progrès de l’intelligence artificielle lui a redonné une vision de l’avenir dans laquelle l’accumulation du capital ouvre un nouvel horizon »...
Cet horizon-là serait-il celui d’une « révolution numérique » imposée à marche forcée sans débat ? Celle-ci se caractérise par « une fusion des technologies qui gomme les frontières entre les sphères physique, numérique et biologique ». Elle « contribue au désastre climatique en alimentant et stimulant la surconsommation généralisée, elle organise de surcroît le pillage des nations par une évasion fiscale démesurée, un contrôle social accru et un modèle économique qui fait disparaître des millions d’emplois ».
Pour Hervé Kempf qui sous-titre son bref essai « ce sera lui ou nous », l’espèce présumée humaine se trouve à un « point de bifurcation historique » : soit le « capitalisme » se transforme en une « version techno-despotique, soit il se disloque pour laisser place à un système écolo-équitable ».
La technologie, « solution alternative à la politique » ?
L’auteur de Comment les riches détruisent la planète (Points Terre, 2020) approfondit son analyse par « l’imaginaire d’apartheid technologique qui exclut la plupart des habitants de la planète ». Ainsi, « les merveilleuses inventions de la Silicon Valley et d’ailleurs ne promettent pas seulement d’aller sur Mars, mais d’élargir l’éventail des dispositifs de surveillance ».
L’un de ces dispositifs serait la « ville intelligente », toute fourmillante de capteurs pour recueillir des données sur tous les mouvements et les actions de ses habitants. Ce qui « implique de fait un traçage généralisé » - le téléphone portable s’avère un « outil essentiel de cette prospective numérique » érigée en une « quasi-norme sociale » dans un monde-machine.
Le domaine de la santé ouvre actuellement des fenêtres d’opportunité pour une emprise technologique accrue voire « tout grand la porte à la généralisation des contrôles » et l’hybridation de l’humain...
Les biologistes nous rappellent qu’à partir du moment où une cellule se développe pour elle-même, c’est le cancer... Que dire d’un système technologique et marchand qui croît sans autre finalité que pour lui-même ?
Contre cette emprise d’une numérisation généralisée, Hervé Kempf préconise l’autolimitation et le développement des low tech afin que la vie sur la planète préserve l’éventualité d’un avenir, aussi incertain fût-il dans ce monde de plus en plus artificialisé.
La dette écologique
Jusqu’à présent, « le capitalisme » n’a pu se maintenir qu’en « détruisant par l’externalisation des coûts écologiques ». Une façon de répondre à ce problème des externalités « a été de prétendre le résoudre par le marché ». Comment ? « En mettant les pollués en position d’acheter à leur pollueur leur droit de ne pas l’être, de marchandiser les droits, de privatiser la responsabilité »...
Par ailleurs, « la fiction des marchés de biens environnementaux a une autre fonction : étendre la logique de la propriété privée aux biens communs »... Jusqu’alors, la « dégradation écologique continue » a été l’un des moteurs de la croissance : « en rendant rare ce qui était abondant, et donc sans prix, elle rend possible la marchandisation »... L’impératif absolu d’une écologie véritable est « d’arrêter de détruire les conditions biosphériques de la vie humaine ».
Là, dans cette question écologique, se trouve bien la « lézarde principale du capitalisme ». Pour Hervé Kempf, « si elle est traitée correctement, elle bloque l’accumulation du capital et la formation du profit ». Mais si elle n’est pas traitée, « elle menace la pérennité du système par le coût des catastrophes diverses et le chaos social qu’elle entraînera »...
Pour l’heure, la dette écologique, « constituée de tous les coûts externalisés par les processus de production depuis l’industrialisation », n’en finit pas de gonfler dans un emballement technologique exponentiel. D’autant plus que les « économistes libéraux ont toujours détourné la question en la posant dans les termes du « marché du carbone ». Et les technocrates par une accélération technologique que rien ne semble pouvoir arrêter.
Pour l’auteur de Tout est prêt pour que tout empire (Seuil, 2017) , il est « plus gai et désirable d’envisager la fin du capitalisme que d’imaginer la fin du monde ». Ce système de prédation perdrait-il le « soutien d’une partie de sa base sociale » ? « L’extension de la marchandisation à tous les domaines possibles de la biosphère » susciterait-elle une « résistance croissante » ? Vivra-t-on la fin d’un « modèle culturel fondé sur l’ostentation et le toujours plus » ? De ce système de prédation dépendant de l’hypercomplexité d’une machinerie énergivore et dévastatrice ? L’humain sera-t-il capable d’arrêter cette folle fuite en avant dans une volonté de puissance et de maîtrise illusoire de la nature ? L’héritage de ce système et de sa machinerie s’avère empoisonné pour longtemps. Et l’avenir semble confisqué dans une bulle qui ne laisse d'espace qu'entre l'écran et le volant... Changer de vision fera-t-il changer de monde juste à temps ?
Hervé Kempf, Que crève la capitalisme, Seuil, 126 p., 14,50 €
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