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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > Bétonner le fond des océans pour atteindre le Nirvana

Bétonner le fond des océans pour atteindre le Nirvana

 

Voici une proposition de lecture pour ce deuxième confinement. Un livre qui raconte justement l’histoire d’un homme qui volontairement veut s’isoler de tout et de tous, ne peut que faire échos en nous en cette période.

« À cinquante ans, on est forcément cadastré et clos. D’aucuns diraient immonde. On a beau se raconter des histoires sur ses réussites, c’est l’âge qui veut cela. C’est le moment auquel ce que nous n’avons pas fait prend le pas sur ce que l’on a réussi. Les hypothèses deviennent plus intéressantes et plus blessantes que les réalisations. La mort approche, inquiétante mais soumise. Le suicide est admirable. Les cicatrices n’ont plus aucune espèce d’importance. On peut se donner le change avec la beauté de ses enfants, sa vie professionnelle, sa maison bien aménagée et ses tableaux au mur. Il n’en demeure pas moins que le sentiment de l’échec se répand avec l’ennui long comme les bras d’un cul-de-jatte. »

Drôle d’idée que de se retirer dans un sous-marin, la plu part des hommes se contentent de sortir leur chien ou de bricoler au fond de leur garage pour cultiver une sorte de paix. Lui quitte tout. Il faut dire que plus rien ni personne ne le retient. Bauval, le héros d’Au fond de la rade, roman de Valéry Molet publié aux éditions Nouvelle Marge, est confronté au désœuvrement classique de la cinquantaine, au pré-bilan établi en fin de parcours. Sa femme ne l’aime plus, ses enfants n’ont plus besoin de lui… Il peut s’enfuir, s’enfouir. Valéry Molet nous le confirme : « oui à cinquante, celui qui n’a pas raté sa vie, c’est vraiment un raté. » Comprenez qu’il faut avoir conscience de cet échec pour prouver avoir compris un petit truc de la vie.

« Bauval assimilait l’ennui à la haine de soir. Bauval avait toujours été la victime, souvent consentante, de la mélancolie. » Bauval décide de changer du tout au tout, une autre façon de se suicider, écrit Valéry Molet. Sans doute est-ce lui-même qu’il veut quitter. Il s’encombre. Il s’ennuie. Le suicide serait encore un trop plein d’être finalement. Il cherche juste à se faire discret pour lui-même. Il opte pour les fonds marins, il opte pour un sous-marin et le fond de la rade de Doarnenez, car le but est de toucher le fond. C’est aussi pour lui la seule et unique façon de faire disparaitre le monde qui lui ressemble. Le sous-marin sera-t-il un antidépresseur efficace ?

« Ce qui m’intéresse dans la vie sous-marine, c’est bétonner le fond de l’océan de telle sorte que tout soit neutre, uniforme et afin de pouvoir atteindre l’acmé, le bonheur. » Déclare Valéry Molet-Bauval. Non il n’y a pas chez Bauval de volonté de rencontre nuptiale avec le mystère quelconque d’une nature. Il n’a pas la foi. Il veut juste aller jusqu’au bout de l’échec et vivre sous l’eau. Effectivement « Quitte à vivre sous l’eau dans la vie réelle, autant vivre sous l’eau dans la vie poétique. » Le sous-marin est un bon véhicule pour atteindre le nirvana. Malheureusement on n’échappe pas au monde, même au fond de la rade de Douarnenez. Sa solitude se transforme en spectacle. Les badauds, touristes, le matent depuis le port. Celui qui se retire devient attraction. Valéry Molet constate : « Il y a Pascal derrière tout sous-marin, et quoi qu’on fasse on se retrouve toujours nez à nez avec les pensées de Pascal. Le symbole de ce roman : on n’échappe pas où qu’on soit à une dérive spectaculaire ce qui nous conduit tous à aller plus profond, vers l’océan et vers cette équivalence entre l’être et le néant. »

Mais Valéry Molet est facétieux, il aime l’ironie du sort, il aime quand l’arroseur arrosé redevient arroseur etc. Car il est bien possible que Bauval échoue à échouer. Non pas à cause des touristes qui le prennent pour une attraction, non. Mais parce que si on n’échappe pas au monde, il est possible aussi que l’on n’échappe pas à l’amitié, c’est-à-dire à la rencontre de plusieurs solitudes. De quoi trinquer quelques temps. Il est même possible à cinquante ans que l’on n’échappe pas à l’amour… Soyons humble, le pire n’est jamais certain. Le renouveau d’un homme conscient qu’il a raté sa vie est encore possible. Ça vaut la peine d’être suicidaire pour cette découverte.


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2 réactions à cet article    


  • Adèle Coupechoux 9 novembre 2020 09:07

    Merci pour ce partage.

    Néanmoins, plus besoin de se creuser la tête pour s’isoler...Macron l’a fait.


    • Adèle Coupechoux 9 novembre 2020 11:11

      Voici un superbe et visionnaire roman de SF à lire : le successeur de pierre de Jean-Michel Truong

      https://naufragesvolontaires.blogspot.com/2012/07/le-successeur-de-pierre-jean-michel.html

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