Amnésie collective
Il date du 17 août 2003, cet article de presse, publié par le quotidien « progressiste » britannique « The Guardian », sous le titre « Comment mentir sur l’Iraq » (1). Depuis lors, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts de la Tamise, et de ceux de la Moskova, si l’on puit dire, mais, dans l’entre-soi médiatique, rien n’a fondamentalement changé.
Ainsi, ce fut à nouveau le tour au quotidien « New York Times », ancien porte-voix de la journaliste, « icône » de la désinformation et va-t-en-guerre de service, Judith Miller (2), tombée en disgrâce entre-temps, de lancer, au mois de novembre 2019, le coup d’envoi d’une nouvelle, énième « intrigue géopolitique », à l’encontre de la Chine cette fois.
Vu le destin de tant de communautés tribales ancestrales à travers l’Histoire, de l’Afrique (Libye), du Moyen Orient (accords Sykes-Picot, déclaration Balfour), jusqu’en Asie (Afghanistan), objets des convoitises néocoloniales, on s’interroge sur les motifs « altruistes » qui animent cette fois le vénérable quotidien new-yorkais, et, en effet ses consoeurs britanniques et européennes, pour s’intéresser à ce point au bien-être d’un peuple turcophone, musulman par-dessus le marché, du fin fond d’Asie-centrale, la minorité ouïghour de la province autonome chinoise du Xinjiang.
Le Xinjiang, partie de la Chine depuis le 18ème siècle, d’abord sous le règne de la dernière dynastie impériale des Qing et, à partir de 1949, sous le contrôle de la République populaire de Chine, est située au nord-ouest de l’empire du Milieu, abritant, hors des 12 millions d’ouïghours, la moitié de la population, d’autres ethnies, tels que des kazakhs, kirghizes, tibétains, tadjiks, mongols et russes, ainsi que des membres de l’ethnie chinoise des Han.
Il se trouve qu’entre 1997 et 2014 une série d’attentats terroristes islamistes et d’émeutes, perpétrés par des indépendantistes ouïghours, avaient ébranlé la province, faisant des centaines de morts et de blessés.
Toujours est-il, au mois de novembre 2019 la rédaction du « New York Times » reçut, de source anonyme, une série de documents confidentiels et inédits en provenance du sérail du Parti communiste chinois, les « Xinjiang Papers » au sujet de supposés mauvais traitements, subis par des indépendantistes ouïghours récalcitrants dans les prisons de la province Xinjiang. Quelques jours plus tard suivirent, le 24 novembre 2019, les « China cables », envoyés par une autre source anonyme au « Consortium international de journalistes d’investigation » CIJI et décortiqués depuis par une équipe, composée de journalistes du « Guardian », BBC », « Süddeutsche Zeitung », « Le Monde », ainsi que « Associate Press » AP et « Kyodo ».
En matière de traitement de terroristes islamistes, avérés ou non, les Etats-Unis, de leur côté, disposent d’une belle longueur d’avance. Des procédures extra-judiciaires et extraterritoriales dans des « black-sites » opérés par la CIA, éparpillés à travers le monde, ainsi que dans la prison de la base militaire de Guantanamo Bay ont largement permis de soulager l’appareil judiciaire américain en lui évitant des procès inutiles.
Couvrant un sixième de son territoire, situé sur la trajectoire de la « Nouvelle route de la soie », il se trouve que le Xinjiang, revêt d’une importance stratégique et énergétique primordiale pour la Chine.
Frontalière avec le Kazakhstan, le Tadjikistan et le Kirghizistan, l’approvisionnement en pétrole est assuré par une série d’oléoducs, réalisés ou en construction, reliant la Chine aux champs pétrolières des anciennes républiques soviétiques via le Xinjiang, diminuant ainsi progressivement la dépendance envers les pays du Moyen Orient. (Figaro)
Pour compléter le mix énergétique, le Xinjiang est également le premier fournisseur domestique en énergies renouvelables (éoliennes) et non renouvelables, uranium, gaz naturel et pétrole, sans compter des gisements de 138 différents types de minerais. (Figaro)
Contrairement aux Etats-Unis et l’Europe, le président turc Recep Tayyip Erdogan, qui abrite pourtant une des plus importantes communautés ouighour sur son territoire (50'000) reste de marbre face à tant de soif de justice et d’indépendance du peuple musulman et turcophone des ouighours. On en veut pour preuve la signature, le 26 décembre dernier, d’un traité d’extradition avec la Chine, susceptible de favoriser le retour d’ouighours, accusés de terrorisme par les autorités chinoises, malgré le démenti embarrassé du chef de la diplomatie turque. (TV5monde)
Un autre pays qui restera sans doute sourd face aux « injustices » subies par les ouighours du Xinjiang est l’Iran, qui par ailleurs s’est d’ores et déjà assuré le contrôle sur son voisin, ancien ennemi juré, l’Iraq, grâce au travail précieux sur le terrain des troupes américaines. Grâce également aux sanctions économiques, américaines et européennes, la Chine est devenue, avec le temps, le partenaire commercial privilégié de la République islamique. Ainsi, l’achèvement de la « Nouvelle route de soie » permettra un approvisionnement facilité du pétrole iranien vers l’empire du Milieu,
En ce qui concerne la Russie, en conflit avec la Chine sur l’influence grandissante du puissant voisin sur les anciennes colonies soviétiques par l’avancement inexorable de la « Nouvelle route de la soie », celle-ci se voit néanmoins confortée dans ses efforts de rapprochement avec son ennemi d’antan par la récente logorrhée télévisée du président américain, suivie par les vociférations et menaces, sous la pression constante des Etats-Unis, des gouvernements européens, de suspension des travaux du dernier tronçon du gazoduc « Nordstream II », censé approvisionnée l’Allemagne avec du gaz russe, dont le dernier a pourtant désespérément besoin, faute d’alternative (s). L’allié le plus fervent des Etats-Unis dans cette affaire est par ailleurs l’ancien parti de « peace and love », les Verts allemands, qui préparent d’ores et déjà la prochaine Chancelière. Avec des soutiens d’Outre-Atlantique ?
Un récent sondage, effectué en Russie révèle un peuple, dorénavant majoritairement tourné vers l’Asie.
Dans ce contexte, on peut apprécier la récente rencontre du Ministre russe des affaires étrangères Sergeï Lavrov avec son homologue chinois lors duquel fut à nouveau abordé le sujet de la « dédollarisation », jusqu’à évoquer la déconnexion des deux puissances du système de paiements interbancaires international d’origine belge, SWIFT « Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication », une société coopérative bancaire, quel bel oxymore.
En effet, la part du dollar dans les échanges russo-chinois s’élevait encore à plus de 90% en 2013 pour passer, en 2018, sous la barre de 50%, et depuis 2019, l’euro dépasse le poids du dollar. La part des échanges, réglés en roubles, est passé d’à peine 1 % en 2013 à 10 % l’année dernière. (Sputnik)
Dans ce contexte, les documents confidentiels, procès-verbaux et autres directives des autorités chinoises, dont dispose le « New York Times » et le consortium journalistique CIJI font état, entre autres, de
« détention arbitraire, depuis 2017, de centaines de milliers d’ouïghours, kazakhs et autres musulmans dans des camps d’internement, dans le but d’éradiquer « le virus de l’islamisme » et de transformer les détenus en loyaux sujets du service public et du Parti communiste, des directives spécifiques s’appliquant en particulier à de jeunes étudiants de retour au Xinjiang » (d’Afghanistan, d’Iraq, de la Lybie et de Syrie, ndlr)
Depuis une vingtaine d’années émergent à travers le monde une multitude d’organisations ouïghours, aux Etats-Unis et en Europe, visant l’établissement d’un état démocratique turcophone indépendant, dont la religion d’état serait un islam modéré. La plupart de ces organisations et leurs efforts de démocratisation sont financés par le « think-tank » « National Endowment for Democracy » un appendice du Congrès américain, également très actif à Hong Kong, ainsi que directement par le Département d’Etat des Etats-Unis.
Ce mois de mars 2021 fut particulièrement propice en révélations fracassantes, notamment répandues par le quotidien britannique « progressiste » à la mémoire courte, « The Guardian », au sujet du « premier rapport indépendant » sur les exactions du régime chinois sur le peuple ouïghour, en violation flagrante de la « Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide », un traité de droit international, approuvé à l’unanimité, le 9 décembre 1948, par l’Assemblé générale des Nations Unies, du lourd.
Le rapport dont fait état la presse « mainstream » fut publié le 8 mars dernier par « Newlines Institute for Strategy and Policy » en collaboration avec le « Raoul Wallenbberg Centre for Human Rights », une ONG, basée à Montréal, dont les conclusions ont poussé l’administratrice de l’Agence des Etats-Unis pour le développement international (USAID), Samantha Powers, à la déclaration audacieuse : « Ce rapport démontre que la Chine commet en effet un génocide sur le peuple ouïghour ». Fin de citation
Selon le site d’information « Grayzone » (3) un des seuls médias alternatifs qui a su éviter l’inquiétante « Gleichschaltung » des médias alternatifs américains qu’on espérait pourtant récupérables (The Intercept, Democracy Now), l’auteur principal du rapport « indépendant » en question, Yonah Diamond, est également co-auteur d’un article, publié le 21 janvier 2021 par le magazine d’information canadien « Foreign Policy » sous le titre « US China policy must confront the genocide in Xinjiang first ».
Le rapport, financé par « Fairfax University of America » une université privée, située dans l’état de Virginie, auquel le Département de l’Education de la pourtant très permissible ex-Secrétaire « trumpienne » aux idées ultralibérales, Betsy DeVos, avait dû retirer la licence en 2019, à cause d’un « niveau académique insuffisant », s’appuie principalement sur l’expertise de l’anthropologue allemand Adrian Zenz, un fondamentaliste chrétien, surgi du néant il y a peu, hostile à l’avortement, voire au contrôle des naissances, une thématique si chère au Parti communiste chinois, ainsi qu’à la « pratique » de l’homosexualité. (Grayzone) Que du bonheur.
La prose « académique » du Dr. Zenz a toujours su éviter ce qui est pourtant l’essence d’une publication scientifique, on le sait depuis le « Covid », le « peer reveiw » ou évaluation par les pairs.
Le fondateur de l’ONG canadienne « Raoul Wallenberg Centre for Human Rights », Irwin Cotler, ancien Ministre de la Justice et Procureur général du Canada, accessoirement avocat et conseiller juridique de Leopoldo Lopez, homme politique vénézuélien au « sang noble » selon le quotidien « progressistes » « The Guardian », homme politique, aspirant ardemment à s’y saisir du pouvoir et dont l’épouse siège au conseil d’administration de l’ONG humanitaire.
Mais, Mr. Cotler a, semble-t-il, d’autres cordes à son arc. Proche de la dirigeante de l’« Organisation des moudjahiddines du peuple iranien » MEK, Maryam Rajav, mouvement de résistance armée au régime de la « République islamique d’Iran, considéré par les Etats-Unis comme organisation terroriste entre 1997 et 2012, ainsi que par le « Conseil de l’Union européenne » entre 2002 et 2009 et par le Home Office britannique jusqu’en 2008 (Wikipedia), Mr. Cotler peut également s’enorgueillir d’avoir participé au coup d’état haïtien, en 2004, renversant le gouvernement du président Jean-Betrand Aristide.
A l’origine de la nomination pour le « Prix Nobel de la paix » de l’organisation « humanitaire » des « casques blancs », organisation de défense civile syrienne, formée pendant la guerre civile syrienne par l’ONG néerlandaise « Mayday Rescue Foundation » de l’officier britannique James le Mesurier, décédé récemment dans des circonstances mystérieuses, Mr. Cotler eut également le plaisir d’assister, en tant que conseiller juridique, le dissident chinois d’obédience néolibérale, Liu Xiaobo, lauréat du Prix Nobel de la Paix en 2010, mort en 2017, militant convaincu de la nécessité de l’occidentalisation de la Chine et de la privatisation de son économie.
Walter Lippmann (1889 -1974), journaliste américain et père spirituel du journalisme moderne considérait que le métier de journaliste devait essentiellement remplir une fonction de propagande et non d’information, car, selon lui, le lecteur serait inapte à comprendre les enjeux de la vie publique, raison pour laquelle il faut lui préparer un narratif émotionnel auquel il peut facilement s’identifier.
(1) https://www.theguardian.com/politics/2003/aug/17/media.davidkelly
(2) https://fr.wikipedia.org/wiki/Judith_Miller
(3) https://thegrayzone.com/2021/03/17/report-uyghur-genocide-sham-university-neocon-punish-china/
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