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Gérard Fromanger (1939-2021), la peinture comme fil rouge

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Portrait de Gérard Fromanger. Photo V. De., dans le cadre de la rétrospective Veličković à la Fondation Leclerc pour la Culture de Landerneau (Bretagne), le 14 décembre 2019, l’artiste étant venu rendre hommage à son ami peintre, rattaché tout comme lui à la Figuration narrative.

Une pensée pour l’artiste Gérard Fromanger, qui n’est plus, disparaissant le vendredi 18 juin dernier, à la Pitié-Salpêtrière à Paris, à l’âge de 81 ans ; il avait un cœur fragile et avait bataillé, en 2019, contre la récidive d’un cancer. Il fut l’un des acteurs majeurs de la Figuration narrative, mouvement artistique, appelé aussi « nouvelle figuration », dont l’objectif était, dans les années 1960-1970, de donner à voir, en opposition à l’art abstrait et en se voulant critique sur la société de consommation de masse, des sujets de la réalité quotidienne en créant des récits et des histoires qui utilisent les figures. Les thèmes de prédilection de Fromanger étaient la couleur, les passants et la foule. Comme par exemple dans sa célèbre série Boulevard des Italiens (1971), emblématique de sa production plastique, montrant des silhouettes monochromes rouges déambulant dans Paname, entre la place de l’Opéra et la station de métro Richelieu-Drouot, comme perdues dans cette ville Lumière tentaculaire multipliant les bouches de métro, voitures en circulation, façades d’immeubles haussmanniens, publicités, banques, kiosques à journaux, vitrines de magasins et autres entrées de salles de cinéma affichant des films sortis à l’époque, tels Le Cercle rouge (cf. visuel 2) ou Mourir d’aimer.

De ses débuts avec ses peintures-affiches de Mai 68 (il fut l'un des principaux animateurs de l'Atelier populaire de l'Ecole des beaux-arts de Paris) jusqu'à ses magnifiques dessins récents représentant des maîtres de l’histoire de l’art (Rembrandt, Delacroix, Courbet, Duchamp, Klein, cf. visuel 4...) faits de fils de couleur entremêlés, en passant par son amitié avec Prévert, ses silhouettes en aplats de rouge de cadmium foncé bien connues - "mon goût pour le rouge est omniprésent" -, passants fantomatiques de la vie moderne, ses Films-tracts avec Godard, ses batailles des années 1990 autour des guerres du Golfe ainsi que ses dernières séries humanistes, cardiogrammes et peintures-monde, avec toujours pour fil conducteur la couleur, Fromanger élabora une imagerie narrative au graphisme percutant oscillant entre peinture et politique, apparaissant, avouons-le, parfois datée de nos jours - même si elle a le charme rétro de l’ancrage temporel, au parfum pop. Engagé nettement à gauche, marqué par le situationnisme de Guy Debord, il s’est fait tout au long de sa vie, en combinant passion picturale et souci du monde, le témoin éclairé de son temps : il y a bien sûr ses célèbres affiches pour Mai 68 réalisées au sein des Beaux-Arts de Paris, dont certaines sont devenues cultes – les événements de Mai 68 ont beaucoup marqué ce co-fondateur de l’Atelier populaire des Beaux-Arts de Paris, ami de longue date de Serge July : « Comme tous les artistes, expliquait-il, j’étais sorti de mon atelier et le souffle, la beauté de la rue m’ont saisi. Tout à coup j’ai compris le pouvoir de la rue. Elle peut changer le monde. La rue et les gens sont devenus mes thèmes, ils sont entrés dans mes tableaux.  » Mais on peut aussi penser à ses Films-tracts (1968-1969) avec Jean-Luc Godard, faits à Londres, Paris et à Stockholm, où l’on voit notamment, dans Film-tract n°1968 (16 mm, 2’45", couleur, silencieux), du rouge sang coulant d’un drapeau français, ce drapeau ensanglanté devenant ainsi une métaphore possible de la révolution en cours, la couleur rouge étant pour ce plasticien à la fois emblème de la peinture (c’est tout simplement du rouge qui coule) et symbole de la contestation sociale.

Ainsi, pour cet artiste, la couleur, et pas seulement le rouge (au fil du temps, sa peinture variera de plus en plus les tons, devenant parfois très bigarrée, voire électrique même), est vraiment l’un des ressorts principaux de sa démarche picturale. À partir de 1973, Gérard Fromanger mit même en place un code couleur bien pensé, avec des chartes chromatiques drastiques, lui permettant, tout compte fait, d’échapper à l’anecdotique – le moment historique – pour faire triompher la peinture, voulant ainsi éviter que le peintre en lui soit phagocyté par le journaliste et l'historien qu'il était aussi, à sa façon, à savoir d'artiste non aligné, échappant aux cases et aux étiquettes. Car ce qui l'animait plus que tout, in fine, c'était de questionner inlassablement le médium peinture : « Le trouble, c'est le pinceau qui court sur la toile, l'autre peau du monde. Ça finit par emballer toutes les prétentions, les orgueils, les politiques. J'aimerais faire passer sur la toile ce presque rien. » Puis, dans Paris Match #3495 (12-18 mai 2016), histoire d’enfoncer le clou – la peinture avant tout ! -, il déclarera à Elisabeth Couturier : « Quelle que soit l’histoire racontée, le moment historique évoqué, il faut que la peinture domine à travers des formes, des couleurs, des lignes… Si elle ressort, j’ai gagné ! Si l’anecdote l’emporte, j’ai perdu !  » 

Heureusement, de son vivant, et en fin de parcours, Gérard Fromanger, artiste « activiste » libre qui s’est toujours tenu à distance des manifestations officielles et des galeries marchandes, connaîtra en 2016 la consécration, pour ses soixante-seize printemps (enfin !), au Centre Pompidou-Paris avec une importante rétrospective (peintures, sculptures, dessins, photographies et films), dans les salles consacrées aux arts graphiques. Pour Michel Gauthier, conservateur au Musée national d’art moderne, et commissaire de cette expo-somme : « La grandeur de Fromanger tient à la façon dont, dans cette seconde moitié du 20e siècle pendant laquelle son art s’est affirmé, il aura su nouer de troublante façon, peinture de la vie et vie de la peinture. » C’est joliment dit. Mais, et c’est bon à préciser, les régions, quant à elles, n’ont pas attendu la capitale pour le célébrer comme il se doit. Que l’on pense, par exemple, à Michel-Edouard Leclerc qui lui confia à l’été 2012 l’exposition inaugurale de sa fondation à Landerneau en Bretagne (Hélène et Edouard Leclerc pour la Culture) ou bien encore au dynamique Musée de l'Hospice Saint-Roch à Issoudun, en région Centre-Val de Loire, qui, en 2019, prolongea l'hommage à cette œuvre plastique riche et complexe, aux rhizomes aventureux, via le très bel événement Gérard Fromanger. Annoncez la couleur !

J'aimais ce plasticien, pour sa trajectoire artistique, sur fond d'intransigeance, mais l'homme également ; en public, et même quand il était malade, Gérard Fromanger prenait volontiers ses gros feutres, toujours à portée de main, pour faire généreusement de belles dédicaces, hautes en couleur, aux visiteurs venus le saluer. Rencontré dernièrement, en 2018 et en 2019, je me souviens de lui comme d’un (jeune) homme à l'esprit alerte, qui se mettait encore facilement en colère, tel un ado bouillonnant et contestataire préoccupé par les injustices du monde, n'ayant ainsi rien perdu de sa vivacité à commenter l'actualité, les luttes et les tensions sociales (violence intégriste, vagues migratoires, Gilets jaunes...), ce que je trouve très beau ; il existe des colères saines. Bref, lorsqu'on le croisait, cet artiste humaniste, dont l'idéal était certainement de peindre... pour le peuple, n'avait rien d'un colin froid ; il avait gardé son côté rebelle. Tant mieux.

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« Le Cercle rouge », Gérard Fromanger, série « Boulevard des Italiens », 1971, huile sur toile, 130 x 97 cm, Musée des beaux-arts de Dole.
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Gérard Fromanger et Jacques Prévert, Antibes, vers 1962. « L’amitié était mon école : celle de Jacques Prévert m’a appris à vivre. » (Gérard Fromanger)
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« Yves » (Yves Klein), Gérard Fromanger, 2018, pastel sur papier, 80 x 60 cm, série « Amis », présenté à l’occasion du salon Drawing Now à Paris, mars 2018, sur le stand Caroline Smulders.

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10 réactions à cet article    


  • Robin Guilloux Robin Guilloux 26 juin 2021 09:35

    Très bel hommage !


    • Vincent Delaury Vincent Delaury 26 juin 2021 09:57

      @Robin Guilloux Merci à vous. smiley


    • Adèle Coupechoux 26 juin 2021 17:12

      Merci pour ce billet. Je trouve ses œuvres superbes.

      Beaucoup d’éléments le rapprochent de Mondrian sans lui ôter toute son originalité.


      • Vincent Delaury Vincent Delaury 26 juin 2021 20:10

        @Adèle Coupechoux Merci pour ce retour smiley. Bien vu pour Mondrian, il y a chez Fromanger la tentation de l’abstraction et son code couleur peut, à certains égards, rappeler le minimalisme chromatique de ce pionnier de l’art abstrait, maître du néoplasticisme. 


      • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 28 juin 2021 14:40

        Le minotaure n’était pas une vache et n’aurait pu produire de fromage. Grâce à Ariane dont dit est dit que le Fil était rouge, Thésée pu sauver les sept enfants enfermés. Minos demanda à l’architecte Dédale de lui fabriquer un Labyrinthe pour enfermer la monstrueuse bête. ... Tous les neuf ans, pour expier le meurtre d’Androgée, fils de Minos, par Égée roi d’Athènes, sept filles et sept garçons athéniens étaient conduits dans le Labyrinthe pour servir de nourriture au Minotaure. https://www.youtube.com/watch?v=Q6TPxz1Vb1U A défaut de petits cailloux comme pour le Petits Poucet. il y a le FIL. Encore une histoire avec sept filles et sept garçons.


        • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 28 juin 2021 14:42

          Aucune allusion aux DIABLES ROUGES smiley)


          • Xenozoid Xenozoid 28 juin 2021 14:44

            @Mélusine ou la Robe de Saphir.

            à mon avis ,le diable s’en fout si les femmes on leur « périodes »...humour


          • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 28 juin 2021 15:03

            @Xenozoid humour. Tous les hommes sont différents. Le fantasme de l’un de ceux-ci était de tirer le tampax d’un fille avec les dents. Il en faut pour tous les goûts... C’est vrai qu’il avait passé une partie de son enfance dans le Marais, pas loin des Equarisseurs et des Abattoirs. Le ventre de Paris...


          • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 28 juin 2021 14:58

            El les fils de s’entrecroiser. Mon ami Olivier avait comme meilleure amie, l’amie de Guy DEbord. Liée au Nyssen. Lire les Naufrageurs, l’auteur est ravageur,...Guy Debord de traiter Breton de Dédé les amourettes. Plus pré-occupé de ses amours que de faire la révolution. Il s’en éloigna.... LE SITUASIONISME. Précision : Guy Deborsd ne s’est pas suicidé mais a abrégé une fin de vie dégradante. Il finit loin de tous (loin du spectacle qu’il détestait). En B si je me souviens... Queneau aussi restait à la marge. C’est le cas de le dire : parfois cela débordait : la fameuse chasse aux marsupiales. Episode un peu trouble du personnage.


            • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 28 juin 2021 15:04

              En Bretagne si je me souviens... Assez seul...

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