Le gouvernement cubain déclare la guerre… à son peuple !
Le 11 juillet 2021 est déjà une date historique à Cuba.
« Nous avions tellement faim que nous avons mangé notre peur » (Yoani Sanchez juillet 2021)
La soixante deuxième année de la « Revolución » cubaine risque bien d’être la dernière. Partout dans l’île la dégradation extrême des conditions de vie a fait sortir le peuple en masse dans les rues.
Quelques images si vous n’étiez pas au courant
L'ordre de combat est donné : que les révolutionnaires prennent la rue !
Cette phrase du président constitue la première réponse du gouvernement au mouvement populaire : déni, violence et répression.
Tel un Macron face aux gilets jaunes, le président Diaz-Canel a dénié toute légitimité au mouvement. « Des délinquants, des mercenaires payés et manipulés de l’étranger pour déstabiliser le pays ». Prise de court, la police n’a pas pu se mobiliser le dimanche, mais dès lundi, la répression de masse a commencé. Arrestations violentes, disparitions d’opposants, un premier mort sous les balles de la police…
Comme tout président impopulaire, Diaz-Canel a recours à une stratégie d’affrontement à l’intérieur du peuple lui-même. Ici, il ne s’agit pas d’agiter un voile islamique mais bien d’armer une partie de la population contre une autre, y-compris par la force.
J’ai eu plusieurs témoignages directs relatant l’enrôlement forcé de très jeunes, même des filles, pour aller frapper avec des bâtons les « ennemis de la révolution ». Le déploiement des forces « de sécurité », dont les redoutables avispas negras (les guêpes noires) est explicite sur la volonté de ne rien céder et de mettre en oeuvre une répression féroce. De nombreuses videos sur des violences policières disproportionnées circulent sur internet, attisant le dégoût et la détermination des citoyens.
Ce que soixante ans de tentatives de la CIA n’ont pas réussi à obtenir, le président Miguel Diaz-Canel l’a provoqué trois ans après son accession au pouvoir . Mais c’est lui accorder bien du crédit que de lui attribuer l’essentiel de la responsabilité. Il l’a d’ailleurs dit lui même « c’est la faute à l’embargo ! ».
Cette explication, qu’aiment à répéter tous ceux qui pensent que Cuba est un modèle de société démocratique, oublie les causes profondes qui ont leurs racines dans la première décennie du castrisme. A aucun moment, Fidel, pas plus que ses successeurs n'ont fait ce qu’il fallait pour assurer l’indépendance, ne serait-ce qu’alimentaire, du pays.
L’aide soviétique puis le pétrole vénézuélien ont aidé à maintenir l’illusion qu’il y avait un modèle cubain.
L’acharnement des USA est bien réel, mais ce n’est pas l’embargo qui a multiplié les actions de harcèlement contre les paysans qui voulaient vivre de leur travail, ce n’est pas l’embargo qui a remplacé la production nationale par des produits importés sur lesquels les corrompus au pouvoir pouvaient prélever de copieuses commissions versées sur des comptes à l’étranger…
Depuis le départ de Fidel, la corruption a atteint des proportions qui rendent impossible toute amélioration économique durable. L’oligarchie qui contrôle l’île a perdu le contact avec la réalité, c’est ce qui explique les récentes orientations qui reposent sur une mécanique particulièrement aberrante :
- les produits alimentaires sont de plus en plus rares et chers
- Ils proviennent à 80 % de pays étrangers (dont les USA, premier fournisseur de poulet)
- Ils sont vendus à la population en devises (euro, peso mexicain… mais pas le dollar US)
- Les salariés sont payés en pesos cubains, impossibles à changer autrement qu’au marché noir.
En théorie, cela suppose que les cubains « de l’extérieur » (20 % de la population vit à l’étranger) envoient de l’argent à leurs familles restées au pays pour continuer de financer l’appareil répressif et le train de vie de la petite élite qui n’hésite toujours pas à se prétendre communiste.
Avec un cubain sur cinq à l’étranger, on peut imaginer que le système est viable, mais le plus souvent quand une famille part vivre ailleurs, elle émigre en totalité. Une grande partie de la population ne peut donc pas compter sur les « remesas » (transferts d’argent de l’étranger).
Trump, l’arrêt du tourisme, internet, les artistes et la jeunesse : 5 causes majeures de la révolte actuelle
Tant que l’argent du tourisme assurait un complément de revenus au pays, la survie était précaire, mais possible. Avec l’arrêt brutal et quasi total provoqué par l’entrée dans l’ère des virus, le fragile équilibre était rompu. S’est ajouté à cela la surenchère d’un Trump en période électorale qui n’a cessé d’empiler les mesures pour compliquer la vie de l’île.
Le fait majeur de ces 5 dernières années a été la montée en puissance de l’internet mobile. A peu près un cubain sur deux dispose d’un smartphone, et bien davantage dans les villes. Ainsi, quand dimanche matin la population de San Antonio de los Baños (région de la Havane) est descendue dans la rue pour crier « Libertad ! Patria Y Vida ! Abajo la dictadura ! » (Liberté, La patrie et la vie, A bas la dictature) la nouvelle s’est propagée immédiatement dans tout le pays et l’après-midi, c’est dans une quarantaine de localités que des manifestations éclataient.
Une partie grandissante des artistes cubains prend position contre le gouvernement. Depuis les précurseurs qui s’étaient rassemblés devant le ministère de la culture le 27 novembre dernier, beaucoup se sont fait entendre pour réclamer la fin des mauvais traitements, et une vraie liberté d’expression. Le succès phénoménal d’une chanson « Patria Y Vida », sortie en février 2021, a donné aux cubains un cri de ralliement repris dans toutes les manifestations.
Depuis dimanche dernier, plusieurs artistes de premier plan se sont exprimés sur la situation actuelle, je vous reproduis celle qu’a mis en ligne Emilio Frias, musicien et chef de l’orchestre « El Niño y la Verdad ».
Cela fait deux jours sans sommeil ni internet, 2 jours avec cette douleur qui n'est plus de la douleur, petit à petit elle s'est transformée en colère, impuissance et indignation en regardant toutes les vidéos qui circulent sur les réseaux sociaux.
Put..... jusqu'à quand ça va durer ?????
Comment vont-ils frapper des gens qui ne demandent qu'à être entendus, qui meurent de faim et de maladie, sans nourriture ni médicaments ????
Comment pensez-vous envoyer des Cubains contre des Cubains dans les rues, ce ne sont pas des « gusanos » (des vers, dénomination officielle des contre-révolutionnaires de l’étranger) comme on les appelle, ce ne sont pas des mercenaires, c'est un peuple désespéré qui demande un changement et ils sont fatigués et nous savons ce que nous voulons, plus clairement que jamais. Ce n'est pas la terre dont Martí a rêvé, ni celle que je veux pour mes filles.
Je suis un artiste du peuple et tout ce que j'ai, je le dois au peuple et c'est le moment pour moi d'être avec le peuple...
Viva Cuba Libreeeeeee .....
Comme partout, ce sont surtout les jeunes qui descendent dans la rue. La génération actuelle ne supporte plus l’absence d’autre perspective que l’émigration. Fatigués d’avoir à répéter des mots d’ordre qui sonnent de plus en plus creux, du type « je serai comme le Che », qui contrastent avec une réalité faite de maisons qui s’écroulent et de queues interminables devant des magasins vides pendant que la télévision chante tous les soirs les réussites de la révolution.
Et maintenant ?
L’intensité de la répression va peut-être retarder l’inévitable changement de régime. L’état Cubain a perdu son principal atout, la peur qui empêchait toute réaction populaire. Sans légitimité ni volonté de se réformer, il est dans l’incapacité d’apporter une réponse aux demandes du peuple.
Hier a été annoncée une première mesure : les voyageurs ont maintenant le droit d’apporter à Cuba dans leurs bagages, sans acquitter de droits de douane démesurés (10 dollars US par kilo), de l’alimentation ou des médicaments.
Vu les restrictions de circulation aérienne, cela ne va pas concerner grand monde. Les cubains commentent aussi « mais alors, s’il est aussi facile de faciliter les importations, il est où l’embargo ? ». Enfin, beaucoup font remarquer que ce qu’ils demandent n’est pas négociable et que ce ne sont pas des pourboires qui vont régler le problème.
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