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Pour trouver un travail épanouissant, ne suivez jamais votre passion, mais gardez-là toujours auprès de vous

Vous êtes comme tout le monde.

Vous cherchez à donner du sens à votre vie. 

Mais lorsque vous réfléchissez à ce que vous voulez faire de votre vie, à ce que vous voulez vraiment, souvent aucune réponse claire ne vient. 

Se retrouver comme cela en mode recherche engendre beaucoup de stress, une angoisse existentielle. Vous doutez de vous-même, vous êtes plein de confusion.

Cette question, vous pouvez vous la poser à 18, comme à 30 ou 60 ans. Les reconversions professionnelles sont d’ailleurs plus fréquentes et nombreuses aujourd’hui que par le passé.

La seule chose dont vous êtes sûr c’est que vous attendez de votre travail une source d’épanouissement, car c’est au travail que vous serez le plus souvent.

Dans son best-seller “Shoe dog”, Phil Knight, le fondateur de Nike, s’interroge à l’âge de 24 ans : “Existerait-il un moyen (...) de jouer tout le temps au lieu de travailler ? Ou plutôt d’aimer tellement son travail que cela revient exactement au même.”

En 2005, Steve JOBS quant à lui s’adresse aux nouveaux diplômés de Stanford et leur dit notamment : 

“Il faut savoir découvrir ce que l’on aime. Le travail occupe une grande partie de l’existence, et la seule manière d’être pleinement satisfait est d’apprécier ce que l’on fait. Sinon, continuez à chercher. Ne baissez pas les bras. C’est comme en amour, vous saurez quand vous aurez trouvé. Et toute relation réussie s’améliore avec le temps. Alors, continuez à chercher jusqu’à ce que vous trouviez”.

Cette allocution est malheureusement venue renforcer le dogme selon lequel, afin d’être heureux au travail, vous devez identifier une passion préexistante pour en faire votre carrière. 

Suivez votre passion !!!

Ce slogan est claironné partout et tout le temps, de façon assourdissante.

Ou comme le disent les américains, “Never give up on your dreams !”

Tous les gourous du bien-être au travail nous servent la même salade.

Et elle est dangereuse.

En effet, toute cette idéologie selon laquelle vous devez chercher et découvrir votre job rêvé vous empêche d’explorer des carrières qui pourraient vous donner pourtant une chance d’occuper un emploi ayant du sens et de développer ainsi une passion sincère pour le travail que vous avez déjà.

Car votre épanouissement au travail n’a que peu de rapport avec le type de travail lui-même.

 

1. POURQUOI SUIVRE SA PASSION EST UNE MAUVAISE STRATÉGIE

Pour en revenir à Steve Jobs, s’il annonce lui-même avoir eu de la chance de découvrir tôt ce qu’il aimait, cela ne signifie pas pour autant que la stratégie gagnante consiste à simplement identifier une de vos passions afin d’en faire votre carrière.

Car il y a plusieurs choses qui ne collent pas dans cette stratégie.

En premier lieu, son parcours lui-même dément cette thèse.

Ses biographes nous éclairent sur l’homme qu’il était quelques années avant la création de sa société, Apple.

Il n’était pas particulièrement passionné par l’entreprenariat ou la technologie (au contraire de son associé et ami Steve Wozniak).

Il le raconte d’ailleurs dans son allocution aux étudiants. Il ressemblait plus à un hippie, cheveux longs et marchant pieds nus, ayant abandonné ses études et s’intéressant au mysticisme ou à la calligraphie.

Il cherchait à s’éveiller spirituellement (intérêt l’ayant même conduit à un séjour de plusieurs mois en Inde), et ne s’intéressait à l’électronique qu’en dilettante et pour gagner de l’argent rapidement.

Ainsi, la voie qui l’a mené vers la fondation d’Apple n’est en rien l’illustration du mantra éculé “pour être heureux, suis ta passion”.

Ensuite, je vous mets au défi d’identifier une passion qui peut s’avérer un choix de carrière, c’est presque impossible.

En 2002, une étude menée par Robert J. Vallerand, professeur de psychologie sociale à l’université du Québec à Montréal, a démontré que sur 539 étudiants interrogés, 84% d’entre eux confirmaient identifier chez eux une passion.

Le problème c’est que moins de 4% de ces passions avaient un rapport avec la sphère professionnelle.

Les 96% restants consistaient en des centres d’intérêts ou des hobbies, comme l’art ou le sport.

En ces domaines, n’oubliez jamais que les personnalités comme Jay-Z ou Michael Jordan sont des exceptions (qui confirment donc la règle).

Ce qui nous donne l'occasion d’avancer ici un autre argument à l’encontre de cette thèse : vous n’êtes pas forcément bon dans ce que vous aimez ou ce qui vous passionne. 

Pour une illustration de ceci, visionnez ce passage de l’interview que j’ai faite de Jean de la Rochebrochard.

Ce n’est pas parce que vous êtes passionné par l’art que vous devez nécessairement devenir un artiste. Raisonner de cette façon peut même être très anxiogène.

Car cette thèse vous fait croire que quelque part le job rêvé vous attend, et que lorsque vous l’aurez trouvé, vous le reconnaîtrez immédiatement comme le travail pour lequel vous étiez bien destiné.

Malheureusement, ce n’est pas comme cela que les choses fonctionnent.

Enfin, l’idée simpliste de la découverte de la passion préexistante dans un parcours réussi est contredite par les faits.

Dans une interview, le présentateur radio Ira Glass, ayant notamment remporté le prix Pulitzer du reportage audio, mentionne que “dans les films vous avez cette idée selon laquelle vous devriez juste poursuivre votre rêve. Mais je n’y crois pas. Les choses arrivent par paliers.”

Le parcours de Julie Zhuo, ancienne vice-présidente du design de produit chez Facebook, est évocateur à plus d’un titre.

Diplômée en informatique à Stanford, elle fut recrutée en tant qu’une des toutes premières stagiaires de l’entreprise.

L’équipe de Facebook ne comptait alors que des dizaines d’employés et n’était connue que des lycéens et des étudiants.

Elle se plongea d’abord dans le code puis comme elle le dit elle-même : “plutôt par accident que par un plan préconçu, j’ai changé de poste et ajouté une nouvelle corde à mon arc : designer”.

Trois ans plus tard, à l’âge de 25 ans, elle changeait de fonction à nouveau en devenant manager de l’équipe des designers.

Encore une fois, ce n’était pas de sa propre initiative mais à la demande de son entreprise.

Julie n’y connaissait rien en design de site web et n’avait jamais envisagé de faire carrière dans ce domaine.

Elle avait encore moins envisagé de faire carrière dans le management.

Pourtant, c’est désormais une experte reconnue, ayant écrit un best-seller sur le sujet : The making of a manager.

Ainsi, les gens passionnés par leur travail ne sont pas, dans l’immense majorité des cas, ceux qui ont suivi une passion pour occuper un poste mais bien ceux qui ont bénéficié de l’expérience nécessaire pour devenir très bon dans ce qu’ils font.

Ira Glass témoigne que cela prend du temps d’être bon à quelque chose, se remémorant ses nombreuses années d’apprentissage de la radio avant d’avoir des options intéressantes.

Ce qui nous amène au point suivant.

 

2. COMMENT TROUVER VOTRE TRAVAIL ÉPANOUISSANT

Suivre sa passion est une vision égocentrée du monde. Votre attention se porte sur la valeur que votre travail peut vous apporter.

Suivre sa contribution, au contraire, c’est adopter le point de vue opposé, vous portez votre attention sur la valeur que vous pouvez apporter au monde.

En effet, si vous restez objectif, ce que vous retirez de la vie (argent, confort, style de vie…) a finalement moins de valeur et de sens que ce que vous y mettez, les efforts que vous faites, les actions que vous menez, le chemin que vous suivez.

Si vous ne pouvez pas vraiment décider de votre parcours à l’avance, de façon abstraite, vous pouvez tout de même, pour commencer, identifier un domaine dans lequel vous êtes bon.

En effet, s’il est difficile de prioriser entre ses différentes passions, se poser la question de savoir dans quoi l’on est bon est bien plus facile.

Le plus souvent, ce n’est pas quelque chose de difficile à identifier, vous en avez eu l’expérience et très souvent aussi, la compétence concernée a été identifiée par votre entourage, qui vous en a parlé.

L’avez-vous en tête ?

Très bien. 

Voici la suite, prenez des notes car c’est très important.

Il vous faut maintenant…

TRAVAILLER.

Oui j’avoue que c’est bien moins glamour que cette idéologie de la passion.

Mais vous préférez sans doute la vérité plutôt que de vous bercer d’illusions, pas vrai ?

En effet, “beaucoup de gens ont du talent, mais seul le travail permet de faire carrière” (Alice Parizeau).

Le travail est difficile, vous vous heurtez à des difficultés, à des obstacles, vous vous confrontez à l’injustice qui est l’attribut commun à tout environnement de travail.

Si le talent détermine la ligne de départ, c’est bien le travail qui détermine la ligne d’arrivée.

Comme le disait John Coltrane, le saxophoniste de Jazz, “on doit sortir les mauvaises notes avant de jouer les bonnes”.

Ou encore, pour reprendre l’exemple de Julie Zhuo : 

“J’ai appris principalement sur le tas, et malgré mes meilleures intentions, j’ai fait de très nombreuses erreurs. Mais il en est ainsi pour tout dans la vie : vous essayez quelque chose. Vous vous figurez ce qui fonctionne ou pas. Vous en tirez des leçons pour l’avenir. Et vous vous améliorez. Puis vous répétez l’opération.”

Même si j’ai énoncé plus haut que Michael Jordan était une exception (si son nom est utilisé pour exprimer l’étalon-or dans n’importe quel domaine, c’est bien pour une raison), ce qu’il dit sur le travail est édifiant :

 “Je pense juste que j’ai acquis l’habitude de travailler. L’on m’a toujours enseigné que pour atteindre un but que l’on s’est fixé dans la vie, on doit travailler dur, et jusqu’à maintenant vous savez, j’ai toujours gardé ça en tête.”

Ce que vous devez garder en tête : ceux qui vous font rêver sont aussi les plus travailleurs qui soient.

Vous devez pratiquer délibérément. Maîtriser une compétence demande de l’entraînement.

Si vous pratiquez constamment, vous ne pouvez que vous améliorer, le travail conquiert tout.

Concentrez-vous sur les tâches à exécuter et exécutez-les bien, libérez-vous des comparaisons stériles entre votre travail actuel et un hypothétique job rêvé attendant simplement d’être découvert.

Bientôt, vous lèverez les yeux et vous rendrez compte que vous êtes devenu bon dans ce que vous faites, vous en retirerez de la fierté et du plaisir, et votre entourage s’en rendra compte également.

Des opportunités se feront jour.

Et c’est en fournissant ce travail, jour après jour, que la passion suivra. 

En effet, l’aspect financier, la reconnaissance, la pertinence, la camaraderie, le sentiment de votre propre valeur vont nourrir votre amour, votre passion pour le travail que vous faites.

Jean de la Rochebrochard en témoigne lui-même dans la vidéo vue plus haut : 

“Je suis hyper heureux dans ce métier d’accompagnement des entrepreneurs, c’est ça qui me fait kiffer, et ça me fait kiffer aussi parce que je suis bon là-dedans !” (...) Quand t’es bon, t’es content, c’est pour ça que tu fais ça.”

3 éléments permettent en effet d’indiquer que votre travail est épanouissant : 

  • L’autonomie

  • La compétence

  • Votre connexion avec les autres

Ces éléments supposent du temps.

Cela prend du temps d’acquérir compétence et autonomie, car les 2 sont liés.

Dans la plupart des jobs, la mesure de votre compétence est aussi celle de votre autonomie car plus vous devenez bon dans ce que vous faites, plus vous obtenez du contrôle sur vos responsabilités.

En définitive, afin d’apprécier ce que vous faites, bien travailler l’emporte haut la main sur “avoir un bon travail”.

“Je n’aime pas le travail, nul ne l’aime ; mais j’aime ce qui est dans le travail l’occasion de se découvrir soi-même.” (Au coeur des ténèbres, de Joseph Conrad)


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8 réactions à cet article    


  • sylvain sylvain 24 août 2021 19:39

    moui moui, c’est plus vrai que les mantras béats de la silicon valley.

    Cependant il me semble que tout ça ne s’applique pas a une certaine catégorie de travail. En fait a la seule catégorie qui devrait être vraiment considéré comme un travail, c’est a dire la production, ce qui relève des besoins de base de notre espèce. Précisément tout ce que font les prolétaires.

    Qu’on arrive aujourd’hui a tellement parler de l’épanouissement et du plaisir au travail est certainement la meilleur illustration du fait qu’on a exporté dans d’autres pays la plus grande partie de ce type de travail.

    Quelqu’un qui bosse a la chaine, comme éboueur ou poseur de parpaings n’ira jamais pondre un texte sur l’épanouissement au travail, il profitera de son repos en attendant que la putain de semaine recommence


    • xana 24 août 2021 21:07

      La meilleure façon de gâcher une passion, c’est d’en faire son boulot.


      • Aita Pea Pea Aita Pea Pea 24 août 2021 21:14

        @xana
        Parles en a Rocco Siffredi ...


      • Ruut Ruut 25 août 2021 08:38

        @xana
        ça dépend, si ta passion nécessite des infrastructures couteuses, en faire ton travail est utile, mais bride fortement ta liberté, sauf si tu es toi-même le patron....


      • Clark Kent Lampion 25 août 2021 08:44

        @Aita Pea Pea

        Oui, ben justement, sa passion à lui, c’est la collection d’estampes Japonaises de l’époque d’Edo, et en particulier de l’école de l’ukiyo. Comme il est joli garçon et assez doué naturellement pour les rôles de jeune premier, il fait aussi du cinéma, mais c’est alimentaire, parce que ces machins-là, ça coûte un max, un pognon de dingue.

        Il a donc trouvé un travail « épanouissant » (et même dilatant) qui lui permer de conjuguer ses exigences esthétiques et une certaines éthique de la vie par le partage.


      • quijote 25 août 2021 11:12

        Article intéressant. Et fondé sur des présupposés psychologiques justes. Dans un domaine où l’époque et l’air du temps promeuvent tellement de naïvetés criminelles. La réalité s’impose toujours.


        • exocet exocet 25 août 2021 22:23

          Bonjour, Dolores33

          fine analyse...Bravo je n’avais jamais pensé à ça...


          • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 27 août 2021 08:53

            Il y a passion et passion. J’imagine que les nazis ou les tueurs en série sont ou devaient être passionnés. On peut l’être dans le bien, comme dans le mal. On a démontré que les hormones du plaisir étaient pareils : chez Mère Térésa eu un tueurs. J’imagine l’extase des djihadistes...

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