La Russie et les Talibans : De nouveaux intérêts communs
Compte tenu de l’escalade des indicateurs de conflit géostratégique entre les puissances régionales et les grandes puissances, il est peut-être très important d’essayer de comprendre la vision stratégique de la Russie concernant le retour au pouvoir des talibans en Afghanistan.
On peut noter les fondements de cette vision, dont le premier est de remettre en question l’efficacité des alliances internationales dirigées par les États-Unis.
Le discours politique russe s’attache à démontrer le manque de crédibilité de ces alliances et l’incapacité des États-Unis, en tant qu’allié stratégique, à respecter leurs engagements de défendre les intérêts et la sécurité nationale des États.
Ça se refléterait sur les attitudes des alliés atlantiques ainsi que des alliés des États-Unis dans diverses parties du monde qui considèrent Washington comme un allié fort et fiable.
La deuxième est que le président Poutine s’efforce de contourner tout plan américain visant à faire du régime taliban une épine dans le pied de la Russie et de la Chine en contenant la menace talibane et en établissant des liens solides avec le mouvement, indépendamment de son intransigeance et de son obscurantisme. La dimension idéologique n’existe plus dans la politique étrangère russe.
Moscou a l’une de ses plus fortes alliances internationales avec le régime des mollahs d’Iran, qui n’est pas très différent du projet de régime religieux des talibans. La Russie n’a donc pas peur de la vision religieuse fermée du mouvement et ne se soucie pas des libertés et des droits de l’homme, ce qui, selon l’Occident, constitue un problème dans les relations avec les talibans.
Il faut noter ici que la Russie cherche ses propres intérêts et se rend compte que le discours occidental sur les droits et les libertés est souvent soumis à l’emploi politique.
La preuve est que l’Occident lui-même discute avec le régime iranien sur d’autres questions stratégiques, dont certainement pas la question des droits de l’homme ou des libertés en Iran, et que l’allié de l’Iran peut ouvrir des canaux de communication et de relations avec l’Occident si un accord est conclu qui servira les intérêts des deux parties.
Le troisième point concerne la tentative de la Russie de torpiller la reconstruction des pays que les États-Unis ont longtemps promue dans le cadre de ce qu’on appelle la théorie du chaos créatif.
La Russie et la Chine semblent spécifiquement avoir un intérêt stratégique avéré à mettre fin à l’approche américaine de la reconstruction des nations et à imposer un modèle de gouvernance démocratique dans les phases post-conflit.
La Russie considère le modèle afghan comme un nouvel exemple de l’échec de l’imposition d’un système de gouvernement depuis l’étranger sans tenir compte des contextes et conditions internes, historiques et sociaux des États, de leurs particularités sectaires, religieuses et ethniques, ainsi que de leurs traditions historiques.
Les expériences sociales et politiques de ce type n’ont jamais été couronnées de succès ; elles n’ont abouti qu’à la destruction des États et à la détérioration des systèmes politiques et sociaux, selon le président Vladimir Poutine.
Le quatrième point concernait la volonté de Poutine de profiter des erreurs des États-Unis et de l’Occident pour promouvoir et rétablir l’influence mondiale de la Russie.
Bien que la Russie montre officiellement une certaine réticence à l’égard de la question de la reconnaissance des talibans et de la nécessité de surveiller leurs comportements et leurs actions, il existe des signes clairs des intentions de Moscou en matière de rapprochement avec le mouvement.
Le président Poutine lui-même a fait ces remarques dans sa première déclaration depuis que les talibans ont pris le contrôle de la capitale afghane. « Ce sont les réalités et c’est à partir de ces réalités que nous devons procéder, en empêchant l’effondrement de l’État afghan, » a-t-il déclaré.
Il a ajouté que les talibans avaient déclaré une cessation des hostilités et avaient commencé à établir l’ordre public. Ils se sont engagés à assurer la sécurité de la population locale et des diplomates étrangers, exprimant l’espoir que ces engagements seront mis en œuvre sur le terrain.
Il a aussi espéré que le Conseil de sécurité de l’ONU coordonne le traitement des talibans et évalue leurs positions et leurs politiques.
Ça donne à la Russie et à la Chine un rôle clé dans le façonnement de la réalité afghane dans la période qui suivra le retrait américain, afin d’éviter une répétition de la gestion unilatérale par les États-Unis et leurs alliés occidentaux de dossiers importants qui ont eu des effets négatifs sur les intérêts stratégiques chinois et russes.
Il est certain que les talibans profitent de la position de la Russie dans la campagne de relations publiques, cherchant à consolider l’échec des États-Unis et de l’OTAN en Afghanistan. Les positions russes soutiennent fortement l’orientation des talibans.
Moscou a vu dès les premières heures du contrôle de la capitale afghane par les talibans que la situation à Kaboul n’est pas aussi mauvaise et dangereuse que les médias occidentaux la dépeignent. La situation serait si stable que l’ambassadeur russe en Afghanistan, Dmitriy Zhirnov, a indirectement rendu un service important aux talibans en déclarant que « rien ne menace la vie normale à Kaboul. »
Il a déclaré qu’il voit depuis la fenêtre de l’ambassade « la poursuite des études dans l’une des écoles d’éducation des filles adjacentes au bâtiment de l’ambassade. » De toute évidence, l’orientation officielle de la Russie repose sur la suspension du jugement des talibans. De nouveaux intérêts communs sont désormais explorés par la Russie auprès des talibans.
Mais ça ne signifie pas la possibilité d’une alliance. Ça signifie plutôt une tendance des parties à construire des ententes tactiques qui servent leurs intérêts communs.
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