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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > Gardeux d’cochons

Gardeux d’cochons

De l'Art et du cochon

Ce qu'il advint en cet après bien au-delà de maintenant mérite qu'on s'y attarde un peu. Notre copain le cochon a déserté nos assiettes, poursuivi à la fois par les foudres des nutritionnistes, des végétariens et les anathèmes de confessions qui pour une fois se donnent la main. Lui qui fut le compagnon de nos anciens, une des rares sources de protéine, presqu'un membre de la famille couvé du regard dans l'attente de son sacrifice, il s'est retiré du jeu sous les quolibets de la foule.

Pauvre goret qui ne partage plus la bouillie et les restes, dont le lard ne vient plus réjouir la soupe des manants. Son histoire s'achève en queue de cochon, tirebouchonnée par l'industrie agro-alimentaire qui l'a consigné dans des enclos pour un engraissage aussi désastreux que chimique. Notre compagnon pourtant aimait les grands espaces, les glands et les châtaignes, trotter librement dans les sous-bois pour améliorer l'ordinaire et sa future chair.

J'ai grandi avec les cris des petits cochons, une fois par mois, venant transformer mon terrain de jeu en vaste marché où les maquignons jouaient du bâton et de la conviction pour animer le champ de foire. Tout de noir vêtus, portant biaude et chapeau, ils négociaient pied à pied pour que le prix fasse monter la sauce.

Puis c'était le bal des bétaillères, les animaux changeant de domaine, embarquaient pour de nouvelles aventures. La faim, alors justifiant tous les moyens pour que la viande soit succulente et la charcuterie, plat de fête. La Saint-Cochon était encore la grande célébration dans les fermes qui avaient toutes conservé un animal dans la porcherie, remplissant chaque jour l'auge du pensionnaire de tous les déchets formant bouillie.

Le Tue-cochon regroupait les proches, les amis, les voisins qui venaient participer à ce grand moment dont chacun tirerait profit par quelques morceaux de choix à défaut de roi. Trois jours consacrés à ce rituel qui faisait date dans le pays. Chacun, inconsciemment sans doute, honorant le dieu Celte Moccus, cousin par alliance de Mercure (Veteres chez les bretons qui adeptes de la tête de cochon, ne font jamais rien comme les autres).

Le premier jour, les hommes seulement, privilège de la braguette et du couteau se lancent la bouche en cœur dans la « tuerie ». Il faut d'abord maîtriser le futur supplicié qui ne l'entend pas de cette oreille. Une longe passée dans son groin, une autre autour du pied : les techniques d'immobilisation de la peau lisse n'ont guère changé au fil des siècles, le condamné est traîné jusqu'à une échelle, un brancard pour sa mise à mort.

La tête dans le vide, le prince de la ferme préfigure le sort des suppliciés de la Terreur. Le Tueur du reste est un officiant spécialisé dans la chose, un savoir spécifique transmis de père en fils avec le couteau spécial destiné à cet effet. Le cochon sera égorgé, l'artère promptement sectionnée afin de recueillir le sang sacrificiel dans une liturgie païenne. Ce sont les femmes qui feront le boudin, juste répartition des rôles diront les traditionalistes.

Le cochon mort bénéficiera d'un grand bain, ablutions mortuaires données dans la maie. De l'eau très chaude pour enlever la soie qui recouvre sa peau. Les hommes se font thanatopracteurs, ils ôtent les ongles du défunt, le vident et confient les boyaux aux dames afin de les laver soigneusement pour la suite des opérations. En attendant, le corps passera la nuit suspendu en appui sur une échelle.

Le deuxième jour les hommes brisent les côtes puis se chargent de la préparation des différentes pièces de viande. Le morceau de choix est le jambon qu'il importe de ne pas prendre par-dessus la jambe. Puis par ordre de préférence : les longes, les échines et les ventrèches sont découpées. Intervient alors une sorte de bifurcation pour les différents morceaux ; les uns vont vers le saloir pour la conservation tandis que d'autres seront préparés pour une consommation rapide.

Comme tout est bon dans le cochon, la belle équipe prend soin de tout récupérer en distinguant trois grandes catégories. La graisse sera fondue et précieusement conservée. Les morceaux avec du sang passeront au hachoir, assaisonnés pour devenir des pâtés tandis que les morceaux moins sanguinolents deviendront des saucisses. Ces dernières seront l'objet de toutes les attentions le troisième jour.

La mort du cochon implique immédiatement son remplacement par un nouveau locataire de la souille. L'année suivante, le cycle reprendra ses droits et de nouveau, la belle assemblée se réunira, s'harnachera de grands tabliers, pour procéder à une nouvelle « tuaille ». Si ce rituel a pris du plomb dans l'aile tant les interdits et le délire hygiéniste de nos législateurs est grand, d'autres avaient totalement disparu avec l'école obligatoire.

Le petit gardien de cochon, conduisant les bêtes à la lisière de la châtaigneraie ou sous la futaie de chênes a depuis longtemps été oublié. Ce fut même un métier pour peu que la troupe porcine fût nombreuse. Il convient ici de rendre hommage à ces Gardeux d'cochons à travers un extrait d'un texte de Gabriel Nigond que m'a fait découvrir un formidable conteur : Jean Claude Bray qui incarne totalement ces personnages d'un autre temps, tous évoqués merveilleusement par la plume de cet auteur injustement oublié.

Je vous invite vivement à vous plonger dans la lecture des « Contes de la Limousine » de Gabriel Nigond, né en 1877 à Châteauroux parce que sa mère suivait les déplacements d'un père ingénieur des Ponts et Chaussées. Le jeune Gabriel poursuivra ses études à Paris et deviendra un célèbre auteur dramatique avec 23 pièces à son actif. Ce sont ses textes en patois du Berry qui vont lui valoir de dépasser les affres de l'oubli.

C'est notamment Jean-Claude Bray, un conteur exceptionnel d'authenticité et de sincérité qui redonne vie de la plus belle et émouvante manière dans des spectacles qui laissent le spectateur totalement sidéré par sa performance. Monsieur Bray propose deux spectacles tirés des textes de Gabriel Nigond : « Les contes de la limousine » et « Tomas Gâgnepain, soldat de la grande guerre ». Voir et entendre Jean-Claude Bray est un plaisir sans pareil. Je vous conseille vivement de le faire venir chez vous, dans une salle de spectacle ou bien un jardin. Vous ne le regretterez pas.

 

Gardeux d'cochons

de Gabriel Nigond

 

J'sais ben qu'j'ai pas de beaux yeux ni bell' mine

Ni toujou' bon comportement

J'mange pas ma soup' ben proprement

Et darrié les plis d'mon vêt'ment

J'peux louer quèqu' chamb's à la varmine

On prétend mêm' qu'j'suis timbré,

Qu'y'a d'la foli' dans ma tournure

Et qu'j manque un peu d'comprenure

Dam ' ! Pour ça, j'dis point qu' c'est pas vrai !

Mais, si l'bon Dieu m'a fait d'la sorte,

Gardeux d'cochons, sauf vot' respect,

C'métier là, faut ben qu' j'l'supporte ;

J'peux pas y dir' qu'y sa trompé

 

Dam, moué j'ai ren ! C'est grand dommage

Mais qu'on soy' marquis ou ben forçat

Si Dieu nous fit à son image

On peut pas êtr' si mal fait qu' ça !

 

Pis mon métier, faut qu' j'vous dise

Eh ben, franchement, y m'déplait pas !

Mes cochons sont blancs, ma chienne est grise

Les près sont verts, et trott' Lucas !

Des cinq heur's d' la matinée

Qu' l'soleil soye ou non sorti,

En avant march' ! Nous v'là partis !

On nous verra pas d'la journée

Les douz' gorets fouin't par devant,

Moué, j'caus' aux gas du labourage

Et Patounn' me suit, prenant l'vent

Ben fourni d'patience et d'courage

L'poil long, frisé, l'ventr' en cerveau

Les yeux cachés sous sa moustache.

Et si sa laideur y fait tache,

All' a point la çarvell' d'un sot

Si l'Goury mange les bl'ettes

Ou qu'l'Rousset veut s'écarter

A's charge de leur faire eun' toilette

Qui les ramèn' du bon côté

Et pis, c'est ça d'la bell'ouvrage

C'est du travail ben entendu

La Patounne y met jamais d'rage

A mord comm' fait qu' ça soye mordu

 

Quand c'est l'coup d'midi, on s'arpose

Pis, ma chienne et moi, j'avions grand faim

Not'gouter c'est pas ben grand chose

Eun couenn' de lard , un trognon d'pain

 

Et'l'temps coul' comme ça sans douleur,

j'gratt' ma biaud', ma chienn' son oreill'

Tant si ben qu' quand l'cochon s'réveille

J'avons passé la grand' chaleur

J'nous en r'venons l'soir au domaine

Attend' qu'y fass' jour au lendemain.


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25 réactions à cet article    


  • babelouest babelouest 6 septembre 2021 10:18

    Dans not’village, quand on voyait passer « Dédé » avec sa massette au bout d’un manche flexible de deux mètres, et son immense couteau, on pouvait se douter qu’un porteur de queue en tirebouchon allait soudain se sentir mal. C’était loin, plus de cinquante ans ! Trois jours de grande fièvre, avec en prolongement la préparation des jambons... une fois par an, au cœur de l’hiver..... rien que les rillettes (« le grillon ») mijotaient dans la cheminée immense pendant deux jours, surveillées dans une bassine de cuivre rutilante.

    .

    Plus tard, un bon mois plus tard, ce sont les jambons, après passage au pressage dans le sel et la mixture d’épices diverses dans l’eau-de-vie, qui finissaient le processus de préparation dans les fumées du feu quotidien. Il faut dire que le boucher et le charcutier n’avaient certainement pas un gros chiffre d’affaires, d’autant qu’il y avait aussi le voisin mareyeur-marchand de poissons, qui allait toutes les semaines au moins se ravitailler à l’encan de La Rochelle. L’avantage, d’habiter à moins de 50 Km de l’océan !


    • C'est Nabum C’est Nabum 6 septembre 2021 13:11

      @babelouest

      Racontez moi l’histoire de Dédé


    • babelouest babelouest 6 septembre 2021 13:28

      @C’est Nabum
      Dédé, André bien sûr, était un vieux garçon. Il était né juste en face de la ferme de mon grand-père. Un peu replet, il vivait seul et son jour de gloire, tout les ans, vu ses biceps, était de porter sans fatigue l’étendard des pompiers du village, pour les fêtes nationales. Bien entendu tout le monde connaissait sa bonne bouille ronde. Et bien entendu aussi, tous les fermiers du coin faisaient appel à ses services comme grand ordonnateur des Journées du Cochon. Il ratait rarement ses gestes, et les pauvres animaux ne devaient pas sentir grand-chose avant de ne plus avoir de conscience. Il était naturellement aussi mis à contribution pour les battages, chaque été : il avait le redoutable privilège, comme mon père, de porter les lourds sacs de grain « dans les pianchers » en vue de la future semence. Un sac pesait 80 Kg.
      Bien entendu, solitaire, il était un peu fruste, mais avec le cœur sur la main comme il l’avait, qui pouvait lui en vouloir ?
      Ayant déménagé, je ne l’ai plus revu, et je ne sais même pas quand sa maison s’est retrouvée vide. Les jours de gel, je repense à lui, quand il se déplaçait « avec ses outils ».


    • cevennevive cevennevive 6 septembre 2021 10:53

      Bonjour C’est Nabum,

      Eh oui, je l’ai vécu tout cela.

      Notre cochon « annuel » était élevé comme un membre de notre famille. Il me regardait en soupirant à travers le treillis de son « appartement » qui donnait sur « la cabane au fond du jardin ». Je lui parlais , lui disant qu’avec ses yeux roses, il était bien laid...

      Et puis un jour, mes parents m’éloignaient de la maison car je ne supportais pas les cris du condamné. Les voisines, les parents, la grand mère, s’activaient devant les tables couvertes de bidoche et les chaudrons plein de bonnes choses qui sentaient si bon.

      Et on se régalait des saucisses, jambons et pâtés toute l’année.

      Après cet « assassinat », un autre pensionnaire venait emplir le même office, avec ses yeux roses et ses soupirs, faisant du lard pour notre soupe de l’hiver suivant...


      • C'est Nabum C’est Nabum 6 septembre 2021 13:12

        @cevennevive

        La France d’avant
        Avant que tout disparaisse dans une idéologie absurde


      • Clocel Clocel 6 septembre 2021 13:18

        @cevennevive

        La petite omelette avec la cervelle du porc, les graillons frais... Seigneur...


      • C'est Nabum C’est Nabum 6 septembre 2021 13:55

        @Clocel

        que du bonheur


      • cevennevive cevennevive 6 septembre 2021 14:55

        @C’est Nabum, Clocel,

        Et le boudin, poêlé avec les petites pommes rouges du verger rissolées doucement dans la graisse du cochon... 


      • cevennevive cevennevive 6 septembre 2021 15:19

        Et les femmes allaient à la rivière, les banastes (paniers d’osier) pleines des tripes du cochon pour les laver, suivies par les chiens et les chats.
        Au bord de l’eau, les petits poissons frétillaient dans le courant pour attraper les débris du nettoyage.
        Après, les chapelets de saucisses pendaient au grenier en compagnie des saucissons et des jambons.
        j’ai gardé, dans ce fameux grenier, que nous appelions « le charnier » les cordes et les crochets de cette époque, sans rien y changer.
        Mais saucisses et jambons sont désormais l’apanage du commerce, et ils sont largement moins goûteux... 


      • charlyposte charlyposte 6 septembre 2021 16:46

        @cevennevive
        C’est pas facile à ce jour de manger un cochon en famille... ya toujours une femme au moment de servir qui dit * balance ton porc * ! j’ te dit pas l’ambiance smiley rien à se mettre sous la dent pour finir au MAC DO avec un burger industriel ! smiley mince alors .


      • C'est Nabum C’est Nabum 6 septembre 2021 16:49

        @cevennevive

        J’arrive


      • cevennevive cevennevive 6 septembre 2021 17:00

        @charlyposte, bonjour,

        Hou hou le vilain ! Jamais je ne dirai, ni même ne penserai cela !
        Les pauvres porcs, les pauvres hommes !
        J’aime les deux d’ailleurs... 


      • Clocel Clocel 6 septembre 2021 17:53

        @cevennevive

        Et les « musets * » bien dodus, mis à sécher au plafond de la souillarde, de temps en temps l’un d’eux dégringolait, et là, il fallait être plus rapide que le chien ... Ou pas ! smiley

        Quelle rigolade de voir le bestiau fuir ventre à terre avec le jackpot ! smiley

        Ces jours-là étaient jour de fête, même pour les chiens...

        * Je trahis mes origines vénitiennes...


      • juluch juluch 6 septembre 2021 11:38

        Pas vécu mais ma famille avaient le cochon dans la remise au village et meme dans les quartiers de Marseille chez des cousins....une autre époque qui revient peu à peu.

        Tout est bon dans le cochon !

        pauvre goret !


        • C'est Nabum C’est Nabum 6 septembre 2021 13:13

          @juluch

          Pour tuer le cochon désormais l faut enfreindre la loi d’une Europe vendue aux puissants


        • charlyposte charlyposte 6 septembre 2021 15:28

          @juluch
          C’est dommage pour moi car là ou j’habite il n’y a que des limousines, pas les bagnoles smiley mais des vaches partout dans les beaux près en coteaux qui m’entourent et ça broutent à longueur de journée en se foutant de ma gueule quand je passe devant smiley et si l’animal c’était moi !!! hum.


        • titi titi 6 septembre 2021 13:33

          @L’auteur

          Bah j’habite pas un coin spécialement reculé...

          On peut réserver un « demi cochon » et avoir ses salaisons pour toute l’année.

          Et même des saucisses pour le barbeuq.

          Bon alors évidemment.. on paie pas par le « sans contact »

          du coup c’est moins cher qu’en grande distribution.

          et c’est pareil pour la volaille... 


          • C'est Nabum C’est Nabum 6 septembre 2021 13:56

            @titi

            Vous êtes un bienheureux


          • titi titi 6 septembre 2021 14:43

            @C’est Nabum

            Alors étant un « étranger » ça ne s’est pas fait tout seul...

            Mais si vous êtes à peu près sympa avec les gens du coin, vous aurez peut être même droit au partage des infos sur les coins à champignons.


          • C'est Nabum C’est Nabum 6 septembre 2021 16:48

            @titi

            Pour les champignons, la seule est plus délicate
            Même sous la torture, cela demeure secret


          • charlyposte charlyposte 6 septembre 2021 15:09

            En général je préfère les cochonnes smiley pour les cochons on a déjà * balance ton porc * hum.


            • C'est Nabum C’est Nabum 6 septembre 2021 16:49

              @charlyposte

              Je n’ai rien à ajouter


            • babelouest babelouest 6 septembre 2021 17:39

              C’est à de tels détails, qu’on constate combien, en cinquante ans, énormément de choses ont changé : d’où le livre que j’avais écrit, et qui justement décrivait tous ces gestes, toutes ces situations, toutes ces attitudes, qui soudain n’existent plus. J’en remets la référence ici, en précisant que je n’en retire pas un centime. Ce n’était pas le but de l’opération : il s’agissait de témoigner, avant qu’il ne soit trop tard. Était-ce mieux, tout pris en compte ? Était-ce moins bien ? A chacun d’en tirer ses conclusions, en fonction de ses propres critères.

              https://www.lulu.com/fr/fr/shop/jean-claude-cousin/il-avait-des-lunettes-et-une-t%C3%AAte-ronde/paperback/product-1p7ye9p7.html?page=1&pageSize=4


              • RémyB RémyB 7 septembre 2021 09:53

                Suite au décès de mon père, j’ai pris le relais dans la tuerie du cochon.

                je ne l’ai qu’une fois, trop écœuré par toute cette viande rouge,

                éleveur (de porcs) j’étais, charcutier, non.

                :o/

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