Le Grand reset éclairé par les Sphères du monde historique
Extrait de mon livre sur l'époque du Covid. Qui sera édité ou pas
Chaque époque est propulsée et traversée par des craintes, désirs, volontés et espérances. Le parallélisme entre fin du monde médiéval et monde Covid (climat, numérique) se justifie si l’on a noté la diffusion massive des peurs diversifiées. De tous temps les hommes ont craint la Nature (climat, fécondité, maladie) ; ils ont craint les Hommes, d’où l’apparition des guerriers et des armées ; ils ont redouté la mort, cherchant l’immortalité ou le salut. Les philosophes grecs puis romains ont expliqué comment ne pas s’occuper de la mort. Les hommes ont compris qu’à plusieurs ils pouvaient solutionner des problèmes et réaliser des choses impossibles à faire en ordre dispersé. Ils ont alors inventé les ordres politiques, Etats, lois, régimes. Et pour se rassurer, les hommes ont inventés des outils à profusion, à la fois techniques et sémantiques, techniques, pour agir, intervenir dans le monde, avoir un effet, résoudre un problème ; sémantique pour savoir comment faire, comment se comporter, transmettre des ordres, du sens sur l’existence, se rassurer ou alerter sur les dangers. L’évolution des civilisations, depuis Sumer jusqu’à l’ère numérique, se divise en cinq phases. Chaque ère a ses craintes, ses élans, ses systèmes politiques, ses solutions techniques et sémantiques. Seul un gros livre permettrait d’expliciter les traits caractéristiques de ces cinq ères, ce qui n’empêche pas de donner quelques indications et d’exposer la démarche suivie. L’idée de sphère est empruntée à Peter Sloterdijk et désigne la constitution d’un monde commun non pas naturel mais construit par les hommes, un monde dans lequel l’existence (avec son environnement) est constamment interprétée pour indiquer comment il faut agir et pourquoi il faut le faire. Le principe de la sphère a également été employé par Régis Debray dans son étude sur les trois âges de l’Europe. L’homme est le seul animal qui vit dans deux mondes, l’un naturel, l’autre sémantique. L’interprétation de l’existence divise les ères historiques. Les savoirs, les connaissances et les techniques déterminent le sens de l’existence.
3500 av. J.-C. → 500 av. J.-C. Cosmo-sphère
- 500 → 600 Anthropo-sphère
600 → 1450 Théo-sphère (Logo-sphère)
1450 → 1800 → 1970 Grapho-sphère
1970 → 2010 → Techno-sphère → Numéri-sphère
Les trois premières ères sont décalquées sur la classification des idéologies politiques qui se sont succédées depuis l’Antiquité archaïque jusqu’au monde médiéval. Je reprends le propos développé par Voegelin sur le lien entre gnose et système politique. La Cosmo-sphère repose sur les modèles issus du Ciel et de la Nature. C’est l’ère des mythes, des sorciers et des héros, des prêtres et des rois avec les cités-temples reliées au Mythocosme. L’ère axiale est marquée par l’émancipation de l’Homme qui parvient à s’extraire de l’emprise psychique du Mythe. La philosophie guide les hommes, aide à construire le Politique, mais ne résout pas les peurs. La Logo-sphère, héritée des religions du Livre, installe l’homme dans un monde clos gouverné par un Dieu unique. La vie s’achève avec la promesse d’un salut dans le monde de la vie éternelle.
On doit à Régis Debray le concept de médiasphère désignant comment les signes, les images et les langages façonnent notre univers. Une sphère est donc générée par l’usage d’un mode de communication. Pour séduisante qu’elle doit, cette thèse ne doit pas occulter le contenu véhiculé par les médias. La Logosphère de Debray couvre en fait les trois premiers âges des civilisations structurées par des transmissions orales avec néanmoins des pôles structurants centraux, ceux de la cité, opposés à la ruralité. Urbi et Orbi disaient les Romains qui signifiaient le rattachement des confins de l’empire à la ville de Rome. La Grapho-sphère désigne l’ensemble des sociétés dont la transmission des savoirs et images utilise comme support le livre imprimé et reproduit à souhait. La vidéosphère correspond à l’ère de l’image transmise par voie hertzienne avec la télévision, puis les moyens colossaux de l’Internet. Il faudrait employer la notion de Numéri-sphère pour signifier cette extension colossale des moyens de diffusions de contenus. Et désigner par Techno-sphère ce qui définit l’existence pour la plupart des hommes sur cette planète suite aux révolutions industrielles du XXe siècle. L’homme est entouré par une Nature artificielle, faites de dispositifs techniques, scientifiques, matériel, de superstructures urbaines, de réseaux de communication. Ces dispositifs ne sont pas neutres, ils pourraient générer un changement dans les genres, types et caractères humains et sont porteurs de transformations cérébrales que l’on commence à déceler.
a) La Grapho-sphère accompagne l’ascension des Nations après la fin du Moyen Age et la longue guerre de 100 ans. Machiavel instaure une rupture en philosophie politique. Les principautés puis les royaumes ne seront plus sous la protection divine mais sous celle du Prince. L’ère de la graphosphère est marquée par l’avènement des grands commis de l’Etat, des chefs militaires lettrés, des hommes taillés pour régner sur un régime, gouverner un pays et un Etat de plus en plus puissant. Les hommes de la Grapho-sphère vivent dans la Nation, en épousent les codes, les valeurs, les rites, en puisant le sens dans les livres imprimés puis une instruction publique accordant une place de choix aux enseignements que l’on appelait les humanités, grammaire, littérature, histoire, géographie, instruction civique. La politique s’inspirait des récits nationaux et des idéologies centrées sur l’Homme, raison, progrès, lutte des classes, nation, libéralisme. Une formule résume cette ère ; aux grands hommes, la patrie reconnaissante. La Grapho-sphère répond à la célèbre formule de Heidegger, le langage est la demeure de l’être, transposée ainsi, le langage est la demeure des hommes dont la maison commune est la Nation. D’où les nationalismes comme idéologies répondant à cette conjoncture historique. Puis l’insertion des Nations dans un ensemble structuré par deux « empires et idéologies », communisme et libéralisme. Et à nouveau par de grands récits.
b) La Numéri-sphère représente une rupture majeure. La maison commune n’est plus la Nation mais un empire sans contours, fait de signes, de chiffres, de dispositifs de mesure, d’applications. L’accès à l’expérience des mots et des images prend un tournant inédit, amorcé avec l’apparition de cet outil universel, la télécommande, prolongé par le clic sur la souris ou l’écran tactile. Le rapport au contenu n’est plus le même, livré au caprice du moment. Un programme ou un texte ne convient plus, mais sans en avoir épuisé le contenu, on zappe. Les nouveaux dieux et démons ont fait irruption, les hackers, les manipulateurs de virus, de graphène, de puces électroniques, d’intelligence artificielle, de vaccins. Des nouveaux mythes sont apparus, des récits dystopiques, sur la fin du monde, le réchauffement de la planète, l’extinction des espèces, les pandémies à répétition, le transhumanisme et la quête d’immortalité refaisant surface quatre millénaires après Gilgamesh. Les philosophes sauront interpréter diversement ces évolutions. J’y vois personnellement une régression de l’humanité, une sorte de perte de fonction s’opérant dans les générations à venir qui risquent de perdre un usage de la Raison et de la Liberté pour obéir aux injonctions sanitaires et sécuritaires. Les humains s’en remettent à des dispositifs artificiels supplantant leurs capacités naturelles à agir, prendre des risques, conduire et se conduire avec précision et retenue. Le véhicule autonome en est l’illustration édifiante. Comme du reste nombre de dispositifs reposant sur l’intelligence artificielle fabriqués pour dicter les décisions à prendre. Les comportements et les décisions individuels sont reliés par un mycélium invisible, fait de câbles, réseaux électriques, transmissions hertziennes. Les réseaux centraux des GAFA et leur utilisateurs se nourrissent de datas qu’ils échangent, à l’image des arbres et des champignons reliés par les mycéliums.
Nous avons pu lire que selon nombre d’observateurs, le monde de 2022, et donc censé être post-Covid, se présente comme un retour au monde d’avant 2020. En fait, le Covid a permis de renforcer les tendances du monde d’avant, celui qui s’est dessiné après la crise financière de 2008. Un renforcement qui doit se faire pour le bien de tous, le progrès mutuel, l’environnemental, ont décrété le prince Charles, héritier de la Couronne et Klaus Schwab, fondateur et directeur du forum économique mondial qui se réunit chaque année à Davos. En mai 2020, au moment de la première vague de Covid, Schwab et Charles proposèrent une grande réinitialisation pour accomplir les transformations censée être éthiques du capitalisme. Le grand reset fut rapidement érigé en mythe plus ou moins complotiste annonçant le « nouvel ordre mondial ». Mais ce nouvel ordre n’était-il pas déjà dénoncé dans les années 2010, bien avant le Covid ?
Une fois de plus, le progrès colossal des sciences et techniques moderne n’est pas suivi d’un progrès moral, intellectuel et spirituel nécessaire à l’avènement d’un monde pacifié, harmonisé, bienveillant, juste. La science a créé une conjecture de craintes disproportionnées, diffusées en masse par les médias de toutes sortes. Cette atmosphère apocalyptique, ce sentiment de fin de monde, traversé par des inquiétudes rationnelles et des peurs irraisonnées, n’est pas sans évoquer le vécu des populations juives en Palestine lorsqu’Auguste instaura l’Empire après la bataille d’Actium. L’ère moderne est en fin de course. L’espoir du progrès s’est transformé pour beaucoup en une attente de salut. Qui et comment pour sauver le monde ? La réponse est dans l’âme humaine, dans le mystère qui se vit, une grâce venue d’on ne sait quelle transcendance. Les promoteurs du grand reset éco-humaniste croient qu’il suffit de réparer le monde. Ce qui est consistant avec le capitalisme qui trouve dans la réparation une source de profits.
La thèse du Grand reset est en réalité une idéologie qui ne veut pas se présenter sous son vrai jour, une idéologie sans manifeste, ni parti communiste, ni livre rouge, ni kampf racial. Quoique, les Accords de Paris signés en 2015 représentent un petit livre vert, manuel et manifeste adressé aux fidèles de l’écommunisme. Cette idéologie doit être abordée par l’analyse philosophique, la raison, et non pas laisser la porte ouverte aux mythes. Lorsqu’une idéologie est accessible à la raison, elle offre une prise au débat, à la contradiction, à l’action politique. Le Grand reset se veut universel, insérant le genre humain dans le numéricosme pour prendre soin des gens et de la planète. Le care, le soin, le principe de précaution, la planète sauvée pour les générations Greta. En langage technique, un reset est une remise à zéro ; la métaphore du Grand reset signifie la mise en place d’un nouveau logiciel et non pas une série de mises à jour comme on l’entend en évoquant le réformisme en politique. Un logiciel, une fenêtre pour voir le monde. Windows70, décliné en deux versions, communisme et démocratie libérale, est dépassé, comme du reste Windows90 avec ses variantes, ultralibéralisme, altermondialisme, modèle social européen. Nous entrons dans Windows20. Les acteurs de la transition écologique veulent dépasser la division entre empires ou entre civilisation et englober l’humanité entière. En revanche, chaque nation applique à sa manière le nouveau logiciel. La Chine et la Russie revendiquent leur spécificité. Et puis, idéologie ou pas, chaque Etat, devenu une machine, s’efforce de prendre sa part pour jouer au mieux dans le concert du développement technologique.
Que voit-on dans Windows 2020 ? Les glaciers qui fondent, les espèces qui disparaissent, les plastiques dans les océans, les canicules et les ouragans, les virus et les pandémies, les fake news et les GAFA. En paraphrasant la formule de Hobbes énoncée dans une toute autre période, le monde actuel est traversé par la peur de tous contre tous et face à tout. Les cadres et dirigeants du monde savent jouer sur ces peurs comme ils jouent également sur les attentes en termes de « marchandises et services ». Finalement, rien de neuf, l’humanité a toujours été divisée en dominants et dominés. Les dominants ont plus de puissance et sont un genre façonné par le gain de fonction, alors que les dominés sont marqués par une perte de fonction, la reine rouge de l’évolution dans le premier cas et la reine noire dans le second.
Le monde qui arrive est façonné par des idéologies adossées à la science et des régimes en décalage démocratique. Un nouveau commencement semble hors de portée, sauf si une prise de conscience spirituelle et massive se dessinait. L’humanité face à la grande énigme de la domestication. L’homme produit l’impasse qui l’enferme. Il a les ressources pour en sortir.
52 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON