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Sur l’existence

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“L’homme est le seule créature qui refuse d’être ce qu’elle est.” Albert Camus

Exister ce n’est pas seulement vivre ou être. C’est au dela. Exister c’est avoir la conscience de sa propre vie, incarner sa vie. C’est avoir conscience que l’on vit. C’est aussi vivre sa vie, avoir des projets, pouvoir se projeter dans le futur, envisager ses actions, les diriger.

Il n’y a pas d’existence sans une volonté, sans un désir de vie. De façon sous-jacente et parfois même inconsciemment, nous dirigeons nos actes en vue d’un but dont nous seuls connaissons le secret. Exister c’est aussi parfois s’affirmer, se mettre en avant, imposer sa volonté. On ne peut exister lorsqu’on se rabaisse constamment, exister est une lutte quotidienne, une affirmation permanente de soi. Avoir une existence, c’est avoir une présence, c’est savoir se diriger, même dans le brouillard, surtout dans le brouillard. La ligne n’est pas droite, le chemin n’est pas tracé. Nous devons louvoyer, tel un bateau, pour avancer, profiter de la force du vent, bien tenir la barre.

Parfois pourtant nous sommes emportés par les flots. Notre existence se réduit à suivre le mouvement. Nous devons lutter contre cela. Pour exister, il faut savoir avant tout qui l’on est, avoir conscience de son être. Seuls les hommes peuvent exister car eux seuls ont conscience de leur vie. Les animaux et les objets, sans vouloir les ramener d’ailleurs sur le même plan comme l’a malencontreusement fait Descartes avec ses animaux-machines, sont simplement là, sont directement présents au monde, sans intermédiation,. Pouvoir exister, c’est donc aussi pouvoir penser, pouvoir se retourner sur soi, être dans la réflexion et la réflection, l’analyse de sa propre vie.

Qu’est-ce qu’une vie qui serait sans existence ? Ce serait une vie vide, une vie plate, une vie sans introspection, une vie sans décision, sans volonté, une vie entièrement dirigée de l’extérieur. Exister c’est intérioriser sa propre vie. C’est vouloir avoir un contrôle sur sa vie.

Certains ont amalgamé l’essence et l’existence, celle-ci devant dépendre entièrement de celle-là, être son ombre dans le réel, l’existence étant en quelque sorte l’incarnation de l’essence, qui se situerait dans un au-delà fantasmatique . “L’existence précède l’essence” affirmait Jean-Paul Sartre. On doit plutôt voir l’essence comme un modèle de l’existence. Un modèle qui dans le monde réel peut prendre plusieurs formes. L’existence serait alors la déclinaison de l’essence, sa version finalisée et réalisée.

L’existence va souvent rentrer dans les rails du conformisme, un conformisme si fort qu’il va peu à peu écraser l’existence, la diluer dans un acide puissant, la dissoudre. On pourrait croire qu’on ne peut exister qu’en affirmant sa personnalité propre. Mais on peut aussi exister dans le renoncement ou dans l’adoption de règles de groupe, religieuses, philosophiques, culturelles ou ethniques. Car l’effacement peut être une forme d’existence, en se fondant dans un groupe. Certains même retrouvent une forme d’existence en empruntant cette voie, qui peut parfois les entraîner dans des options destructrices type suicide ou terrorisme. L’existence devient alors un moyen alors qu’elle devrait rester une fin en soi. On n’existe plus alors pour soi, mais on fait exister une forme de délire à travers soi. Pour éviter cette dérive, nous devons être conscients de notre existence et de son aspect central. Nous ne sommes pas en dehors de nous-mêmes. C’est toujours nous qui agissons. Notre responsabilité doit toujours être au centre de notre existence.

Existere (en latin archaique exsistere, soit ex+sistere),”sortir de “, “se manifester, se montrer” interprété par certains philosophes comme “être hors de soi” , donc auprès des choses (source Wikipedia). Il y a donc à la fois l’idée de vie et de mouvement. C’est l’individu qui est l’existant et la connaissance de sa réalité passe par sa conscience et par ses actes. L’existence est donc le point de jonction entre le réel incarné par le monde dans lequel agit chaque individu et l’imaginaire de celui-ci, le réel agissant sur l’imaginaire et inversement. L’existence c’est aussi le mélange de la réalité avec nos rêves, nos désirs, nos envies. Elle est donc à la fois dans le monde et hors de lui, un pied dans chacun.

Si l’on prend l’exemple d’Hamlet, son existence d’abord axé sur le mépris et le dédain vi-à-vis de sa mère et de son oncle, devenu son beau-père, s’oriente ensuite vers la vengeance et le désir de meurtre lorsqu’il découvre, de manière surnaturelle, via les confidences d’un spectre, qui serait son père, les agissements criminels de son oncle vis-à-vis de son père, le roi du Danemark. Il y a donc une évolution de son existence qui se transmute d’un état passif à un rôle actif, qui évolue du rôle de spectateur à celui d’acteur. Pour cela, il échafaude un plan qui consiste d’abord à faire croire qu’il a perdu la raison, ceci afin de faire apparaître via des formulations en apparence étranges mais néanmoins très justes la réalité de la situation. La folie permet alors de dire la réalité. Il utilise ensuite des comédiens en leur faisant jouer devant les intéressés la scène criminelle de son oncle et ses obscurs desseins. L’existence d’Hamlet a donc soudainement un sens, il lui donne un sens. et sa célèbre formule : ”Etre ou ne pas être, telle est la question.” n’est que l’hésitation à accomplir ou non sa tâche. Aura-t-il le courage d’abattre le meurtrier de son père et donc d’être en tant qu’homme ou bien n’en aura t’il pas la volonté ? Hamlet, c’est le dévoilement de l’absurdité de la vie et en même temps son côté grandiose.

“L’absurde naît de cette contradiction entre l’appel humain et le silence déraisonnable du monde.” Albert Camus

Qui est Hamlet et qu’est-il ? Hamlet est un jeune homme lunaire, indécis et irrésolu. Ce qu’il est va dépendre de ses choix et de ses actes, de sa résolution et de sa volonté. Hamlet c’est nous. La tragédie de l’homme est en lui-même. Et au dela de cette tragédie, être c’est aller avec son désir. Etre, dit Spinoza, c’est désirer, s’efforcer de persévérer dans son être. “Chacun règle toute chose sur son affect.” (Spinoza). La raison, la faculté de penser fait corps avec le désir tel qu’il se produit en nous. Hamlet oppose finalement une existence sans vie à une vie sans existence. L’existence est comme le film qui retrace l’ensemble de nos actes, de nos pensées, de nos désirs, de nos rêves, …Nous sommes à la fois acteur, réalisateur, monteur, scénariste et décorateur de ce film. C’est peut-être pour cette raison que nous aimons tant le cinéma. Il est une métaphore de nos vies. Nous y voyons défiler des existences. Nous finissons par oublier qu’il s’agit d’une fiction, que les caméras étaient là pour saisir le jeu des acteurs. Nous voudrions parfois que nos vies soient comme le cinéma. Que nous puissions rejouer les scènes afin qu’elles soient comme nous les voudrions au final. Mais l’existence est un film qui ne s’arrête pas et nous improvisons tout le temps sauf lorsque nous jouons un rôle prédéfini. Exister cela renvoie à notre vie en elle-même, à ce qu’elle est, à la vie que nous avons peut-être rêvé ou imaginé, aux rencontres que nous avons faites. Parfois, nous pensons réellement diriger nos vies et puis un événement soudain qui n’affecte que nous ou peut-être tout le monde nous permet de réaliser que nous sommes cette petite brindille sur l’eau emportée par le courant et tourbillonnante. Notre existence est un mélange de choix, de hasard et d’accidents. Nous ne faisons que louvoyer tel des marins inexpérimentés entre chacun.

Qu’est-ce qu’une existence ? Une suite de moments plus ou moins agréables, plus ou moins anodins, des moments où nous avons éprouvé des émotions, des sensations, où nous avons fait des choix ou bien que nous avons subi, des instants où nous sommes seuls, à deux ou à plusieurs. Des moments que nous allons oublier ou qui vont rester dans notre mémoire parce qu’ils auront été particuliers ou bien parce que nous aurons ressenti quelque chose de particulier ce jour-là. Le seul lien entre tous ces moments c’est nous-même, nous en sommes la matrice, le fil conducteur et ils forment peu à peu notre existence.

Qu’allons nous mettre dans notre existence ? Quelles personnes, quelles actions ? Comment le hasard va-t-il se jouer de nous, inventer et fabriquer notre existence ? Car nous sommes aussi le jeu de hasards merveilleux ou malheureux. Des rencontres qui auraient pu en être d’autres. Des trains et des avions ratés qui vont créer de nouvelles bifurcations. Peu à peu cependant nous sentons que notre existence nous échappe, que nous nous éloignons d’elle, que nous la regardons comme un élément extérieur. Nous devenons indifférents à elle, elle nous apparaît comme étrangère. Nous continuons à essayer de nous y accrocher mais nous voyons bien que quelque chose nous échappe. Notre existence poursuit son chemin mais nous n’avançons plus avec elle. Nous ralentissons peu à peu, nous finissons même par nous arrêter et nous la voyons défiler tel un train. La vie peut s’écouler ainsi sans qu’on s’y accroche. Comme un fleuve. Tout devient transparent, inconsistant. Tout devient sans vie, juste de la matière inerte. La vie en apparence est toujours là mais l’existence n’y est plus. Nous l’avons abandonné et nous avec.


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11 réactions à cet article    


  • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 6 décembre 2021 14:22

    Article qui risque de ne pas « être » bien accueilli. Exister est effectivment s’extraire de son égo. C’est sortir de la fusion mortifère. Avoir ce regard extérieur à soi-même. Dit autrement, avoir du RECUL. Un photographe ou un peintre sait que pour bien voir sont sujet, il doit reculer. C’est la différence entre une vision rationnelle (celle du scientifique penché sur des morceaux de vie) et celui qui voit la vie dans son ensemble... La fusion entraîne la violence. Le sage lui se tient en dehors.... 


    • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 6 décembre 2021 14:29

      Parfois la guerre est nécessaire. Non pour survivre à tous prix mais pour défendre l’idée de l’humain conre le robot. Athéna déesse de la sagesse était aussi une déesse de la guerre. Guerre contre ceux qui veulent détruire la civilisation... Ce qui fait de nous de hommes au sens de l’homme de Vitruve. ce qui nous verticalise, nous élève et nous éloigne de nos partie animales. Non qu’il faille les rejeter, mais les maîtriser....


      • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 6 décembre 2021 14:41

        1568 civilisé « rendu civil, sociable ». Car c’est bien de cela qu’il s’agit. La connaissance de soi implique la connaissance de l’autre. Autrement on reste figé dans l’égo qui n’est pas le soi.... L’estime de soi n’est pas l’égo... C’est être comme le Surmoi qui maîtrise les pulsions instinctives de l’égo... (je, moi). Le soi étant le pronom « REFLECHI ». La différence entre individualisme et individualité : LA PSYCHE GRECQUE. Psyché vient du grec : souffle... traduite par âme... Même Aphrodite en fut jalouse..


        • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 6 décembre 2021 14:49

          Psyché est souvent représentée sur un chameau (qui transporte l’eau de la spiritualité) avec des ailes de Papillon. C’est ISIS.. la souveraine...


          • Clark Kent Schrek 6 décembre 2021 15:11

            « La vie, c’est comme une dent
            D’abord on y a pas pensé
            On s’est contenté de mâcher
            Et puis ça se gâte soudain
            Ça vous fait mal, et on y tient
            Et on la soigne et les soucis
            Et pour qu’on soit vraiment guéri
            Il faut vous l’arracher, la vie »

            Boris Vian


            • Clark Kent Schrek 6 décembre 2021 15:18

              @Schrek

              lien


            • Clark Kent Schrek 6 décembre 2021 17:25

              @Schrek

              « L’existence précède les sens » - Jean-Sol Partre

              « L’essence précède l’existence » - MBS


            • wagos wagos 6 décembre 2021 19:25

              L’essence est à 1€,75 le litre !! Station Total de mon patelin .


              • Sergio Sergio 6 décembre 2021 20:58

                C’est aussi vivre sa vie, avoir des projets, pouvoir se projeter dans le futur, envisager ses actions, les diriger


                Après avoir user de subterfuges inconscients divers et variés pour séduire ma colombe, fonder une famille et essayer de m’en responsabiliser, faire ce qu’on peut quoi, je me pose la question suivante :

                Si tout le reste était un malentendu ?


                • In Bruges In Bruges 7 décembre 2021 09:02

                  Mais bon,faut que je vous laisse, j’ai des doutes sur la fidélité de ma femme.

                  Je crois bien « qu’il s’en sert ».....

                  ( le meilleur de Devos à mon avis)

                  https://www.youtube.com/watch?v=iNiCGgRh1RE


                  • Tolzan Tolzan 3 juin 2023 11:47

                    ARAGON :

                     

                    Au bout de mon âge Qu’aurais-je trouvé

                    Vivre est un village Où j’ai mal rêvé

                     

                    Je me sens pareil Au premier lourdeau

                    Qu’encore émerveille Le chant des oiseaux

                    Les gens de ma sorte Il en est beaucoup

                    Savent-ils qu’ils portent Une pierre au cou

                     

                    Pour eux les miroirs C’est le plus souvent

                    Sans même s’y voir Qu’ils passent devant

                    Ils n’ont pas le sens De ce qu’est leur vie

                    C’est une innocence Que je leur envie

                     

                    Tant pour le plaisir Que la poésie

                    Je croyais choisir Et j’étais choisi

                    Je me croyais libre Sur un fil d’acier

                    Quand tout équilibre Vient du balancier

                     

                    Il m’a fallu naître Et mourir s’en suit

                    J’étais fait pour n’être Que ce que je suis

                    Une saison d’homme Entre deux marées

                    Quelque chose comme Un chant égaré

                     

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