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« Truffaut Correspondance » en effervescence à La Manufacture des Abbesses

L’interprétation et la mise en scène par David Nathanson d’un florilège de lettres écrites par François Truffaut s’avère une formidable opportunité pour découvrir ou relire le recueil de quelques 500 missives rédigées entre 1945 et 1984 que Gilles Jacob et Claude de Givray ont publié en 1993 dans lequel ce comédien/réalisateur a puisé pour sélectionner et ainsi présenter certaines selon une scénographie de Samuel Poncet où Antoine Ouvrard en alternance avec Pierre Courriol les accompagne de ponctuations pianistiques basées principalement sur les musiques des films de Truffaut dans un spectacle intimiste présenté à la Manufacture des Abbesses.   

  

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TRUFFAUT CORRESPONDANCE
© Luca Lomazzi

   

L’emprise sur le spectateur est fort réussie car David Nathanson reste en retrait du personnage, ne cherchant en aucune manière à incarner Truffaut voire l’imiter mais en revanche par les intonations, la gestuelle, les silences, le rythme de la parole, le comédien ne cesse de s’impliquer dans le ton et l’esprit de ces messages écrits et ainsi retranscrits vocalement selon une palette de sentiments, ressentiments, colère feinte ou rentrée, affections, intérêts exprimés et autres impatiences dépeignant ainsi de l’intérieur un François Truffaut fort peu connu des cinéphiles.

L’agencement scénique est notamment effectué à l’aide de rétroprojections concernant des documents ou objets vintage disposés à même une table basse circulaire trônant proche d’un confortable fauteuil d’où le metteur en scène peut réguler l’action.

David Nathanson et son partenaire musical du soir emmènent ainsi le spectateur dans un dédale de souvenirs faisant référence à des gens connus, des évènements ciblés, des faits culturels signifiants de telle manière que ce dernier pourrait aisément y lire en surplomb sa propre souvenance cheminant sur les rails de la mémoire collective, bien sûr cinématographique mais surtout très imprégnée de littérature avec grande ambition artistique.

   

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TRUFFAUT CORRESPONDANCE
© Luca Lomazzi

   

Cela s’apparente à une remontée dans le temps par strates où la vie stimulée par la créativité au quotidien prendrait l’avantage sur tout autre considération.

En effet, François Truffaut, le nez dans le guidon de ses projets, semble progresser au fil des difficultés, des obstacles, des amitiés, des jalousies et surtout dans une sensibilité à fleur de peau selon laquelle l’écriture aurait la vertu d’exprimer les aléas autant que de les temporiser dans un flux ininterrompu de sollicitations.

C’est à cet endroit que « les lettres », choisies à dessein par le comédien pour un spectacle cadré selon son rôle de passeur, pourraient faire place à la compilation de Gilles Jacob suscitant, de facto, un impact démultiplié pour peu que le spectateur, ayant été intrigué par la sélection de ces courriers postaux vus et entendus avec fascination, décide d’aller dans la foulée consulter l’ensemble de cette correspondance.

 

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TRUFFAUT CORRESPONDANCE
© Luca Lomazzi

  

En effet, cette publication révéle, à l’état brut, un chaos permanent et une motivation exacerbée selon des liens professionnels et amicaux entrecroisés ainsi qu’autant d’affectivité que de désobligeance revendiquée et assumée, bref un véritable arsenal qui pourrait s’apparenter aux échanges pratiqués sur les réseaux sociaux contemporains à ceci près que la langue française y serait maniée, certes dans un langage courant mais avec la dextérité d’un maître en subtilités variées et perfides, étant lui-même plutôt amusé que courroucé.

Au demeurant, tout en restant pragmatique, François Truffaut se révèle impliqué dans un engagement existentiel au nom d’une approche véridique dont il souhaiterait ne jamais se départir. L’extrait suivant tiré de la lettre envoyée à Helen Scott, le 9 janvier 1961 peut donner une idée de ses prises de position radicales et sans concession :

« Effectivement, Jeanne Moreau vient à New York vers le 20 de ce mois, j’ignore avec quel Jules. Je lui ai parlé de vous et elle ne demande pas mieux que de vous voir ; elle vous décevra peut-être, car j’ai remarqué que vous vous faîtes encore pas mal d’illusions sur les comédiens, acteurs et vedettes.

 

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TRUFFAUT CORRESPONDANCE
© Illustration Cécile Le Berre

  

Qu’est-ce qu’il ne faut pas avoir dans la tête pour faire ce métier-là ? Il s’agit de se hausser sans cesse au-dessus des autres, ce qui revient, au fond, à les rabaisser ; au départ, il s’agit d’une vocation, d’une ambition assez pure, être aussi bien que tel ou tel, puis mieux que tel ou tel, puis il s’agit de couler tel ou tel ; les vedettes sont tristes, mais d’une tristesse dégueulasse.  

Les vedettes souffrent parce qu’on les emmerde ; quand on ne les emmerde plus, c’est encore pire. Elles travaillent huit heures par jour à se détacher de l’humanité et elles prétendent ensuite exprimer tous les sentiments humains. Je vous assure qu’aucune ne peut racheter les autres… »

Il faut comprendre que Truffaut n’épargne personne, pas même lui-même, donnant ainsi l’impression d’être constamment prêt à tout remettre en question… jusqu’à sa propre compétence et sa légitimité à faire des films.

Cela crée une tension permanente mais paradoxalement salutaire car, si le choix de Gilles Jacob a été de ne publier que quelques réponses aux lettres de François, dans la seule perspective de cohérence et à titre exceptionnel, cette correspondance à sens unique a la vertu de susciter un quasi autoportrait évolutif mais grandeur nature d’un des plus grands metteurs en scène français depuis son adolescence jusqu’à sa mort.

 

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TRUFFAUT CORRESPONDANCE
© Luca Lomazzi

  

Il s’agit d’une autre époque au XXème siècle mais dans laquelle on se déplace avec passion tant les motivations sont arc-boutées à l’ambition de se dépasser soi-même.   

Félicitations à David Nathanson et sa compagnie d’avoir ainsi su susciter un regain d’intérêt pour cette correspondance qu’il aura réussi à transplanter sur la scène en éveillant l’attention, l’admiration et l’émotion du public.

  

  
photos 1 à 3 & 5 © Luca Lomazzi

photo 4 © Illustration Cécile Le Berre d'après photo Pierre Zucca
photo 6 © Theothea.com
  
TRUFFAUT CORRESPONDANCE - ***. Theothea.com - D'après publication Gilles Jacob & Claude de Givray - mise en scène Judith D'Aleazzo & David Nathanson - avec David Nathanson & au piano en alternance Antoine Ouvrard & Pierre Courriol (Les ailes de Clarence) - Manufacture des Abbesses 

  
    

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TRUFFAUT CORRESPONDANCE
© Theothea.com

  


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