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Accueil du site > Tribune Libre > Une belle mort !

Une belle mort !

  Chacun aspire à une fin de vie conforme à ses désirs : sereine et paisible. Toutefois, les desiderata personnels doivent coïncider avec les souhaits formulés ou non de la société. 

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Pour certains, pour beaucoup, la mort de Félix Faure représente un idéal. Ce Havrais de modeste origine a été élu Président de la République en 1895. Quatre ans plus tard, ce bel homme de 58 ans meurt au palais de l’Élysée dans les bras d’une demi-mondaine. On le trouvera allongé sur un divan, pantalon et caleçon descendus sur les chevilles et râlant tandis que sa maîtresse Marguerite Steinheil rajuste ses vêtements en désordre. Il décédera quelques heures plus tard. Les services de l’Élysée tenteront de dissimuler que l’accident vasculaire cérébral est survenu lors d’une fellation.Sa maîtresse d’alors sera surnommée ‘la pompe funèbre’.

Bien entendu, les choses ne se passent pas toujours dans d’aussi bonnes conditions.

Les Witoto constituent un peuple indigène vivant au sud-Est de la Colombie et au Nord du Pérou. Chez les Witoto, les personnes âgées ou infirmes étaient abandonnées pour mourir. Le peuple Wayana vivant en Guyane, sur les rives du fleuve Maroni, assommait les vieillards qui devaient mourir à coups de massue et ils étaient ensuite mangés. Au Japon, à la fin du XIXe siècle, une coutume voulait que les habitants arrivant à l’âge de 70 ans devaient s’en ailler mourir volontairement au sommet de Narayama, « la montagne aux chênes », aidés par leur fils aîné.

Hérodote (mort vers 425 av. J.-C) écrit au sujet des Massagètes vivant au voisinage de la mer d’Aral : « Bien qu’ils ne fixent aucun terme certain à la vie, quand un homme est très vieux, toute sa famille se réunit et le tue, avec les bêtes du troupeau en plus, puis fait bouillir la chair et s’en régale. » Chez les Inuit, quand une vieille femme n’a plus de dents à force d’avoir trop travailler les peaux de phoques, quand un vieillard est devenu trop faible pour chasser, quand les hommes et les femmes deviennent un poids pour leur communauté, ils « partent sur la glace ». C’est-à-dire qu’ils vont se laisser saisir par le froid et se laisser mourir, par sacrifice, pour le bien de leur famille. Le dernier cas de cet anéantissement par le froid a été décrit en 1939.

Le démographe Sherburne F. Cook a interprété l’importante augmentation du nombre de sacrifices humains dans la seconde moitié du XVe siècle chez les Aztèques comme une tentative de régulation de la surpopulation du Mexique central. Dans une légende, les Mimixcoas qui se laissent aller à la luxure et à la boisson et ne ramènent donc rien de la chasse sont tués par les Mecitin. En Scandinavie, Ättestupa est une falaise d’où l’on jetait les personnes trop âgées.

Les sacrifices humains ont donc été pratiqués dans presque toutes les parties du globe à diverses périodes de temps. Les actes rituels impliquant un sacrifice semblent avoir joué un rôle important dans le développement des sociétés complexes et le contrôle des populations.

Sauvagerie ou humanisme bien compris ? Le problème ne se pose pas en ces termes : une société doit constamment s’adapter aux ressources si elle veut survivre... et elle veut toujours survivre. Que devient ce dilemme dans nos sociétés modernes ?

En 1901, la France comptait 2,5% de personnes de 75 ans ou plus, en 2018, elle en compte 9,3% soit près de quatre fois plus. Cette dernière année, les personnes de 20 à 59 ans sont (seulement) deux fois plus nombreuses que les plus de 60 ans alors que cette proportion était supérieure à 4 un peu plus d’un siècle auparavant. Si les nécessités de la société sont les mêmes que depuis toujours, il faut ajuster ressources et population. L’extraordinaire essor industriel rendu possible par les énergies fossiles a permis une augmentation considérable des ressources, mais sans entièrement supprimer les contraintes matérielles. Il est possible de s’en rendre mieux compte lors de crises.

Une épidémie a ravagé la plupart des pays du monde récemment. Personne ne savait vraiment traiter les malades, ils étaient donc condamnés à subir le sort que le virus leur destinait emplissant dans certains cas les services de réanimation des hôpitaux. L’ampleur de l’épidémie étant importantes, les moyens techniques et humains furent souvent insuffisants et des ‘choix’ entre patients durent être faits en fonction de leur âge ou/et de leur état de santé. La ‘priorisation’ est une décision médicale prise dans le meilleur intérêt du patient en fonction des moyens mis à la disposition de la société. Cette hiérarchisation des cas ne peut être purement quantitative car des patients de 80 ans peuvent être en meilleure santé qu’un autre plus jeune. La tenue en compte des comorbidités (diabète, obésité, etc), de l’autonomie du patient et de son espérance de vie en bonne santé espérée à l’issue de son passage en réanimation, sont tout aussi importantes. Il faut aussi cerner la façon de vivre de la personne hospitalisée, son entourage. Il faut réfléchir à partir de tous les éléments de la singularité clinique du malade.

Ainsi, malgré des différences évidentes, il y a bien des analogies les choix ancestraux et les façons de faire actuelles offerts par la société aux personnes âgées.

D’autres situations sont possibles.

Le taux de résidents en EPHAD âgés de plus de 90 ans est de l’ordre de 35 %. La durée de vie moyenne en maison de retraite est d’environ deux ans et demi, quelle que soit la raison de sortie. La vie dite moderne n’offre que peu d’alternative à confier une fin de vie à une structure d’accueil professionnalisée. Le coût mensuel de prise en charge par l’EPHAD est élevé : 3800€ à Paris, 1700€ dans le Cantal. Elle peut atteindre 5000€ dans les Hauts-de-Seine. Dans tous les cas, la charge financière pour l’entourage immédiat de la personne âgée est énorme et souvent hors de portée de beaucoup. Une régulation sociétale se met là encore en place dans la lignée des sacrifices anciens.

Depuis toujours et encore maintenant, les personnes âgées constituent en quelque sorte une variable d’ajustement accordé aux nécessités de la société. Dans cette perspective on peut regretter que le sort de M. Félix Faure dépende par trop d’un hasard.

Quoique...


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9 réactions à cet article    


  • Lynwec 23 mars 2022 16:17

    « Il voulait être César, il mourut Pompée... » aurait persiflé Clémenceau à propos de Félix Faure, faisant allusion aux dangers potentiels de gâteries à un certain âge.

    Une mort est une mort, l’essentiel est de ne pas regretter la manière dont on a vécu sa vie. La beauté n’y trouve aucune place, hormis pour la mort de celui qui sauve des vies ce faisant.


    • Jacques-Robert SIMON Jacques-Robert SIMON 23 mars 2022 16:29

      @Lynwec

      Bien entendu, je n’ai pas évoqué de ’mort héroïque’, je suis resté dans le banal.


    • Clark Kent Kaa 23 mars 2022 16:54

      “Il n’y a pas de principe supérieur dans notre République qui oblige les patients en fin de vie à vivre leurs souffrances jusqu’au bout.”

      L’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité (ADMR) milite pour que chaque Française et chaque Français puisse choisir les conditions de sa propre fin de vie.


      • Jacques-Robert SIMON Jacques-Robert SIMON 23 mars 2022 17:19

        @Kaa

        Je connaissais cet aspect. Merci.


      • eddofr eddofr 23 mars 2022 17:15

        Je ne veux pas mourir, parce que je suis le centre de l’univers et que je sais que le monde tout entier disparaitra avec moi.

        Je voudrais pouvoir revenir pour m’assurer que le monde perdure bien après ma mort.

         smiley

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